Tallemant des Réaux, sa vie et ses mémoires

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TALLEMANT
DES RÉAUX.

SA VIE ET SES MÉMOIRES.[1]

La publication de Mémoires inédits relatifs à l’histoire d’une époque déjà reculée est un petit événement littéraire qui éveille la défiance. Ces nouveautés sont rarement bien accueillies. En effet, que n’a-t-on pas vu paraître en ce genre ? à quel personnage n’a-t-on pas cherché à imposer des Mémoires ? Mme de La Vallière, cette femme si modeste dans ses faiblesses, qui consacra sous le voile la plus grande partie de sa vie à en faire oublier le commencement, n’a-t-elle pas été présentée comme ayant elle-même tracé dans des Mémoires le récit de ses fautes ? N’a-t-on pas également prêté un langage à sa rivale, Mme de Montespan, dont à peine quelques lettres spirituelles ont été conservées ? On n’a jamais abusé davantage de l’art du pastiche[2] ; tous les styles sont imités, toutes les singularités sont contrefaites, et ce qui ne devait être qu’un jeu de l’esprit, est trop souvent pratiqué dans l’intention de tromper et de donner cours à des pages insignifiantes. Dans cette disposition des esprits, les éditeurs[3] des Mémoires de Tallemant des Réaux n’ont point été surpris de rencontrer des incrédules. Le premier volume de cet ouvrage, lancé tout seul, a été livré à la critique sans le cortége de ces travaux préliminaires, qui sont destinés à faire connaître l’écrivain, à initier le lecteur dans le secret des sources où l’on a puisé, et à montrer dans quels rapports l’auteur a vécu avec ses contemporains.

Ce n’a pas été sans regrets que nous nous sommes vus dans la nécessité d’introduire Tallemant des Réaux dans le monde littéraire sans aucun de ces appuis qui inspirent de la confiance et préparent les réputations. Nous n’avions encore recueilli qu’un petit nombre de renseignemens sur des Réaux ; nous espérions que des recherches plus opiniâtres nous procureraient des ressources qui nous manquaient. Leur espoir n’a pas été entièrement trompé.

Ce n’est pas, au reste, une faible victoire pour des Réaux d’être heureusement sorti d’une épreuve aussi difficile. Ceux qui ont lu ses Mémoires avec des dispositions de doute et de prévention, n’ont pas tardé à reconnaître que cet écrivain caustique et singulier, original et spirituel, révélait presque à chaque page des faits et des circonstances inconnus, qu’il serait dangereux d’inventer parce qu’on serait démenti par les Mémoires du temps, par les vaudevilles malins, dont fourmillent nos recueils, par les lettres imprimées et manuscrites que l’on a conservées ou que chaque jour on découvre.

Gédéon Tallemant des Réaux, auteur des Historiettes, n’était pas resté jusqu’à présent tout-à-fait inconnu ; l’abbé de Marolles en a parlé comme d’un homme d’un esprit distingué : « M. des Réaux et l’abbé Tallemant, son frère, qui ont l’esprit si poli et si délicat[4]… » Dans un autre endroit, le même écrivain place des Réaux au nombre des Français qui réussissaient dans le genre de l’épigramme[5]. Ce témoignage, s’il était solitaire, ne suffirait pas pour établir la réputation de Tallemant des Réaux ; on sait que le bon abbé de Villeloin, mauvais traducteur de presque tous les poètes latins, accordait facilement ses éloges, et qu’il en était surtout prodigue pour les personnes qu’il connaissait. Il suffit en ce moment de montrer que des Réaux, connu avec quelque avantage, était mis au nombre des hommes d’esprit de son temps.

Quelques petites pièces, échappées à sa muse, se font remarquer par la délicatesse de l’expression. Il fait partie de cette pléiade de poètes qui se réunirent au marquis de Montausier pour chanter Julie d’Angennes, cette reine des précieuses, dont des Réaux devait plus tard devenir l’historien. Son madrigal sur le lis est une des fleurs dont se compose la Guirlande de Julie. Il doit tenir ici sa place, quoique déjà cité ailleurs[6].


Devant vous je perds la victoire
Que ma blancheur me fit donner,
Et ne prétends plus d’autre gloire
Que celle de vous couronner.


Le ciel, par un honneur insigne,
Fit choix de moi seul autrefois,
Comme de la fleur la plus digne
Pour faire un présent à son roi.

Mais, si j’obtenois ma requête,
Mon sort seroit plus glorieux
D’être monté sur votre tête
Que d’être descendu des cieux.


On peut dire avec vérité qui si jusqu’à présent Tallemant des Réaux n’était pas tout-à-fait ignoré, il était au moins fort peu connu ; on l’a même presque toujours confondu avec l’abbé François Tallemant, son frère, membre de l’Académie française, et même avec Paul Tallemant, de la même Académie et de celle des Inscriptions et des Belles-Lettres ; Paul était neveu à la mode de Bretagne de des Réaux.

Les rôles changent dans cette famille ; les deux académiciens tiendront leur rang dans l’histoire de leurs compagnies savantes, mais leurs ouvrages resteront plongés dans un oubli que justifie leur médiocrité, tandis que des Réaux prendra sa place parmi les écrivains originaux qui peignent les mœurs et la société de leur temps. Son nom vivra par sa seule force ; des Réaux sera pour le xviie siècle ce qu’a été Brantôme pour le xvie.

Avant de rassembler le petit nombre de faits que nous avons pu recueillir sur Tallemant des Réaux, nous ferons connaître en peu de mots sa famille.

Elle est originaire de Tournay ; François Tallemant, aïeul de des Réaux, fut obligé, dans le xvie siècle, d’abandonner sa patrie pour se soustraire aux cruautés exercées par le duc d’Albe contre les sectateurs de Calvin ; Tallemant vint se réfugier à la Rochelle. C’était un bel homme ; il plut à une riche veuve, qui lui donna sa fortune avec sa main. Elle s’appelait Loyse Thevenin, et était veuve de Pierre du Jan.

On a peu de détails sur François Tallemant ; il paraît qu’il avait à la Rochelle une existence aisée, et qu’il y jouissait de beaucoup de considération ; car, suivant un historien de la Rochelle, il était pair de la commune, et en 1600 il fut coélu du maire.

Deux fils et une fille naquirent du mariage contracté par François Tallemant.

Les deux fils, Gédéon et Pierre Tallemant, établirent à Bordeaux une maison de banque, et ils s’associèrent avec Paul Yvon, seigneur de La Leu[7], qui épousa leur sœur.

Cette société, ayant prospéré, a été la source de la fortune des trois branches de la famille.

Gédéon Tallemant se fit recevoir secrétaire du roi, le 29 mars 1612 ; il devint trésorier de l’épargne pour la Navarre, et afferma divers impôts. Ces charges de finance le conduisirent à une grande fortune. Gédéon mourut en 1634.

Il laissait un fils et une fille. Le fils, nommé Gédéon comme son père, acheta une charge de conseiller au parlement de Paris, et il en prêta le serment le 20 juin 1637. Il ne tarda pas à se faire catholique, afin d’épouser Marie de Montauron, fille de du Puget de Montauron, ce riche financier qui réunissait tous les ridicules et toutes les impertinences des nouveaux enrichis ; cette Éminence gasconne, que Tallemant a si plaisamment dessinée : « Tout s’appelait, dit des Réaux, à la Montauron, comme aujourd’hui à la Candale[8]. » Marie de Montauron était bâtarde ; son père l’avait eue de Louise du Puget, sa cousine germaine, qui était morte sans que le mariage eût couvert sa faute ; ainsi la légitimation était impossible. Presque tous les parens de Gédéon refusèrent leur consentement à cette union ; mais celui-ci, qui n’était touché que de la grande fortune qu’il en devait attendre, ne s’arrêta pas à cet obstacle ; il épousa Marie, et acheta une charge de maître des requêtes, qui lui ouvrit la carrière brillante de l’administration ; il fut d’abord nommé intendant d’Orléans, et en 1653 il passa à l’intendance de Guyenne.

Tallemant était un homme de plaisir ; il enchérissait encore sur les ridicules de son beau-père. Adonné à toutes les dissipations, il tranchait du grand seigneur, et il devint, par vanité, le Mécène des gens de lettres, dont il payait richement les pompeuses dédicaces. Sa femme, livrée à toutes les fantaisies, ne connaissait pas plus que son mari les avantages d’une sage économie. On peut facilement juger dans quelle dépense ils furent entraînés par la vie des intendances. Ils tenaient à Bordeaux maison ouverte ; « M. de Candale, dit des Réaux, ne mangeait jamais que chez eux ; devant Tallemant, un intendant ne paraissait point à Bordeaux ; à cette heure on n’y parle que de monsieur l’intendant et de madame l’intendante. »

Il nous en reste un témoignage contemporain que nous citerons, quoique fort connu ; c’est celui de Chapelle et Bachaumont, qui leur rendirent visite vers 1656 ou 1657. Ce passage de leur Voyage touche de trop près aux Tallemant pour ne pas trouver ici sa place.

« Après être descendus sur la grève, et avoir admiré quelque temps la situation de cette ville, nous nous retirâmes au Chapeau-Rouge, où M. Tallemant nous vint prendre aussitôt qu’il sut notre arrivée. Depuis ce moment, nous ne nous retirâmes dans notre logis, pendant notre séjour à Bordeaux, que pour y coucher. Les journées se passaient le plus agréablement du monde chez M. l’intendant ; car les plus honnêtes gens de la ville n’ont pas d’autre réduit que sa maison. Il a trouvé même que la plupart étaient ses cousins, et on le croirait plutôt le premier président de la province que l’intendant. Enfin, il est toujours le même que vous l’avez vu, hormis que sa dépense est plus grande. Mais pour Mme l’intendante, nous vous dirons en secret qu’elle est tout-à-fait changée.


