Poésies de Schiller/Le Gant

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Poésies de Schiller
Traduction par Xavier Marmier.
Poésies de SchillerCharpentier (p. 92-93).

LE GANT.

Devant l’arène où les lions doivent combattre est assis le roi Franz. Autour de lui sont les grands personnages de l’Empire, et sur des balcons élevés les dames forment une brillante guirlande.

Le roi fait un signe : la retraite des animaux terribles s’ouvre ; un lion s’avance à pas lents, promène silencieusement ses regards autour de lui, ouvre la gueule, secoue sa crinière et s’étend sur le sol.

Le roi fait un second signe : une autre porte s’ouvre, un tigre sauvage sort par un bond impétueux. À l’aspect du lion il mugit, agite sa queue, allonge sa langue, tourne autour du lion en poussant un sombre murmure, puis s’étend à ses côtés.

Le roi fait encore un signe : alors la tanière vomit à la fois deux léopards qui s’élancent avec ardeur sur le tigre. Celui-ci les saisit dans ses griffes puissantes : le lion se lève en mugissant, puis il se fait un grand silence, et les léopards s’étendent sur le sol altéré de sang.

En ce moment, du haut du balcon, un gant tombe d’une jolie main entre le tigre et le lion.

La noble Cunégonde se tourne vers le chevalier de Lorges et lui dit d’un air railleur : « Chevalier, si votre amour est aussi ardent que vous me le jurez à toute heure, allez relever mon gant. »

Le chevalier descend à la hâte, s’avance d’un pas ferme dans l’arène redoutable, et d’une main hardie relève le gant au milieu des monstres.

Les chevaliers, les dames le regardent avec surprise et terreur, et lorsqu’il leur apporte paisiblement le gant, son éloge s’échappe de toutes les bouches. Cunégonde l’accueille avec un tendre regard qui lui promet un bonheur prochain. Mais le chevalier, lui jetant son gant au visage, lui dit : « Je ne veux point de votre reconnaissance ; » et il la quitte à l’instant.