Système national d’économie politique/Livre 2/05

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CHAPITRE V.

La nationalité et l’économie de la nation.


Le système de l’école, nous l’avons fait voir dans les précédents chapitres, présente trois défauts essentiels : premièrement un cosmopolitisme chimérique, qui ne comprend pas la nationalité et qui ne se préoccupe pas des intérêts nationaux ; en second lieu, un matérialisme sans vie, qui voit partout la valeur échangeable des choses, sans tenir compte ni des intérêts moraux et politiques, ni du présent et de l’avenir, ni des forces productives de la nation ; troisièmement un particularisme, un individualisme désorganisateur, qui, méconnaissant la nature du travail social et l’opération de l’association des forces dans ses conséquences les plus élevées, ne représente au fond que l’industrie privée telle qu’elle se développerait dans de libres rapports avec la société, c’est-à-dire avec le genre humain tout entier, s’il n’était pas partagé en différentes nations.

Mais, entre l’individu et le genre humain existe la nation, avec son langage particulier et sa littérature, avec son origine et son histoire propres, avec ses mœurs et ses habitudes, ses lois et ses institutions, avec ses prétentions à l’existence, à l’indépendance, au progrès, à la durée, et avec son territoire distinct ; association devenue, par la solidarité des intelligences et des intérêts, un tout existant par lui-même, qui reconnaît chez elle l’autorité de la loi, mais vis-à-vis des autres sociétés semblables possède encore sa liberté naturelle, et par conséquent, dans l’état actuel du monde, ne peut maintenir son indépendance que par ses propres forces et par ses ressources particulières. De même que l’individu acquiert, principalement par la nation et dans le sein de la nation, culture intellectuelle, puissance productive, sûreté et bien-être, la civilisation du genre humain ne peut se concevoir et n’est possible qu’au moyen de la civilisation et du développement des nations.

Il existe d’ailleurs actuellement entre les nations d’énormes différences ; nous trouvons parmi elles des géants et des nains, des corps bien constitués et des avortons, des civilisés, des demi-barbares et des barbares. Mais toutes, aussi bien que les individus, ont reçu de la nature l’instinct de la conservation et le désir du progrès. C’est la mission de la politique de civiliser les nationalités barbares, d’agrandir les petites et de fortifier les faibles, et, avant tout, d’assurer leur existence et leur durée. La mission de l’économie politique est de faire l’éducation économique de la nation et de préparer celle-ci à entrer dans la société universelle de l’avenir.

La nation normale possède une langue et une littérature, un territoire pourvu de nombreuses ressources, étendu, bien arrondi, une population considérable ; l’agriculture, l’industrie manufacturière, le commerce et la navigation y sont harmonieusement développés ; les arts et les sciences, les moyens d’instruction et la culture générale y sont à la hauteur de la production matérielle. La constitution politique, les lois et les institutions y garantissent aux citoyens un haut degré de sûreté et de liberté, y entretiennent le sentiment religieux, la moralité et l’aisance, ont pour but, en un mot, le bien de tous. Elle possède des forces de terre et de mer suffisantes pour défendre son indépendance et pour protéger son commerce extérieur. Elle exerce de l’influence sur le développement des nations moins avancées qu’elle ; et, avec le trop-plein de sa population et de ses capitaux intellectuels et matériels, elle fonde des colonies et enfante des nations nouvelles.

Une population considérable et un territoire vaste et pourvu de ressources variées sont des éléments essentiels d’une nationalité normale, les conditions fondamentales de la culture morale comme du développement matériel et de la puissance politique. Une nation bornée dans sa population et dans son territoire, surtout si elle parle une langue particulière, ne peut offrir qu’une littérature rabougrie, que des établissements nains pour l’encouragement des sciences et des arts. Un petit État ne peut, dans l’enceinte de son territoire, pousser à leur perfection les différentes branches de travail. Toute protection y constitue un monopole privé. Ce n’est que par des alliances avec des nations plus puissantes, par le sacrifice d’une portion des avantages de la nationalité et au moyen d’efforts extraordinaires, qu’il peut maintenir péniblement son existence.

Une nation qui ne possède ni littoral ni navigation marchande ni forces navales ou qui n’a pas cru en sa puissance les embouchures de ses fleuves, dépend des autres peuples pour son commerce extérieur ; elle ne peut ni établir de colonies ni enfanter des nations nouvelles ; le trop-plein de sa population, de ses ressources morales et matérielles, qui se répand sur les pays non encore cultivés, est perdu tout entier pour sa littérature, pour sa civilisation, pour son industrie, et profite à d’autres nationalités.

Une nation dont le territoire n’est pas arrondi par des mers et par des chaînes de montagnes, est exposée aux attaques de l’étranger et ne peut qu’à l’aide de grands sacrifices, et en tous cas, d’une manière très-insuffisante, établir chez elle un système de douane.

Les imperfections territoriales sont corrigées, soit par une succession, comme il est arrivé pour l’Angleterre et l’Écosse, soit par un achat, comme pour la Floride et la Louisiane, soit encore par la conquête, comme pour la Grande-Bretagne et l’Irlande.