Quoique sa beauté soit extrême,
Qu’elle ait toujours ce grand œil bleu,
Plein de douceur et plein de feu,
Elle n’est pourtant plus la même,
Car nous avons appris qu’elle aime,
Et qu’elle aime bien fort le jeu.


« Elle, qui ne connaissait pas autrefois les cartes, passe maintenant des nuits au lansquenet. Toutes les femmes de la ville sont devenues joueuses pour lui plaire ; elles viennent régulièrement chez elle pour la divertir, et qui veut voir une belle assemblée, n’a qu’à lui rendre visite. Mlle du Pin se trouve toujours là bien à propos pour entretenir ceux qui n’aiment point le jeu. En vérité, sa conversation est si fine et si spirituelle, que ce ne sont pas les plus mal partagés. C’est là que messieurs les Gascons apprennent le bel air et la belle façon de parler :


Mais cette agréable du Pin,
Qui dans sa manière est unique,
A l’esprit méchant et bien fin ;
Et si jamais Gascon s’en pique,
Gascon fera mauvaise fin. »


Des Réaux nous apprend que cette demoiselle du Pin était une sœur naturelle de Tallemant, le maître des requêtes. « Elle était, ajoute des Réaux, plus aimable que belle ; elle jouait du luth, chantait agréablement, et avait l’esprit si accort, que tout le monde l’aimait. On l’appelait Angélique. Si elle ne fût pas morte jeune, le comte d’Estrades, depuis maréchal de France, l’aurait épousée. » Ce grand train de maison et les dépenses qu’il entraîne, l’habitude d’une vie dissipée, qu’ils continuèrent à Paris, après que Tallemant eut été révoqué de son intendance, produisirent les fruits qu’on devait en attendre. Les affaires se dérangèrent, et l’adversité ne trouva pas M.  et Mme Tallemant résignés à ses rigueurs. « J’entrepris, avec un de mes parens, dit des Réaux, d’être son intendant, de recevoir son revenu, et de lui donner tant par mois, pourvu qu’il réglât son train, et qu’il se logeât comme je voudrais. Je les ai fait pleurer vingt fois, sa femme et lui… Je commençai donc par lui proposer de chasser son cuisinier : — Bien, dit-il, je le chasserai dans quatre mois… — Sa femme me disait : — Hé ! pour l’amour de Dieu ! mon pauvre cousin, sauvez-moi encore un laquais. — Ils me trompaient, car les gens qu’ils faisaient semblant de chasser, ils les logeaient vis-à-vis de chez eux… Les ayant trouvés incurables, je ne m’en voulus plus mêler. « 

Gédéon Tallemant résigna, en 1667, son office de maître des requêtes ; il obtint des lettres d’honoraire qui furent enregistrées aux requêtes de l’hôtel, au mois d’août 1665. Elles sont conçues dans les termes les plus flatteurs ; il y est dit qu’elles sont données à Gédéon « pour service au feu roi et à nous, en l’office de conseiller au parlement, puis de maître des requêtes, pendant vingt-sept ans et plus, durant laquelle il a été sept ans entiers intendant de Languedoc, Roussillon, Provence et Guyenne. »

Le maître des requêtes honoraire mourut à Paris, dans son hôtel, situé rue Charlot, au Marais, au mois de novembre 1668. Il a été inhumé dans le chœur de Saint-Nicolas-des-Champs, le 27 novembre 1668, en présence de ses deux fils, Gédéon et Paul Tallemant, qui ont signé sur le registre[9]. L’acte mortuaire que nous avons consulté, porte que Gédéon Tallemant était âgé de cinquante-cinq ans.

Mme Tallemant n’avait plus aucune fortune ; Puget de Montauron, son père, avait donné à ses enfans l’exemple des plus folles prodigalités ; sa succession avait été taxée par la chambre de justice ; Gédéon, son mari, était ruiné, et elle restait veuve avec cinq enfans.

Des Réaux nous a conservé un madrigal de cette Mme Tallemant, qu’elle a composé vers l’an 1688. La maladie du roi, qui subit alors une opération grave, détermine la date de cette pièce.


Avec fort peu d’argent, encor moins de jeunesse,
Avec bien des enfans aussi pauvres que moi,
Je ne demande au ciel ni grandeur ni richesse,
J’en suis assez contente ; il a sauvé le roi[10].


Marie Tallemant, sœur de Gédéon, épousa Jean d’Harambure, seigneur de Romefort et de La Boissière, capitaine du vol des oiseaux du roi. Elle était née jolie, mais la petite vérole l’avait gâtée. « Pour de l’esprit, dit des Réaux, elle en avait du plus brillant, et disait les choses d’un air tout-à-fait agréable.

Son mari fut tué en 1640, au combat de la Route, auprès de Casal. Devenue veuve, plusieurs personnes prétendirent à sa main ; car, sans vouloir prendre d’engagemens, elle aimait à recevoir des hommages. « Jamais femme, dit notre écrivain, n’a tant aimé l’adoration. » Eléazar de Sarcilly, sieur de Chandeville, neveu de Voiture, conçut pour elle une vive passion, mais il paraît n’avoir éprouvé que des rigueurs. Mme d’Harambure est vraisemblablement une des Iris en l’air auxquelles il adressa ses plaintes. On croit la reconnaître dans ces stances à Chloris :


Mon cœur, es-tu si faible et si peu généreux
Que de ne sentir pas les mépris rigoureux
De celle à qui tu fais hommage ?
Ou bien, si tu les sens, au lieu de te guérir.
Veux-tu conserver une image
De qui l’original va te faire mourir ?

Non, non, résolvons-nous et cessons d’adorer
Cette ingrate beauté qui nous laisse endurer
Sans espérance de salaire :
Quittons, quittons ses yeux, ou la clarté du jour ;
Et que le feu de la colère
Soit enfin plus puissant que celui de l’amour…

Je connais l’inhumaine à qui mon feu déplaît.
Et sçay que son humeur, insensible qu’elle est,
N’en peut jamais estre échauffée :
Aussi, pour contenter l’excès de son orgueil,
Amour lui prépare un trophée
Des cendres d’un amant qu’elle met au cercueil.

Cet astre de mes jours qui s’en va les finir
Éteint ce que lui seul a droict d’entretenir,
En m’ostant l’espoir et la vie :
Mais un si beau trépas n’ayant point de pareil,

Mon bonheur est digne d’envie,
Car je meurs en phœnix aux rayons du soleil[11].


Tallemant des Réaux, beaucoup plus jeune que sa cousine, ne put se défendre d’éprouver pour elle des sentimens qui passaient les bornes de la simple amitié ; mais Mme d’Harambure aimait trop l’adoration pour se contenter d’une affection qu’elle aurait partagée avec beaucoup d’autres ; et Tallemant, du caractère qu’on lui connaît, n’était pas d’humeur à se contenter de beaux sentimens ; aussi paraît-il avoir renoncé à une conquête désespérante, et il ne fut plus retenu près de sa cousine que par les graces de l’esprit et le charme de la conversation. « Depuis sa petite vérole, dit-il, elle n’avait rien de joli que l’entretien et le bien. »

Mme d’Harambure, à peine âgée de trente-trois ans, mourut d’une maladie de langueur ; des Réaux fut très affligé de sa perte, et il exprima sa douleur dans un sonnet adressé à Conrart, où il invite les poètes à célébrer les graces et les vertus d’Amarante. Le sentiment qui a dicté ces vers servira d’excuse à leur médiocrité.


Toy qui sans aucune ayde et sans secours humain
T’es acquis le haut lustre où ta gloire est montée,
Qui regardes en toy l’ouvrage de ta main,
Et de qui la vertu doit être respectée ;

Tu connois les ennuys qui me rongent le sein ;
Tu connois qu’Amarante est partout regrettée ;
Sois mon guide, Phylandre, en mon noble dessein ;
Je veux qu’en tous endroits sa gloire soit chantée.

Tu gardes les trésors des neuf sçavantes sœurs,
Tu peux mieux que personne en tirer les douceurs
Par qui la poésie est si bien animée.

Tu connois dès long-temps comme on en doit user ;
D’autres à tes écrits doivent leur renommée,
Et tu sais ce qu’il faut pour immortaliser[12].


Ce sonnet, adressé à Conrart sous la forme d’une lettre avec signature et suscription, doit être de l’époque de la jeunesse de des Réaux. « Conrart, dit-il, a toujours affecté d’avoir des jeunes gens sous sa férule ; moi qui ne suis pas trop endurant, il me prit en amitié, et je l’aimai aussi tendrement. » Le sonnet est du temps de cette bonne amitié ; mais Tallemant changea bien de sentimens pour Conrart qu’il représente dans ses historiettes comme un homme tyrannique et querelleur. « C’est un franc pédagogue, ajoute-t-il, et qui fait une lippe, quand il gronde, la plus terrible qu’on sauroit voir. »


Nous ignorons si Conrart satisfit aux désirs que Tallemant lui exprimait, mais au moins tout le Parnasse ne demeura pas sourd à ses vœux, et Maynard y répondit par un sonnet assez remarquable qui doit trouver ici sa place.


Ô malice du sort ! ô crime de la Parque !
Aimable Tallemant, ta sœur nous a quittés,
Et le pâle nocher a porté dans sa barque
L’ornement des vertus et la fleur des beautés.

Ajoutons cette perte aux misères publiques ;
Marie embellissait le séjour des mortels ;
Tous les yeux l’admiraient, et les temps héroïques
Auraient à son image élevé des autels.

