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pas à tout ; il y restait une marge à l’arbitraire. Le plus souvent, dans l’État ancien, la loi n’était que la coutume fixée et consacrée ; elle ne créait rien, ni ne laissait rien perdre : elle conservait. Le pouvoir législatif n’était pas le premier ni le plus considérable de l’État : il n’existait d’ailleurs qu’en union étroite avec l’exécutif, dont il était inséparable. Le roi tout seul faisait la loi, et la loi ne liait point le roi. Elle ne liait pas tout le monde également, exceptait l’un ou l’autre, ou ne les liait que dans la mesure où le voulait le roi. Dans l’État ancien, le roi était l’autorité centrale, l’autorité suprême, l’unique autorité : il était cet État lui-même. Et non seulement l’unique autorité, mais presque le droit unique. Son droit ne rencontrait jamais d’autres droits qui tinssent devant lui ; son pouvoir, étant le lieu d’unité de tous les pouvoirs, n’était pas limité en droit ; il n’était limité qu’en fait ; il valait tant que valaient ses moyens.

Au contraire, dans l’État moderne, même s’il est de forme ou de dénomination monarchique, le pouvoir est limité en droit : la loi est censée lier également tout le monde, et le roi comme le dernier des citoyens, qui, en réalité, sont bien moins ses sujets que les sujets de la loi. A plus forte raison, si c’est une démocratie : il n’y a de droits que les droits des citoyens, et l’État n’est ou ne devrait être que l’équilibre de ces droits. Voilà, au résumé, ce qu’est un État de droit et voilà ce qu’est l’État moderne ; voilà ce qu’il est en théorie. Pratiquement, c’est un État « qui se construit par en bas. »

Pour garder la figure classique, c’est une pyramide retournée. L’État ancien descendait du roi jusqu’au peuple. L’État moderne monte, au contraire, démocratique, du peuple à des représentans élus, et, monarchique, du peuple à un représentant héréditaire du peuple. Dans l’État ancien, le peuple était à la base, sans doute, mais comme une indistincte poussière d’humanité, et le roi était au sommet, loin de ceux qui étaient le plus près de lui. Dans l’État moderne, on peut dire que le peuple est à la base et qu’il est au sommet. Les grains de la poussière humaine se sont « individualisés » ; chacun d’eux est devenu un homme et en chacun d’eux s’est incarné un droit.

Le sommet n’est plus dans une gloire, la base n’est plus dans la nuit ; un demi-jour et comme une lumière discrète éclaire, si l’on ose emprunter l’antithèse poétique, éclaire obscurément toute la surface. L’État ancien pendait des profondeurs du ciel. L’État moderne pousse des profondeurs de la terre. L’État ancien, à tout instant, évoquait Dieu : à tout propos, l’État moderne invoque le peuple. L’État ancien reposait sur un seul et, au