« La Chronique de France, 1901/Chapitre VI » : différence entre les versions

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Imprimerie A. Lanier (p. 150-203).

vi

L’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS

La France a créé successivement trois empires coloniaux. Le premier, œuvre de François Ier, de Henri IV, de Coligny, de Richelieu et de Colbert fut détruit par Louis XIV et Louis XV. Le second, ébauché sous Louis XVI vit son développement entravé et son avenir compromis par la Révolution et l’Empire. Le troisième est, presque exclusivement, l’œuvre de la République[1].

La « France extérieure » date de loin ; elle est née des efforts isolés de ces hardis conquérants que poussaient hors des frontières l’esprit d’aventure et d’entreprise, le goût du danger et l’amour de la gloire. C’est une origine très noble. D’autres peuples ont eu, de bonne heure, l’instinct du commerce et le souci légitime de la richesse ; la colonisation a plutôt été, pour le nôtre, une carrière d’audace qu’une carrière d’intérêt ; les Français y ont, de tout temps, cherché à dépenser leurs forces viriles bien plus qu’à acquérir la fortune ; et cette caractéristique de leur activité coloniale a survécu à la transformation si profonde du caractère national ; aujourd’hui encore, on trouve plus aisément des hommes de bonne volonté pour les missions périlleuses que pour les fondations lucratives.

Le premier Empire colonial.

La période qui s’étend de 1365, époque où déjà quelques établissements existaient en Guinée jusqu’en 1628, date du premier conflit en terre lointaine avec l’Angleterre, est remplie de faits d’armes extraordinaires, de prouesses individuelles où se marque l’impulsion des instincts primitifs et des ambitions irraisonnées. C’est Jean de Béthencourt qui s’empare des Canaries (1402), c’est Jean Cousin qui tente la découverte des Indes Orientales (1488). Ce sont Paulmier de Gonneville, Denis de Honfleur, Thomas Aubert, Jean Parmentier, surnommé « il gran capitano francese », Adalbert de la Ravardière et tant d’autres dont les noms sont presque oubliés. Il y a aussi des vengeurs : tel, le brave Ango, qui capture trois cents bateaux et, remontant le Tage, impose la paix à Jean iii de Portugal, coupable d’avoir fait couler des navires français dans les eaux brésiliennes (1539) ; tel encore, ce gentilhomme de Mont-de-Marsan, de Gourgues, qui part de Bordeaux avec deux cents hommes, le 2 août 1567, pour venger les neuf cents Français, massacrés, deux ans plus tôt, par les Espagnols dans la Caroline, en immole à son tour près de quatre cents et revient chez lui le cœur content. Tous ces hommes préparent, sans s’en douter, l’expansion future de la France.

François ier, en fondant le Havre (1537), marque le premier que cette expansion est « affaire du Roi », ce qui pour l’époque, veut dire : question nationale. Coligny plus tard, ne se lasse pas d’organiser des expéditions : il envoie Jacques Cartier au cap Breton, Villegageux au Brésil et Jean Ribaud en Floride. Quelques maisons se fondent, quelques sociétés s’organisent pour exploiter les richesses qui se révèlent. Il y en a une en Algérie, vers 1525, qui a pour but la pêche du corail. En 1582, des Normands, chassés de Guinée par les Portugais, unissent leurs efforts et s’établissent à Saint-Louis du Sénégal et, en 1598, de Chastes, gouverneur de Dieppe, nommé par Henri iv lieutenant général de l’Amérique forme avec des gentilshommes de Rouen et de la Rochelle, une compagnie de commerce.

La situation se précise : l’Amérique du Nord a attiré les jeunes audaces comme un aimant attire le fer ; elle va devenir le champ clos des convoitises Européennes ; à peine Champlain a-t-il fondé Québec (1608) et découvert les Grands Lacs (1614-1615), que sa sécurité est menacée. Les Anglais, établis en Virginie dès l’époque de son premier voyage, ont déjà profité de la régence de Marie de Médicis pour ravager l’Acadie ; en 1628, ils attaquent le Canada. Québec, dont ils s’emparent, est restitué à la paix de Saint-Germain (1632), mais la guerre allumée sur les rives du Saint-Laurent, ne cessera plus pendant un siècle et demi.

En 1661, lors de la fondation de Montréal, la Nouvelle France compte déjà 2.500 Européens environ ; l’année suivante elle devient possession de la couronne et la compagnie des Cent Associés est dissoute. Le gouverneur et les officiers qu’envoie la métropole forment le centre d’une société qui s’étudie aux belles manières et veut être policée ; et, pendant ce temps, les aventuriers, dont la race ne s’éteint pas, dont l’ardeur ne faiblit pas, s’enfoncent dans l’Ouest jusqu’au pied des Montagnes Rocheuses ; Louis Jolliet, le Père Marquette, explorent l’Arkansas et le Wisconsin ; La Salle descend le Mississipi jusqu’à son embouchure et prend possession de la Louisiane au nom de Louis XIV. La mort de Colbert, en 1683, marque l’apogée de notre empire colonial. Pendant les vingt dernières années, à la Martinique et à la Guadeloupe (conquises de 1625 à 1635 par d’Enambuc et ses compagnons), nous avions ajouté Sainte-Lucie, Saint-Barthélémy, La Dominique et Saint-Domingue. Madagascar, sous le nom d’Île Dauphine, était devenue possession de la couronne ; Pondichéry et Chandernagor avaient été fondés et la compagnie des Indes réorganisée sur des bases meilleures.

En Amérique, les Anglais profitèrent de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1690), puis de la guerre de la Succession d’Espagne pour tenter de nous réduire ; le traité de Ryswick (1697) laissa les choses en l’état, mais celui d’Utrecht (1713) nous enleva Terre-Neuve, l’Acadie et les territoires de la baie d’Hudson. La France trouvait, du moins, des compensations en Louisiane, où la colonisation progressait et dans l’île Maurice qui, abandonnée par les Hollandais et devenue l’île de France, voyait sous l’habile gouvernement de La Bourdonnais, les cultures s’étendre sur son sol et sur ses rivages, les villes se fonder. Le traité d’Utrecht, d’ailleurs, ne porta pas le découragement parmi les habitants de la Nouvelle France. De 1713 à 1744 leur nombre s’éleva de 25.000 à 50.000 et, par l’établissement d’une ligne de forts sur l’Ohio, ils se maintinrent en rapports fréquents avec leurs compatriotes Louisianais, se réservant, en quelque sorte, pour un avenir plus heureux. Pendant ce temps, de grandes choses s’accomplissaient dans l’Indoustan, mais il devenait évident que l’insouciance du Roi et de ses ministres et l’ignorante indifférence de l’opinion stériliseraient tous les efforts de nos colons. En 1739, les Mahrattes, sous Ragoglu, leur chef, avaient dû reculer devant Dumas, gouverneur de Pondichéry, auquel, deux ans plus tard, succéda l’illustre Dupleix. Quand éclata, en Europe, la guerre de la succession d’Autriche, elle eût, au loin, son contre-coup. Mais Dupleix, renforcé par La Bourdonnais, s’empara de Madras, remporta, avec deux cents Français, la victoire de San-Thomé (1747) sur cent mille Hindous, enfin défendit glorieusement Pondichéry (1748). Cette même année se signa la paix d’Aix-la-Chapelle et Louis XV qui faisait la guerre « en roi et non en marchand, » rendit Madras !