Le funeste ruisseau qui baigne ton visage
Naist d’un si juste ennuy, que l’esprit le plus sage
N’ose te conseiller d’en arrester le cours.

La morte que tu plains fut exempte de blasme,
Et le triste accident qui termina ses jours
Est le seul déplaisir qu’elle a mis dans ton ame.


Ce sonnet est adressé au maître des requêtes, frère de Mme d’Harambure, et l’exactitude historique nous empêche de dissimuler que l’on voit dans les œuvres de Maynard que ce poète avait contracté vis-à-vis de Gédéon plus d’une dette de reconnaissance.

Après avoir fait connaître la branche aînée de la famille Tallemant, nous passerons à la branche cadette à laquelle appartient l’auteur des Mémoires.

Pierre Tallemant, second fils de François, après avoir long-temps exercé la banque à Bordeaux, vint s’établir à Paris. « C’étoit, dit des Réaux, un homme du bon vieux temps, in puris naturalibus, qui de sa vie n’avoit fait une réflexion. »

Pierre Tallemant se maria deux fois. Sa première femme était une demoiselle Polivon, sœur de Paul Yvon, seigneur de La Leu[13]. Ainsi il aurait existé une double alliance entre ces deux familles, puisque La Leu avait lui-même épousé la sœur de Pierre Tallemant.

Trois enfans naquirent de ce premier mariage.

1o  Pierre Tallemant, sieur de Boisneau, banquier, qui acheta en 1659 une charge de maître d’hôtel du roi.

Il épousa Anne Bigot de la Honville, sœur de cette jolie Lolo, qui devint Mme de Gondran, et pour laquelle le marquis de Sévigné, infidèle à une femme qu’il ne sut pas apprécier, se battit et fut tué en duel ; cette Lolo dont Conrart[14] et Tallemant[15] ont raconté les nombreuses aventures.

2o  Paul Tallemant, seigneur de Lussac. Tallemant en a peu parlé. Il nous semble ne l’avoir nommé que deux fois.

3o  N. Tallemant, qui épousa N. d’Angennes, seigneur de la Grossetière ; Tallemant en parle à peine.

Devenu veuf, Pierre Tallemant épousa en secondes noces Marie de Rambouillet, sœur du financier qui a donné son nom à de beaux jardins situés alors au bourg de Reuilly. Ce sont aujourd’hui des marais cultivés, renfermés dans Paris, et qui touchent à la barrière de Charenton. Une rue qui les côtoie porte encore le nom de Rambouillet.

1o  Gédéon Tallemant, seigneur des Réaux ; c’est l’auteur des Mémoires.

2o  François Tallemant, abbé de Val-Chrétien, prieur de Saint-Irénée de Lyon, aumônier du roi, membre de l’Académie française.

3o  Marie Tallemant, sœur des deux précédens, épousa Henri de Massues, seigneur de Ruvigny, marquis de Bonneval, qui a résidé long-temps à la cour de Louis xiv, en qualité de député des églises protestantes ; il sortit de France après la révocation de l’édit de Nantes[16].

L’époque de la mort de Pierre Tallemant, le père, est inconnue ; il résulte d’un pamphlet du temps qu’il vivait encore en 1652[17].

Gédéon Tallemant des Réaux, fils aîné du second lit de Pierre Tallemant, et auteur des Mémoires, naquit à La Rochelle vers 1619. On voit en effet, au chapitre des Amours de l’auteur, qu’en 1636, il était âgé de dix-sept ans, quand une jolie veuve lui inspira pour la première fois de tendres sentimens[18].

L’année suivante, des Réaux fit un voyage d’Italie avec un de ses frères du premier lit et avec le plus jeune de tous, l’abbé Tallemant, celui auquel l’Académie française devait plus tard ouvrir ses rangs. L’abbé de Retz, depuis cardinal et archevêque de Paris, venait d’obtenir, en Sorbonne, le premier lieu de la licence en théologie. Il avait combattu les prétentions de l’abbé de La Mothe Houdancourt, que portait le cardinal de Richelieu, et il avait eu le tort de l’emporter sur lui ; le ministre, irrité de cette contradiction, menaçait les députés de la Sorbonne de faire raser les bâtimens qu’il avait commencé d’élever[19], et l’orage s’annonçait pour si violent, que la famille de Gondi crut prudent d’éloigner le jeune abbé pendant quelque temps ; il fut décidé que l’abbé de Retz voyagerait en Italie, et ce dernier accepta avec empressement l’offre des trois frères Tallemant de voyager de compagnie.

Quoique très jeune encore, Tallemant des Réaux était déjà doué d’un talent remarquable pour l’observation ; il juge très bien l’abbé de Retz. « C’est, dit-il, un petit homme noir qui ne voit que de fort près, mal fait, laid et maladroit de ses mains à toutes choses Sa passion dominante, c’est l’ambition ; son humeur est étrangement inquiète, et la bile le tourmente presque toujours. » Des Réaux donne sur les premières années du cardinal des détails d’autant plus précieux, qu’on voudrait connaître un homme de ce caractère d’après d’autres témoignages que le sien propre, et que d’ailleurs les premières pages de ses Mémoires ne nous sont parvenues qu’avec de nombreuses mutilations[20].

De retour à Paris, Tallemant des Réaux y prit ses degrés en droit civil et canon ; son père aurait désiré qu’il se destinât à la magistrature, il voulait même lui acheter une charge de conseiller au parlement, mais des Réaux ne se sentait nullement disposé à suivre cette carrière. « Je haïssais ce métier-là, dit-il, outre que je n’étais pas assez riche pour jeter quarante mille écus dans l’eau. »

Le père de Tallemant des Réaux jouissait d’une fortune considérable ; il avait une maison opulente ; il nous semble inutile de s’arrêter long-temps à le défendre d’un reproche dirigé contre lui par Charpentier, et répété par Furetière. Le traducteur de la Cyropédie, emporté par un mouvement de colère, injuria l’abbé Tallemant en pleine Académie, jusqu’à lui dire qu’il était le fils d’un banqueroutier de La Rochelle. On sait trop à quelles injustices la passion peut entraîner les hommes, et ici toutes les apparences sont favorables aux Tallemant. Mais si Pierre jouissait des avantages de la fortune, il était peu disposé à y faire participer ses fils de son vivant ; aussi des Réaux chercha-t-il dans une alliance avantageuse les moyens de sortir d’une dépendance qui lui pesait, et il demanda la main d’Élisabeth de Rambouillet, sa cousine germaine. Elle était fille de Nicolas de Rambouillet, frère de sa mère.

Élisabeth de Rambouillet n’ayant encore que onze ans et demi quand elle fut demandée par son cousin, le mariage fut convenu, mais la célébration différée pendant deux ans.

Par cet établissement, Tallemant, se voyant appelé à une belle existence dans le monde, renonça à prendre un état qui l’eût privé de sa liberté ; on voit seulement, par une quittance de l’année 1675, entièrement écrite et signée de sa main, que Tallemant des Réaux a exercé la charge de contrôleur provincial ancien des régimens, au département de la Basse-Bretagne.

Son mariage dut encore resserrer les liens de parenté qui l’unissaient à Antoine de Rambouillet de La Sablière, poète agréable, auteur de madrigaux fins et délicats, dont la femme, Marguerite Hessein[21], a été l’amie et le soutien de La Fontaine.

Libre de soins et d’affaires, Tallemant des Réaux se livra à la culture des lettres, aux soins de sa famille et aux distractions de la société.

Il fut surtout lié d’une amitié particulière avec la marquise d’Angennes[22] de Rambouillet, cette célèbre Arthénice, si souvent chantée par Voiture, Chapelain, Mlle de Scudéry et tant d’autres.

Aussi Tallemant s’est-il particulièrement attaché dans ses Historiettes à peindre la société de l’hôtel de Rambouillet et les personnages dont elle se composait.

Il fait d’abord passer sous les yeux des lecteurs la marquise de Rambouillet, cette dame toute romaine, qui avait vécu à la cour de Henri iv, et qui conserva toujours le ton grave et solennel dont sa mère, qui était une Savelli, lui avait transmis les traditions. Le marquis de Rambouillet, Julie d’Angennes et le marquis de Montausier, Mme de Grignan, l’abbesse de Saint-Étienne, le marquis de Pisani, Voiture, Mlle Paulet, et tant d’autres, Tallemant n’en omet aucun ; il n’est pas jusqu’aux officiers et aux serviteurs de cette illustre maison qui n’occupent une petite place dans ses récits.

On ne doit pas être surpris de la préférence marquée que Tallemant accorde à tout ce qui concerne l’hôtel de Rambouillet. Il était flatté de l’accueil qu’il y recevait, et pour tout ce qui regarde le règne de Henri iv et la régence de Marie de Médicis, Tallemant a principalement puisé ses anecdotes dans les conversations de la marquise de Rambouillet, dont il n’a été souvent que l’écho. Il a eu soin d’en prévenir ses lecteurs ; c’était le moyen de mériter d’autant plus leur confiance. « C’est d’elle, dit-il, que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j’ai écrit et de ce que j’écrirai dans ce livre. »

Cette liaison, si honorable pour l’auteur des Historiettes, dura jusqu’au terme de la vie de l’illustre marquise, pour laquelle l’abbé Tallemant, frère de notre écrivain, composa une épitaphe assez remarquable. Elle a été conservée par Robinet, dans ses Lettres en vers à Madame, qui font suite à la Muse historique de Loret. On y lit ce qui suit, à la date du 3 janvier 1666 :


La Parque, pleine d’injustice,
Nous ravit dimanche Artenice ;
C’est ainsi que l’on appelait
La marquise de Rambouillet,
Dont l’âme belle et délicate,
Sans que nullement on la flatte,
Et pareillement le beau corps
Firent de ravissans accords,
Et dont presque en sa cendre encore
La charmante idée on adore.