Récemment on a recouru à un quatrième moyen, qui mène au but d’une manière plus conforme au droit ainsi qu’au bien des peuples et qui ne dépend pas du hasard comme la succession, savoir l’association des intérêts des États au moyen de traités librement consentis. C’est par son association douanière que la nation allemande a acquis la jouissance d’un des plus importants attributs de la nationalité. Toutefois cette institution ne doit pas être considérée comme parfaite, tant qu’elle ne s’étendra pas à tout le littoral, des embouchures du Rhin aux frontières de la Pologne, y compris la Hollande et le Danemark. Une conséquence naturelle de cette union est l’admission de ces deux pays dans la Confédération germanique, partant, dans la nationalité allemande, qui obtiendra ainsi ce qui lui manque aujourd’hui, savoir des pêcheries et des forces de mer, un commerce maritime et des colonies. Les deux peuples appartiennent d’ailleurs par leur origine et par toute leur existence à la nationalité allemande. La dette dont le fardeau les accable n’est qu’une suite d’efforts excessifs pour maintenir leur indépendance, et il est dans la nature des choses que le mal atteigne un point où il devienne insupportable, et où l’incorporation dans une plus grande nationalité leur semble à eux-mêmes désirable et nécessaire.

La Belgique a besoin de s’associer avec une voisine plus puissante, pour remédier aux inconvénients de l’exiguïté de son territoire et de sa population. L’Union américaine et le Canada, à mesure qu’ils se peupleront et que le système protecteur américain se développera, se sentiront plus attirés l’un vers l’autre, et l’Angleterre sera plus impuissante à empêcher entre eux une confédération.

Sous le rapport économique, les nations ont à parcourir les phases de développement que voici : état sauvage, état pastoral, état purement agricole, état à la fois agricole, manufacturier et commerçant[1]

L’histoire de l’industrie montre, et nulle part plus clairement qu’en Angleterre, que le passage de l’état sauvage à l’élève du bétail, celui de l’élève du bétail à l’agriculture et celui de l’agriculture aux premiers essais dans les manufactures et dans la navigation, s’opère de la manière la plus rapide et la plus avantageuse par le libre commerce avec les cités et avec les États plus avancés ; mais une industrie manufacturière perfectionnée, une marine marchande considérable et un vaste commerce extérieur ne peuvent s’acquérir que par l’intervention du gouvernement.

Moins l’agriculture a fait de progrès, plus le commerce extérieur offre occasion d’échanger l’excédant des produits agricoles et des matières brutes du pays contre les articles fabriqués de l’étranger ; plus en même temps la nation est plongée dans la barbarie et a besoin du régime de la monarchie absolue, et plus le libre commerce, c’est-à-dire l’exportation des produits agricoles et l’importation des produits manufacturés, concourt à sa prospérité et sa civilisation.

Au contraire, plus l’agriculture est développée chez un peuple ainsi que les arts utiles et l’état social et politique en général, moins il peut tirer d’avantages de l’échange de ses produits agricoles et de ses matières brutes contre des produits manufacturés exotiques, plus la concurrence de nations manufacturières plus avancées lui cause de mal.

C’est seulement chez des peuples semblables, c’est-à-dire chez ceux qui possèdent toutes les qualités, toutes les ressources morales et matérielles requises pour établir chez eux une industrie manufacturière et pour parvenir ainsi au plus haut degré de civilisation, de prospérité, de puissance politique, mais que la concurrence d’une industrie étrangère déjà fort avancée arrêterait dans leurs progrès, c’est chez eux seulement que les restrictions commerciales en vue de créer et de soutenir une industrie manufacturière peuvent être légitimes ; elles ne le sont que jusqu’à ce que cette industrie devienne assez forte pour ne plus craindre la concurrence étrangère ; elles ne le sont dans cet intervalle que dans la mesure nécessaire pour protéger cette industrie dans ses fondements.

Le système protecteur serait contraire non-seulement aux maximes de l’économie cosmopolite, mais encore à l’intérêt bien entendu de la nation, s’il excluait complètement et tout d’un coup la concurrence étrangère, s’il isolait la nation du reste du monde. Lorsque l’industrie manufacturière est encore dans la première phase de son développement, les droits protecteurs doivent être très-modérés ; ils doivent s’élever peu à peu, à mesure que s’accroissent dans le pays les capitaux intellectuels et matériels, l’habileté technique et l’esprit d’entreprise. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que toutes les branches d’industrie soient également protégées. Les plus importantes, celles dont l’exploitation exige un grand capital fixe et circulant, beaucoup de machines, partant beaucoup de connaissances techniques, de dextérité et d’expérience, et un grand nombre de bras, dont les produits se rangent parmi les premières nécessités de la vie, et présentent, par conséquent, une importance considérable sous le rapport de leur valeur totale de même qu’au point de vue de l’indépendance du pays, telles que la fabrication de la laine, du coton ou du lin, celles-là seules ont droit à une protection spéciale[2]. Lorsqu’elles sont convenablement appréciées et développées, toutes les autres branches de moindre importance grandissent autour d’elles, même avec une protection moindre. Là où le salaire est élevé et la population peu considérable relativement à l’étendue du territoire, par exemple aux États-Unis, l’intérêt de la nation lui commande de protéger moins les industries qui emploient peu de machines que celles où les machines exécutent la plus grande partie de la besogne, pourvu que les peuples qui lui apportent les produits des premières industries accordent à ses produits agricoles un libre accès.

