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de penser et aussi d’écrire en français : quelle force de vérité n’acquiert pas un pareil reproche, surtout dans son second terme, quand on l’applique à nos faiseurs de drames et de vaudevilles ! Il est trop facile d’avoir de l’esprit, ou plutôt de faire de l’esprit, pour employer une des expressions que consacre un certain langage, avec les termes bizarres d’un vocabulaire adultéré sans vergogne ; mais être spirituel avec ce limpide esprit gaulois qui se respecte assez dans son expression pour n’avoir point recours aux parures fausses et de mauvais goût, cela est chose moins aisée. La gaîté doit avoir toujours, qu’on nous passe le mot, une mise propre et soignée. La raillerie française particulièrement a eu à toutes les époques la réputation de parler un langage net, précis et châtié ; par quel funeste courant a-t-elle donc passé dans ces derniers temps pour être ainsi, devenue trouble et bourbeuse ? Que M. Barrière réfléchisse aux sources où il va puiser ses plaisanteries et ses bons mots, et son esprit sera édifié sur ce point !

Avec les Pommes du voisin, la pièce que M. Sardou vient de donner au théâtre du Palais-Royal, et dont le sujet est emprunté à un roman bien connu de Charles de Bernard, nous retombons dans le rire fou et étourdissant. L’esprit de M. Sardou, nous l’avons déjà dit ici, n’a jamais connu la tempérance, et je ne sais pas de pêle-mêle égal à celui de ses comédies. Parmi les jeunes dramaturges de ce temps-ci, l’auteur des Pommes du voisin nous semble celui qui reflète le mieux les allures troubles et indécises de la scène française contemporaine. C’est peut-être qu’il connaît mieux que personne le public auquel il s’adresse ; il sait que pour ce public le théâtre n’a plus aucun caractère sérieux et littéraire, que les spectateurs sont blasés, et que la satiété pourrait bien être le vrai mot de la situation. La littérature dramatique en effet n’est-elle pas devenue, ainsi que le roman, la pâture quotidienne de l’intelligence pour la masse du public actuel ? Il a devant lui tant de théâtres, de pièces et de faiseurs, que tout cela, drames, vaudevilles, machines féeriques et comédies, tourbillonne sous ses yeux et dans sa cervelle en une confusion et en un chaos incroyables. Je m’imagine quelle étrange idée un spectateur pris dans la foule de ces bourgeois ou de ces ouvriers illettrés, grands amateurs de théâtre, peut se faire de l’art dramatique en vogue aujourd’hui, de ses visées, de son rôle et de son essence. Je suppose qu’il a vu un jour un drame à grand spectacle ou à grand renfort de sentimens et de situations exagérés, et qu’il assiste le lendemain à une de ces comédies de la nouvelle école où un rire fiévreux, convulsif, fait pendant à ces émotions factices ou heurtées que le drame lui a procurées : quelle impression lui reste-t-il de cet ensemble tumultueux ? Emporte-t-il des pièces du Gymnase, du Vaudeville ou des Variétés une idée plus nette que celle qu’il a retirée des pièces mélodramatiques de la Gaîté ou de l’Ambigu ? Non, il doit avoir la conscience instinctive que l’une et l’autre littérature flotte dans le vague et à l’aventure, et que les œuvres qu’on représente sont pour la plupart mal venues et trop vite écloses. Pour la comédie et le vaudeville, il est manifeste qu’il a raison. On sent, par exemple, que notre vaudeville tend de plus en plus à s’élever et à s’agrandir ; il prend des airs de comédie, et, comme première transformation, le couplet en a disparu. Ce n’est pas nous qui nous