Sur les ferments (Louis Pasteur)

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Œuvres de Pasteur réunies, Texte établi par Louis Pasteur Vallery-RadotMasson et Cie, éditeurs2 (p. 140-141).


SUR LES FERMENTS[1].


M. Pasteur fait une communication sur les prétendus changements de forme des cellules de levûre de bière suivant les conditions extérieures de leur développement. Dans une critique des travaux des botanistes sur ce sujet, M. Pasteur indique les causes d’erreur de leurs expériences. Elles sont telles, suivant lui, qu’alors même que les conclusions auxquelles ils sont conduits seraient vraies, il faudrait en donner des preuves toutes nouvelles.

Jusqu’à ce jour M. Pasteur, qui poursuit encore ses études, n’a pu faire produire des mucédinées à la levûre de bière, ni transformer en levûre les spores des mucédinées.

M. Pasteur communique ensuite à la Société de nouvelles observations au sujet de la levûre de bière et des rapports qu’elle offre entre son mode d’accroissement et ses propriétés, selon qu’elle est mise en contact avec le gaz oxygène de l’air ou le gaz acide carbonique dès le commencement de la fermentation.

La levûre, semée dans une liqueur sucrée albumineuse entièrement privée des plus faibles quantités d’air, se multiplie, augmente de poids, et détermine la fermentation du sucre. La levûre peut donc vivre et provoquer la fermentation, bien que les liqueurs où elle a été semée ne renferment pas la moindre trace de gaz oxygène libre.

M. Pasteur a reconnu, d’autre part, que néanmoins, s’il y avait de l’air à l’origine dans les liqueurs ou à leur surface, la levûre se multipliait encore et même beaucoup mieux que dans le premier cas ; c’est-à-dire que dans le même temps, et toutes choses égales d’ailleurs, il s’en forme une plus grande quantité ; mais cette levûre, pendant son développement, n’a qu’une activité très faible comme ferment, bien qu’elle agisse énergiquement sur le sucre si on la met ultérieurement en contact avec de l’eau sucrée à l’abri du gaz oxygène.

M. Pasteur a déjà réussi à enlever à la levûre son caractère de ferment dans la proportion des neuf dixièmes, mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que dans ces circonstances particulières les globules de levûre, d’après les expériences de M. Pasteur, absorbent l’oxygène de l’air et dégagent de l’acide carbonique, vivant dès lors à la manière de toutes les petites plantes inférieures.

M. Pasteur avait déjà signalé toute l’analogie qui existe entre le mode de vie de la levûre de bière et des torulacées ou des mucédinées ordinaires, en montrant que ces productions diverses pouvaient se développer dans des liqueurs qui ne renferment que du sucre, de l’ammoniaque et des phosphates. Mais la levûre de bière restait toujours séparée des végétaux inférieurs par la double propriété de pouvoir vivre sans gaz oxygène libre et d’être ferment. Les nouveaux faits qui viennent d’être énoncés établissent que la levûre de bière peut vivre à l’aide du gaz oxygène libre, et que, par son influence, elle se multiplie même avec une activité extraordinaire. Sous le rapport du développement organique, il n’y a plus de différence, dans ces conditions spéciales, entre la levûre et les plantes les plus inférieures. Or, à ce moment, la différence s’efface également au point de vue des propriétés de fermentation. Le caractère ferment tend à disparaître pour faire place aux seuls phénomènes de nutrition, ainsi que cela a lieu chez les plantes inférieures ordinaires.

Il paraît donc y avoir corrélation entre le caractère ferment et le fait de la vie sans gaz oxygène libre. Cela posé, faut-il admettre que la levûre de bière, si avide d’oxygène qu’elle se multiplie avec une énergie tout à fait inconnue jusqu’ici, dit M. Pasteur, lorsqu’on lui fournit du gaz oxygène libre, n’en utilise plus aucune trace pour son développement dès qu’on lui refuse ce gaz sous forme libre, sans le lui refuser sous forme de combinaison ? N’est-il pas vraisemblable que le mode de vie de la plante est le même dans les deux cas, sauf que dans le second elle respire avec l’oxygène emprunté à la matière fermentiscible ? Ce serait par conséquent dans cet acte physiologique qu’il faudrait placer l’origine du caractère ferment.

Telle est la théorie nouvelle de la fermentation que M. Pasteur soumet à l’attention des physiologistes.

  1. Bulletin de la Société chimique de Paris, séance du 12 avril 1861, p. 61-63. (Résumé.)