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RECHERCHES

SUR

LA NATURE ET LES CAUSES

DE

LA RICHESSE DES NATIONS[2]




INTRODUCTION

et plan de l’ouvrage.


Le travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie ; et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce travail, ou achetées des autres nations avec ce produit.

Ainsi, selon que ce produit, ou ce qui est acheté avec ce produit, se trouvera être dans une proportion plus ou moins grande avec le nombre des consommateurs, la nation sera plus ou moins bien pourvue de toutes les choses nécessaires ou commodes dont elle éprouvera le besoin[3].

Or, dans toute nation, deux circonstances différentes déterminent cette proportion. Premièrement, l’habileté, la dextérité et l’intelligence qu’on y apporte généralement dans l’application du travail ; deuxièmement, la proportion qui s’y trouve entre le nombre de ceux qui sont occupés à un travail utile et le nombre de ceux qui ne le sont pas. Ainsi, quels que puissent être le sol, le climat et l’étendue du territoire d’une nation, nécessairement l’abondance ou la disette de son approvisionnement annuel, relativement à sa situation particulière, dépendra de ces deux circonstances.

L’abondance ou l’insuffisance de cet approvisionnement dépend plus de la première de ces deux circonstances que de la seconde. Chez les nations sauvages qui vivent de la chasse et de la pêche, tout individu en état de travailler est plus ou moins occupé à un travail utile, et tâche de pourvoir, du mieux qu’il peut, à ses besoins et à ceux des individus de sa famille ou de sa tribu qui sont trop jeunes, trop vieux ou trop infirmes pour aller à la chasse ou à la pêche. Ces nations sont cependant dans un état de pauvreté suffisant pour les réduire souvent, ou du moins pour qu’elles se croient réduites, à la nécessité tantôt de détruire elles-mêmes leurs enfants, leurs vieillards et leurs malades, tantôt de les abandonner aux horreurs de la faim ou à la dent des bêtes féroces. Au contraire, chez les nations civilisées et en progrès, quoiqu’il y ait un grand nombre de gens tout à fait oisifs et beaucoup d’entre eux qui consomment un produit de travail décuple et souvent centuple de ce que consomme la plus grande partie des travailleurs, cependant la somme du produit du travail de la société est si grande, que tout le monde y est souvent pourvu avec abondance, et que l’ouvrier, même de la classe la plus basse et la plus pauvre, s’il est sobre et laborieux, peut jouir, en choses propres aux besoins et aux aisances de la vie, d’une part bien plus grande que celle qu’aucun sauvage pourrait jamais se procurer[4].

Les causes qui perfectionnent ainsi le pouvoir productif du travail et l’ordre suivant lequel ses produits se distribuent naturellement entre les diverses classes de personnes dont se compose la société, feront la matière du premier livre de ces recherches.

Quel que soit, dans une nation, l’état actuel de son habileté, de sa dextérité et de son intelligence dans l’application du travail, tant que cet état reste le même, l’abondance ou la disette de sa provision[5] annuelle dépendra nécessairement de la proportion entre le nombre des individus employés à un travail utile, et le nombre de ceux qui ne le sont pas. Le nombre des travailleurs utiles et productifs est partout, comme on le verra par la suite, en proportion de la quantité du Capital employé à les mettre en œuvre, et de la manière particulière dont ce capital est employé. Le second livre traite donc de la nature du capital et de la manière dont il s’accumule graduellement, ainsi que des différentes quantités de travail qu’il met en activité, selon les différentes manières dont il est employé.

Des nations qui ont porté assez loin l’habileté, la dextérité et l’intelligence dans l’application du travail, ont suivi des méthodes fort différentes dans la manière de le diriger ou de lui donner une impulsion générale, et ces méthodes n’ont pas toutes été également favorables à l’augmentation de la masse de ses produits. La politique de quelques nations a donné un encouragement extraordinaire à l’industrie des campagnes ; celle de quelques autres, à l’industrie des villes. Il n’en est presque aucune qui ait traité tous les genres d’industrie avec égalité et avec impartialité. Depuis la chute de l’empire romain, la politique de l’Europe a été plus favorable aux arts, aux manufactures et au commerce, qui sont l’industrie des villes, qu’à l’agriculture, qui est celle des campagnes[6]. Les circonstances qui semblent avoir introduit et établi cette politique sont exposées dans le troisième livre[7].

Quoique ces différentes méthodes aient peut-être dû leur première origine aux préjugés et à l’intérêt privé de quelques classes particulières, qui ne calculaient ni ne prévoyaient les conséquences qui pourraient en résulter pour le bien-être général de la société, cependant elles ont donné lieu à différentes théories d’économie politique, dont les unes exagèrent l’importance de l’industrie qui s’exerce dans les villes, et les autres celle de l’industrie des campagnes. Ces théories ont eu une influence considérable, non-seulement sur les opinions des hommes instruits, mais même sur la conduite publique des princes et des États. J’ai tâché, dans le quatrième livre, d’exposer ces différentes théories aussi clairement qu’il m’a été possible, ainsi que les divers effets qu’elles ont produits en différents siècles et chez différents peuples.

