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d’inexprimable dans ce mélange de l’art et de la réalité ; c’est à la fois une lutte et une harmonie. La nature, qui rivalise avec Beethoven, rivalise aussi avec Jean Goujon. Les arabesques font des broussailles, les broussailles font des arabesques. On ne sait laquelle choisir et laquelle admirer le plus, de la feuille vivante ou de la feuille sculptée.

Quant à moi, cette ruine m’a paru pleine d’un ordre divin. Il me semble que ce palais, bâti par les fées de la renaissance, est maintenant dans son état naturel. Toutes ces merveilleuses fantaisies de l’art libre et farouche devaient être mal à l’aise dans ces salles quand on y signait la paix ou la guerre, quand de sombres princes y rêvaient, quand on y mariait des reines, quand on y ébauchait des empereurs d’Allemagne. Est-ce que ces Vertumnes, ces Pomones et ces Ganymèdes pouvaient comprendre quelque chose aux idées qu’ils voyaient sortir de la tête de Frédéric IV ou V, par la grâce de Dieu, comte palatin du Rhin, vicaire du saint-empire romain, électeur, duc de Haute et Basse-Bavière ? Un grand seigneur couchait dans cette chambre avec une fille de roi sous un baldaquin ducal ; maintenant il n’y a plus ni seigneur, ni fille de roi, ni baldaquin, ni plafond dans cette chambre ; le liseron l’habite et la menthe sauvage la parfume. C’est bien. C’est mieux. Ces adorables sculptures ont été faites pour être baisées par les fleurs et regardées par les étoiles.

La nature, juste et sainte, fait fête à cette œuvre dont les hommes ont oublié l’ouvrier.

Outre une quantité innombrable de bassins, de grottes et de fontaines, de pavillons et d’arcs de triomphe, outre la chapelle consacrée à saint Udalrich, et érigée par Jules III en première chapelle de l’Allemagne ;

Outre la grande place d’armes,

Les deux arsenaux,

Le jeu de balle de l’électeur Charles,

La ménagerie des lions,

La volière,

La maison des oiseaux,

La maison du plumage,

La grande chancellerie,

L’hôtel des monnaies, flanqué de quatre tourelles,

Le château de Heidelberg contenait et soudait, dans sa magnifique unité, huit palais de huit princes et de huit époques différentes :

Un du quatorzième siècle, le palais du pfalzgraf Rodolphe Ier ;

Un du quinzième siècle, le palais de l’empereur Rupert ;

Trois du seizième, le palais de Louis V, le palais de Frédéric II, et le palais d’Othon-Henri ;