Sur les charmes de la solitude

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Les ÉphémèresAlfred Moret (p. 150-155).


 
Ce n’est que pour l’innocence que la solitude peut avoir des charmes.
(Marie Leczinska)

La poésie est partout et dans tout.
Les uns verront le bien et le béniront
avec des paroles harmonieuses ; les autres
verront le mal et le fustigeront de leur
sanglante lanière… On ne peut
circonscrire la poésie. Si Dieu l’a
jetée là-bas à la voûte des cieux, plus
loin il l’a posée sur le front des femmes.
(C. D. Dufour)

UR LES CHARMES DE LA SOLITUDE

 
Vous qu’un heureux destin attache à Mandeville,
Furtunée oasis, frais et riant asile
Orné de toutes parts d’ombrages et de fleurs,
Bosquet où l’on respire un parfum de pinière
Qu’apporte, en murmurant, la brise journalière
De ces lieux charmants, enchanteurs ;


Vous qui, dans ce séjour où règne le silence,
Laissez couler vos jours au sein de l’innocence !
Permettez que mes chants, de la foule inconnus,
Se dirigent vers vous d’un vol mélancolique,
Et daignez recevoir cet essai poétique
Comme un hommage à vos vertus.

Ah ! si libre un instant du tourment qui l’oppresse,
Mon âme secouait sa profonde tristesse
Et renaissait encore à la vie, au bonheur,
Peut-être aurais-je pu, dans un brûlant délire,
Produire un chant bien doux ; car tout en vous inspire,
Grâces, modestie et candeur.

Mais puis-je, hélas ! chanter quand la fortune adverse
A brisé mon espoir ? quand la douleur me verse
Un poison corrosif qu’il faut boire à longs traits ?
Non ! — Je ne puis que dire, en un simple langage,
La vive impression que produit l’assemblage
De tous vos séduisants attraits.


Douce enfant des forêts et de la solitude,
Heureux si, comme vous, libres d’inquiétude,
Mes jours passaient exempts de trouble et de désirs !
Votre existence, à vous, est celle de la rose
Cultivée avec soin, à peine encore éclose
Au souffle amoureux des zéphyrs.

Dans cet humble séjour où la douce espérance
Vous berce en souriant des rêves de l’enfance,
La joie et le bonheur se partagent vos jours.
Ah ! n’enviez jamais les plaisirs de la ville,
Et dans ces lieux de paix où le sort vous exile,
Victoire, demeurez toujours.

Oui, demeurez toujours ! le tourbillon du monde
Ne vaut pas, croyez-moi, la retraite profonde
Que vous embellissez de vos charmes naissants.
Point de plaisirs trompeurs en cet heureux asile ;
Là ! toute joie est pure et tout bonheur tranquille,
Tous soins tendres et caressants.


On dit que ces déserts ont le pouvoir suprême
De calmer les douleurs, et font oublier même
Les parents, les amis, la patrie en un jour.
Hélas ! s’il était vrai, si je pouvais le croire,
Je connais un ami qui dans ces lieux, Victoire,
Irait établir son séjour.

Mais non, c’est une erreur : le calme et le silence
N’ont jamais enfanté la froide indifférence ;
La solitude accroît la sincère amitié,
Sentiment vertueux, noble et toujours fidèle,
Car celle que le temps efface d’un coup d’aile
Doit se nommer tendre pitié.

Le printemps quinze fois a, dans son cours rapide,
Renouvelé ses fleurs sur votre front candide,
Depuis l’instant heureux où vous vîtes le jour.
À cet âge charmant le cœur sommeille encore ;
Rien ne vient l’agiter, il espère, — il ignore
Le feu dévorant de l’amour.


Vous savourez en paix les douceurs de la vie,
Et de ces vains plaisirs qu’en ces lieux [1] on envie
Aucun ne vient troubler votre sérénité.
Ah ! conservez longtemps cette aimable innocence !
Le chagrin vient trop tôt, et souvent la souffrance
Succède à la félicité.

Oui ! folâtrez, courez dans vos vertes prairies,
Enfant, promenez-y vos chères rêveries ;
Bercez-vous sur les flots de la vie et du temps.
L’amour, en vous voyant de roses couronnée,
Sourit et vous prépare un heureux hyménée,
Qu’embellira votre printemps.

Février 1840

  1. Nouvelle-Orléans