Elle eut pour ses adorateurs
Tous nos plus célèbres auteurs,
Les Chapelain et les Malherbes,
Qui de lui plaire étaient superbes ;
Les Balzac et les Vaugelas,
Dont toujours elle fit grand cas,
Les Voiture, les Benserades ;
Et l’on voyait sur les estrades
Encor les deux esprits charmans,
À sçavoir les deux Tallemans[23],
Dont l’un, savant en paragraphe,
A composé son épitaphe.
Qui pourra servir dignement
À mes rimes de supplément.

« Cy gist la divine Artenice,
Qui fut l’illustre protectrice

Des arts que les neuf sœurs inspirent aux humains.

Rome lui donna la naissance ;
Elle vint rétablir en France
La gloire des anciens Romains.
Sa maison, des vertus le temple,

Sert aux particuliers d’un merveilleux exemple,
Et pourrait bien instruire encor les souverains. »


La vie simple et unie que des Réaux préféra à toute autre nous a privés des renseignemens que l’on voudrait rencontrer dans une notice biographique. Ainsi nous ignorons l’époque du mariage de Tallemant avec Mlle de Rambouillet. Cette union semble avoir été heureuse ; une fille paraît en être née. Tallemant parle en effet, dans le chapitre de Mme de Montausier, d’une petite des Réaux qui jouait avec Mlle de Montausier, depuis duchesse d’Uzès. C’était vraisemblablement sa fille ; mais il la perdit jeune, car sa fortune fut recueillie par des collatéraux.

Vers l’année 1650, Tallemant des Réaux acheta la terre seigneuriale du Plessis-Rideau, située dans le Val de Loire, en Touraine, sur les confins de l’Anjou, paroisse de Chouzé. Elle lui fut vendue par François de la Beraudière, marquis de l’Isle-Rouche, et par dame Françoise de Machecoul, sa femme. Cette terre avait été possédée pendant environ deux siècles par la famille Briconnet. Le prix fut de cent quinze mille livres, somme considérable en ce temps-là, et lorsque Tallemant en fut devenu propriétaire, il obtint des lettres patentes en vertu desquelles il lui fut permis de changer le nom du Plessis-Rideau en celui de des Réaux.

On voit par ces lettres que Tallemant portait ce surnom depuis son enfance. Nous attachions quelque prix à connaître cette pièce, et nous sommes parvenus à la trouver sur les registres du parlement, où elle a été enregistrée le 30 juillet 1653.

Le nom de des Réaux est celui d’une famille ancienne, originaire du Nivernais, établie en Brie et en Champagne, qu’il ne faut pas confondre avec celle de Tallemant des Réaux. C’est à cette ancienne famille qu’appartenait Gabriel des Réaux, lieutenant des gardes-du-corps, maître-d’hôtel du roi, mort en 1644, auquel fut confiée la garde du maréchal de Marillac. Il en est souvent question dans le récit du procès de ce maréchal, inséré dans le Journal du cardinal de Richelieu. Il y a aussi une famille très honorable de Taboureau des Réaux, qui n’a rien de commun avec la famille Tallemant, mais qui paraît avoir acquis la terre de des Réaux de Tallemant ou de ses héritiers.

La terre des Réaux fut pour Tallemant l’occasion d’un procès dans lequel il recourut au patronage du célèbre Patru. On lit dans les œuvres de ce dernier un factum pour Gédéon Tallemant, écuyer, seigneur dudit lieu, contre messire Antoine Arnauld, prieur commandataire du Plessis-Moines, ayant repris l’instance au lieu de maître Claude Le Marié.

Des Réaux se plaignait d’avoir été troublé dans sa possession de tous droits honorifiques, prérogatives et prééminences, titres et armes dans l’église paroissiale de Chouzé, tant comme fondateur, que comme ladite église étant bâtie en ses fiefs et châtellenie des Réaux, ci-devant le Plessis-Rideau.

Le récit de cette discussion n’aurait aujourd’hui aucun intérêt ; peu importe que des Réaux soit parvenu à faire changer le banc que l’officiant occupait dans le chœur de l’église, qu’il ait été maintenu en possession du poteau du carcan, où comme seigneur il prétendait avoir le droit d’exercer sa justice ; ce factum donne cependant quelques renseignemens utiles : on y voit que Tallemant avait acheté cette terre du marquis de l’Isle, arrière-petit-fils d’un Briconnet. On y voit aussi qu’il plaidait contre le célèbre docteur Antoine Arnauld. Nous ignorons quelle a été l’issue du procès.

Doués des mêmes goûts et rapprochés par quelques circonstances, Patru et des Réaux contractèrent dès leur jeunesse une étroite amitié qui ne s’est jamais démentie. Le père de Patru possédait une ferme près de Pommeuse, terre qui appartenait à Puget de Montauron, beau-père de Tallemant, le maître des requêtes. Patru se livrait à son goût pour les lettres avec une passion qui s’accorde difficilement avec la pratique opiniâtre du barreau ; libre d’affaires, Tallemant vivait au milieu des gens de lettres : homme d’esprit sans prétention, il n’écrivait que pour se distraire ; en voilà plus qu’il n’en fallait pour les rapprocher ; compagnons de plaisir, peut-être de débauche, ils n’avaient point de secrets l’un pour l’autre ; en effet, sans les confidences de Patru, comment des Réaux aurait-il pu placer dans ses récits une foule de traits de la jeunesse de ce dernier, et particulièrement ses amours avec la belle Mme Levesque[24] ?

Tallemant perdit Patru le 16 janvier 1681, et il composa pour lui cette épitaphe :


Le célèbre Patru sous ce marbre repose ;
Toujours comme un oracle il s’est vu consulter
Soit sur les vers, soit sur la prose.
Il sut jeunes et vieux au travail exciter ;
C’est à lui qu’ils devront la gloire
De voir leur nom gravé au temple de mémoire.
Tel esprit qui brille aujourd’hui
N’eût eu sans ses avis que lumières confuses,
Et l’on n’auroit besoin d’Apollon ni des Muses,
Si l’on avoit toujours des hommes comme lui[25].


Cette épitaphe de Patru, publiée par le père Bouhours, a été réimprimée partout, et particulièrement à la suite de la notice qui est en tête des œuvres de Patru ; mais en voici une autre qui sent son esprit fort ; nous l’avons trouvée dans les manuscrits de Tallemant des Réaux[26]. Elle y est écrite de sa main.


Cy gist le célèbre Patru,
De qui le mérite a paru
Toujours au-dessus de l’envie ;
Il a savamment discouru,
Mais peu de la seconde vie ;
Heureux s’il n’a trouvé que ce qu’il en a cru !


Tallemant était aussi très étroitement lié avec Perrot d’Ablancourt, auteur de tant de traductions qu’on ne lit plus, et que de son temps on appelait les belles infidèles. Il lui a consacré un assez long article de ses Mémoires, et à sa mort, arrivée au mois de novembre 1664, il composa cette épitaphe dont nous devons encore la conservation au père Bouhours :


L’illustre d’Ablancourt repose en ce tombeau,
Son génie, à son siècle, a servi de flambeau :

Dans ses fameux écrits toute la France admire
Des Grecs et des Romains les précieux trésors ;
À sa perte on ne sauroit dire
Qui perd le plus des vivans ou des morts[27].


Cet éloge paraît aujourd’hui d’une exagération ridicule ; mais il ne faut pas oublier que Perrot d’Ablancourt était un des meilleurs écrivains de son temps, et que les réputations des traducteurs s’évanouissent à mesure que de plus habiles les font oublier.

Tallemant aimait la poésie ; il paraît l’avoir cultivée pendant tout le cours de sa vie. Il s’est même essayé pour le théâtre ; nous avons sous les yeux le brouillon, écrit de sa main, d’une tragédie d’Œdipe. Œuvre de sa jeunesse, cette pièce a dû être composée avant que l’auteur du Cid traitât le même sujet. Tallemant avait quarante ans en 1659, quand Corneille fit jouer son Œdipe.

Nous avons lu attentivement la tragédie de des Réaux, elle nous a paru sagement composée ; mais la versification en est si faible, que nous n’y avons rien trouvé de digne d’être cité.

Les manuscrits de Conrart contiennent une jolie ballade de la main de Tallemant. Nous l’insérons ici pour en assurer la conservation.


Rien n’est si beau que la jeune Doris ;
Son port hautain n’est pas d’une mortelle ;
Ses doux regards, ses amoureux souris,
Ses traits divins, sa grace naturelle,
De son beau teint la fraîcheur éternelle,
De son beau sein la blancheur immortelle,
Et ses beaux yeux plus brillans que le jour ;
Je l’aime aussi de toute mon amour,
Et honni soit celui qui mal y pense.

J’aime d’amour ses aimables esprits,
Ses doux accens, qui charment Philomèle,
Et son esprit, délice des esprits,
Et sa vertu, des vertus le modèle ;

J’aime son cœur et constant et fidèle,
Qui des vieux temps la bonté renouvelle,
Chose si rare en l’empire d’Amour ;
Et de ses mœurs l’adorable innocence,
Chose si rare aux beautés de la cour ;
Mais honni soit celui qui mal y pense.