En 1750, la guerre reprit pour la succession du Dekkan et du Carnatic. Dupleix, La Touche et Bussy écrasèrent la cavalerie Mahratte dans quatre combats successifs. Dupleix était puissant ; il avait, avec cinq provinces, formé sur la côte d’Orissa un véritable royaume dont Mazulipatam était la capitale ; le pavillon britannique ne flottait plus sur Madras. Alors les intrigues opérèrent à Versailles ce que les canons n’avaient pu faire en Asie. Louis XV rappela Dupleix (1754) et son successeur signa, avec les Anglais, un traité par lequel les deux compagnies renonçaient à « leurs possessions » et s’interdisaient d’intervenir désormais dans les affaires de l’Inde. L’année suivante éclata la guerre de Sept ans. À partir de ce moment, les armes Françaises sont partout refoulées. Montcalm remporte une seule victoire à Carillon, mais le flot britannique continue de monter ; le héros est défait et tué aux plaines d’Abraham. Québec capitule et malgré la belle défense de M. de Lévis, les forts sont réduits les uns après les autres. Pendant ce temps, Clive a pris Chandernagor (1757), Bussy a été fait prisonnier à Vandavachi et l’infortuné Lally-Tollendal capitule dans Pondichéry (1761).

La paix de Paris est signée en 1763 ; c’en est fait de l’Inde Française ; les quelques comptoirs que nous rendent nos vainqueurs n’auront plus pour nous qu’une valeur historique ; dans le reste du monde, nous perdons le Canada, la moitié de la Louisiane, Saint-Vincent, la Dominique, le Sénégal.

La politique coloniale de Louis XVI.

Le premier empire colonial Français est à bas ; il n’en reste que des bribes éparses ; ce grand effort a échoué et pourtant la sève coloniale n’est point tarie ; on la sent toute proche et le gouvernement de la métropole, cette fois, en suivra la poussée avec un intérêt bienveillant. Louis XVI est sur le trône, monarque méconnu dont le destin a paralysé les qualités et mis en relief les défauts. C’est lui qui, dès 1768, envoie au loin Bougainville : Bougainville qui va reconnaître les Pomotou, Tahiti, la Nouvelle-Guinée et qui aura pour successeur La Pérouse (1787), et d’Entrecasteaux (1791). Pendant la guerre d’Amérique, le bailli de Suffren remporte la victoire de Madras, reprend Pondichéry et en 1783, le traité de Versailles nous restitue le Sénégal et Tabago. C’est l’époque Beniowski en faisant à Madagascar ses célèbres essais de colonisation, prépare les voies à notre action future et où l’évêque Pigneau de Behaine négocie, entre Louis XVI et l’empereur Gia-Long, le singulier traité qui — bien qu’inexécuté — a servi de point de départ à notre établissement en Indo-Chine.

Mais l’œuvre de Louis XVI est tout de suite entravée. L’Assemblée législative consacre bien en 1792, l’existence légale des colonies et leur accorde le droit de représentation au Parlement ; plus tard, la Convention leur envoie des délégués et marque en plusieurs circonstances l’intérêt qu’elle leur porte. Quant à Napoléon, si même il a nourri quelques arrière-pensées coloniales, le temps et les forces lui manquent pour les réaliser. En somme, le traité de Paris de 1814, tout comme le traité de Paris de 1763 ne laisse de la France extérieure que des ruines ; pour la seconde fois la politique d’expansion a péri, écrasée par la politique continentale. Si les circonstances permettent de reprendre une troisième fois l’œuvre lointaine, la nation et ses gouvernants sauront-ils profiter de la leçon, choisir entre l’un et l’autre parti, vouloir d’un vouloir ferme cette paix Européenne indispensable à toute entreprise d’expansion coloniale ?

Jules Ferry et le troisième empire colonial.

Tel était le problème dont le passé avait fixé les termes. Quand les premières blessures de 1870 se furent cicatrisées et que la France toucha à la fin de cette convalescence dont la brièveté surprit et inquiéta ses ennemis, les hommes d’État en qui le pays avait confiance, se demandèrent de quel côté il convenait d’orienter son activité renaissante. Plusieurs motifs s’offraient à eux de choisir l’expansion coloniale. Jules Ferry, plus qu’aucun autre, en sentit la nécessité. Il a pris soin de s’en expliquer à la Chambre un jour qu’on attaquait, à propos des crédits de Madagascar, sa politique coloniale tout entière. « Dans l’Europe telle qu’elle est faite, disait-il, dans cette concurrence de tant de rivaux qui grandissent autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires et maritimes, les autres par un développement prodigieux de leur population, dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement et d’abstention, c’est le grand chemin de la décadence..… Rayonner sans agir, sans se mêler des affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion en Afrique ou en Orient, vivre ainsi, c’est abdiquer ! » Tous les grands États de l’Europe, en effet, se lançaient les uns après les autres, dans la voie des conquêtes exotiques et de l’agrandissement des horizons commerciaux. L’abstention non seulement ferait du tort au pays, mais donnerait aux ennemis de la République l’occasion de la rendre responsable de l’état de stagnation qui en résulterait. Jules Ferry et ceux qui eurent l’intelligence et le patriotisme de le suivre ne reculèrent point devant les nombreux obstacles qui s’opposaient à la fondation d’un troisième empire colonial : impopularité provenant des précédents échecs, mauvaises traditions administratives, difficulté de recruter de bons fonctionnaires, et surtout tendances protectionnistes propres à entraver la colonisation.

Aujourd’hui cet empire est constitué et il est si vaste que la France se trouve être de tous les pays du monde, celui qui s’est le plus agrandi depuis trente ans. On conçoit qu’un diplomate Anglais bien connu, M. Austin Lee, ait écrit au début d’un rapport publié par le Foreign office dans la collection des Diplomatic and consular Reports : « L’expansion coloniale de la France est peut-être le trait le plus remarquable de l’histoire contemporaine de ce pays ». Mais l’empire Français n’est pas seulement vaste, il est bien dessiné et bien équilibré. À l’éparpillement des petites possessions disséminées, un peu à l’aventure, à travers le monde, a succédé le système des groupements compacts. C’est cette pensée qui a présidé aux annexions et occupations opérées en Afrique et en Asie par la République. Madagascar, l’Afrique Française, l’Indo-Chine forment des ensembles dont les superficies dépassent celle de la mère-patrie et auxquels leurs situations et leurs ressources réservent un brillant avenir.

Colonies d’Amérique et d’Océanie.

Dans ces deux parties du monde, la France n’a plus cherché à s’agrandir[2]. Ses colonies Américaines sont au nord, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, au centre, la Martinique et la Guadeloupe avec leurs dépendances et, sur le continent, la Guyane Française.

L’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, pauvre et peu peuplé, tire toute sa valeur du voisinage des pêcheries de Terre-Neuve ; de là vient que son chiffre d’affaires avec la France se monte à 33 millions environ. Du jour où la question de Terre-Neuve serait amicalement réglée par une entente avec l’Angleterre, il y aurait tout intérêt à comprendre dans l’arrangement la cession de ces îles improductives et qui pourraient devenir l’objet d’un échange avantageux pour les deux parties.

La Martinique et la Guadeloupe avec leurs dépendances, Marie-Galante, la Désirade, les Saintes, Saint-Barthélémy et la moitié de Saint-Martin représentent une population de quelques 350.000 âmes et près de cent millions de francs d’échanges annuels. La culture trop exclusive de la canne à sucre a nui à la fertilité si variée de ces îles fortunées et dans les rades magnifiques de Fort-de-France et de la Pointe-à-Pitre, les exagérations du régime protectionniste ont fait un vide relatif. Le remède du moins serait aisé à appliquer et il ne tient qu’à la France de rendre à ses Antilles leur prospérité d’antan. La tâche sera plus difficile à la Guyane ; les destins de cette colonie ont été longtemps imprécis. La découverte des mines d’or, en 1855, semblait lui présager un accroissement rapide. Mais, d’autre part, la décision arbitrale de l’année dernière[3] qui attribua au Brésil la totalité du territoire contesté par la France, est venue anéantir de séduisants espoirs. Douée d’un médiocre climat, la Guyane manque de travailleurs ; la main d’œuvre y fait défaut ; elle produit trop peu d’or pour s’enrichir, assez pour en être troublée et faire oublier ses ressources agricoles et forestières.

