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on ne démasque pas l’arme cachée sous les dentelles noires de ma phrase comme l’épée d’Achille à Scyros. » Prophète après coup, comme tous les prophètes qui voient juste, — car il n’y a pas trois ans que Jacques Vingtras faisait sur lui-même cette découverte, — il se rendait compte au moins que, sans la fureur injurieuse de sa rhétorique et ses perpétuels appels à la discorde sociale, son nom de Vallès fût demeuré dans son obscurité première. En effet, sans eux et par conséquent sans la politique, après un peu de bruit qu’avaient soulevé les Réfractaires, bruit de vitres cassées qui peut bien en passant nous obliger à retourner la tête, mais ne saurait longtemps nous retenir, tout était à recommencer dans un siècle où, comme dans le nôtre, dix ans, quinze ans, vingt ans d’acharné labeur ne suffisent pas toujours à fixer sur un homme l’attention de ses contemporains. Mais, justement, ce soi-disant « styliste » et ce prétendu « lettré » n’était pas homme à rien recommencer, vidé qu’il était par ce premier effort, complètement vidé, vidé de tout, — excepté de son fiel. On avait déjà trouvé les Réfractaires eux-mêmes monotones, et ils l’étaient sans doute autant que le puisse être un recueil d’articles ; on trouva communément la Rue plus monotone encore, car c’était toujours la même chose ; et ni dans l’Enfant, ni dans le Bachelier, ni dans l’Insurgé on ne saurait rien découvrir qui ne fût dans la Rue ou dans les Réfractaires. Sans les circonstances qui firent de lui une caricature de personnage politique, Vallès eût-il seulement écrit ses trois derniers livres, on peut se le demander ; et qui songerait à lire aujourd’hui les deux premiers si ce n’était pour y chercher le secret de sa politique ?

Le secret de sa politique, nous en avons dit déjà les deux premiers mots : impuissance et convoitise ; le troisième en est la paresse, non pas celle de l’épicurien, ni même celle de ces enfans de bohème que Murger avait jadis chantés, mais la paresse orgueilleuse, la papesse insolente, celle que l’on déguise sous les beaux noms d’indépendance et de respect de sa dignité. Si Jacques Vingtras, quinze ou vingt ans durant, a traîné sa misère en savates sous les galeries de l’ancien Odéon et dans les cafés du vieux quartier Latin, c’est que ses convictions ne lui permettaient pas de prêter serment à l’empire. Mais la haute idée qu’il se faisait du grand homme qu’il portait en lui ne lui permettait pas davantage de faire comme tout le monde, et de chercher sa vie dans le travail. Il se jeta donc dans la bohème, prépara dans les crémeries la revanche de décembre et servit la grande cause de la révolution sociale en chassant à la pièce de cent sous. Les impuissans le sont rarement au point de ne savoir se faire des qualités de leurs défauts mêmes, et les orgueilleux excellent à se parer de leurs vices comme d’une marque qui les distingue. Celui-ci