Elle, qui sait de mon amour le prix,
Qui voit ma flamme et si pure et si belle,
Qui voit mon cœur si sainctement épris,
Qui reconnoît la grandeur de mon zèle,
M’honore aussi d’une amour mutuelle ;
Et maintenant qu’une absence cruelle
Ronge mon cœur comme un cruel vautour,
Sa belle main, consolant ma souffrance,
Par ses escrits me promet son retour ;
Mais honni soit celui qui mal y pense.

envoi.

Jeunes blondins qui soupirez pour elle,
Et qui souffrez ses rigoureux mépris,
Si vous vouliez estre aimez de la belle,
Il faudroit estre amans à cheveux gris
Et ne l’aimer que d’amour fraternelle.
Mais de vous tous on diroit par la France,
Comme de moy l’on dit par tous pays :
Que honni soit celui qui mal y pense.

Jeunes blondins qui soupirez pour elle,
N’en attendez que rigoureux mespris ;
Pour espérer d’estre aimez de la belle
Il faudroit estre amans à cheveux gris.


Une épître en vers, adressée par Tallemant des Réaux au père Rapin, jésuite, a été mise à notre disposition.[28]

Le père Rapin, le célèbre auteur du poème des Jardins, mort en 1687, a écrit au bas de cette épître les mots suivans : Des Réaux, depuis converty. Des lettres autographes de Rapin, rapprochées de ces mots, ne permettent pas de douter qu’ils ne soient de sa main. Il résulte de cette courte mention qu’à une époque avancée de sa vie des Réaux embrassa la religion catholique ; M. de Boze semble l’indiquer dans son éloge de l’abbé Paul Tallemant.

L’épître de Tallemant n’est pas sans importance ; elle le montre dans un âge avancé, de léger, caustique et frondeur, devenu un homme sérieux, appréciant les choses à leur valeur ; nous croyons, malgré son étendue et sa médiocrité, devoir insérer ici cette pièce.


Rapin, je ne saurois différer davantage,
Ma muse veut enfin te rendre quelque hommage ;
J’en prévoy bien le risque, et qu’au petit troupeau
Le cas assurément paroistra fort nouveau ;
Mais il m’importe peu qu’on y trouve à redire ;
T’aimer comme je fais, c’est bien pis que t’écrire ;
Je ne m’en cache point, je voudrois que mes vers
Le pussent faire entendre à tout cet univers.
Tu ne m’es pas moins cher pour être jésuite ;
Sous quelque habit qu’il soit, j’honore le mérite.
Et l’on peut bien aller jusqu’aux religieux,
Quand de tous les humains ceux qu’on aime le mieux
Ou sont bénéficiers, ou le voudroient bien être.
Ah ! plût à Dieu qu’il prît envie à notre maître
De voir si sur ce fait je ne suis point menteur ;
D’être désavoué je n’aurai pas grand’peur :
En tout temps mes amis ont eu le sort contraire,
Leurs veilles jusqu’ici ne leur profitent guère ;
Ils ont assez fait voir leurs talens merveilleux,
Le siècle les admire et ne fait rien pour eux ;
Je ne suis point surpris de voir que l’opulence
Fasse aujourd’hui divorce avecque la science ;
Elle l’a toujours fait ; en quel temps a-t-on vu
La Fortune d’accord avecque la vertu ?
Qui l’espère, se flatte, et leur vieille querelle,
Bien loin de s’apaiser, toujours se renouvelle.

Il s’en faut consoler et faire son devoir,
Mériter du bonheur, c’est plus que d’en avoir.
Les peines, les travaux, sont même salutaires ;
Il n’est pas bon d’avoir toutes choses prospères ;
Rien ne fait voir si clair que la calamité,
Et rien n’aveugle tant que la prospérité.
Dans mes afflictions, au milieu de mes pertes,
J’ai fait, pour mon repos, d’heureuses découvertes ;
Et me voir dans ton cœur placé comme j’y suis,
C’est un bien que je crois devoir à mes ennuys.
Ma disgrace, en effet, me vaut cet avantage ;
Je t’aurois bien toujours connu par ton ouvrage,
Et de tes grands Jardins contemplant les beautés,
J’eusse admiré la main qui nous les a plantés.
Quoi que la fable ait dit de ceux des Hespérides,
Ce n’étoient auprès d’eux que des sables arides ;
Mais je t’eusse peut-être admiré sans te voir.
Cependant, cher Rapin, ton sublime savoir
Ne mérite que trop qu’on t’aille rendre grace
De tout l’or que pour nous tu tires du Parnasse.
Je n’ose dire tout ; j’épargne ta pudeur ;
Si j’aime ton esprit, j’aime encor mieux ton cœur.
Sauroit-on trop louer cette humeur bienfaisante,
Ces soins officieux, cette ardeur obligeante ?
Je tiens qu’au plus haut point un mortel est monté,
Lorsqu’en lui la lumière est jointe à la bonté ;
Mais cet heureux concert, ce divin assemblage,
Se trouve rarement et surtout en notre âge ;
Les hommes éclairés abusent de leurs dons.
On ne voit presque plus que les sots qui soient bons.
Ton amitié, Rapin, à ton poème est semblable,
Elle instruit, elle plaist, tout en est agréable.
Pour moi, rien ne m’est cher comme les bons amis,
C’est ce qu’en mon estime au plus haut rang j’ai mis.
Au prix de tels trésors, nuls trésors ne me tentent.
Après les bons amis, les bons livres m’enchantent.
À toute heure, en tous temps, je tiens entre les mains
Les ouvrages fameux des Grecs et des Romains.
Ô le grand don de Dieu que d’aimer la lecture !
Avecque ce secours jamais le temps ne dure.

Que de gens à la ville, aussi bien qu’à la cour,
Voyons-nous s’ennuyer la plus grand’part du jour !
Ils ne savent que faire, et sans la comédie,
Ces sots mèneroient bien une plus triste vie ;
Je pense, en bonne foy, que les propres acteurs
N’y vont pas si souvent que certains spectateurs.

Certes, le ciel a beau nous faire des largesses,
Il a beau nous donner des grandeurs, des richesses,
À moins qu’il daigne encor nous donner du bon sens,
À vray dire, il nous fait de dangereux présens :
À tel il vaudroit mieux être gueux qu’être riche ;
Car, s’il n’est insolent ou prodigue, il est chiche.
Combien à leurs trésors se laissent éblouir !
On sait moins que jamais comme il en faut jouir.
Regardez cet abbé, dont le train magnifique
Aux dévots fondateurs fait tous les jours la nique,
N’oyez-vous pas partout vanter leur charité ?
En voyez-vous un seul qui ne meure endetté,
Ou, pour parler correct, qui ne meure insolvable ?
Ils doivent tout ensemble à Dieu, au monde, au diable.
Pour le diable, sans doute il s’en fait bien payer,
En vain avec ce rustre on voudroit dilayer.

Mais nous voilà, Rapin, sur une ample matière,
N’entrons point, je te prie, en si vaste carrière ;
Je fuis le lieu commun, et j’aime mieux finir.
Que d’une rapsodie aller l’entretenir.


Cette épître montre de combien de matériaux nous avons été privés pour que cette notice fût aussi satisfaisante que nous l’eussions désiré. On y voit Tallemant désabusé des préventions des réformés contre l’église romaine, et devenu l’ami d’un jésuite qui s’est fait un grand nom dans les lettres ; il y parle de ses afflictions, de ses pertes, de sa disgrace, circonstances de sa vie sur lesquelles nous ne pouvons donner presque aucun renseignement.

Tallemant des Réaux avait vraisemblablement perdu sa fille, cette petite des Réaux dont il parle au chapitre de Mme de Montausier ; elle ne paraît pas en effet lui avoir survécu. Toute la famille éprouva des revers de fortune à la mort de Pierre Tallemant, le frère aîné de des Réaux, par l’infidélité d’un sieur Bibaud, qui était son associé. Quant à la disgrace dont il parle, nous ne pouvons même pas présumer quelle fut sa nature ; Tallemant n’appartenait à aucune compagnie judiciaire ; il avait trop de philosophie pour ne pas préférer son indépendance à la faveur des grands, et jamais homme n’a été moins courtisan. D’autres découvertes viendront peut-être dissiper ces obscurités.

Nous avons pu déterminer la date de la naissance de Tallemant des Réaux, mais il est impossible de fixer, même par approximation, l’époque de sa mort. Tallemant vivait encore en 1691, car on lit sur les registres de la paroisse Saint-Nicolas-des-Champs, à Paris, un acte de baptême ainsi conçu :

« Élisabeth, née le 23 mai 1691, fille de Pierre de Rambouillet, écuyer, sieur de Lancry, et de dame Anne Bourdin, son épouse, demeurant rue de Berry. Le parrain, Jacques de Monceau, écuyer, sieur de Davene ; la marraine, dame Élisabeth de Rambouillet, épouse de Gédéon Tallemant, écuyer, seigneur des Réaux, demeurant rue Saint-Augustin. »

Pierre de Rambouillet était frère d’Antoine de Rambouillet de La Sablière et de mme  des Réaux.

On conserve, au cabinet généalogique de la bibliothèque du Roi, une quittance donnée le 1er  juillet 1704, par Élisabeth de Rambouillet, veuve de Gédéon Tallemant, écuyer, sieur des Réaux.

Ces renseignemens, qui placent la mort de Tallemant des Réaux entre le 23 mai 1691 et le 1er  juillet 1704 laissent bien du vague, mais nous n’avons pu jusqu’à présent nous procurer rien de plus précis.