Les établissements Français de l’Océanie se répartissent en deux groupes : les Taïti, c’est-à-dire les îles de la Société avec les îles Marquises, Tuamotou, Gambier, Toubouaï, etc., et la Nouvelle Calédonie avec ses dépendances, les îles des Pins, Loyauté, Huon, Chesterfield, Foutouna, Wallis et l’archipel des Nouvelles-Hébrides qui demeure indivis entre la France et l’Angleterre. Cette indivision même indique une répugnance systématique à s’agrandir de ce côté, car il n’était pas difficile de la faire cesser au profit de la Nouvelle-Calédonie, dont les Nouvelles-Hébrides sont une annexe naturelle. Nos colonies océaniennes se plaignent d’être négligées ; elles en ont le droit. On oublie leur situation privilégiée, leur merveilleux climat, les richesses de leur sol et de leur sous-sol ; on les laisse se développer sans les y aider suffisamment ; on donne au monde l’impression qu’on tient moins à elles qu’à leurs sœurs de l’Atlantique et qu’on ne ferait pas, le cas échéant, un très énergique effort pour les conserver ; dans une partie de l’univers où se préparent tant de conflits, où bouillonnent tant d’ambitions, où de nouvelles venues comme l’Allemagne et la République des États-Unis travaillent à se tailler à leur tour de beaux domaines, cette attitude n’est point sage, d’autant qu’elle ne répond nullement à la réalité ; la France, s’il le fallait, défendrait énergiquement la Nouvelle-Calédonie. Elle ferait donc bien de s’occuper plus activement de sa mise en valeur ; faire cesser la transportation, régler la question des Nouvelles-Hébrides, favoriser l’établissement de colons et l’engagement de capitaux Français, voilà le programme d’améliorations que comporte la situation présente des choses ; certains indices permettent de croire qu’il ne tardera pas à être mis à exécution.

Vieux comptoirs et Stations nouvelles.

La France possède dans l’Inde treize comptoirs disséminés le long des possessions Anglaises et dont cinq seulement ont une étendue territoriale quelconque ; l’ensemble de la superficie n’est que de 500 kilomètres carrés et le chiffre de la population n’atteint pas 300.000 habitants. La ville de Pondichéry, capitale de ces établissements, située sur la côte orientale, à six heures du chemin de fer de Madras, renferme le sixième de la population totale ; 3.000 Français ou métis descendants de Français y rappellent le passé ; car le passé est la principale raison d’être de ces possessions. « À quoi vous servent-elles, disait un jour un haut fonctionnaire Anglais à un homme d’État Français ; vous feriez mieux de nous les vendre ». — « Nous ne le pouvons pas, répondit l’autre, car il est nécessaire que Dupleix ait sa statue dans l’Inde et qu’il y soit chez lui ». Le raisonnement, pour sentimental qu’on le tienne, n’en est pas moins probant et un pays comme la France se doit de prolonger, autant que possible, les glorieux souvenirs d’une pareille épopée. Seulement Pondichéry et Mahé suffiraient pleinement à cette mission et on ne voit pas l’utilité de conserver une série de villages sans avenir qui, en cas de conflit avec l’Angleterre, constitueraient des gages dont cette puissance pourrait s’emparer presque sans coup férir. En attendant, les vieux comptoirs de l’Hindoustan nomment des conseillers généraux et même un sénateur et un député lesquels, en vertu d’une législation aussi spéciale que bizarre, tiennent leurs mandats d’électeurs indigènes dont beaucoup ne sont pas citoyens Français.

Il n’a été créé depuis trente ans qu’une seule « station » nouvelle. La France possédait, sur la côte d’Afrique, à l’entrée de la mer Rouge, le port d’Obock dont elle ne faisait rien. Ayant reconnu pendant la campagne du Tonkin, la nécessité d’avoir, en ces parages, un point de refuge et de ravitaillement, elle développa, à partir de 1883, cette possession qui encercle aujourd’hui toute la baie de Tadjourah, y compris Djibouti lequel fait vis-à-vis à Obock de l’autre côté de la baie. Cette contrée d’aspect saharien n’a pas seulement, du reste, une importance stratégique ; l’achèvement du chemin de fer de Djibouti à Addis-Ababa la rendra prospère. Dès maintenant le transit par caravanes fait de la baie de Tadjourah le principal entrepôt du commerce Éthiopien.

Algérie et Tunisie.

Le grand malheur de l’Algérie, c’est d’avoir commencé par être une colonie militaire, d’être devenue une colonie politique, mais de n’avoir jamais été, à aucun moment, une colonie coloniale. Sous le régime militaire, du moins, elle rendait à la métropole un service signalé bien que coûteux : elle lui préparait une armée solide, aguerrie, entraînée ; en même temps, l’administration militaire peu propice aux colons européens qu’elle voyait de mauvais œil et dont elle décourageait volontiers les entreprises, avait l’avantage de mieux assurer l’ordre et la sécurité et de mieux s’adapter aux mœurs indigènes. L’heure avait assurément sonné d’établir en Algérie une administration civile, lorsque la République réalisa cette réforme ; mais il fallait que la nouvelle administration fut coloniale au lieu d’être métropolitaine. Nul n’y prit garde. L’Algérie était divisée en trois départements Français ; on les traita comme tels. Derrière les fonctionnaires, les mœurs Françaises s’introduisirent et notamment le système électoral avec toutes ses conséquences. Peu à peu le pli se prit, parmi les fonctionnaires et les représentants élus, de ne songer qu’aux 80.000 citoyens investis du droit de vote et d’ignorer les quatre millions d’indigènes qui ne le possédaient pas. L’agitation antijuive s’étant superposée à un pareil état de choses, on conçoit que les affaires Algériennes aient pris un aspect fâcheux dont les pouvoirs publics avaient à se préoccuper.

La nomination d’un gouverneur général qui connaissait à fond les choses d’Algérie et dont une heureuse compétence venait ainsi doubler les grandes qualités personnelles, sembla faite pour apporter au problème une solution rapide ; le choix de M. Jonnart fut accueilli, l’an passé, avec une sympathie unanime. Malheureusement une santé précaire força bientôt le gouverneur à renoncer à la tâche qu’il avait tout de suite et si bien ébauchée. Son successeur, M. Revoil, est apte à la poursuivre. Fonctionnaire en Tunisie, puis ministre de France au Maroc, il est très au courant de la vie Africaine et ses idées sont les mêmes que celles de M. Jonnart. L’opinion, d’ailleurs, commence à s’éclairer sur ce problème Algérien et à saisir les éléments de la réforme nécessaire. Cette réforme est très simple, mais elle exige beaucoup de volonté et d’énergie ; il en faut toujours à une démocratie pour chasser la politique de quelque part et se défendre contre elle.

