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Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 150-163).

XXII. S’ENSUIT
LE MONOLOGUE
DU
FRANC ARCHIER DE BAIGNOLLET
AVEC SON EPITAPHE.


Cest à meshuy ! J’ay beau corner !
Or ça, il s’en fault retourner,
Maulgré ses dentz, en sa maison
Si ne vis-je pieça saison
Où j’eusse si hardy couraige
Que j’ay ! Par la morbieu ! j’enraige
Que je n’ay à qui me combatre…
Y a-il homme qui à quatre,
Dy-je, y a-il quatre qui vueillent
Combatre à moy ? Se tost recueillent
Mon gantelet ; vela pour gaige !
Par le sang bleu ! je ne crains paige,
S’il n’a point plus de quatorze ans.
J’ay autresfoys tenu les rencz,
Dieu Mercy ! et gaigné le prix
Contre cinq Angloys que je pris,

Povres prisonniers desnuez,
Si tost que je les euz ruez.
Ce fust au siège d’Alençon.
Les troys se misrent à rançon,
Et le quatriesme s’enfuyt.
Incontinent que l’autre ouyt
Ce bruit, il me print à la gorge.
Se je n’eusse crié : Sainct George !
Combien que je suys bon Françoys,
Sang bleu ! il m’eust tué ançoys
Que personne m’eust secouru.
Et quand je me senty feru
D’une bouteille, qu’il cassa
Sur ma teste : « Venez ça, ça !
Dis-je lors. Que chascun s’appaise !
Je ne quiers point faire de noise,
Ventre bleu ! et buvons ensemble.
Posé soit ores que je tremble,
Sang bleu ! je ne vous crains pas maille. »
 
Cy dit ung quidem, par derrière les gens :
Coquericoq.

Qu’esse cy ? J’ay oüy poullaille
Chanter chez quelque bonne vieille ;
Il convient que je la resveille.
Poullaille font icy leurs nidz !
C’est du demourant d’Ancenys,
Par ma foy ! ou du Champ-Toursé…
Helas ! que je me vis coursé
De la mort d’ung de mes nepveux !
J’euz d’ung canon par les cheveux,
Qui me vint cheoir tout droit en barbe :

Mais je m’escriay : « Saincte Barbe !
Vueille-moy ayder à ce coup,
Et je t’ayderay l’autre coup ! »
Adonc le canon m’esbranla,
Et vint ceste fortune-là
Quand nous eusmes le fort conquis.
Le Baronnet et le Marquis,
Craon, Cures, l’Aigle et Bressoire,
Accoururent pour veoir l’histoire ;
La Rochefouquault, l’Amiral,
Aussi Beuil et son attirail,
Pontièvre, tous les capitaines,
Y deschaussèrent leurs mitaines
De fer, de paour de m’affoler,
Et si me vindrent acoler
A terre, où j’estoye meshaigné,
De paour de dire : « Il n’a daigné ! »
Combien que je fusse malade,
Je mis la main à la salade,
Car el m’estouffoit le visaige.
« Ha ! dist le Marquis, ton oultraige
Te fera une foys mourir ! »
Car il m’avoit bien veu courir,
Oultre l’ost, devant le chasteau.
Hélas ! j’y perdy mon manteau,
Car je cuidoye d’une poterne
Que ce fust l’huys d’une taverne.
Et moy tantost de pietonner,
Car, quand on oyt clarons sonner,
Il n’est courage qui ne croisse.
Tout aussitost : « Où esse ? Où esse ? »
Et, à brief parler, je m’y fourre,
Ne plus ne moins qu’en une bourre.
Si ce n’eust esté la brairie

