Sur la route (Bruant)/Terrassier

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Sur la Route : chansons et monologuesAristide Bruant (p. 31-34).


TERRASSIER


Écoute un peu c’que j’te vas dire :
J’en crains pas un pour l’instruction,
Ej’ sais ben lire et ben écrire,
Ej’ sais aussi la division.
Quand l’contremaître i’ fait mon compte,
I’ sait qu’c’est pas à moi qu’on l’monte.
Oui, mon vieux, pour un terrassier,
J’suis vraiment un homme à la r’dresse.
Faut pas y faire avec Ernesse…
À ta santé ! j’paye un d’mi-s’tier.


Et pis tu m’as vu quand ej’charge,
Toujours au milieu du tomb’reau,
Jamais su’ l’bord… Bon Dieu ! j’m’en charge,
Qu’ça soy’ d’la glaise ou du terreau,
C’est tassé… Faut pas qu’on y vienne,
Excepté toi, mon vieux Étienne.
… Si j’voulais, j’s’rais chef ed’chantier ;
Mais, moi, j’veux rentrer à la ville.
Faut pas y faire avec Achille…
À ta santé ! j’paye un d’mi-s’tier.

À la vill’, vois-tu, ma vieill’ branche,
J’emmerd’rai les entrepreneurs ;
Ça s’ra pas tous les jours dimanche,
I’s auront pas tous les bonheurs.
J’te l’cach’ pas… i’s la f’ront pas belle,
J’leur dirai : J’connais la ficelle…
Et j’laiss’rai pas fout’ du mortier
Su’ l’radier où qu’faut d’la meulière.
On peut pas y faire avec Pierre…
À ta santé ! j’paye un d’mi-s’tier.

J’dis pas ça pour fair’ le mariolle,
Je n’veux pas crâner avec toi,
Mais les chefs ont peur ed’ ma fiole,
I’s sav’nt ben qu’on compte avec moi.
Ya longtemps qu’i’s m’font des avances
Pour que j’soye d’leurs connivences.
Enfin, si j’voulais êt’ patron,
Mon vieux, j’aurais qu’un signe à faire.
Mais ça… ça n’est pas ton affaire…
À ta santé ! j’paye un litron.