Le voisinage de la Tunisie a beaucoup contribué à faire la lumière dans les esprits. Les deux pays semblent n’en être qu’un. Le second est comme le prolongement géographique du premier. Rien de plus contraire, cependant, que la façon dont ils sont gouvernés et administrés, et rien de plus probant que la différence des résultats obtenus ici et là. C’est au Congrès de Berlin que M. Waddington, ministre des Affaires étrangères de France et délégué de la République, régla avec les représentants de l’Allemagne et de l’Angleterre la question Tunisienne. Ainsi préparée, l’expédition de 1881 fut prompte et décisive, et l’Italie, ne trouvant pas d’appui en Europe, dut renoncer à intervenir. L’occupation de la Tunisie était devenue une nécessité ; dès le règne de Louis-Philippe, M. Guizot avait marqué une ferme volonté de ne pas permettre à la Turquie de transformer son protectorat platonique en une domination effective. La France pouvait encore moins tolérer que la Régence passât sous une domination Anglaise ou Italienne : tant que le gouvernement du Bey se soutenait, elle n’était pas pressée de se substituer à lui ; mais, en 1880, il n’avait plus les moyens de vivre ; l’anarchie était complète ; l’heure de l’intervention avait sonné. Jules Ferry, soutenu par Gambetta, fut l’âme de l’entreprise contre laquelle une opposition parlementaire, formidable et insensée, se déchaîna aussitôt. Elle fut heureusement vaincue et le régime du protectorat s’organisa. On pouvait croire que ce régime ayant, depuis vingt ans, si brillamment fait ses preuves, n’aurait plus d’ennemis désormais ; mais il y a en Tunisie, comme partout, des hommes qui n’ont point réussi et rendent volontiers les institutions responsables de leurs échecs. Un député radical ayant, cette année, recueilli leurs minces doléances pour les porter à la tribune de la Chambre des Députés, a provoqué, de la part de M. Delcassé, une réponse victorieuse. Le ministre des Affaires étrangères a tracé, de main de maître, le tableau des progrès réalisés. Des dégrèvements s’élevant à 6 millions et demi ; malgré cela, 13 budgets sur 15 se soldant en excédents et ces excédents formant un total de 47 millions de francs ; le réseau des routes passant en dix ans de 600 kilomètres à 1.900 et le réseau des chemins de fer de 260 kilomètres à près de 1.000 ; quatre grands ports créés à Bizerte, à Tunis, à Sousse et à Sfax ; sur 540.000 hectares de terres achetées par les Européens, 500.000 appartenant à des Français ; une production agricole sans cesse croissante, les surfaces ensemencées triplées, la récolte de l’huile d’olive portée en 1900 à 45 millions de litres, un commerce qui est presque exclusivement entre des mains Françaises et qui s’est monté l’année dernière à 105 millions de francs, sur lesquels la part directe de la France est de 64 %, voilà des faits qui prouvent que les finances sont bien menées, la colonisation bien comprise, l’administration intelligente et que le protectorat n’a aucunement failli aux espérances qu’il avait suscitées.

L’Afrique occidentale Française.

Rien n’est plus suggestif que de comparer la situation de la colonisation Française sur la côte occidentale d’Afrique en 1872 et en 1901. À cette époque, la France possédait sur cette côte, le Sénégal, sa plus vieille colonie, d’où la vie semblait s’être retirée, où de 1817 à 1854, trente-et-un gouverneurs s’étaient succédé, n’apportant, d’ailleurs, aucun plan d’ensemble, aucune visée d’améliorations générales, si bien que, sur les réclamations et les plaintes des commerçants Bordelais, on avait fini par y envoyer le commandant Faidherbe qui avait rétabli la sécurité, fondé le poste de Médine et construit des ouvrages fortifiés sur le fleuve. Plus bas, vers le sud, des comptoirs avaient été établis en 1843 à Grand-Bassam et à Assinie sur la côte d’Ivoire. En 1870, les postes avaient été évacués, et c’est un négociant de la Rochelle, M. Verdier, qui, en prenant le titre de résident, avait réussi à conserver Grand-Bassam à la France malgré les efforts du gouverneur de la Côte-d’Or Anglaise. Plus loin, encore, s’étend la côte des Esclaves, façade maritime du pays Dahoméen ; des efforts individuels y avaient amené quelques résultats, tels que la fondation de Grand-Popo (1857), l’établissement du protectorat à Porto-Novo (1863) et la cession de Kotonou par le roi du Dahomey. Puis le protectorat, laissé sans organisation ni ressources, avait été abandonné. Enfin un Congo Français avait été inauguré en 1839 par le commandant Bouët-Villaumez, signant, avec le chef Denis, un premier traité rendu définitif en 1844 ; en 1849, Libreville avait été fondée ; plus tard (1862), l’autorité de la France s’était étendue sur l’Ogooué et au-delà jusqu’au Gabon.

Bien différent est l’aspect de ces mêmes régions trente ans plus tard. Derrière le Sénégal, d’immenses domaines s’étendent, qui rejoignent d’une part l’Algérie, de l’autre le Congo français et vont du Maroc au Haut-Oubanghi. C’est en 1879 que cette œuvre gigantesque a pris naissance ; elle s’est poursuivie, depuis lors, sans interruption. Pendant que Borgnis-Desbordes, Combes, Galliéni, Archinard soumettaient les états des rois nègres Ahmadou et Samory, qu’on s’emparait d’Abomey (1892) et de Tombouctou (1894), que M. de Brazza développait le Congo Français, la diplomatie ne demeurait pas inactive. La convention du 5 août 1890 et celles du 4 février et du 14 août 1894 ont consacré, au point de vue international, l’existence régulière et les frontières de ces régions qui représentent en superficie près d’un tiers du continent Africain. Elles enclavent la Guinée Portugaise, la République Américaine de Libéria, les colonies Anglaises de Sierra-Leone, des Achantis et de Lagos, les établissements Allemands de Togo et du Cameroun. Elles comprennent les sources et la plus grande partie du cours du Niger ainsi que les rives septentrionales et orientales du lac Tchad. Elles sont placées sous l’autorité d’un gouverneur-général à l’exception du Congo qui relève directement de la Métropole. Le gouverneur-général réside à Saint-Louis du Sénégal. Les gouverneurs de la Guinée française, de la Côte-d’Ivoire et du Dahomey résident respectivement à Konakry, à Bingerville et à Porto-Novo. Le Haut-Sénégal a pour chef-lieu Kayes où réside un délégué du gouvernement général. Les territoires de l’intérieur sont divisés en cercles et soumis au régime militaire.

Le Sénégal paraît avoir quelque peine à sortir de l’ornière où l’ont embourbé des traditions aussi défectueuses que lointaines. C’est d’ailleurs un pays dont les 1.132.000 habitants se divisent en un nombre incroyable de peuplades très diverses et dont le sol, par contre, ne se prête qu’à un nombre assez restreint de cultures rémunératrices. Il en va différemment de la Guinée, de la Côte-d’Ivoire et du Dahomey. Grand-Bassam, Assinie, Kotonou, Grand-Popo sont les centres d’un commerce croissant. La Côte-d’Ivoire a vu le chiffre de ses échanges passer de 10.553.000 en 1898 à 12.253.000 en 1899 et une plus grande attention donnée à l’exploitation de l’acajou accélérerait encore le mouvement, de même qu’en Guinée la culture du café pourrait être avantageusement étendue. Quant au Congo Français, c’est un territoire plus grand que la France et d’une très grande richesse ; il compte parmi les pays forestiers les plus riches du monde. La population se monte à environ 9 millions d’âmes et le mouvement commercial se chiffre en ce moment par 9 à 10 millions de francs. La capitale Libreville, est l’entrepôt de toutes les denrées du Gabon et de l’Ogooué. En 1898 un essai intéressant a été fait au Congo ; quarante lots de terres d’une énorme étendue ont été concédés à de grandes compagnies fondées à l’imitation de celles qui fonctionnaient dans le Congo Belge. Des cahiers de charges très mal établis et les tâtonnements de la plupart des concessionnaires qui faisaient là leur apprentissage colonial expliquent que les débuts de ce genre d’exploitation n’aient pas été aussi satisfaisants qu’on l’espérait ; le temps et l’expérience ne tarderont pas à y remédier.