Du costé devers la prairie,
De nos gens, qui crioient trestous,
Disant : « Pierre, que faictes-vous ?
N’assaillez pas la basse court
Tout seul ! » je l’eusse prins tout court,
Certes ; mais c’eust esté outraige.
Et se ce n’eust esté ung paige
Qui nous vint trencher le chemin,
Mon frère d’armes Guillemin
Et moy, Dieu lui pardoint, pourtant !
Car, quoy ? il nous en pend autant
À l’œil, eussions, sans nulle faille,
Frappé au travers la bataille
Des Bretons ; mais nous apaisames
Nos couraiges et recullames…
Que dy-je ? non pas reculer,
Chose dont on ne doibt parler…
Ung rien, jusque au Lyon d’Angiers.
Je ne craignoye que les dangiers,
Moy ; je n’avoye paour d’aultre chose.
Et quand la bataille fut close,
D’artillerie grosse et gresle
Vous eussez ouy, pesle-mesle :
Tip, tap, sip, sap, à la barrière,
Aux esles, devant et derrière.
J’en eus d’ung parmy la cuirace.
Les dames qu’estoient en la place
Si ne craignoyent que le couillart.
Certes, j’estoye ung bon paillart ;
J’en avoye ung si portatif,
Se je n’eusse esté si hastif
De mettre le feu en la pouldre,
J’eusse destruit et mis en fouldre,
Tout quanqu’avoit de damoiselles.

Il porte deux pierres jumelles,
Mon couillart : jamais n’en a meins.
Et dames de joindre les mains,
Quand ilz virent donner l’assault.
Les ungs se servoyent du courtault
Si dru, si net, si sec que terre.
Et puis, quoy ? parmy ce tonnerre,
Eussez ouy sonner trompilles,
Pour faire dancer jeunes filles
Au son du courtault, haultement.
Quand j’y pense, par mon serment !
C’est vaine guerre qu’avec femmes ;
J’avoye toujours pitié des dames.
Veu qu’ung courtault tresperce ung mur,
Ilz auroyent le ventre bien dur,
S’il ne passoit oultre… Pensez
Qu’on leur eust faict du mal assez,
Se l’en n’eust eu noble couraige ;
Mesmes ces pehons de villaige,
J’entens pehons de plat pays,
Ne se fussent point esbahis
De leur mal faire ; mais nous sommes
Tousjours, entre nous gentilz hommes,
Au guet dessus la villenaille.
J’estoye pardeça la bataille,
Tousjours la lance ou la bouteille
Sur la cuisse : c’estoit merveille,
Merveille de me regarder.
Il vint ung Breton estrader,
Qui faisoit rage d’une lance ;
Mais il avoit, de jeune enfance,
Les reins rompus ; c’estoit dommaige.
Il vint tout seul, par son oultraige,
Estrader par mont et par val ;

Pour bien pourbondir un cheval
Il faisoit feu et voire flambe.
Mais je lui trenchay une jambe,
D’ung revers, jusques à la hanche ;
Et fis ce coup-là ung dimenche,
Que dy-je ? ung lundy matin.
Il ne s’armoit que de satin,
Tant craignoit à grever ses reins.
Voulentiers frappoit aux chanfrains
D’ung cheval, quand venoit en jouste,
Ou droit à la queue, sans doubte.
Point il ne frappoit son roussin,
Pource qu’il avoit le farcin,
Que d’ung baston court et noailleux,
Dessus sa teste et ses cheveulx,
De paour de le faire clocher.
Aussi, de paour de tresbucher,
Il alloit son beau pas, tric, trac,
Et ung grant panon de bissac
Voulentiers portoit sur sa teste.
D’ung tel homme fault faire feste
Autant que d’ung million d’or.
Gens d’armes ! c’est ung grant tresor ;
S’il vault riens il ne fault pas dire.
J’ay fait raige avecques La Hire :
Je l’ay servy trestout mon aage.
Je fus gros vallet, et puis page,
Archier, et puis je pris la lance,
Et la vous portoye sur la panse,
Tousjours troussé comme une poche.
Et puis, monseigneur de la Roche,
Que Dieu pardoint, me print pour paige.
J’estoye gent et beau de visaige,
Je chantoye et brouilloye des flustes,

Et si tiroye entre deux butes.
À brief parler, j’estoye ainsi
Mignon comme cest enfant-cy ;
Je n’avoys pas gramment plus d’aage…
Or ça, ça, par où assauldray-je
Ce cocq que j’ay ouy chanter ?
À peu besongner bien vanter ;
Il fault assaillir cest hostel.


Adonc apperçoit le Franc Archier un espoventail de
chenevière, faict en façon d’ung gendarme,
croix blanche devant et croix noire
derrière, en sa main tenant
une arbaleste.


(À part.)

Ha ! le Sacrement de l’autel !
Je suis affoibly ! Qu’esse-cy ?

(À l’espoventail.)