Les Historiettes de Tallemant des Réaux sont le seul ouvrage qu’il nous ait laissé. Il vivait au milieu de plusieurs sociétés tout-à-fait distinctes ; la principale était celle de l’hôtel de Rambouillet. Ami de la marquise, il la voyait entourée de tout ce que la noblesse et les lettres offraient de plus illustre et de plus renommé ; il a recueilli dans ses entretiens avec Arthénice[29] une foule de faits et d’anecdotes sur les règnes de Henri iv et de Louis xiii ; il voyait cette femme si justement célèbre, alliée des deux reines Catherine et Marie de Médicis, entourée de sa noble famille, de ces d’Angennes de tout point si remarquables, visitée par Mme la Princesse, par Mlle de Bourbon, depuis duchesse de Longueville, et par le héros de Rocroy ; il y rencontrait la duchesse d’Aiguillon, la vicomtesse d’Auchy, Mme de Sablé, Mlle de Scudéry, Mme de Sévigné, Voiture et Mlle Paulet, cette lionne indomptée, Vaugelas, Malherbe, Racan, les deux Corneille, Mairet, Benserade, Chapelain, Godeau, Huet, Ménage, Gombaud ; enfin toutes les illustrations comme toutes les célébrités étaient là réunies ; il y recueillait ce qu’il a raconté du cardinal de Richelieu, des Guise et des Valançay, de Boisrobert, de Ninon, de Marion de Lorme, etc.[30]. De ce cercle brillant, mélange de grandeur et de préciosité, Tallemant descendait à celui des financiers et de la haute bourgeoisie ; fils d’un homme de finances, marié à Élisabeth de Rambouillet, fille d’un riche traitant, cousin-germain par alliance de la fille de Montauron, ce Crésus à la mode auquel Corneille dédiait Cinna, introduit, par le mariage de son frère aîné avec Mlle de La Honville, au milieu d’un autre cercle opulent, il lui a été facile d’observer de ces différens points de vue la cour et la ville, la noblesse et la bourgeoisie. Bourgeois lui-même, et peut-être jaloux des avantages que donnait une naissance que le mérite n’accompagne pas toujours, des Réaux ne put se défendre de mêler à ses observations le dénigrement et la malignité, et il mit une sorte de complaisance à signaler les vices des grands et à les rabaisser au niveau des autres hommes ; le même motif le conduisit à s’étendre sur des familles obscures, et à révéler l’origine de gens partis de bas, que la fortune avait favorisés ; jeune, porté à la débauche et au libertinage de l’esprit, il ne craignit pas de soulever les voiles assez diaphanes qui cachaient les désordres de son temps. Il le fit avec d’autant moins de ménagement qu’il n’écrivait que pour lui et pour quelques amis. Il s’en explique lui-même en ces termes : « Je prétends dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité… Je le fais d’autant plus librement que je sais bien que ce ne sont pas choses à mettre en lumière, quoique peut-être elles ne laissassent pas d’être utiles. Je donne cela à mes amis qui m’en prient. »

Écrivant sous ces influences, des Réaux a peint beaucoup de choses telles qu’elles étaient ; mais, entraîné par ses préventions, il lui est fréquemment arrivé de charger le tableau. Souvent aussi, par un travers d’imagination, ses regards se sont arrêtés de préférence sur le côté licencieux de la société, aussi est-il essentiel de faire, en le lisant, la part des préjugés de l’écrivain. Lues avec cette précaution, les Historiettes seront utiles ; ce sont, dans leur genre, des mémoires de la société du xviie siècle comme ceux de Conrart, comme les lettres de Mme de Sévigné, de Guy Patin et de tant d’autres ; toutes les classes viennent à leur tour y comparaître : en effet, comme déjà nous l’avons dit ailleurs, des Réaux nous montre « les grands personnages en déshabillé, les riches financiers dans leurs modestes commencemens, les littérateurs dans les plus petits détails de leur vie privée. »

C’est surtout la bourgeoisie que Tallemant a dessinée d’après nature, elle que nous ne connaissions guère que par des traits épars dans les correspondances, dans les Mémoires du temps et dans les comédies de Molière. Il a, pour ainsi dire, révélé l’existence de Mme Pilou, de cette vieille si spirituelle, qui marchera désormais, dans nos souvenirs, à côté de Mme Cornuel et de Mme de Cavoie ; cette bonne Mme Pilou, veuve d’un procureur, reçue cependant à la cour, avec qui les duchesses même comptaient, et dont il ne nous était parvenu que le nom, parce qu’elle a été la première bourgeoise qui ait eu un carrosse, et qu’à ce titre Sauval lui a donné une place dans ses Antiquités de Paris.

Littérateur lui-même, Tallemant a vécu au milieu des écrivains de son siècle, et il les a généralement bien jugés. Peu de détails échappent à la postérité sur les hommes célèbres qui fondent la renommée d’un pays ; mais les littérateurs du second ordre s’effacent et disparaissent dans les rayons de gloire qui environnent les grandes illustrations. C’est précisément à ces réputations secondaires que Tallemant s’est le plus attaché ; Voiture et Balzac, Gombauld et Costar, Conrart et Sarrasin, Mlles de Gournay, de Scudéry et des Jardins, des Yvetaux et Colletet, Racan, Boisrobert, Bautru, le ridicule Neuf-Germain, Chapelain, Conrart, et tant d’autres devront à Tallemant d’être mieux connus et mieux appréciés ; et quoique nous soyons nécessairement suspects de quelque partialité pour l’écrivain que nous faisons les premiers connaître, nous croyons pouvoir affirmer qu’à l’avenir il faudra consulter des Réaux quand on voudra descendre dans les détails privés, et souvent minutieux, de la vie des hommes de lettres dont il parle dans ses Historiettes.

Il ne faut pas s’arrêter, comme on l’a fait dans quelques articles de journaux, à ce que dit Tallemant de Blaise Pascal, et de ce garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine. Au moment où Tallemant écrivait, en 1657 ou 1658, les Lettres à un provincial venaient de paraître successivement sous le nom de Louis de Montalte, mais l’auteur en était demeuré inconnu. Quant à La Fontaine, aucune fable n’avait encore révélé son génie.

Nous ne possédons au reste de Tallemant que l’ouvrage qu’il n’avait pas destiné à voir le jour ; c’est l’Album, auquel il confiait ses souvenirs de toute nature, aussi bien ceux qu’il racontait inter pocula, que ceux par lesquels il jetait d’agréables distractions dans un cercle choisi ; ses Historiettes sont en quelque sorte l’ament meminisse, qu’il destinait à égayer ses vieux jours. C’était aux Mémoires de la régence d’Anne d’Autriche que Tallemant attachait le plus d’importance ; il y renvoie fréquemment dans ses Historiettes ; c’est là qu’il se proposait de tracer l’histoire de son temps ; il n’a malheureusement pas mis la dernière main à cet ouvrage ; il est même douteux qu’il l’ait jamais composé.

On voit, par l’Introduction des Historiettes, qu’en 1657, quand Tallemant se mit à les écrire, il avait seulement formé le projet de composer des mémoires plus importans : « Je renverrai souvent, dit-il, aux mémoires que je prétends faire de la régence d’Anne d’Autriche, ou, pour mieux dire, de l’administration du cardinal Mazarin, que je continuerai tant qu’il gouvernera, si je me trouve en état de le faire. » Tallemant a employé trois ans à rédiger ses Historiettes, car il les termine par le récit du procès du marquis de Langey, jugé en 1659. Les mémoires de Tallemant contiennent, il est vrai, quelques faits postérieurs à cette époque, mais ces faits sont écrits dans des additions à la marge du manuscrit, que les éditeurs ont rétablies dans le texte. Nous ne croyons pas, au reste, qu’aucune de ces additions soit relative à des faits plus récens que les années 1665 ou 1666.

Rien n’établit jusqu’à présent que Tallemant ait mis à exécution le projet d’écrire les Mémoires sur la régence qu’il semblait promettre[31]. Les recherches les plus étendues dans toutes les bibliothèques de Paris n’ont eu à cet égard aucun résultat.

Dès leur apparition, les Mémoires de Tallemant ont été l’objet d’éloges et de critiques également outrés. Les partisans de ce qu’on est convenu d’appeler le progrès, y ont applaudi ; ils ont cru y voir une sorte de niveau passé sur ces hautes existences dont les reflets jettent encore de l’éclat sur notre société moderne ; ceux qui gémissent du bouleversement des idées sur lesquelles reposent les sociétés, ont cru y voir le ravalement de la noblesse et du haut clergé, ainsi que la dégradation des mœurs du vieux temps, et ils ont repoussé avec une sorte d’indignation un livre qui, à leurs yeux, dépouillait le passé de ses enchantemens. Nous n’acceptons ni ces éloges ni ces blâmes ; nous répondrons aux uns comme aux autres que si Tallemant a dévoilé de basses intrigues et de misérables faiblesses de personnages illustres, il a seulement rapproché de notre vue ce que nous sommes accoutumés à ne regarder que d’un point éloigné. Peintre des scènes vulgaires de la société, il rassemble les traits épars jusqu’ici dans des recueils rarement consultés. Rien dans les récits de Tallemant n’étonnera ceux qui ont parcouru les vaudevilles, les ponts-bretons et les chansons dont nos sottisiers fourmillent, où de scandaleuses anecdotes sont reproduites avec un cynisme révoltant dans des couplets dont des hommes qui passaient pour polis ne craignaient pas de souiller leurs lèvres ; rien n’étonnera ceux qui ont lu avec attention les Amours des Gaules, cette satire attribuée en partie à Bussy Rabutin, qui renferme beaucoup plus de faits historiques qu’on ne le pense généralement. La société du xviiie siècle présente à l’observateur les plus singuliers contrastes. Des jeunes gens de la cour et de la ville, des femmes de haute qualité, des bourgeoises, se livraient aux débauches les plus dégradantes ; le vaudeville malin châtiait cette conduite, et plus tard les sentimens religieux reprenaient leur empire, et on voyait tous ces enfans égarés revenir à la pratique des plus austères vertus.