L’école méconnaît complètement la nature des rapports économiques entre les peuples, quand elle croit que l’échange des produits agricoles contre des produits manufacturés est tout aussi utile à la civilisation, à la prospérité et en général aux progrès sociaux de pareilles nations que l’établissement dans leur propre sein d’une industrie manufacturière. Une nation purement agricole ne développera pas à un haut degré son commerce intérieur et extérieur, ses voies de communication, sa navigation marchande ; elle n’accroîtra pas sa population en même temps que sa prospérité ; elle n’accomplira pas de progrès sensibles dans sa culture morale, intellectuelle, sociale et politique ; elle n’acquerra pas une grande puissance politique ; elle ne sera pas capable d’influer sur la civilisation et sur les progrès des peuples moins avancés ni de fonder des colonies. Le pays purement agriculteur est infiniment au-dessous du pays à la fois agriculteur et manufacturier. Le premier, économiquement et politiquement, dépend toujours plus ou moins des nations étrangères qui lui prennent ses produits agricoles en retour de leurs articles fabriqués. Il ne peut pas déterminer lui-même l’étendue de sa production ; il faut qu’il attende les achats de l’étranger. Les acheteurs, qui sont des peuples à la fois agriculteurs et manufacturiers, produisent eux-mêmes des quantités immenses de matières brutes et de denrées alimentaires, et ne demandent aux peuples agriculteurs que de quoi combler leur déficit. Ceux-ci dépendent donc, pour leur vente, de l’éventualité d’une récolte plus ou moins abondante chez les peuples agriculteurs et manufacturiers ; ils ont de plus pour rivaux d’autres peuples agriculteurs, de sorte qu’un débouché déjà très incertain devient plus incertain encore. Enfin ils sont exposés à voir leurs relations avec les nations manufacturières interrompues par la guerre ou par des mesures commerciales, et ils éprouvent alors le double inconvénient de ne point trouver d’acheteurs pour le trop-plein de leur production agricole et d’être privés des articles fabriqués dont ils ont besoin. Un peuple purement agriculteur, nous l’avons déjà dit, est un individu qui n’a qu’un bras et qui se sert d’un bras étranger, dont le secours, toutefois, ne lui est pas toujours assuré ; un peuple à la fois agriculteur et manufacturier est un individu disposant de deux bras, qui lui appartiennent.

Une erreur fondamentale de l’école est de représenter le système protecteur comme une conception bâtarde de politiques spéculatifs. L’histoire est là pour attester que les mesures de protection ont eu pour causes, soit l’effort naturel des nations vers la prospérité, l’indépendance et la puissance, soit la guerre et les mesures hostiles de peuples manufacturiers et prépondérants.

L’idée d’indépendance et de puissance naît avec celle de nation. L’école n’en a tenu compte, parce qu’elle a pris pour objet de ses recherches, non point l’économie des différentes nations, mais l’économie de la société en général, c’est-à-dire du genre humain tout entier. Si l’on imagine toutes les nations réunies dans une confédération universelle, il n’y a plus à s’occuper de l’indépendance et de la puissance de chacune d’elles. La garantie de leur indépendance réside dans la constitution légale de la société universelle, de même, par exemple, que la garantie de l’indépendance des États de Rhode-Island et de Delaware réside dans celle de l’Union américaine. Depuis que celle union existe, ces petits États ne se sont jamais avisés de songer à l’accroissement de leur puissance politique, ni de se croire moins indépendants que les grands États avec lesquels ils sont unis.

Quelque conforme à la raison que soit l’association universelle, il serait insensé de la part d’une nation de régler sa politique dans l’attente de cette association et de la paix perpétuelle, comme si c’étaient déjà des faits accomplis. Nous le demandons, un homme de sens ne taxerait-il pas d’extravagance un gouvernement qui, confiant dans les avantages de la paix perpétuelle, licencierait ses armées, démolirait ses bâtiments de guerre et raserait ses forteresses ? Un pareil gouvernement ne ferait pas autre chose que ce que l’école réclame des peuples, en les invitant, sur la foi des avantages du libre commerce, à renoncer à ceux de la protection.

La guerre exerce une action destructive sur les rapports commerciaux de peuple à peuple. Par elle l’agriculteur qui habite un pays est violemment séparé du manufacturier qui réside dans un autre pays. Tandis que le manufacturier, surtout s’il appartient à un peuple navigateur et commerçant sur une grande échelle, trouve encore aisément à s’approvisionner chez les agriculteurs de son propre pays ou dans d’autres contrées agricoles qui lui sont ouvertes, l’habitant du pays agricole souffre doublement de cette perturbation dans les rapports. Il manque alors de tout débouché pour ses produits, partant de tout moyen de solder les articles manufacturés dont le commerce lui a fait un besoin ; il se voit restreint à la fois dans sa production et dans sa consommation.