Dans toutes ces régions de l’ouest Africain, il faut des chemins de fer ; on s’en occupe, mais trop lentement et avec un peu de mollesse. Le Transsaharien devrait déjà approcher d’In-Salah d’un côté et de Tombouctou de l’autre. Et les braves gens qui prouvent, chiffres en mains, que cette ligne ne rapportera rien, ne devraient plus trouver d’auditoires pour écouter leurs pauvres raisonnements.

En Indo-Chine.

Les choses sont beaucoup plus avancées en Indo-Chine. Et quand on se reporte par la pensée au traité du 31 août 1874, qui, en établissant la souveraineté de la France sur les six provinces de la basse Cochinchine, marqua la première étape de la formation de l’Asie Française, on est quelque peu surpris d’entendre déjà parler de la construction du chemin de fer du Yunnan et de l’ouverture de l’exposition d’Hanoï. C’est que l’Asie Française s’est constituée tout autrement que l’Afrique Française. Au lieu d’avoir été conquise morceau par morceau à la suite d’une série de combats brillants mais isolés, livrés à de petits rois nègres ou à des tribus barbares, l’Indo-Chine a été pour ainsi dire arrachée d’un seul coup au Céleste-Empire dont elle dépendait de fait, dans une campagne admirable qui a porté au plus haut degré le nom de l’amiral Courbet. La destruction de la flotte Chinoise dans la rivière Min et la prise de l’arsenal de Fou-Tchéou comptent, par l’audace de la conception et la précision de l’exécution, parmi les plus beaux faits d’armes de l’époque moderne. Complétée par l’occupation des Pescadores, le blocus du Petchili et les succès du général Brière de l’Isle au Tonkin, cette victoire que les Français n’ont jamais su apprécier à sa vraie valeur, découragea tous leurs ennemis en Extrême-Orient. S’ils dressent un jour sur la terre Indo-Chinoise, les statues de ceux qui ont conquis ce magnifique domaine, le monument de Courbet devra s’élever avec celui de Jules Ferry au-dessus de tous les autres, car sans le prestigieux exploit de l’amiral, le sublime entêtement de l’homme d’État fut demeuré stérile. La puissance Française en Extrême-Orient, s’appuiera longtemps encore sur la gloire de Fou-Tchéou.

Le traité de Tien-Tsin signé le 9 juin 1884 et par lequel l’Annam et le Tonkin passaient sous la suzeraineté définitive de la République Française fut suivi de près par une convention réglant l’exercice du protectorat sur le Cambodge, et le 17 octobre 1887 un décret présidentiel créa le gouvernement général de l’Indo-Chine. L’autorité du gouvernement général s’étend sur les différents pays qui composent ce qu’on nomme en général l’Indo-Chine Française, c’est-à-dire : le royaume du Cambodge peuplé d’environ 2.300.000 habitants et ayant un mouvement commercial de 40 millions de francs ; la Cochinchine où, sur un total de 1.876.000 habitants il y a déjà près de 2.500 français et où le mouvement commercial atteint 122 millions de francs ; l’empire d’Annam avec ses 5 millions d’habitants ; le Laos et le royaume de Luang-Prabang situés sur le Haut-Mékong — enfin le Tonkin, le dernier venu de tous et déjà le plus entreprenant et le plus prospère. Au Tonkin se rattache le territoire de Kouang-Tchéou-Ouan cédé par la Chine en novembre 1899 pour 99 ans, de même que de la Cochinchine dépend l’archipel de Poulo-Condore. Les principales villes indigènes sont Pnom-Penh, capitale du Cambodge et Hué, capitale de l’Annam, peuplée de 300.000 habitants. Les grandes villes Françaises sont Saïgon, capitale de la Cochinchine et surtout Hanoï, ville de 75.000 âmes où réside le gouverneur général. Les grands ports sont Saïgon, Tourane, situé au fond d’une rade immense et Haïphong construite entièrement depuis l’occupation Française et déjà très prospère. Quant aux richesses du sol, elles sont à la fois agricoles, forestières et minières.

Une fois la prise de possession achevée et la sécurité établie, le premier souci gouvernemental, tant à Paris qu’à Hanoï, devait être d’assurer la pénétration en Chine. C’est pour l’assurer, en ce qui les concerne, que les Anglais ont occupé la Birmanie. Mais, de ce côté, la nature a dressé des obstacles presque insurmontables en sorte que les communications entre la Birmanie et la Chine ne sont guère possibles qu’en écornant le royaume de Siam et en touchant aux frontières Tonkinoises. Ce sont ces atteintes éventuelles à l’intégrité du territoire Français plus encore que des difficultés de frontière entre le Siam et le Cambodge qui ont amené, en 1893, l’intervention énergique de la France à Bangkok. L’amiral Humann força les passes du Ménam et imposa au roi de Siam un ultimatum qui, suivi de négociations amicales entre la France et l’Angleterre écarta, provisoirement au moins, tout danger de complications de ce côté. En 1897 la Chine concéda à la France la construction d’une voie ferrée depuis la frontière du Tonkin jusqu’à Yunnan-Sen et, peu après on entreprenait la construction du chemin de fer de Haïphong à Lao-Kaï, point frontière où commencera la ligne de Yunnan-Sen. Il va de soi que la prolongation de cette ligne jusque dans le Sé-Tchouen, province très riche et très peuplée est un projet déjà entrevu et qui pourra se réaliser dans un avenir assez prochain. Le Sé-Tchouen est à 2.500 kilomètres de Shanghaï et à 1.800 kilomètres seulement d’Haïphong et de la baie d’Along. La Chambre Française a approuvé à une forte majorité le projet qui lui était soumis relativement à la ligne de Lao-Kaï à Yunnan-Sen. Elle aura 468 kilomètres de long et coûtera 102 millions. L’Indo-Chine en supportera les frais d’abord en donnant, une fois pour toutes, une somme de 12 millions et demi ce qui lui sera aisé car elle a aujourd’hui plus de vingt millions de réserves, ensuite en donnant une garantie d’intérêt annuel de 3 millions qui servira à gager une émission de 76 millions d’obligations. Le reste du capital sera constitué par la compagnie concessionnaire. L’exposé du projet a permis d’attirer l’attention de la métropole sur la situation si satisfaisante de l’Indo-Chine qui trouve à présent à emprunter à 3 1/2 ; ce qui veut dire qu’à 50 centimes près, elle jouit du même crédit que la France. Il existe encore d’autres signes manifestes de l’enrichissement rapide du pays et de la force déjà acquise par la domination Française. Les impôts qui rendaient 56 millions en 1896 étaient prévus pour 1901 à 92 millions et le commerce général a passé de 257 millions en 1897 à 471 millions en 1900, soit une plus value de 38 millions d’une part et une augmentation de 128 pour 100 d’autre part. Quant aux sentiments de la population indigène, le fait que les nombreux émissaires des sociétés secrètes Chinoises venus l’an passé pour tenter de la soulever, ont complètement échoué dans leur tentative, prouve qu’elle est la première à sentir les bienfaits de la sécurité rétablie, des défrichements étendus, des salaires augmentés et de ces travaux publics (le fameux pont du Fleuve Rouge, par exemple, long de 2 kilomètres et demi) qui emploient, par instants, jusqu’à 30.000 ouvriers.

Il n’y a donc pas à s’étonner de ce projet d’Exposition dont l’idée, il y a quinze ans, eût fait sourire tout autre que Jules Ferry et les rares adeptes de sa robuste confiance. L’éminent gouverneur général de l’Indo-Chine, M. Doumer, venu à Paris pour défendre, s’il était nécessaire, l’affaire du Yunnan, en a profité pour constituer un comité métropolitain. L’Exposition qui durera du 1er  novembre 1902 au 1er  février 1903 comprendra trois sections : France et Colonies — Indo-Chine Française — pays d’Extrême Orient. Ces derniers ont adhéré dès le début à l’Exposition et leur participation artistique et archéologique sera très complète. En prévision de cette belle manifestation de la vitalité de l’Asie Française, Hanoï se transforme et s’embellit chaque jour de façon à maintenir sa réputation déjà établie de beauté joyeuse.

