Conte des trois souhaits

La bibliothèque libre.
Les trois souhaits
Charles Warée (p. 206-208).

TREIZIÈME DIALOGUE.

onzième journée.


mademoiselle

Voyons, mesdemoiselles, mettons-nous en route ; je vais vous raconter un joli conte que j’ai lu quelque part.


LES TROIS SOUHAITS,

conte.

Il y avait une fois un homme qui n’était pas fort riche ; il se maria, et épousa une jolie femme. Un soir, en hiver, qu’ils étaient auprès de leur feu, ils s’entretenaient du bonheur de leurs voisins, qui étaient plus riches qu’eux.

« Oh ! si j’étais la maîtresse d’avoir tout ce que je souhaiterais, dit la femme, je serais bientôt plus heureuse que tous ces gens-là.

— Et moi aussi, dit le mari, je voudrais être au temps des fées, et qu’il s’en trouvât une assez bonne pour m’accorder tout ce que je désirerais ; mais malheureusement ces temps-là sont passés, et nous resterons pauvres toute notre vie.

Au même instant ils virent dans leur chambre une très-- belle dame, qui leur dit : « Je suis une fée, je vous promets de vous accorder les trois premières choses que vous souhaiterez mais, prenez-y garde, après avoir souhaité ces trois choses, je ne vous accorderai plus rien. »

La fée ayant disparu, cet homme et cette femme furent très-embarrassés. « Pour moi, dit la femme, si je suis la maîtresse, je sais bien ce que je souhaiterai. Je ne souhaite pas encore ; mais il me semble qu’il n’y a rien de si bon que d’être belle, riche et de qualité. — Mais, répondit le mari, avec ces choses on peut être malade, chagrin ; on peut mourir jeune : il serait plus sage de souhaiter de la santé, de la joie et une longue vie. — Et à quoi servirait une longue vie, si l’on était pauvre ? dit la femme ; cela ne servirait qu’à être malheureux plus longtemps. En vérité, la fée aurait dû nous promettre de nous accorder une douzaine de dons ; car il y a au moins une douzaine de choses dont j’aurais besoin. — Cela est vrai, dit le mari ; mais prenons du temps. Examinons d’ici à demain matin les trois choses qui nous sont le plus nécessaires, et nous les demanderons ensuite. — J’y veux penser toute la nuit, dit la femme. En attendant, chauffons-nous, car il fait froid. » En même temps, la femme prit les pincettes et raccommoda le feu, et comme elle vit qu’il y avait beaucoup de charbons bien allumés, elle dit sans y penser : « Voilà un bon feu ; je voudrais avoir une aune de boudin pour notre souper, nous pourrions le faire cuire bien aisément. » À peine eut-elle achevé ces paroles, qu’il tomba une aune de boudin par la cheminée. « Peste soit de la gourmande avec son boudin ! dit le mari ; ne voilà-t-il pas un beau souhait ! nous n’en avons plus que deux à faire. Pour moi, je suis si en colère, que je voudrais que tu eusses le boudin au bout du nez. » Dans le moment, l’homme s’aperçut qu’il était encore plus fou que la femme ; car, par ce second souhait, le boudin sauta au bout du nez de cette pauvre femme qui ne put jamais l’arracher. « Que je suis malheureuse ! s’écria-t-elle ; tu es un méchant, d’avoir souhaité ce boudin au bout de mon nez. — Je te jure, ma chère femme, que je n’y pensais pas, répondit le mari. Mais que ferons-nous ? Je vais souhaiter de grandes richesses, et je te ferai faire un étui d’or pour cacher ce boudin. — Gardez-vous-en bien, reprit la femme ; car je me tuerais s’il fallait vivre avec ce boudin à mon nez. Croyez-moi, il nous reste un souhait à faire, laissez-le-moi, ou je vais me jeter par la fenêtre. » En disant ces paroles, elle courut ouvrir la fenêtre, et son mari, qui l’aimait, lui cria : « Arrête, ma chère femme ! je te donne la permission de souhaiter tout ce que tu voudras. — Eh bien, dit la femme, je souhaite que le boudin tombe à terre. » À l’instant le boudin tomba, et la femme, qui avait de l’esprit, dit à son mari : « La fée s’est moquée de nous, et elle a eu raison. Peut-être aurions-nous été plus malheureux étant riches que nous ne le sommes à présent. Crois-moi, mon ami, ne souhaitons rien, et prenons les choses comme il plaira à Dieu de nous les envoyer. En attendant, soupons avec notre boudin, puisqu’il ne nous reste que cela de nos souhaits. » Le mari pensa que sa femme avait raison ; ils soupèrent gaiement, et ne s’embarrassèrent plus des choses qu’ils avaient eu dessein de souhaiter.