Ces quatre premiers livres traitent donc de ce qui constitue le revenu de la masse du peuple, ou de la nature de ces fonds qui, dans les différents âges et chez les différents peuples, ont fourni à leur consommation annuelle. Le cinquième et dernier livre traite du revenu du Souverain ou de la République. J’ai tâché de montrer dans ce livre : 1o quelles sont les dépenses nécessaires du souverain ou de la république, lesquelles de ces dépenses doivent être supportées par une contribution générale de toute la société, et lesquelles doivent l’être par une certaine portion seulement ou par quelques membres particuliers de la société ; 2o quelles sont les différentes méthodes de faire contribuer la société entière à l’acquit des dépenses qui doivent être supportées par la généralité du peuple, et quels sont les principaux avantages et inconvénients de chacune de ces méthodes ; 3o enfin, quelles sont les causes qui ont porté presque tous les gouvernements modernes à engager ou à hypothéquer quelque partie de ce revenu, c’est-à-dire à contracter des dettes, et quels ont été les effets de ces dettes sur la véritable richesse de la société, sur le produit annuel de ses terres et de son travail[8].


  1. Le docteur Smith n’a pas établi le sens précis qu’il attachait au mot richesse quoique, le plus souvent, il le définisse comme « le produit annuel de la terre et du travail. » On a cependant justement reproché à cette définition de se reporter aux sources de la richesse avant qu’on ne sût ce qu’était la richesse elle-même, et de comprendre les produits inutiles de la terre avec ceux que l’homme s’approprie et ceux dont il jouit.

    Nous sommes portés à penser qu’on doit considérer la richesse comme désignant tous les articles ou produits qui sont nécessaires, utiles ou agréables à l’homme, et qui, en même temps, sont doués d’une valeur échangeable ; cette dernière qualité exprimant le pouvoir ou la faculté d’être échangé contre une telle quantité de travail, contre une ou plusieurs marchandises ou produits obtenus par les voies seules du travail, ou encore la faculté de les acheter. Cette définition sépare la richesse, de ces objets que la Providence répand gratuitement et a l’infini sur l’homme. Ces derniers, quoique susceptibles d’une très-haute utilité, sont nécessairement tous dépourvus de valeur échangeable ; car il est évident que nul ne fera des efforts ni ne donnera les produits de son industrie pour obtenir ce qu’il peut avoir en tout temps et en quantités illimitées sans travail. C’est pourquoi les bases sur lesquelles on a établi une distinction entre la richesse et les articles ou produits non doués de valeur échangeable sont manifestes et ont été universellement reconnues. On ne dit pas d’un homme qu’il est riche parce qu’il peut puiser sans cesse dans le domaine inépuisable de l’air atmosphérique, ce privilège lui étant commun avec tous et, par cela, ne pouvant être la source d’aucune distinction : mais on lui accordera le titre de riche en proportion directe de la faculté qu’il aura de posséder ces objets de nécessité, d’utilité ou de luxe qui ne peuvent être produits que par l’action du travail ou de l’industrie et qui peuvent devenir la propriété et la jouissance d’un individu à l’exclusion des autres. Ces articles ou ces produits ont seuls une valeur échangeable, et seuls, ils peuvent constituer ce qu’on appelle de la richesse. L’Économie politique n’étudie que les résultats de l’industrie humaine. Cette science peut véritablement être appelée la science des valeurs : car tout ce qui ne possède pas valeur échangeable ou qui ne peut être reçu comme équivalent d’un autre objet dont la production ou l’acquisition a exigé du travail, ne peut jamais être compris dans les limites de ses recherches.
    Mac Culloch

  2. Le docteur Smith n’a pas établi le sens précis qu’il attachait au mot richesse quoique, le plus souvent, il le définisse comme « le produit annuel de la terre et du travail. » On a cependant justement reproché à cette définition de se reporter aux sources de la richesse avant qu’on ne sût ce qu’était la richesse elle-même, et de comprendre les produits inutiles de la terre avec ceux que l’homme s’approprie et ceux dont il jouit.