Madagascar.

Après l’Afrique et l’Asie Française, Madagascar constitue la troisième portion importante de l’empire actuel. Les prétentions de la France sur la grande île Africaine ne datent pas d’hier. Les Normands s’y établirent et, il y a près de trois siècles, la Compagnie des Indes y fit des expériences malheureuses ; Colbert s’en occupa sans réussir à y intéresser l’opinion. Les agents Français y préparèrent, par leurs fautes, le massacre de leurs compatriotes (1672) et Louis XIV eut beau décréter l’annexion de Madagascar (devenue l’Île Dauphine) par une série d’arrêts qui portent les dates de 1686, de 1719, de 1720 et de 1721, les Malgaches ne se laissèrent point séduire. Les aventuriers réussirent mieux. On se rappelle l’histoire de ce caporal Labigorne qui épousa la reine Béty et réorganisa les relations commerciales entre Madagascar, l’île Bourbon et l’île de France (1750-1767). Après lui, vinrent M. de Modave et Beniowski que protégeait d’Aiguillon et que les Malgaches voulurent proclamer roi. La Convention installa un résident à Tamatave. La Restauration s’empara de Tintingue (1829) ; Louis Philippe l’évacua. Aucun gouvernement ne semblait se soucier de faire un effort pour resserrer les liens qui unissaient Madagascar à la France ; aucun non plus n’osait les trancher. En 1883, enfin, en présence de l’hostilité et de l’audace croissantes des Hovas, l’heure vint d’évacuer ou d’agir. L’amiral Pierre s’empara de Majunga et de Tamatave ; l’année suivante, l’amiral Miot mit le blocus sur les côtes, cependant que l’amiral Galiber, puis M. Patrimonio menaient de laborieuses négociations. Enfin un traité fut signé qui cédait la baie de Diego-Suarez et établissait le protectorat. L’Angleterre en reconnut les clauses ; mais pour vaincre les dernières résistances des Hovas, leur enlever leurs dernières illusions, établir indiscutablement la dénomination Française à Madagascar, une expédition fut néanmoins nécessaire. Organisée en décembre 1894, elle se termina dix mois plus tard par la prise de Tananarive. Le régime du protectorat ne put fonctionner, à cause des intrigues sans cesse renaissantes dont la cour de Ranavalo était le centre. Il fallut abolir la royauté et proclamer l’annexion. C’est faire le meilleur éloge de la sage et habile administration du général Galliéni, gouverneur général, que d’emprunter aux statistiques officielles, des chiffres comme ceux-ci : en 1896, le commerce général de Madagascar était de 17.593.882 francs. En 1897 il atteignait 22 millions ; 26 en 1898 ; 35 en 1899. En 1900 enfin, il se montait à plus de 51 millions dont 42 pour le commerce avec la métropole, en augmentation de 10 millions 1/2 sur l’année précédente.

Les dépendances de Madagascar sont assez nombreuses ; il y a les petites îles de Sainte-Marie et de Nossi-Bé situées l’une sur la côte orientale, l’autre sur la côte occidentale, les îles Glorieuses, l’île de Mayotte, fertile et bien située sur la route des caboteurs arabes, qui desservent la côte d’Afrique et entourée de récifs de corail qui en font un abri sûr, enfin l’archipel des Comores, placé depuis 1886 sous le protectorat de la France et qui présente au point de vue de la culture et de l’élevage des ressources considérables.

À environ 180 lieues de Madagascar, du côté de l’Est, se trouve l’île de la Réunion qui appartient à la France depuis 1643. Peuplée de 170.000 habitants dont plus de 120.000 sont Français, la Réunion est une colonie florissante qui fait avec la mère patrie un commerce de 25 millions d’affaires et de 16 millions environ avec l’étranger et les autres colonies : les principales cultures sont celles du café et de la canne à sucre.

Au sud-est de Madagascar se trouvent trois groupes d’îlots déserts, les îles Saint-Paul, Amsterdam et Kerguelen que la France a occupées récemment et où elle s’est bornée à établir des dépôts de ravitaillement.

L’Administration centrale.

Tel est, vu à vol d’oiseau, l’empire colonial Français que la République a reconstitué et qui représente environ dix-sept fois la superficie de la mère patrie, et nourrit une population d’à peu près cinquante millions d’âmes. La diversité des méthodes de gouvernement qui y sont appliquées est assez considérable, fait nouveau en France, depuis la Révolution tout au moins. Certaines colonies, non les plus importantes mais les plus anciennes, envoient des représentants au Parlement. La Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, les comptoirs de l’Inde nomment quatre sénateurs et sept députés ; le Sénégal, la Cochinchine et la Guyane, trois députés seulement. La Nouvelle Calédonie est administrée par un gouverneur et un conseil général élu ; Tahiti, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, par des gouverneurs assistés de conseils consultatifs. Il y a des protectorats directs comme la Tunisie et les Comores et des protectorats indirects comme l’Annam et le Cambodge qui font partie du gouvernement général de l’Indo-Chine. Enfin l’Algérie est divisée en trois préfectures semblables à celles de France. L’Algérie a, bien entendu, ses sénateurs et ses députés ; les colonies qui n’en ont point, ont des délégués au Conseil supérieur des Colonies, corps consultatif qui assiste le ministre : exception est faite jusqu’ici pour Madagascar où le gouvernement est militaire et où le gouverneur général est en même temps commandant en chef du corps d’occupation.

Les nominations aux divers emplois dans l’administration coloniale sont, en général, du ressort des gouverneurs. Le ministre ne nomme qu’aux emplois supérieurs et intervient rarement dans le choix d’un employé subalterne. On exige des candidats aux postes d’administrateurs coloniaux le rang d’officier dans l’armée ou bien le diplôme de l’École Coloniale. Il va de soi que les gouverneurs, dans le choix de leur personnel, sont plus ou moins exigeants selon le rang de la colonie qu’ils dirigent. Il y aura plus de candidats pour un poste inférieur en Indo-Chine ou à Madagascar que pour un poste plus élevé à Saint-Pierre et Miquelon, en Guyane ou même dans l’Inde et à Tahiti. Le personnel administratif des colonies Françaises a longtemps mérité sa médiocre réputation ; mais depuis que s’opère la renaissance coloniale, il va s’améliorant de jour en jour, et, en bien des endroits, serait déjà digne des éloges que la métropole n’a pas encore l’habitude de formuler à l’égard de ses serviteurs exotiques. Une telle sévérité aura d’ailleurs été salutaire et contribuera à élever le niveau de cette branche si importante de l’administration coloniale.

L’autre branche, la sédentaire, celle qui reste à Paris, suit une marche inverse : elle descend. « Le rôle du ministère des Colonies, expliquait dernièrement M. Étienne (l’un des hommes qui ont le plus travaillé à la constitution du nouvel empire Français), se réduit à un rôle de contrôle et de haute tutelle. Il aurait tort de prétendre étudier dans une série de bureaux parallèles à ceux des administrations locales, les dossiers préparés par celles-ci ». Il a tort en effet, car c’est précisément ce qu’il fait. Les 258 employés du ministère ne représentent pas seulement une énorme quantité de plumes inutiles et coûteuses, ils sont encore des espèces de crans d’arrêt qui ralentissent l’activité coloniale. Foyer d’incompétences variées, l’administration centrale est déjà mûre pour une réforme radicale, bien que ne datant que d’hier. Avant de se fixer, elle fut longtemps errante ; elle formait jadis une division du ministère de la Marine. Napoléon iii l’en détacha un instant lorsqu’il forma un ministère spécial pour l’Algérie. Quand il devint premier ministre (nov. 1881), Gambetta rattacha les colonies au ministère du Commerce. Peu après, elles furent érigées en sous-secrétariat d’État, ce qui leur assurait une autonomie relative ; Félix Faure en fut alors un des premiers titulaires. Comme telle, l’administration des colonies passa encore du Commerce à la Marine et de la Marine au Commerce. Enfin Casimir-Périer, étant chef du cabinet (1894) l’érigea en administration indépendante. En réalisant cette réforme si désirable, il ne prit pas garde à un danger certain ; il était à prévoir pourtant que ce nouveau ministère serait entraîné dans le sillage bureaucratique des autres ministères plutôt que d’adopter l’organisation inédite qui pouvait seule convenir à son caractère très spécial ; aucune précaution ne fut prise pour y parer.