Lorsqu’une nation agricole, ainsi restreinte par la guerre dans sa production et dans sa consommation, a déjà une population, une civilisation et une agriculture suffisamment développées, l’interruption du commerce causée par la guerre fait naître chez elle des manufactures et des fabriques. La guerre opère sur elle comme un système de prohibition. Elle comprend ainsi l’immense avantage que procure la possession d’une industrie manufacturière, et elle reconnaît par le fait qu’à cette interruption du commerce elle a plus gagné que perdu. Elle se pénètre de l’idée qu’elle est appelée à passer de la situation de nation purement agricole à celle de nation agricole et manufacturière, et d’atteindre ainsi le plus haut degré de prospérité, de civilisation et de puissance. Mais, après que ce peuple a déjà fait de grands pas dans la carrière des manufactures que la guerre lui a ouverte, si la paix se rétablit et que les deux nations veuillent renouer leurs anciennes relations, alors toutes les deux s’aperçoivent que la guerre a donné naissance à de nouveaux intérêts que la reprise des échanges antérieurs ruinerait totalement. Le peuple agriculteur reconnaît que, pour rouvrir le débouché extérieur à ses produits agricoles, il aurait à sacrifier l’industrie manufacturière qui s’est élevée chez lui dans l’intervalle ; la nation manufacturière comprend qu’une partie de la production agricole qui s’est développée chez elle durant la guerre serait anéantie par une libre importation. Toutes les deux essaient donc de protéger ces intérêts au moyen des droits d’entrée. Telle est l’histoire de la politique commerciale pendant les cinquante dernières années.

La guerre a fait surgir les systèmes protecteurs modernes, et nous n’hésitons pas à soutenir qu’il était dans l’intérêt des puissances manufacturières de second et de troisième ordre de les maintenir et de les compléter, quand bien même, après le retour de la paix, l’Angleterre n’eût pas commis l’énorme faute de restreindre l’importation des denrées alimentaires et des matières brutes, par conséquent, de laisser subsister jusque pendant la paix les motifs de la protection. De même qu’une nation primitive et dont l’agriculture est à l’état barbare ne peut avancer que par le commerce avec des peuples manufacturiers et policés, celle qui a atteint un certain degré de culture ne peut parvenir qu’à l’aide de l’industrie manufacturière au plus haut point de prospérité, de civilisation et de puissance. Une guerre qui facilite le passage du régime agricole au régime agricole et manufacturier est donc une bénédiction pour un pays. C’est ainsi que la guerre de l’indépendance de l’Amérique du Nord, malgré les énormes sacrifices qu’elle a coûtés, y a été pour toutes les générations futures un véritable bienfait. Au contraire, une paix qui rejette dans l’agriculture pure et simple un peuple appelé à exercer l’industrie manufacturière, est pour lui une malédiction, et lui est incomparablement plus nuisible que la guerre.

Heureusement pour les puissances manufacturières de second et de troisième rang, l’Angleterre, après le rétablissement de la paix générale, a d’elle-même arrêté sa marche vers le monopole manufacturier du globe, en limitant l’importation des denrées alimentaires et des matières brutes. Au surplus, si les agriculteurs anglais, qui, durant la guerre, avaient eu la possession exclusive du marché intérieur, eussent été gravement affectés, au commencement, par la concurrence étrangère, plus tard, ainsi que nous l’expliquerons avec détail dans un autre endroit, ils auraient été largement dédommagés de leurs pertes par le monopole manufacturier que leur pays aurait obtenu.

Il ne serait que plus insensé de la part des nations manufacturières de second et de troisième ordre, chez lesquelles l’industrie a été appelée à la vie par vingt-cinq années de guerre et a été tellement consolidée ensuite par vingt-cinq années d’interdiction du marché anglais à leurs produits agricoles, qu’il ne lui faut plus peut-être que dix ou quinze ans d’une protection énergique pour soutenir la libre concurrence de l’industrie anglaise ; il ne serait que plus insensé, disons-nous, après les sacrifices d’un demi-siècle, de renoncer aux immenses avantages attachés à l’industrie manufacturière, et, du haut degré de culture, de prospérité et d’indépendance qui caractérise les pays à la fois agriculteurs et manufacturiers, de descendre au rang inférieur de peuples agriculteurs dépendants, par cela seul qu’il plaît aujourd’hui à l’Angleterre de reconnaître sa faute et de pressentir l’élévation prochaine des nations du continent qui rivalisent avec elle.

Supposez même que l’intérêt manufacturier en Angleterre acquière assez d’influence pour obliger à des concessions, en ce qui touche l’importation des produits agricoles, la chambre haute entièrement composée de grands propriétaires fonciers, et la chambre des communes où les gentilshommes de la campagne (country squires) sont en majorité, qui nous garantit qu’au bout de quelques années un nouveau ministère tory, dans d’autres circonstances, ne fera pas passer un nouveau bill des céréales[3] ? Qui nous répondra qu’une nouvelle guerre maritime, un nouveau système continental ne séparera pas les agriculteurs du continent des manufacturiers insulaires, et n’obligera pas les nations de l’Europe de se remettre aux manufactures et d’employer de nouveau le meilleur de leurs forces à surmonter les premières difficultés, pour tout sacrifier ensuite à la paix ?

