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de ses longs silences, il lui semblait que dans cette demeure hospitalière les heures comptaient double, que jamais pendules n’avaient cheminé d’un pas si paresseux et si traînant.

Ce qui l’étonnait et la chagrinait aussi, c’est que ses amis s’intéressaient peu aux occupations champêtres et n’avaient aucune espèce de relations avec les habitans du village voisin. Les femmes vivaient renfermées dans le cercle domestique ; les petits fermiers qu’elles voyaient de leurs fenêtres travailler dans les champs étaient pour elles des inconnus, dont elles se souciaient peu de faire la connaissance, et s’il leur arrivait d’en parler, c’était sur un ton de dédain et d’antipathie. Quant aux hommes, ils aimaient si peu la campagne qu’ils prenaient continuellement le train pour aller passer des demi-journées à la ville, et ces avocats, ces riches notaires n’avaient jamais un mot à dire aux petits cultivateurs ou aux ouvriers qu’ils rencontraient sur le chemin de la gare. Miss Betham avait peine à comprendre qu’on pût vivre côte à côte sans frayer ensemble ; elle constatait avec surprise combien sont fortes dans certaines parties de la France les séparations de classes, sur quelle réserve elles se tiennent les unes à l’égard des autres. Elle aurait dû se dire que tout a sa rançon, que les privilèges rapprochent quelquefois les hommes, que dans un pays d’égalité civile et de suffrage universel, où il n’y a plus ni patrons ni cliens, chacun se tient sur ses gardes et se cantonne chez soi, les uns par orgueil, les autres par fierté.

« Nous formons un clan, » lui disait-on, et c’était un vrai clan que cet assemblage de grands parens, de parens, d’oncles et de tantes, de cousins, de cousines, vivant sous le même toit ou porte à porte et se suffisant à eux-mêmes. Les étrangers qui viennent s’amuser à Paris ont répandu en Europe la fâcheuse nouvelle que la vie de famille est inconnue en France ; miss Betham incline à croire qu’il y en a trop. Elle a connu un mari et une femme qui chaque année passaient la saison des vacances à la campagne avec leurs enfans ; la mère de la femme et la mère du mari leur tenaient fidèle compagnie ; on ne se querellait point, l’accord était parfait. De tout ce qu’elle a vu en France, c’est ce qui l’a le plus étonnée : « Imaginez, si vous le pouvez, s’écrie-t-elle, deux belles-mères réunies sous un toit anglais ! » Elle en conclut qu’en Angleterre la vie de famille est moins forte, mais plus variée ; que la bourgeoisie de province y a l’esprit plus ouvert aux idées, aux impressions nouvelles, plus de goût pour les nouveaux visages ; qu’elle est plus riche « en sympathies cosmopolites ». — « Le système patriarcal, ajoute miss Betham, a sûrement ses avantages : il pousse à l’économie, il consolide et fortifie les intérêts de famille. Mais ces intérêts deviennent parfois trop absorbans. L’état stagnant de la richesse patriarcale me cause des accès d’irritation, et peu s’en faut que je n’en vienne à prôner la prodigalité insulaire, l’insouciance de l’avenir et la