On accuse Tallemant d’avoir calomnié Henri iv, d’avoir cherché à diminuer la gloire dont la mémoire de ce bon roi est environnée. Ce reproche est injuste. Dans l’historiette de ce prince, Tallemant s’est plus attaché au vert galant qu’au grand roi ; il a laissé cette tâche à l’historien ; il parle plus de ses maîtresses que de ses exploits ; est-il injuste quand il dit : « On n’a jamais vu un prince plus humain, ni qui aimât plus son peuple ? » C’est à l’égard du duc de Sully que Tallemant a surtout montré de la prévention. Ce ne serait pas ici le lieu d’entrer dans une discussion qui aurait besoin de quelques développemens ; nous sommes loin de partager les préoccupations de Tallemant à l’égard du grand ministre de Henri iv ; on ne peut cependant pas se dissimuler que l’administration de Sully est principalement connue par les Œconomies royales, composées sous ses yeux par des secrétaires à ses gages. Tous les matériaux de l’histoire sont loin d’être encore publiés ; attendons-les ; considérons seulement Tallemant comme un nouveau témoin introduit dans l’arène des débats historiques. Il ne faut pas le croire sur parole, mais il y aurait de l’injustice à refuser de l’entendre[32].

Tallemant a été l’objet d’une accusation grave ; sa plume est loin d’être chaste ; il raconte avec une sorte de complaisance des anecdotes scandaleuses ; il foule aux pieds des bienséances qui doivent toujours être respectées. Les éditeurs ont été au-devant de ce reproche, mais obligés de supprimer un petit nombre de passages qui dépassaient toutes les bornes, ils se seraient bien gardés de porter plus loin le scrupule. Ils ont mieux aimé encourir le reproche de n’avoir pas été assez sévères que de risquer d’ôter à Tallemant sa physionomie originale avec son allure cynique, moqueuse et dénigrante. Ce livre est celui des hommes faits ; ceux qui le liront feront la part du temps ; ils seront encore choqués d’une foule d’expressions, de couplets et d’anecdotes, que nous avons cru devoir conserver ; mais ils se souviendront que nos pères n’avaient pas les mêmes idées que nous sur certaines bienséances. Nos poètes dramatiques emploieraient-ils aujourd’hui des expressions qui du temps de Molière, de Dancourt et de Montfleury, n’effarouchaient personne ? Tallemant écrit pour ses amis avec l’abandon d’une correspondance familière ; il amène et il explique ces vaudevilles qui avaient le diable au corps, comme Mme de Sévigné le disait si plaisamment des chansons de Blot, et il conte en badinant les anecdotes qui les ont inspirés. Aussi Tallemant des Réaux a-t-il plus d’un rapport avec Brantôme et Pierre de l’Estoile, écrivains que, malgré leur cynisme, on n’a jamais pensé à exclure des bibliothèques.


Monmerqué,
Membre de l’Institut.
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE.

Les Historiettes ou Mémoires de Tallemant des Réaux ont le plus haut degré d’authenticité.

Elles sont publiées d’après le manuscrit de l’auteur. Il est entièrement écrit de sa main, et forme un volume du format in-folio, composé de sept cent quatre-vingt dix-huit pages, sans y comprendre les tables. L’ouvrage est écrit le plus souvent à mi-marge, et la colonne restée en blanc est chargée de renvois fréquens et d’articles que l’auteur a ajoutés à sa première composition. Des ratures assez multipliées portent les corrections inséparables d’un premier jet. L’écriture du manuscrit est fine, rapide et d’une lecture assez difficile.

Ce manuscrit a été long-temps possédé par MM. Trudaine. En 1803, il a été compris, sous le no 1677, dans le catalogue de la bibliothèque de cette famille, dressé par Bluet, libraire. Il est ainsi annoncé : Recueil de pièces intéressantes pour servir à l’histoire de France, sous Henri iv et Louis xiii, in-folio, vél. Cette désignation est suivie de la note suivante : « Manuscrit sur papier contenant sept cent quatre-vingt dix-huit pages. Recueil rempli de faits curieux et peu connus, et accompagné d’une table des matières. »

Cette note prouve suffisamment que le rédacteur du catalogue ne connaissait pas plus l’auteur du manuscrit que les matières qu’il y a traitées.

M. de Châteaugiron ayant acheté ce volume, ne tarda pas à reconnaître son importance littéraire. Il en fit faire, sous ses yeux, une copie exacte, et peu jaloux d’une jouissance exclusive, il communiqua l’ouvrage à quelques amis. C’est ainsi que les Mémoires de Tallemant des Réaux ont été cités par M. Walkenaer dans l’Histoire de La Fontaine, dans la Vie de Maucroix, et dans la notice sur Antoine Rambouillet de la Sablière ; par M. Jules Taschereau, dans l’Histoire de Molière, et par nous dans la notice qui précède les Mémoires de Conrart, publiés en 1826.

Les éditeurs de Tallemant des Réaux ont réuni dans un seul contexte les Mémoires continus et les additions écrites sur les marges qui ont paru susceptibles de tenir leur place dans l’ensemble de l’ouvrage. Quant à une multitude de fragmens et de courtes observations, qui ne peuvent être rattachés au texte, ils sont considérés comme des notes rejetées au bas des pages, où ils sont signés T, lettre initiale de Tallemant des Réaux.

Les notes des éditeurs ne portent aucune signature.

Nous avons rencontré, en 1825, chez le libraire Bluet, deux portefeuilles remplis de pièces manuscrites du temps de Louis xiv ; la plupart de ces pièces sont écrites de la main de Tallemant des Réaux. Les couplets des Frondeurs y sont mêlés à ceux des Mazarins : les portraits, tels qu’on les faisait dans la société de Mlle de Montpensier, y sont confondus avec des vers de La Fontaine, du duc de Nevers, de Mme Deshoulières, de Montplaisir, de Benserade, de Mlle Scudéry, et d’une foule d’autres.

Un fragment assez considérable des Historiettes ou Mémoires de Tallemant des Réaux fait partie d’un de ces portefeuilles. C’est le chapitre sur mademoiselle des Jardins, l’Abbé d’Aubignac et Pierre Corneille. Ce morceau, entièrement écrit de la main de des Réaux, porte la date de 1660. Il forme dans notre édition le dernier chapitre de ses Mémoires[33].

Ces portefeuilles contiennent d’autres opuscules plus ou moins importans. Il s’y est rencontré le manuscrit d’un ballet inédit, ouvrage de la jeunesse de La Fontaine, intitulé : les Rieurs du beau Richart[34]. L’éditeur s’est empressé d’offrir cette petite pièce à M. le baron Walkenaer, son honorable confrère à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui l’a insérée dans sa belle édition des œuvres du fabuliste[35], en l’accompagnant de recherches aussi curieuses qu’exactes.

Ces portefeuilles contiennent encore la copie de la main de Tallemant des Réaux du Voyage de Chapelle et Bachaumont ; ce n’est qu’une première pensée, beaucoup moins développée que les éditions imprimées ; mais les notes que des Réaux y a ajoutées sur les personnes dont il est question dans l’opuscule des deux amis, donnent de la curiosité à cette copie incomplète.

Les deux portefeuilles, ainsi que le manuscrit des Historiettes, proviennent de la bibliothèque de la famille Trudaine, dans laquelle Renée-Madeleine de Rambouillet, petite-nièce de Mme Tallemant des Réaux, paraît avoir apporté la succession de sa grande tante, et peut-être même celle de Gédéon Tallemant des Réaux, son grand-oncle.

Cette demoiselle de Rambouillet, fille de Nicolas de Rambouillet, et petite-fille de Mme de la Sablière, amie de La Fontaine, était dame de la Sablière, du Plessis-La-Leu[36], et d’autres lieux. Elle épousa, le 1er  février 1701, Charles Trudaine de Montigny, qui est devenu prévôt des marchands, et est mort en 1721[37].

Il nous semble évident que par cette alliance les manuscrits de Tallemant sont venus dans la bibliothèque de Trudaine. Cette circonstance contribuerait encore, s’il en était besoin, à établir l’authenticité du manuscrit des Historiettes et de la plupart des pièces contenues dans les deux portefeuilles que l’on vient de décrire.

Nous avons fait usage d’un autre manuscrit de Tallemant des Réaux qui provient de la bibliothèque de M. Boulard. C’est un recueil d’anecdotes et de bons mots, qui a fourni deux chapitres aux éditeurs, dont un contient les réparties attribuées à Mme Cornuel[38]. Ce manuscrit, qui appartient à M. Monmerqué, est tout entier de la main de Tallemant ; l’écriture des dernières pages est fort altérée et paraît être de sa vieillesse.

Nous avons réuni aux Mémoires de Tallemant des Réaux deux ouvrages qui leur font suite et leur servent de complément.

Le premier est la Vie de Costar et de Louis Pauquet, son secrétaire. L’auteur était un ecclésiastique de la cathédrale du Mans, dont le nom est inconnu. On y voit beaucoup de particularités sur Costar et sur son temps ; le secret du travail des savans du xviie siècle y est mis à jour, et sous ce rapport surtout, c’est une curiosité remarquable. M. Aimé Martin, propriétaire du manuscrit, a eu la complaisance de le mettre à notre disposition.

La Vie de Costar est suivie de quelques lettres adressées, par Mlle de Scudéry, en 1650 et en 1651, à Godeau, l’évêque de Vence ; elles sont d’un grand intérêt, et renferment des détails inconnus jusqu’à présent sur plusieurs évènemens de la guerre de la Fronde.