Ainsi l’école condamnerait les peuples du continent à rouler perpétuellement le rocher de Sisyphe, à élever toujours des fabriques pendant la guerre pour les laisser tomber toujours au retour de la paix.

L’école n’a pu aboutir à de si absurdes résultats que parce que, en dépit du nom qu’elle a donné à sa science, elle en a complètement exclu la politique[4], en méconnaissant absolument la nationalité, en ne tenant aucun compte des effets de la guerre sur le commerce entre des nations différentes.

Tout autres sont les rapports entre l’agriculteur et le manufacturier, lorsque tous deux habitent un seul et même pays, et sont unis ainsi l’un à l’autre par la paix perpétuelle. Toute extension, tout perfectionnement d’une fabrique déjà existante augmente la demande des produits agricoles. Cette demande n’est point incertaine, elle ne dépend point des lois ni des fluctuations commerciales de l’étranger, des agitations politiques ni des guerres, des inventions ni des progrès, ni enfin des récoltes de l’étranger ; le cultivateur du pays ne la partage point avec ceux du dehors, il en est sûr tous les ans. Quel que suit l’état de la récolte dans les autres pays, quelques troubles qui puissent s’élever dans le monde politique, il peut compter sur l’écoulement de ses produits et sur son approvisionnement en articles fabriqués à des prix raisonnables et constants. D’un autre côté, chaque amélioration dans l’agriculture du pays, chaque culture nouvelle est un nouveau stimulant pour les fabriques du pays ; car tout accroissement de la production agricole y a pour conséquence une augmentation correspondante de la production manufacturière. Par cette action réciproque de ces deux grandes industries, le progrès de la nation est assuré pour toujours.

La puissance politique ne garantit pas seulement à la nation l’accroissement de sa prospérité par le moyen du commerce extérieur et des colonies, elle lui assure de plus la possession de cette prospérité et de son existence nationale, lui importe infiniment plus que la richesse matérielle. Par son acte de navigation, l’Angleterre a acquis la puissance politique, et, par la puissance politique, elle a été mise à même d’étendre sa suprématie manufacturière sur tous les peuples. Mais la Pologne a été rayée de la liste des nations, faute de posséder une bourgeoisie vigoureuse que l’industrie manufacturière seule eût pu appeler à l’existence.

L’école ne peut nier que le commerce intérieur d’un peuple est dix fois plus considérable que son commerce avec l’étranger, même lorsque ce dernier est à son plus haut point de splendeur ; mais elle a omis d’en tirer la conséquence, si simple cependant, qu’il est dix fois plus utile d’exploiter et de conserver son marché intérieur que de chercher la richesse au dehors, et que le commerce extérieur ne peut être important que là où l’industrie nationale est parvenue à un haut degré de développement.

L’école n’a envisagé le marché que du point de vue cosmopolite et nullement du point de vue politique. La plus grande partie des côtes du continent européen se trouvent dans le rayon naturel d’approvisionnement des fabricants de Londres, de Liverpool ou de Manchester ; les fabricants des autres pays ne sauraient pour la plupart lutter contre eux dans leurs propres cités maritimes. Des capitaux plus considérables, un marché intérieur plus étendu et entièrement à eux, qui leur permet de fabriquer sur une plus grande échelle et, par conséquent, à meilleur marché, des procédés plus avancés, enfin le bas prix du transport par mer, assurent aujourd’hui aux manufacturiers anglais vis-à-vis de ceux du pays des avantages qu’une longue et persévérante protection et le perfectionnement des voies de communication peuvent seuls procurer à ces derniers. Or, le marché du littoral est d’une haute importance pour une nation tant au point de vue des débouchés du dedans que de ceux du dehors ; et une nation dont le littoral appartient au commerce étranger plus qu’au sien propre est à la fois économiquement et politiquement divisée. Que dis-je ? il ne peut pas y avoir pour une nation de situation plus fâcheuse, sous l’un et sous l’autre rapport, que de voir ses places maritimes sympathiser plus vivement avec l’étranger qu’avec elle-même.

La science ne doit pas mettre en question la nationalité, elle ne doit pas l’ignorer ni la défigurer dans un but cosmopolite. On ne peut atteindre un pareil but qu’en se conformant à la nature et en essayant d’élever les différents peuples d’après ses lois. Voyez le peu de succès que les leçons de l’école ont obtenu jusqu’ici dans la pratique. C’est moins la faute des praticiens, qui ont assez exactement compris les intérêts nationaux, que celle de théories contraires à l’expérience, devant lesquelles la pratique a dû se troubler. Ces théories ont-elles empêché des peuples aussi peu avancés que ceux de l’Amérique du Sud d’adopter le système protecteur ? Ont-elles empêché d’étendre la protection à la production des denrées alimentaires et des matières brutes, production qui n’a pas besoin d’être protégée et sur laquelle toute restriction ne peut que nuire à la fois au peuple qui l’a établie et à celui contre lequel elle l’a été ? Ont-elles empêché de comprendre les articles fabriqués les plus délicats, les objets de luxe, parmi ceux qui doivent être protégés, bien qu’évidemment ils puissent être abandonnés à la concurrence sans le moindre danger pour la prospérité du pays ? Non ! la théorie n’a jusqu’à présent opéré aucune réforme capitale[5], et elle n’en opérera aucune tant qu’elle restera en contradiction avec la nature des choses. Qu’elle s’appuie sur cette même nature des choses, et elle en accomplira de considérables.

