« Cent Proverbes/23 » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Correction des redirects après renommage
 
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{TextQuality|Textes validés}}
<div class="text">
<pages index="Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu" from="135" to="143" exclude="138" header=1 />
{{Navigateur|[[Cent Proverbes/22|22]]|[[Cent Proverbes|CENT PROVERBES]]|[[Cent Proverbes/24|24]]}}
</div>

[[Image:Grandville_Cent_Proverbes_page63.png|center|400px]]


<br />

Dernière version du 8 février 2017 à 20:13

H. Fournier Éditeur (p. 95-101).

Z’AFAI CABRIS
C’E PAS Z’AFFAI MOUTONS.[1]

Séparateur


La Marquise Herminie de C. au Marquis de C.
colonel de Royal ***.


Des Chanettes, 27 juillet 177*.


Monsieur et cher époux,



J e ne sais s’il ne vous semblera point fâcheux de recevoir, après un long silence, la marque d’un souvenir que vous semblez vouloir détruire par les preuves réitérées de votre indifférence. Depuis plus d’un an, reléguée par vos ordres dans une retraite qui serait un paradis si vous la partagiez avec moi, je n’ai point osé vous importuner de mes lettres. Je m’y vois aujourd’hui forcée par les circonstances, et vous m’excuserez d’y avoir cédé.

Madame T…, dont vous n’avez peut-être pas oublié le nom, et qui a donné à mon éducation tant de soins dévoués, est en ce moment privée de son fils unique. De mauvais conseils et de pernicieuses liaisons ont égaré ce jeune homme. Enfin, tout dernièrement, pressé par le besoin aussi bien que par un désir insensé d’échapper aux remontrances de sa famille, le malheureux s’est engagé, sous un nom supposé. Après beaucoup de recherches, sa mère et ses amis ont pu retrouver ses traces ; et l’on a su que le recruteur auquel il s’est vendu pour quelques écus, appartenait au régiment que vous tenez de la bonté du roi.

À cette nouvelle, madame T… n’a pas douté un instant que son fils ne lui fût rendu. Elle est venue de sa province éloignée se jeter à mes genoux, et je ne saurais vous rendre les paroles touchantes qu’elle a fait entendre à son ancienne élève. Les larmes vraies dont elle les accompagnait ont pénétré mon cœur, et je me suis dit que bien certainement elles trouveraient accès dans le vôtre. Il ne s’agit, à ce qu’il paraît, que d’un engagement à déchirer ; et la circonstance du nom supposé, rend encore plus facile cette bonne action qui dépend de vous, de vous seul.

Je n’ai pas cru m’engager trop, au vis-à-vis de la mère éplorée, en promettant que vous l’aideriez, sur ma prière, à réparer le coup de tête de ce jeune insensé qu’elle aime plus que la vie. Songez, Monsieur, que par cet acte si juste en lui-même vous me donnez le moyen d’acquitter une dette sacrée envers la personne qui jusqu’à présent a le plus mérité ma reconnaissance (à l’exception de mon cher époux). Songez aussi à la douleur que j’éprouverais si la première demande que je vous ai adressée depuis que j’ai l’honneur de porter votre nom, m’était froidement refusée.

Puisse votre réponse ne pas me dire trop brièvement que mon humble requête a trouvé grâce devant vous !

Votre fidèle et toujours dévouée,
Herminie De C.


LE MARQUIS À LA MARQUISE.


Versailles, 21 août 177.

Je suis désespéré, Madame, que le service du roi ne me permette pas de rendre libre le jeune homme auquel vous voulez bien prendre intérêt ; mais il serait mon parent, que je ne saurais prendre cela sur moi, maintenant surtout que l’engagement est sorti de mes mains pour passer dans les bureaux du ministre.

Croyez à tout le regret que j’ai d’être obligé de vous refuser, et à toute ma reconnaissance pour les sentiments exprimés dans votre lettre. Ils se retrouvent naturellement dans le cœur

De votre époux bien affectionné
qui vous prie d’agréer son respect
Le Marquis De C.
À MADEMOISELLE MAGDELEINE MIRÉ, DE L’OPÉRA.


La presante, chaire camarade, ait pour te dire comme quoi mon povre jeune homme que tu sais a eu l’enfantiage de se lesser raccoler par désespoir, vu qu’il n’avet plus le çou, et qu’il étet toujour de plus en plus amoureux de moi. G’oret pu fère demandé sa grasse au marki de C… son colonel par mon filosofe amériquain auquel je suis attachée, mais ça lui depleret, à sept homme, tout filosofe qu’il ait. Toi qui ait si bonne camarade, tu oras du marki colonel tout ce que tu voudra, car il eme les demoiselles ; et je te seré toujour reconnaissante, a jamais et pour la vie, si tu otes mon povre petit de la peine où il ait, dont voici le nom de son regiman au bas de la page. Il t’interaiseret si tu le connesset, ce cher ami, tendre, elevé, charman et toujour enchanté. Dans l’aucasion, tu peux ocy compter sur la pareille, comme cela se doigt antre amies. Je t’embrase de cœur, mille, mille et cent fois.