Ha ! Monseigneur, pour Dieu, mercy !
Hault le trait, qu’aye la vie franche !
Je voy bien, à vostre croix blanche,
Que nous sommes tout d’ung party.
(À part.)
D’ond, tous les diables ! est-il sorty,
Tout seul et ainsi effroyé ?

(À l’espoventail.)

Comment ! Estes-vous desvoyé ?
Mettez jus, je gage l’amende.
Et, pour Dieu, mon amy, desbende
Au hault ou au loing ton baston !

Adonc il advise sa croix noire.

Par le sang bieu ! c’est ung Breton,
Et je dy que je suis Francoys !…
Il est fait de toy, ceste fois,
Perrenet ; c’est ung parti contraire !

(À l’espoventail.)

Hen, Dieu ! et où voulez-vous traire ?
Vous ne sçavez pas que vous faictes.
Dea ! je suis Breton, si vous l’estes.
Vive sainct Denis ou sainct Yve !
Ne m’en chault qui, mais que je vive !
Par ma foi ! Monseigneur mon maistre,
Se vous voulez sçavoir mon estre,
Ma mère fut née d’Anjou,
Et mon père je ne sçay d’où,
Sinon que j’ouy reveler
Qu’il fut natif de Lantriquer.
Comment sçauray-je vostre nom ?
Monseigneur Rollant, ou Yvon,
Mort seray quand il vous plaira !

(À part.)

Et comment ! il ne cessera
Meshuy de me persecuter,
Et si ne me veult escouter !

(À l’espoventail.)

En l’honneur de la Passion
De Dieu, que j’aye confession,
Car je me sens jà fort malade !
Or, tenez, velà ma salade,
Qui n’est froissée ne couppée ;

Je la vous rens, et mon espée,
Et faictes prier Dieu pour moy.
Je vous laisse, sur vostre foy,
Ung vœu que je doibs à sainct Jacques.
Pour le faire, prendrez mon jacques,
Et ma ceinture et mon cornet.

(À part.)

Tu meurs bien maulgré toy, Pernet,
Voire maulgré toi et à force !

(Au public.)

Puis qu’endurer fault et à force,
Priez pour l’ame, s’il vous plaist,
Du Franc Archier de Baignolet,
Et m’escripvez, à ung paraphe,
Sur moy ce petit epitaphe :

Cy gist Pernet le Franc Archier,
Qui cy mourut sans desmarcher,
Car de fuyr n’eut onc espace,
Lequel Dieu, par sa saincte grace,
Mette ès cieulx, avecques les ames
Des francs archiers et des gens d’armes,
Arrière des arbalestriers.
Je les hay tous : ce sont meurdriers !
Je les congnois bien de pieça.
Et mourut l’an qu’il trespassa.

Velà tout ; les mots sont très beaux.
Or, vous me lairrez mes houseaulx,
Car, se j’alloye en paradis
À cheval, comme fist jadis
Sainct Martin, et aussi sainct George,

J’en seroye bien plus prest… Or je
Vous laisse gantelet et dague :
Car, au surplus, je n’ay plus bague
De quoy je me puisse deffendre.

(À l’espoventail.)

Attendez ! me voulez-vous prendre
En desaroy ? Je me confesse
À Dieu, tandis qu’il n’y a presse,
À la Vierge et à tous sainctz.

(À part.)

Or meurs-je les membres tous sains
Et tout en bon point, ce me semble.
Je n’ay mal, sinon que je tremble
De paour et de malle froidure,
Et de mes cinq sens de nature…
Cinq cens ! Où prins, qui ne les embie ?
Je n’en veiz onc cinq cens ensemble,
Par ma foy ! n’en or, n’en monnoye.
Pour néant m’en confesseroye :
Oncques ensemble n’en veiz deux.
Et de mes sept pechez morteux
Il fault bien que m’en supportez :
Sur moy je les ay trop portez ;
Je les metz jus, avec mon jacques.
J’eusse attendu jusques à Pasques,
Mais vecy ung advancement.
Et du premier commendement
De la Loy, qui dit qu’on doibt croire
(Non pas l’estoc quand on va boire,
Cela s’entend) en ung seul Dieu,
Jamais ne me trouvay en lieu
Où j’y creusse mieulx qu’à ceste heure,
Mais qu’à ce besoing me sequeure.

(À l’espoventail.)