Tout d’abord elle rendra un grand service à toutes les nations, si elle prouve que les entraves au commerce des produits naturels et des matières brutes causent le plus grand dommage à la nation même qui les établit, et que le système protecteur n’est légitime qu’autant qu’il a pour but l’éducation industrielle du pays. En appuyant sur de sages principes le système protecteur appliqué aux manufactures, elle décidera les États chez lesquels le système prohibitif subsiste encore, la France par exemple, à y renoncer peu à peu. Les manufacturiers ne s’opposeront point à ce changement, du moment qu’ils auront acquis la certitude que les théoriciens, loin de poursuivre leur ruine, admettent le maintien et le développement des manufactures existantes comme bases d’une saine politique commerciale.

Si la théorie enseigne aux Allemands qu’ils ne peuvent utilement encourager leur industrie manufacturière que par une élévation graduelle, puis ensuite par une diminution, graduelle pareillement, de leurs droits protecteurs, et que la concurrence étrangère dans une certaine mesure ne peut qu’aider au progrès de leurs fabriques, elle rendra en définitive à la liberté du commerce un plus grand service qu’en concourant à la ruine de l’industrie allemande.

La théorie ne doit pas exiger des États-Unis qu’ils abandonnent à la libre concurrence de l’étranger les branches de fabrication dans lesquelles ils sont secondés par le bas prix des matières brutes et des denrées alimentaires ainsi que par la puissance des machines ; mais elle ne trouvera pas de contradiction, si elle soutient que les États-Unis, tant que le salaire y sera infiniment plus élevé que dans les pays d’ancienne culture, travailleront efficacement au développement de leurs forces productives, de leur civilisation et de leur puissance politique, en accordant l’accès le plus facile aux articles fabriqués dans le prix desquels la main-d’œuvre constitue l’élément principal, sous la condition que les autres pays admettront leurs produits agricoles et leurs matières brutes.

La théorie de la liberté du commerce trouvera alors bon accueil en Espagne, en Portugal et à Naples, en Turquie, en Égypte, dans toutes les contrées plus ou moins barbares et sous tous les climats chauds. On ne concevra plus dans ces pays, au degré de civilisation ou ils sont actuellement, l’idée extravagante de créer une industrie manufacturière au moyen du système protecteur.

L’Angleterre, alors, cessera de croire qu’elle est appelée au monopole manufacturier du globe. Elle ne demandera plus que la France, l’Allemagne et les États-Unis sacrifient leurs manufactures à l’avantage de voir admettre chez elle leurs produits agricoles et leurs matières brutes. Elle reconnaîtra la légitimité du système protecteur dans ces contrées, tout en étendant chez elle de plus en plus la liberté du commerce, instruite qu’elle sera par la théorie qu’une nation parvenue à la suprématie manufacturière ne peut préserver ses fabricants et ses négociants du recul et de l’indolence que par la libre importation des denrées alimentaires et des matières brutes et par la concurrence des articles étrangers.

L’Angleterre suivra une marche entièrement opposée à celle qu’elle a suivie jusqu’à présent ; au lieu de solliciter les autres peuples à adopter la liberté du commerce tout en conservant chez elle le système prohibitif le plus rigoureux, elle leur ouvrira son propre marché sans se préoccuper de leurs systèmes protecteurs. Elle ajournera son espoir de l’avènement de la liberté du commerce jusqu’au moment où d’autres peuples n’auront plus à redouter de la libre concurrence la destruction de leurs fabriques.

En attendant que ce jour arrive, l’Angleterre s’indemnisera de la diminution que les systèmes protecteurs étrangers feront subir à ses exportations d’objets manufacturés de consommation générale, par des envois plus considérables d’articles plus fins et par l’ouverture de nouveaux débouchés.

Elle pacifiera l’Espagne, l’Orient, les États de l’Amérique centrale et méridionale, elle emploiera son influence dans tous les pays barbares ou à demi barbares de cette partie du monde, ainsi que de l’Asie et de l’Afrique, pour qu’ils aient des gouvernements éclairés et forts, pour que la sûreté des biens et des personnes y règne, pour que des routes et des canaux y soient construits, l’instruction et les lumières, la moralité et l’industrie encouragées, le fanatisme, la superstition et la paresse anéanties. Si en même temps elle lève ses restrictions d’entrée sur des denrées alimentaires et sur les produits bruts, ses exportations d’objets manufacturés s’accroîtront dans une énorme proportion et beaucoup plus sûrement que si elle continuait à spéculer sur la ruine des fabriques continentales.

