Système des Beaux-Arts/Livre premier/10

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Gallimard (p. 46-48).

CHAPITRE X

TABLEAU DES BEAUX-ARTS

Énumérons maintenant les arts, grands et petits. Les premiers sont naturellement ceux qui disposent le corps humain selon l’aisance et la puissance, et d’abord pour lui-même. Ce qui caractérise ces arts, c’est que le spectateur n’en peut juger, sinon par une imitation qui le dispose de même, ou bien d’après une tradition qu’il a lui-même éprouvée. Telle est la danse et toutes ses variétés, qui sont la politesse, l’acrobatie, l’escrime, l’équitation, et en général tous les arts qui délivrent de la timidité, de la peur, du vertige et de la honte. Ces arts peuvent être appelés arts du geste, ou encore arts mimiques, parce que l’imitation en est le moyen principal et aussi parce que leur effet, qui dominera ensuite sur tous les arts sans exception, est de déterminer toute l’expression des émotions contre l’effet de la surprise et des passions, toujours ambigu. À ces arts, et principalement à la politesse, se rattache l’art du costume, et les arts subordonnés du tailleur d’habits, du bijoutier et du coiffeur. Et il est à propos, afin d’éclairer tous ces arts ensemble, de faire remarquer qu’ils ne sont qu’accessoirement pour le plaisir du spectateur, mais qu’ils ont essentiellement pour fin le plaisir de l’acteur même, lequel, par l’accord du mécanisme instinctif et de la volonté, sans contrainte de l’un sur l’autre, se trouve être le modèle achevé de tous les sentiments esthétiques. À ces arts nous pouvons rattacher aussi l’art des armements et l’art héraldique qui comprend tous les emblèmes, et maintient jusque dans les évolutions les plus animées la hiérarchie et la politesse.

Les arts d’incantation, ou arts vocaux, viennent ensuite, qui ont pour fin de régler et composer le cri naturel. Les principaux sont la poésie, l’éloquence, et la musique. Quoique ces arts supposent toujours un art de la danse, c’est-à-dire une aisance et un plaisir propres au récitant ou au chanteur, leur caractère propre est qu’ils plaisent déjà comme objet, et que leurs œuvres peuvent être fixées et reproduites, mais sous cette restriction qu’elles n’existent que dans le temps et par une action ininterrompue.

Comme la danse et tout le cérémonial dépendent des ornements et insignes, ainsi la musique dépend des instruments, et c’est par quoi le progrès de ces arts s’appuie sur l’ordre extérieur. L’architecture règle encore mieux tous ces arts, en dessinant d’avance le cortège, les chants et la déclamation. Et dans l’art architectural il faut placer l’art du jardinier, qui est en même temps une peinture naïve, et qui prépare des promenades, des retours, des conversations, ou bien des fêtes et commémorations, enfin tout le cortège des sentiments appris. L’art théâtral rassemble dans l’édifice tous ces arts en mouvement, mais les domine bientôt tous par sa force propre, ou comique ou tragique, ce qui revient à séparer l’acteur du spectateur, et à créer une esthétique des formes, ou beauté des apparences. Tel est le passage des arts dansants aux arts plastiques.

Pour les arts plastiques eux-mêmes, il faut dire que la sculpture et la peinture sont naturellement attachées à l’édifice et même ne s’en séparent point sans péril. De cette liberté des formes immobiles, le dessin témoigne par une audace presque sans matière et par le mouvement retrouvé. C’est le moment aussi où où la pensée reprend tous les arts antérieurs sous ses signes abstraits, ce qui annonce l’art de la prose. Tel est l’immense domaine qu’il faut maintenant parcourir.