Ne desbendez ? Je ne me fuys !

(À part.)

Hélas ! je suis mort où je suis.
Je suis aussi simple, aussi coy
Comme une pucelle ; car, quoy
Dit le second commendement ?
Qu’on ne jure Dieu vainement.
Non ay—je en vain, mais très ferme,
Ainsi que fait ung bon genderme,
Car il n’est rien craint, s’il ne jure.
Le tiers nous enjoingt et procure,
Et advertist et admoneste,
Que l’en doit bien garder la feste,
Autant en hyver qu’en esté :
J’ay tousjours voulentiers festé,
De ce ne mentiray-je point,
Et le quatriesme nous enjoint
Qu’on doit honnorer père et mère :
J’ay tousjours honoré mon père,
En moy congnoissant gentilhomme
De son costé, combien qu’en somme
Sois villain et de villenaille.

(À l’espoventail.)

Et, pour Dieu, mon amy, que j’aille
Jusques amen ; misericorde !
Relevez ung peu vostre corde ;
Ferez que le traict ne me blesse.

(À part.)

Item, morbieu ! je me confesse
Du cinquiesme, sequentement :

Deffend-il pas expressément
Que nul si ne soit point meurtrier ?

(À l’espoventail.)

Las ! Monseigneur l’arbalestrier,
Gardez bien ce commendement ;
Quant est à moy, par mon serment,
Meurdre ne fis onc qu’en poulaille.

(À part.)

L’aultre commendement nous baille
Qu’on n’emble rien ; ce ne fis oncque,
Car en lieu n’en place quelconque
Je n’euz loysir de rien embler.
J’ay assez à qui ressembler
En ce point ; je n’ay point meffait,
Car, se l’en m’eust pris sur le fait,
Dieu scet comme il me fust mescheu !

Cy laisse tomber à terre l’espoventail, celluy qui le tient.
(À l’espoventail.)

Las ! monseigneur ! Vous estes cheu !…
Jésus ! et qui vous abouté,
Dictes ? Ce n’ay-je pas esté,
Vrayement, ou diable ne m’emporte,
Au cas, dictes ? Je m’en rapporte
À tous ceulx qui sont cy, beau sire,
Affin que ne vueillez pas dire
Que c’est demain ou pour demain.
Au fort, baillez-moy vostre main,
Je vous ayderay à lever.
Mais ne me vueillez pas grever :
J’ai pitié de vostre fortune.

Cy apperçoyt le Franc Archier, de l’espoventail, que ce n’est pas ung homme.

Par le corps bieu ! j’en ay pour une !
Il n’a pié ne main ; il ne hobe ;
Par le corps bieu ! c’est une robe
Plaine, de quoy ? charbieu ! de paille !
Qu’esse-cy ? morbieu ! on se raille,
Ce cuiday-je, des gens de guerre…
Que la fièvre quartaine serre
Celluy qui vous a mis icy !
Je le feray le plus marry,
Par la vertu bieu ! qu’il fut oncques.
Se mocque on de moy quelconques ?
Et ce n’est, j’advoue sainct Pierre !
Qu’espoventail de chenevière,
Que le vent a cy abatu !…
La mort bieu ! vous serez batu,
Tout au travers, de ceste espée…
Quand la robbe seroit couppée,
Ce seroit ung très grand dommaige.
Je vous emporteray pour gaige,
Toutesfoys, après tout hutin.
Au fort, ce sera mon butin,
Que je rapporte de la guerre.
On s’est bien raillé de toi, Pierre,
La charbieu saincte et beniste !
Vous eussiez eu l’assault bien viste,
Se j’eusse sceu vostre prouesse :
Vous eussiez tost eu la renverse,
Voir, quelque paour que j’en eusse.
Or pleust à Jésus que je fusse,
À tout cecy, en ma maison !

Qu’il poise ! Mengié a foison
De paille : elle chiet par derrière.
C’est paine pour la chamberière,
De la porter hors de ce lieu.

(Au public.)

Seigneurs, je vous commande à Dieu ;
Et se l’on vous vient demander
Qu’est devenu le Franc Archier,
Dictes qu’il n’est pas mort encor,
Et qu’il emporte dague et cor,
Et reviendra par cy de brief.
Adieu ; je m’en vois au relief.


Fin du monologue du franc archier de Baignollet.