Ta camarade,
Manon Leclerc.


À M. LE MARQUIS DE C.


On dit que vous êtes plein de sentiment, monsieur le marquis, et je vous ai toujours distingué de ces êtres machines qui tourbillonnant, bourdonnant autour de moi, sans cesse m’obsèdent. Vous comprendrez donc l’intérêt que je porte à un jeune homme de mes parents qu’on veut emmener dans les armées. Je suis cause de sa perte, vu que ses sentiments pour moi l’ont égaré à s’enrôler depuis un mois dans votre régiment sous le nom de Valentin, qui n’est pas le sien. Voyez donc le joli soldat que vous auriez, amoureux à n’en pouvoir plus, et qui déserterait comme l’Alexis de M. Sedaine. Allons, monsieur le marquis, rendez-le moi de suite, ce pauvre garçon. Vous ne trouverez pas toujours une aussi belle occasion d’obliger une petite personne dont l’ingratitude n’est pas le péché mignon, et qui sera heureuse de vous montrer la reconnaissance avec laquelle elle ose se dire, en attendant mieux,

Votre très-humble servante,
M. Miré,
Pensionnaire de l’Opéra.


À MADEMOISELLE MANON LECLERC DE L’OPÉRA.


Manon, Manon, je suis libre : la grâce a touché mon farouche colonel. Il avait refusé à la marquise, sa femme, d’annuler mon engagement, et je croyais t’avoir à jamais perdue, lorsque hier, par son ordre, un sergent m’a conduit à son hôtel. Je soupçonne que tu sais déjà la scène de comédie, où j’ai dû jouer, impromptu, le rôle le plus bizarre.

Le marquis était, en négligé du matin, dans un petit salon, derrière sa chambre à coucher : près de lui, sur un fauteuil, une petite femme, qui tournait le dos à la porte, et dont je n’apercevais d’abord que les mules de satin rose. Pardonne, Manon : je crus un instant que c’était toi ; mon sang bouillonnait déjà dans mes veines, quand cette jolie personne se leva pour accourir au-devant de moi, et ne m’offrit qu’un visage inconnu :

— Mon cousin, me dit-elle, je n’ignore pas que je suis pour beaucoup dans le mauvais parti que vous avez pris et qui désolait notre famille. Je me suis crue obligée de réparer le mal que j’avais fait sans le vouloir ; et j’y suis parvenue grâce à la générosité de monsieur votre colonel. Cédant à mes instances, il m’a rendu ce papier que je vous rends à mon tour, en vous priant de ne pas me forcer à vous racheter une seconde fois.

Pendant ce discours, où je ne comprenais goutte, et qui égayait visiblement le colonel, j’ai dû faire une mine des plus hébétées et des plus tristes. Aussi, ma cousine m’a-t-elle tourné le dos avec un sourire de pitié, tandis que le marquis me congédiait, ce qu’il a fait de très-bonne grâce, en me reconduisant jusqu’à la pièce voisine. Là il m’a dit à demi-voix :

— Ne vous désolez point trop, Monsieur. Vous êtes plus aimé que moi. Cela suffit pour que je ne sois pas longtemps votre rival. Ne m’en veuillez pas d’avoir profité de mes avantages, et, en échange de la liberté que je vous rends, laissez-moi espérer de vous un léger service.

Madame votre mère et la marquise m’avaient demandé sans l’obtenir ce que j’accorde à mademoiselle votre cousine… Ceci tient uniquement, je vous prie de le croire, au talent avec lequel cette aimable personne rédige ses placets et fait valoir les causes dont elle se charge… Mais comme ma complaisance pour elle serait peut-être mal interprétée, vous m’aiderez à persuader votre mère que je vous rends à elle… et à son élève.

J’ai tout promis, comme tu peux le penser, sans faire part au colonel de toutes mes conjectures et de toutes mes réflexions. La plus sérieuse que m’inspire cette folle aventure est que chacun ici-bas a son talent, son petit savoir, et doit s’occuper des affaires où ils sont de mise. Madame la marquise a bien des vertus ; mais si je n’avais pas eu de meilleures protectrices, j’allais tout droit au régiment. Pour servir dans l’occasion un mauvais sujet de mon espèce, rien ne vaut des femmes comme vous. Au revoir, ma Terpsichore !

Édouard T… dit Valentin.


  1. Proverbe créole : Les affaires des Cabris ne sont pas les affaires des Moutons.