Sur La Vérité, ouvrage anonyme

La bibliothèque libre.
Miscellanea philosophiques, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierIV (p. 37-38).


LA VÉRITÉ

OUVRAGE ANONYME, INTITULÉ AUTREMENT
LES MYSTÈRES DU CHRISTIANISME APPROFONDIS RADICALEMENT ET RECONNUS PHYSIQUEMENT VRAIS[1].




Il est impossible d’imaginer une production plus extravagante, un plus indigne abus de la connaissance des langues hébraïque, chaldéenne, syriaque et grecque, un usage plus méprisable et peut-être une satire plus violente de l’étymologie.

La Trinité, c’est Dieu protecteur, Dieu animateur, Dieu conservateur. Jésus-Christ est le membre viril, son sang répandu c’est le fluide séminal. La croix est la femme. Le salut du monde opéré par ce mystère, c’est la reproduction éternelle de l’espèce humaine.

Jean qui prêche dans le désert, qui s’approche des villes, dont la tête est présentée à Hérodiade dans un bassin, c’est le symbole le plus cynique de l’approche de l’homme et de la femme.

Ainsi du reste de l’ouvrage qu’on peut regarder comme un prodige de délire, et la plus froide, la plus insipide et la plus savante dérision de l’Ancien et du Nouveau Testament.

On attribue cet ouvrage à un homme de qualité, appelé le comte de Bescour[2]. On n’a pas une idée de la folie de cette production, quand on ne la connaît pas soi-même. Les fous enfermés aux Petites-Maisons ne sont pas plus fous ; mais certes ils ne sont pas aussi savants. Il y a plus de danger à avoir fait cet ouvrage que le Système de la nature.

Au reste, il est impossible que des folies n’engendrent des folies, lorsqu’au lieu de les reconnaître franchement pour ce qu’elles sont, les hommes se tourmenteront, par intérêt, par entêtement, par respect, ou par pusillanimité à leur donner l’air de la vérité.

Voilà un jésuite dont j’ai l’ouvrage sous les yeux, qui cherche comment Marie a pu devenir mère sans perdre sa virginité et qui, par un effort de sagacité dont il se félicite, trouve que la chose s’est passée en elle-même comme dans le puceron hermaphrodite ; qu’elle a satisfait au but de la copulation comme homme et comme femme ; que la naissance de son fils a été le résultat du mélange de deux fluides différents émanés de la même source et que la seule différence qu’il y ait eu de cette femme à une autre, c’est qu’elle a éprouvé la double volupté, sans conséquence pour son innocence et son pucelage[3].

En voici un autre qui vous assure sérieusement qu’il se passa beaucoup de temps entre la création d’Adam et la soustraction de sa côte ; que pendant tout ce temps, Adam seul pressé d’un besoin qu’il ne pouvait satisfaire avec une créature de son espèce, se ruait indistinctement sur les femelles de tous les animaux dont la terre était peuplée et qui étaient propres à le recevoir ; que ce fut pour obvier à cette brutalité que l’Être suprême créa la femme, un peu tard à la vérité ; car notre premier père en avait tant pris et était tellement dominé par son bizarre penchant qu’il négligea sa femme, même quand il eut repris des forces ; qu’Ève inspirée par sa passion, ne trouva d’autre moyen de ramener son époux à la raison, que de rompre une branche d’arbre et que de le bâtonner d’importance, et que voilà le vrai sens du récit allégorique de Moïse.

Que signifient ces extravagances et tant d’autres que me fourniraient les commentateurs de la Bible, sinon que le respect pour une folie les a précipités dans de plus grandes ? qui ne rirait d’entendre saint Augustin prétendre sérieusement que la partie de nous-mêmes qui sert à nous reproduire, si indocile, si capricieuse aujourd’hui, se disposant ou se refusant au plaisir également à contre-temps, obéissait à l’homme innocent, comme son bras et ses autres membres et que sa langueur et sa vigueur déplacées sont une des suites du péché de notre premier père[4] ?




  1. La Correspondance de Grimm, juillet 1771, ne donne que le premier paragraphe de cet article.
  2. Barbier, d’après Moët, nomme cet illuminé Bebescourt.
  3. Voyez Dissertation physico-théologique, touchant la conception de Jésus-Christ dans le sein de la vierge Marie sa mère, par M. P. C. D. C. (Pierquin, curé de Chatel), Amsterdam, 1742.
  4. Voir Cité de Dieu, liv. XIV, ch. xv.