Suite de Joseph Delorme/À une amazone

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IX

À UNE AMAZONE


Dans ces essors fougueux d’un galop insensé
Où va, soir et matin, votre coursier lancé,
Dans ces fuites sans fin sur la pâle bruyère,
Vous vous croyez bien chaste, Amazone si fière !
Pourtant dans les hasards de cet emportement
J’ai, Madame, un rival, vous avez un amant…
— Et qui donc ? — Le Zéphyre. — Oh ! non ce zéphyr tendre,
Fade, et que sans sourire on ne peut plus entendre,
Ce zéphyr des boudoirs, des bosquets de Paphos,
Ce badin langoureux éteint sous des pavots :
Non, mais le grand Zéphyre, à l’aile tiède, immense,
D’Aquilon et d’Eurus le rival en puissance,
Avant que dans Paphos il fût efféminé ;
Aux flots d’Égée aussi par les Dieux déchaîné ;
Fraîchissant, frissonnant, s’égayant dans l’aurore[1].
À soupirs redoublés battant le lac sonore.
Sous la chaude nuée emplissant tous les airs,
Enflant d’aise et d’amour la cavale aux déserts,
Et qui luttant sur toi dans ta rapide ivresse.
Sur ton front, sur ton sein, sur ton voile en détresse,
T’apporte obscurément délire et volupté,
À toi qui te crois chaste, ô si fière Beauté !


  1. Horrificans Zephyrus proclivas incitat undas.
    Catule.
    Et Homère, Odyssée, liv. ii, vers 121 ; iv, 402 ; v, 295, et en vingt autre endroits.
    Ακραῆ Zέφυρον κελάδοντ’ἐπὶ οἴνοπα πόντον.