Stances (Jean Polonius, VI)

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STANCE


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Ce qu’en mon ame a laissé ta présence
Est comme un rêve étrange et gracieux.
Il est semblable aux rêves de l’enfance,
Comme eux charmant, mais indécis comme eux.
Car à mes yeux tu n’as fait que paraître ;
Je te perdis quand tu m’allais charmer,

Et je t’ai vue assez, pour te connaître,
Te deviner, mais trop peu pour t’aimer.

Pardonne donc si, bien loin du rivage
Où ta beauté n’a brillé qu’un moment,
L’ombre du monde, offusquant ton image,
Entre elle et moi se place trop souvent.
Ah ! quand le soir, loin des bruits de la vie,
Ton souvenir se montre encore à moi,
Mon sein se gonfle, et mon ame ravie
Franchit l’abîme, et revole vers toi.

Le fond du lac n’est pas toujours limpide :
Qu’un voyageur, qu’un téméraire enfant,
Jette une pierre en son cristal humide,
Un noir limon s’en élève à l’instant ;
Mais par degrés plus tranquille et plus claire,
On voit bientôt la vague s’aplanir,
Et tout brillant de sa splendeur première,
L’azur du ciel revient s’y réfléchir.

Souvent ainsi le tourbillon du monde,
De mes pensers troublant la douce paix,

Vient y mêler comme une fange immonde,
Qui dans mon sein voile un moment tes traits.
Mais lorsque a fui la foule murmurante,
Lorsque le calme en mes sens est rentré,
Le voile tombe, et ta forme charmante
Se peint encor sur mon cœur épuré.