Des avertissemens particuliers précèdent la Vie de Costar et les lettres de Mlle de Scudéry.

  1. Six vol.  in-8o, librairie d’Alphonse Levavasseur, place Vendôme.
  2. Despréaux a donné le modèle et l’exemple du pastiche dans les Lettres à Vivone, où il contrefait Balzac et Voiture ; M. Charles Nodier a traité de cette espèce de contrefaçon dans ses Questions de littérature légale (Crapelet, 1828, pag. 90 et 215). Nous indiquerons ici un volume de M. le marquis du Roure, qu’il a dédié à ses confrères les bibliophiles français. L’ouvrage n’a été tiré qu’à soixante exemplaires. Il porte en faux titre : Réflexions sur le style original, sans date ni frontispice (Paris. 1829, in-8o). M. du Roure s’y est proposé d’établir que rien n’est plus aisé que de faire des pastiches ; rien, en effet, ne semble lui être plus facile. Il imite Rabelais, La Bruyère, Mme de Sévigné, Pascal, Voltaire, J.-J. Rousseau et Diderot ; et si ces morceaux étaient confondus dans les œuvres de ces auteurs, il serait difficile de reconnaître le don qui leur a été fait.
  3. M. Monmerqué lui-même, MM. de Châteaugiron et J. Taschereau.

    (N. du D.)
  4. Mémoires de Marolles, pag. 438 de l’éd. in folio, et tom.  ier, p. 335, de l’éd. in-12. On y lit : Messieurs des Ruaux (éd. in-folio). Messieurs des Réaux (éd. in-12). C’est une erreur que la suite de la phrase rectifie d’elle-même.
  5. « Pour les épigrammes françaises, nous avons des auteurs à qui nos voisins ne sçauraient contester les avantages de la primauté… Feu M. Maynard, M. de Bautru… M. de Gombauld… M. de Racan… M. Colletet… M. l’abbé Tallemant, qui tourne ses pensées si délicatement, M. des Réaux, son frère, M. l’abbé de Boisrobert, etc. (Mémoires de Marolles, 2e  partie de l’éd. in-folio, pag. 246.)
  6. Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. ii, pag. 242. La pièce est signée, dans la Guirlande, du nom de des Réaux Tallemant. Il a semblé convenable de réunir ici le peu de vers de des Réaux que l’on a conservés.
  7. C’était un homme très singulier ; Tallemant lui a consacré un chapitre. Tom. v, pag. 43.
  8. Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. v, pag. 16. Le duc de Candale, fils aîné du duc d’Épernon, était en possession de donner la mode. Ce fut lui qui se vengea si cruellement d’une moquerie de Bartet, qui avait en effet réduit le mérite de ce duc à l’expression la plus simple. (Voyez les Mémoires de Conrart, t. 48, pag. 265, de la seconde série des Mémoires relatifs à l’Histoire de France).
  9. Gédéon, fils aîné du maître des requêtes, prenait vers cette époque la qualité de capitaine réformé au régiment d’Alsace. Paul était membre de l’Académie française.
  10. Recueil manuscrit de Tallemant des Réaux. Bibliothèque de M. Monmerqué.
  11. Diverses poésies de M. de Chandeville, dans le Recueil de diverses poésies des plus célèbres autheurs de ce temps. Paris, 1651, in-12, tom. ii, pag. 98.
  12. L’original autographe de cette pièce se trouve dans un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal. Belles-Lettres françaises, in-4o, no 151, tom. ier, pag. 891.
  13. Ce nom de Polivon paraît venir des deux noms patronimiques Paul Yvon, et se confondre avec eux.
  14. Mémoires de Conrart, tom. xlviii, pag. 189, de la 2e  série de la col. des Mémoires relatifs à l’Histoire de France.
  15. Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. iv, pag. 270.
  16. Nous trouvons dans les manuscrits de Conrart une notice curieuse sur l’origine de Ruvigny ; nous la plaçons ici, parce qu’elle a échappé à nos recherches quand nous avons publié les Mémoires de Conrart.

    « L’abbé des Alleux, frère de Bellengreville, grand prévôt de l’Hôtel, était père naturel de Ruvigny, qui fut depuis à M. de Sully, lequel lui fit épouser une demoiselle de sa femme, et lui donna le gouvernement de la Bastille, qui n’était pas grand’chose en ce temps-là ; car, sous le règne de Henri iv, il n’y avait point de prisonniers. Ils étaient trois frères, Bellengreville, Lacourt-du-Bois et l’abbé des Alleux. Ce Ruvigny, qui était fils naturel du dernier, eut trois enfans, deux fils et une fille. Le fils aîné fut page de la chambre du roi Louis xiii et mourut jeune. Le second est celui qu’on nomme aujourd’hui le marquis de Ruvigny, et qui est député général des églises réformées de France ; et la fille, qui était très belle et très vertueuse, épousa en premières noces le baron de la Maisonfort, et en secondes noces un seigneur anglais, qui fut fait duc de Southampton. » (Manuscrits de Conrart, à la bibliothèque de l’Arsenal. Belles-Lettres françaises, no 902, in-fol., tom. xi, pag. 1215.)

  17. Voyez la Liste générale de tous les Mazarins qui ont été déclarés et nommés, demeurant dans la ville et faubourgs de Paris, avec leurs noms, surnoms et demeures. Paris, chez François Malaise, au mont Saint-Hilaire, 1652, in-4. On y lit : Tallemant, père et fils, demeurant à présent rue Geoffroy-Langevin.
  18. Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. vi, pag. 70.
  19. Mémoires du cardinal de Retz, 2e  série de la collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, tom. xliv, pag. 101.
  20. Malheureusement la découverte récente du manuscrit autographe des Mémoires du cardinal de Retz ne fera pas retrouver ce qui a été détruit pour toujours.
  21. M. Walkemaer a douté que le véritable nom de madame de La Sablière fût Hessein ou Hesselin (Histoire de la vie et des ouvrages de Jean de La Fontaine). Ce doute doit cesser devant les recherches faites dans les généalogies de cette famille conservées dans le cabinet du roi.
  22. Il faut bien se garder de confondre la famille d’Angennes, qui possédait le marquisat de Rambouillet, avec Rambouillet le financier.
  23. Le sieur Tallemant des Réaux et l’aumônier du roi, docteur en droit civil et canon. (Note de Robinet.)
  24. Voyez l’Historiette de madame Levesque, dans les Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. iii, pag. 278 et suiv.
  25. Recueil de vers choisis, Paris, 1693, in-12, pag. 170. On voit à la table que cette pièce est de des Réaux.
  26. Portefeuille de pièces manuscrites rassemblées par Tallemant des Réaux, bibliothèque de M. Monmerqué.
  27. Recueil de vers choisis, Paris, 1698, pag. 8.
  28. Nous devons la communication de cette épître à M. Parison, savant bibliographe, ami du père Adry et de l’abbé de Saint-Léger, qui a réuni à une excellente bibliothèque de classiques et d’anciens livres des autographes fort curieux. Cette pièce est toute de la main de Tallemant des Réaux.
  29. Ce fut Malherbe qui donna à madame de Rambouillet ce nom tant de fois répété, c’était l’anagramme de Catherine. Elle s’appelait Catherine de Vivonne. (Mémoires de Tallemant des Réaux, tom. i, pag. 189.)
  30. On trouve de grands détails sur la société de l’hôtel de Rambouillet dans un Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France, par M. Rœderer, de l’académie des sciences morales. Paris, Firmin Didot, 1835, in-8. Nous regrettons que cet ouvrage ait été composé avant la publication des Mémoires de Tallemant ; l’auteur y aurait pu trouver d’utiles renseignemens. Nous regrettons aussi de n’avoir pu profiter des vastes recherches contenues dans cet ouvrage pour éclaircir quelques passages de Tallemant.
  31. Tallemant paraît au moins avoir commencé ce travail, car il y a plusieurs fois renvoyé positivement.
  32. M. Paulin Paris, dans une spirituelle analyse des Mémoires de Tallemant, insérée au Bulletin de la société de l’Histoire de France, 1834 (ire partie, tom. i, pag. 32), attribue l’injustice de Tallemant envers Sully à l’influence de madame de Rambouillet, qui était dans les intérêts du duc d’Épernon, l’ennemi de Sully. Cette remarque qui nous était échappée, mérite d’être pesée ; mais c’est surtout dans l’historiette de Louis xiii (tom. ii, pag. 64), que l’influence de madame de Rambouillet se fait le mieux sentir : « Elle ne pouvoit souffrir le Roi, dit Tallemant ; il lui déplaisoit étrangement ; tout ce qu’il faisoit lui sembloit contre la bienséance (tom. ii, pag. 282). » Aussi Tallemant a-t-il singulièrement maltraité Louis xiii ; il lui prête des vices dont, à ce qu’il nous semble, personne jusqu’à présent ne l’avait accusé ; il relève soigneusement ses ridicules et ses défauts, et il ne dit pas un mot du courage de soldat qu’il montra à l’attaque du Pas-de-Suze.
  33. Tom. vi, pag. 210.
  34. Le beau Richart est un carrefour de Château-Thierry, où se réunissaient les habitans pour s’entretenir de nouvelles.
  35. Œuvres de La Fontaine. Paris, Lefevre, 1827, in-8o, Tom. iv, pag. 127.
  36. Cette terre venait des Tallemant.
  37. Nous avons trouvé ces renseignemens dans le cabinet généalogique de la Bibliothèque du roi, au mot Trudaine.
  38. Voyez la Suite de bons mots et naïvetés, tom. v, pag. 168, et les Réparties de madame Cornuel, ibid., pag. 179.