« Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/546 » : différence entre les versions

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j’étois aimée, & que je devois l’être : la bouche étoit muette, le regard étoit contraint, mais le cœur se faisoit entendre. Nous éprouvâmes bientôt entre nous ce je ne sais quoi qui rend le silence éloquent, qui fait parler des yeux baissés, qui donne une timidité téméraire, qui montre les désirs par la crainte, & dit tout ce qu’il n’ose exprimer.

Je sentis mon cœur, & me jugeai perdue à votre premier mot. J’aperçus la gêne de votre réserve ; j’approuvai ce respect, je vous en aimai davantage : je cherchois à vous dédommager d’un silence pénible, & nécessaire sans qu’il en coutât à mon innocence ; je forçai mon naturel ; j’imitai ma cousine, je devins badine, & folâtre comme elle, pour prévenir des explications trop graves, & faire passer mille tendres caresses à la faveur de ce feint enjouement. Je vouloix vous rendre si doux votre état présent, que la crainte d’en changer augmentât votre retenue. Tout cela me réussit mal : on ne sort point de son naturel impunément. Insensée que j’étois ! j’accélérai ma perte au lieu de la prévenir, j’employai du poison pour palliatif ; et ce qui devoit vous faire taire fut précisément ce qui vous fit parler. J’eus beau, par une froideur affectée, vous tenir éloigné dans le tête-à-tête ; cette contrainte même me trahit : vous écrivîtes. Au lieu de jetter au feu votre premiere lettre ou de la porter à ma mere, j’osai l’ouvrir : ce fut là mon crime, & tout le reste fut forcé. Je voulus m’empêcher de répondre à ces lettres funestes que je ne pouvois m’empêcher de lire. Cet affreux combat altéra ma santé : je vis l’abîme où j’alloix me précipiter. J’eus horreur de moi-même, & ne pus me résoudre à