Services et Institutions auxiliaires.

En 1889 a été créé un « service géographique des colonies Françaises » qui s’est déjà fait remarquer par ses intéressantes publications cartographiques dont 13 sont consacrées à l’Indo-Chine, 35 à l’Afrique occidentale, 5 à Madagascar, 1 à la côte des Somalis et 2 à la Guyane. Le service géographique publie également depuis 1898 une Revue coloniale mensuelle qui contient les comptes rendus de missions et d’importantes études agricoles, industrielles et commerciales.

Depuis 1890, le « Service de santé » a été réorganisé sur des bases meilleures et plus étendues. Les hôpitaux coloniaux comprennent un total de 6.041 lits ; les plus récemment établis, ceux de Saïgon, de Dakar et d’Hanoï ne laissent rien à désirer au point de vue des perfectionnements scientifiques. En même temps des instituts bactériologiques et des laboratoires ont été ouverts en Indo-Chine, en Nouvelle-Calédonie, au Sénégal, à la Réunion et à Madagascar. Trois instituts Pasteur fonctionnent actuellement ; le premier à Saïgon ; on y a découvert le sérum antivenimeux appliqué avec succès contre les morsures de serpent ; le deuxième à Nha-Trang sur la côte d’Annam, où fut préparé le premier sérum antipesteux ; le troisième vient d’être inauguré à Tananarive.

En 1885 une École Coloniale fut créée à Paris pour l’éducation de treize jeunes nobles Cambodgiens qui avaient été confiés dans ce but au gouvernement Français par l’entremise de son résident à Pnom-Penh. Agrandie en 1888, l’école put dès lors recevoir cent élèves indigènes ; mais l’année suivante elle fut complètement transformée. Aux élèves indigènes, qui sont soumis au régime de l’internat, on ajouta des élèves externes Français, candidats aux postes supérieurs de l’administration coloniale ; une disposition ingénieuse assure aux Français le concours de leurs camarades indigènes pour les cours de langues Annamite, Malgache, Arabe.… etc..… Le directeur de l’école est M. Aymonier, le savant traducteur des inscriptions Kmers.

L’« Office Colonial » a son origine dans une exposition permanente des produits coloniaux qui fut créée en 1856 et complétée en 1887, 1894 et 1895 par une série de mesures de détails. Entièrement réorganisé en 1899, l’Office Colonial comporte désormais, outre l’exposition permanente, un service de renseignements et d’émigration, et une bibliothèque publique. Les renseignements donnés ont trait à la colonisation ou au commerce. L’Office a facilité le départ de nombreux colons et servi d’intermédiaire entre les autorités coloniales, les Chambres de commerce et les maisons particulières, dans des questions relatives à l’exportation. Il convient d’ajouter qu’il est aidé dans cette tâche par diverses sociétés privées, telles que l’Union Coloniale Française, le Comité Dupleix, etc…

Le Jardin Colonial est de création toute récente ; mais on a déjà constaté sa grande utilité. Il est établi à Nogent-sur-Marne, près Paris, où il occupe un terrain de 17 hectares ; il a pour but l’étude de la végétation coloniale, les essais de cultures, les envois de semences, la préparation du personnel agricole nécessaire pour les colonies, les analyses des terres, engrais, produits coloniaux, enfin les renseignements concernant les industries agricoles, l’élevage, les forêts, etc…

Nous ne pouvons mentionner ici les nombreuses publications qui sont consacrées chaque année à la France coloniale. Il faut citer pourtant le compte rendu du congrès international de sociologie coloniale qui s’est tenu pour la première fois, l’an passé, à l’occasion de l’Exposition universelle. Il vient d’être publié et mérite qu’on s’y arrête. Tout l’esprit de cette grande manifestation se résume en quelques vœux de la plus haute importance émis par le congrès. En souhaitant « que la politique coloniale tende au maintien des organismes administratifs indigènes » et qu’on laisse aux populations indigènes « le bénéfice de leurs coutumes » de leurs lois et de leurs juridictions, le congrès a donné le coup de grâce à ces théories de l’égalité des races et du progrès absolu, niaisement répandues par la Révolution et coupables de tant d’erreurs et de fautes.

La Défense des Colonies.

Les régiments de marche créés pour l’expédition de Chine ont complété à vingt-deux les régiments d’infanterie coloniale ; il faut y joindre les corps composés d’un seul bataillon ou d’une seule compagnie, les indigènes dont l’infanterie coloniale fournit les cadres, les spahis Sénégalais, les spahis Soudanais et deux régiments d’artillerie. Les régiments coloniaux stationnés en France y forment un corps d’armée ; ils sont à Brest et à Toulon et l’artillerie à Lorient. Aux colonies, l’infanterie fournit deux régiments au Tonkin, un en Cochinchine, un en Nouvelle-Calédonie, deux à Madagascar, un au Sénégal. La Martinique a un bataillon à quatre compagnies, la Guyane un à deux compagnies La Guadeloupe et Tahiti ont une compagnie. L’élément indigène est de plus en plus considérable. L’Indo-Chine fournit un régiment Annamite et quatre Tonkinois. Deux régiments de tirailleurs Sénégalais occupent le Sénégal et le Soudan ; un autre est à Madagascar ; des bataillons indépendants sont au Chari, à Zinder, à la Côte-d’Ivoire ; un autre à Diego-Suarez. Madagascar fournit déjà deux régiments de tirailleurs Malgaches. L’artillerie a un rôle complexe. Outre les batteries de corps d’armée, elle doit fournir celles des colonies et les batteries à pied des points d’appui de la flotte, Dakar, Diego-Suarez, la Martinique. On a constitué deux régiments en Indo-Chine, des groupes au Sénégal, au Soudan, à Madagascar, etc..… En outre on a créé des compagnies de conducteurs et des détachements d’ouvriers.

Le total de l’armée coloniale (avec laquelle il ne faut pas confondre les troupes d’Algérie connues sous le vieux nom d’armée d’Afrique) comprend 22 régiments, 12 compagnies formant corps, 10 régiments et 4 bataillons indigènes, plusieurs régiments d’artillerie, une réserve nombreuse et bien encadrée. À la Martinique, à la Réunion, à la Nouvelle-Calédonie.… les troupes sont placées sous les ordres d’un colonel qui commande en chef ; à Tahiti, c’est un capitaine ; ailleurs, un chef de bataillon. L’Indo-Chine comporte le commandement supérieur d’un général de division qui a sous ses ordres trois généraux de brigades ; l’escadre d’Extrême-Orient qui vient d’être renforcée est toujours à portée ; des stations navales permanentes existent en Cochinchine et au Tonkin ; un port de guerre va être établi à Kouang-Tchéou-Ouang où déjà ont été construits des ouvrages militaires. Il est superflu de rappeler le magnifique port de guerre établi à Bizerte.

L’Activité navale ; les Sous-Marins.