Mais, pour que ces efforts civilisateurs de l’Angleterre chez les peuples barbares entièrement ou à demi puissent réussir, elle ne doit pas se montrer exclusive ; elle ne doit pas, au moyen de privilèges commerciaux tels que ceux qu’elle a obtenus au Brésil[6], essayer d’accaparer ces marchés et d’en exclure les autres nations.

Une pareille conduite excitera toujours la jalousie des autres peuples et les portera à contrarier les efforts de l’Angleterre. C’est évidemment cette politique égoïste qui explique comment l’influence des puissances civilisées sur la civilisation de ces pays a été si faible jusqu’à ce jour. L’Angleterre devrait donc introduire dans le droit des gens le principe de l’égalité de traitement pour le commerce de toutes les nations manufacturières dans tous ces pays ; non-seulement elle s’assurerait ainsi le concours de toutes les puissances éclairées dans ses efforts civilisateurs, mais encore, sans nuire à son commerce, elle permettrait à d’autres peuples manufacturiers des entreprises analogues. Sa supériorité dans toutes les branches lui garantirait partout la meilleure part dans l’approvisionnement de ces marchés.

Les intrigues continuelles des Anglais contre les manufactures des autres nations se justifieraient encore, si le monopole du globe était indispensable à la prospérité de l’Angleterre, s’il n’était pas démontré jusqu’à l’évidence que les peuples qui prétendent, à côté de l’Angleterre, à une grande puissance manufacturière, peuvent très-bien parvenir à leur but sans qu’il en résulte d’abaissement pour elle ; que l’Angleterre ne deviendrait pas plus pauvre, parce que d’autres nations seraient devenues plus riches, et que la nature offre assez de ressources pour que, sans porter atteinte à sa prospérité, il se développe en Allemagne, en France et dans l’Amérique du Nord une industrie égale à la sienne.

A cet égard on doit remarquer d’abord qu’une nation qui conquiert son marché intérieur et ses manufactures gagne à la longue dans sa production et dans sa consommation d’objets fabriqués infiniment plus que celui qui l’a jusque-là approvisionnée ne perd par l’exclusion prononcée contre elle ; car, en fabriquant elle-même, en complétant son développement économique, elle devient incomparablement plus riche et plus populeuse, par conséquent plus capable de consommer des articles fabriqués que si elle était restée dans la dépendance de l’étranger à l’égard de ces articles.

En ce qui touche, du reste, l’exportation des objets manufacturés, les pays de la zone tempérée, que la nature a particulièrement destinés à la fabrication, doivent trouver leur débouché principal dans les pays de la zone torride, qui leur fournissent des denrées coloniales en échange. Mais la consommation en objets manufacturés des pays de la zone torride se règle d’une part sur la faculté qu’ils possèdent de produire un excédant d’articles particuliers à leur climat, de l’autre sur l’activité de la demande que leur font les pays de la zone tempérée.

Si l’on établit qu’avec le temps les pays de la zone torride pourront produire de cinq à dix fois plus de sucre, de riz, de café, de coton, etc. qu’ils n’en ont produit jusqu’à présent, on aura prouvé en même temps que les pays de la zone tempérée pourront quintupler ou décupler le montant actuel de leurs envois d’objets manufacturés dans les pays de la zone torride.

La possibilité pour les nations du continent d’augmenter dans cette proportion leur consommation de denrées coloniales est démontrée par l’accroissement de la consommation de l’Angleterre pendant les cinquante dernières années ; encore ne doit-on pas perdre de vue que cet accroissement aurait été, selon toute apparence, infiniment plus considérable sans l’énormité des droits.

Quant à la possibilité d’augmenter la production de la zone torride, la Hollande à Sumatra et à Java, et l’Angleterre dans les Indes orientales, nous en ont fourni dans cinq années écoulées d’irrécusables preuves. De 1835 à 1839 l’Angleterre a quadruplé son importation en sucre des Indes orientales ; son importation en café s’est accrue dans une proportion beaucoup plus forte ; et les apports de coton de la même contrée ont aussi notablement augmenté. Les journaux anglais de la date la plus récente (février 1840) annoncent avec allégresse que la puissance productive des Indes orientales pour ces articles est sans bornes, et que le temps n’est pas éloigné où l’Angleterre se sera rendue indépendante à leur égard de l’Amérique et des Indes occidentales. La Hollande, de son côté, est embarrassée de l’écoulement de ses produits coloniaux, et elle leur cherche sans relâche de nouveaux marchés. Qu’on réfléchisse en outre que l’Amérique du Nord continue d’accroître sa production cotonnière, qu’un État se constitue dans le Texas, qui conquerra indubitablement tout le Mexique[7] et fera de cette contrée fertile ce que sont actuellement les États méridionaux de l’Union américaine ; qu’on songe que l’ordre et les lois, le travail et l’intelligence s’étendront peu à peu sur l’Amérique du Sud de Panama au cap Horn, puis sur toute l’étendue de l’Afrique et de l’Asie, et augmenteront partout la production et l’excédant des produits, et l’on comprendra sans peine qu’il y a là, pour l’écoulement des objets manufacturés, un champ ouvert à plus d’une nation. Si l’on calcule la superficie des terrains employés actuellement à la production des denrées coloniales et qu’on la compare à celle que la nature y a rendue propre, on trouve qu’on a utilisé à peine le quinzième de cette dernière.