    Nous sommes portés à penser qu’on doit considérer la richesse comme désignant tous les articles ou produits qui sont nécessaires, utiles ou agréables à l’homme, et qui, en même temps, sont doués d’une valeur échangeable ; cette dernière qualité exprimant le pouvoir ou la faculté d’être échangé contre une telle quantité de travail, contre une ou plusieurs marchandises ou produits obtenus par les voies seules du travail, ou encore la faculté de les acheter. Cette définition sépare la richesse, de ces objets que la Providence répand gratuitement et à l’infini sur l’homme. Ces derniers, quoique susceptibles d’une très-haute utilité, sont nécessairement tous dépourvus de valeur échangeable ; car il est évident que nul ne fera des efforts ni ne donnera les produits de son industrie pour obtenir ce qu’il peut avoir en tout temps et en quantités illimitées sans travail. C’est pourquoi les bases sur lesquelles on a établi une distinction entre la richesse et les articles ou produits non doués de valeur échangeable sont manifestes et ont été universellement reconnues. On ne dit pas d’un homme qu’il est riche parce qu’il peut puiser sans cesse dans le domaine inépuisable de l’air atmosphérique, ce privilège lui étant commun avec tous et, par cela, ne pouvant être la source d’aucune distinction : mais on lui accordera le titre de riche en proportion directe de la faculté qu’il aura de posséder ces objets de nécessité, d’utilité ou de luxe qui ne peuvent être produits que par l’action du travail ou de l’industrie et qui peuvent devenir la propriété et la jouissance d’un individu à l’exclusion des autres. Ces articles ou ces produits ont seuls une valeur échangeable, et seuls, ils peuvent constituer ce qu’on appelle de la richesse. L’Économie politique n’étudie que les résultats de l’industrie humaine. Cette science peut véritablement être appelée la science des valeurs : car tout ce qui ne possède pas valeur échangeable ou qui ne peut être reçu comme équivalent d’un autre objet dont la production ou l’acquisition a exigé du travail, ne peut jamais être compris dans les limites de ses recherches. Mac Culloch

  3. Nous professons, avec Adam Smith, que le travail est la seule origine de la richesse, que l’économie est le seul moyen de l’accumuler ; mais nous ajoutons que la jouissance est le seul but de cette accumulation, et qu’il n’y a accroissement de la richesse nationale que quand il y a aussi accroissement des jouissances nationales. Sismondi
  4. Cela devrait être ; mais le développement tout à fait vicieux de l’industrie manufacturière a changé de nos jours ces généreuses espérances en désappointement bien amer. On en verra plus loin les motifs. A. B.
  5. Le mot provision exprime d’une manière très-imparfaite le terme anglais supply, surtout lorsqu’il est employé en qualité de verbe : to supply. Pourvoir, dans ce cas, est une expression plus juste qu’approvisionner. Nous aurons plus d’une occasion de signaler la difficulté de traduire exactement certaines expressions de la langue économique créée par Adam Smith. A. B.
  6. Nous ne doutons pas qu’une réaction s’opère bientôt en faveur de l’agriculture, à mesure que la production manufacturière se complique et s’encombre sous l’influence des machines et des prohibitions. On a trop longtemps délaissé cette source importante de la prospérité publique, que les physiocrates avaient trop exaltée ; une ère nouvelle s’ouvre pour elle dans le monde et nous croyons qu’elle sera très-brillante, dès que les capitaux, fatigués des mécomptes de l’industrie, prendront la route de l’agriculture, et surtout quand l’amélioration de notre régime hypothécaire assurera aux cultivateurs les ressources du crédit à des conditions aussi favorables que celles dont jouissent les autres classes de producteurs. A. B.
  7. La pensée du Dr. Smith sur la préférence accordée par les États modernes au commerce, au détriment de l’agriculture, paraît ne reposer que sur une interprétation erronée des faits. L’état des mœurs était, sans aucun doute, défavorable à l’agriculture, mais il n’y avait là aucune préférence méditée d’une industrie à l’autre, et il ne paraît pas non plus que l’ordre naturel des progrès ait été transformé par la politique de l’Europe. En fait, l’énoncé du Dr. Smith diffère de sa théorie, car il montre que dans quelques pays au moins, l’agriculture avait, par circonstance, devancé le commerce. Buchanan.
  8. Dès le début de son ouvrage, Adam Smith sépare nettement sa doctrine de celle des économistes ou physiocrates du dix-huitième siècle, qui ne voulaient reconnaître d’autre source de richesse que l’agriculture et d’autre produit que le produit net. Les partisans de l’école mercantile avaient commis la même erreur, en attribuant exclusivement au commerce la production de la richesse, représentée à leurs yeux par l’or et par l’argent. En réhabilitant ainsi le travail en qualité d’élément indispensable de la production, Adam Smith a ouvert une carrière nouvelle à l’économie politique ; il a fait connaître la véritable source de tous nos revenus ; il a mis en discussion la grande question de la distribution des profits et des salaires, celle de la liberté des industries et une foule d’autres qu’il n’aura pas eu le bonheur de résoudre, mais qu’il a admirablement posées. A. B.