Le progrès des colonies est étroitement lié à celui de la marine nationale. Nous avons dit plus haut en quoi la France était redevable à M. Chamberlain des progrès récents réalisés par sa marine. Le ministre anglais a rivalisé de maladresse avec M. de Bismarck. Ses rudes et imprudentes menaces ont fait comprendre aux Français, mieux que tous les discours de leurs gouvernants, la possibilité d’une guerre avec l’Angleterre, chose à laquelle ils n’avaient jamais cru et, en prévision de laquelle ils n’avaient fait, conséquemment, que de minces et insuffisants préparatifs. L’opinion a aussitôt consenti à des dépenses contre lesquelles elle se fut élevée énergiquement la veille et dont profiteront les colonies tout autant que la métropole. La grande difficulté maritime contre laquelle la France a à lutter provient de ce fait qu’elle a, à la fois, un vaste littoral à protéger, de grandes colonies disséminées à défendre et qu’enfin la puissance Anglaise, sa rivale, ne peut être atteinte que par la guerre de course, ce qui l’oblige à construire à la fois des cuirassés d’escadre, des croiseurs cuirassés, des torpilleurs et contre-torpilleurs, à établir d’assez nombreux dépôts de charbons, à fortifier de nombreux ports et rivages et à posséder, enfin, un réseau télégraphique sous-marin présentant des garanties suffisantes de sécurité ou de neutralité.

Le budget de 1898 était de 284 millions ; celui de 1902 monte à 312 millions et, en réalité, l’écart est bien plus grand puisque, depuis 1898, les troupes de la marine ressortissent au budget de la guerre ; elles figuraient à celui de la marine pour plus de 27 millions. Les augmentations portent tant sur les constructions navales que sur les armements ; on supprime la division des gardes-côtes pour adjoindre une division de réserve, composée de trois cuirassés et d’un croiseur, à chacune des deux escadres de la Méditerranée et du Nord ; on augmente la composition numérique de cette dernière ; on accroît l’importance et le prestige de la division navale du Pacifique qui sera, désormais, commandée par un contre-amiral et celle de l’Extrême-Orient à la tête de laquelle restera un vice-amiral, malgré la fin du conflit chinois. Le nombre des officiers à la mer est en conséquence accru et les effectifs des équipages de la flotte monteront de 48.137 à 50.107, dont 1.714 de plus à la mer. Les dépenses des escadres sont portées de 25 à 29 millions, celles des divisions navales et armements divers de 28 1/2 à 32 millions. Deux cuirassés, sept croiseurs cuirassés et un croiseur de première classe effectueront leurs essais en 1902. De plus, à l’exemple de ce qui se passe en Angleterre, on n’arme plus que des bâtiments neufs ou de type moderne ; les autres restent en réserve dans les ports. Les prévisions de dépenses pour le service des constructions navales sont de 121.777.885, et plus de 90 millions, sur cette somme, sont consacrés aux constructions neuves. Sont sur chantier : 69 bâtiments, soit 2 cuirassés, 3 croiseurs cuirassés, 20 contre-torpilleurs, 21 torpilleurs et 23 sousmarins. Il reste, en fait de grosses unités à mettre en chantier, 4 cuirassés et 2 croiseurs cuirassés.

Le projet de budget donne d’intéressants détails sur les sous-marins. Les expériences du Gustave-Zédé ont attiré l’attention du monde entier sur ces merveilleux engins, au succès desquels on ne croyait guère, même en France, et qui révèlent une telle perfection que la puissance défensive du pays va s’en trouver soudain doublée. 14 sont prêts à prendre la mer. Des 23 en construction, 20 sont du même type et du prix uniforme de 365.400 francs. Ils déplacent 68 tonnes, sont longs de 23 m 50 et larges de 2 m 26 ; les machines électriques qui actionnent l’hélice sont alimentées par des accumulateurs ; leur vitesse sera de huit nœuds ; les trois autres seront de types variés, d’après des plans nouveaux et coûteront naturellement beaucoup plus cher. Des constructions ultérieures sont prévues qui porteront assez rapidement le total des sous-marins français à 68. Trois services centraux de stations de sous-marins fonctionnent dans les trois ports qui les construisent, Cherbourg, Rochefort et Toulon. Cette année leur armement occupe 10 officiers et 141 hommes et coûte 299.874 francs ; en 1902, ces chiffres seront respectivement de 27 officiers, 306 hommes et 850.000 francs.

Les Câbles sous-marins.

Les intérêts politiques, militaires, économiques de la France moderne exigent qu’elle possède un réseau télégraphique sous-marin aussi indépendant que possible. Tel est l’objet d’un important projet de loi soumis au Parlement et qui autorise la construction des lignes suivantes : dans l’Atlantique, de Rochefort à Dakar, de Dakar à Buenos-Ayres, de Dakar à Kotonou, de Kotonou à Libreville, de Libreville à Mossamédès, de Mossamédès à Fort-Dauphin et à Lourenço-Marquès, de Dakar à Cayenne, soit 15.210 milles de câbles. Dans l’Océan Indien, de Tamatave à St-Denis et de St-Denis à Batavia, 3.632 milles. Dans les mers de Chine, de Saïgon à Poulo-Condor, de Saïgon à Macao, de Macao à Amoy, d’Amoy à Wousung, de Wousung à Port-Arthur, de Port-Arthur à Takou, de Saigon à Pontianak, de Pontianak à Batavia, plus deux lignes terrestres de Macao à Canton et de Takou à Tien-Tsin, soit 5.639 milles. Dans la Méditerranée, de Bizerte à Ergasteria, d’Ergasteria à Sébastopol, d’Ergasteria à Beyrouth, plus une ligne terrestre d’Ergasteria à Athènes, soit 2.176 milles. La dépense serait : pour le réseau de l’Atlantique de 144.500.000, — pour celui de l’Océan Indien, de 42 millions, — pour celui des mers de Chine, de 38.500.000 et, enfin, pour la Méditerranée de 10.300.000. Plus tard, le réseau de Chine serait complété par l’établissement des lignes d’Amoy à Shanghaï, de Shanghaï à Port-Arthur, d’Haïphong à Kouang-Tchéou-Ouang et de Kouang-Tchéou-Ouang à Macao, et, surtout, par l’immersion d’un câble direct de Saïgon à Marseille.

On peut voir que le projet emprunte les territoires du Portugal, de la République Argentine, des Pays-Bas, de la Chine, de la Russie, de la Grèce et de la Turquie ; les autres nationalités ont toutes été soigneusement évitées. La longueur totale du réseau sera de 26.657 milles, plus 347 à terre, et les dépenses approximatives de 235 millions 1/2. Les recettes, évaluées très au bas mot, se monteraient à 4.530.000 et les frais d’exploitation s’élèveraient à 12.172.000. Il faudrait donc que l’État inscrivit à son budget 7.640.000 de subvention annuelle. On demanderait 1 million 150.000 francs aux colonies (800.000 francs à l’Indo-Chine, 120 à Madagascar, 80 à la Réunion, 150 à la Tunisie). — Une surtaxe temporaire de 5 centimes par franc serait ajoutée au principal des patentes. Enfin, on ferait entrer en ligne de compte des subventions déjà créées. Le tout durerait jusqu’en 1912 et l’ensemble des dispositions prévues est ingénieux et satisfaisant.

  1. Quelques-unes des pages qui suivent sont empruntées au chapitre vii de L’Évolution Française sous la Troisième République, par Pierre de Coubertin. 1 vol. Plon et Cie, Paris.
  2. La petite île de St-Barthélemy, dépendance de la Guadeloupe, lui a pourtant été rétrocédée en 1878 par la Suède.
  3. Voir la Chronique de 1900, pages 231 et suivantes.