Comment l’Angleterre pourrait-elle s’attribuer l’approvisionnement exclusif en produits manufacturés de tous les pays producteurs de denrées coloniales, lorsque les envois des Indes orientales pourraient seuls suffire à ses besoins en produits de la zone torride ? Comment l’Angleterre peut-elle espérer pour ses manufactures un débouché dans des pays dont elle ne peut prendre les denrées en retour de ses articles ? Et comment une vaste demande de denrées coloniales pourrait-elle naître sur le continent européen, si le continent, par sa production manufacturière, n’est pas mis en état de solder et de consommer ces denrées ?

Il est donc évident que la compression des fabriques du continent peut bien arrêter le continent dans son essor, mais non augmenter la prospérité de l’Angleterre.

Il est évident encore qu’aujourd’hui et pour un long avenir les pays de la zone torride offrent de suffisants éléments d’échange à tous les peuples qui ont une vocation manufacturière.

Il est évident, enfin, qu’un monopole manufacturier, tel que celui qui résulterait aujourd’hui de la libre admission des produits fabriqués anglais sur le continent de l’Europe et sur celui de l’Amérique du Nord, n’est, à aucun égard, plus avantageux au genre humain que le système protecteur qui tend au développement de l’industrie manufacturière dans toute la zone tempérée au profit de l’agriculture de la zone torride tout entière.

L’avance que l’Angleterre a prise dans les manufactures, dans la navigation et dans le commerce, ne doit donc détourner aucun des peuples appelés à l’industrie manufacturière par leur territoire, par leur puissance et par leur intelligence, d’entrer en lice avec la nation qui tient le sceptre des manufactures. Les manufactures, le commerce et la navigation marchande ont un avenir qui dépassera le présent autant que le présent dépasse le passé. Il suffit d’avoir le courage de croire à un grand avenir national et de se mettre en marche avec cette foi. Mais, avant tout, il faut avoir assez d’esprit national pour planter et pour étayer aujourd’hui l’arbre qui offrira ses fruits les plus abondants aux générations futures. Il faut d’abord conquérir au pays lui-même le marché du pays, au moins quant aux objets de consommation générale, et s’attacher à tirer directement de la zone torride les produits de cette zone en échange de nos produits manufacturés. Tel est en particulier le problème que l’Association allemande doit résoudre, si l’Allemagne ne veut pas rester trop en arrière de la France, de l’Amérique du Nord, ou même de la Russie.

  1. Cette distinction des quatre degrés dans le développement économique des nations de la zone tempérée a eu un grand succès, qu’elle méritait à beaucoup d’égards. Elle a été cependant attaquée par quelques-uns, qui y cherchaient une rigoureuse précision scientifique, à laquelle, dans ses grandes lignes, elle ne prétendait pas. Elle n’implique nullement que le développement de toutes les nations soit le même, qu’elles aient été toutes destinées à parcourir les mêmes phases et à les parcourir dans le même ordre. Le quatrième degré, en particulier, comporte bien des inégalités et bien des diversités. (H. R.)
  2. Est-ce à dire, comme on l’a prétendu avec une étrange irréflexion, que List s’intéresse de préférence aux gros manufacturiers ? Non ; mais les mesures restrictives ne sont légitimées à ses yeux que par un grand intérêt national. (H. R.)
  3. On sait que l’intérêt manufacturier, avec Cobden pour athlète, a obtenu en effet ces concessions en 1846 ; on sait de plus que le ministère tory de 1852, loin de les retirer, a été amené à les confirmer solennellement. Qu’il nous soit permis de renvoyer ici, pour le tableau détaillé de ces événements, à notre Histoire de la réforme commerciale en Angleterre. (H. R.)
  4. La science pourrait tout aussi bien s’appeler l’économie publique ou sociale que l’économie politique, nom que l’usage a consacré et qui ne signifie pas autre chose que l’économie de la cité, de la nation par opposition à l’économie particulière ; mais, quelle que soit sa dénomination, il ne lui est pas permis de faire abstraction des données générales de la politique.(H. R.)
  5. C’est bien cependant au nom de la théorie combattue ou du moins limitée par List, que s’est accomplie la réforme anglaise, réforme capitale assurément ; mais si Adam Smith a fourni des arguments pour l’abolition du système protecteur au delà du détroit, l’honneur de sa chute revient surtout à ces inventions des Watt, des Arkwright et de tant d’autres qui ont porté si haut la puissance productive de la Grande-Bretagne ; de sorte que la réforme anglaise est une éclatante confirmation de la doctrine de List, qui l’avait prévue et annoncée. (H. R.)
  6. Ces privilèges lui ont été retirés peu d’années après la publication du Système national. (H. R.)
  7. Ce sont, on le sait, les États-Unis, qui, après s’être incorporé le Texas, ont conquis une portion du Mexique, notamment cette Californie où l’exploitation des mines d’or est appelée à hâter la communication des deux Océans à travers l’isthme, et par suite la civilisation de la côte occidentale du continent américain. (H. R.)