Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 09

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Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 30-32).


CHAPITRE IX.



持而盈之,不如其已;揣而銳之,不可長保。金玉滿堂,莫之能守;富貴而驕,自遺其咎。功遂身退天之道。


Il vaut mieux ne pas remplir (1) un vase que de vouloir le maintenir (lorsqu’il est plein).

Si l’on aiguise (2) une lame, bien qu’on l’explore avec la main, on ne pourra la conserver constamment (tranchante).

Si une salle est remplie d’or et de pierres précieuses, personne ne pourra (3) les garder.

Si l’on est comblé d’honneurs et qu’on s’enorgueillisse, on s’attirera des malheurs (4).

Lorsqu’on a fait de grandes choses et obtenu de la réputation (5), il faut se retirer à l’écart.

Telle est la voie du ciel (6).


NOTES.


(1) Littér. « tenir des deux côtés et remplir cela : il vaut mieux « s’abstenir ; » c’est-à-dire, il vaut mieux ne pas remplir un vase que de vouloir le tenir à deux mains lorsqu’il est plein. Cette construction est recommandée par G, qui ajoute que les anciens livres offrent un grand nombre de ces pbrases où l’ordre des mots est renversé. Ibidem : Il s’agit ici de l’action de tenir à droite et à gauche un vase plein, de peur qu’il ne déborde.

Sou-tseu-yeou. : Si l’on sait qu’un vase plein jusqu’au haut ne manque pas de déborder et qu’on tâche de le maintenir en le tenant de chaque côté, le plus sûr parti était de ne pas le remplir.

B : Tout ce chapitre doit se prendre au figuré. H : Lao-tseu veut montrer le danger auquel on s’expose en s’avança nt toujours sans savoir s’arrêter. Pour (E) faire mieux ressortir cette vérité, il se sert de comparaisons tirées d’objets faciles à apercevoir.


(2) Littér. « tâter avec la main et aiguiser cela. » Il faut renverser l’ordre des mots (G), comme dans la phrase précédente, et traduire littéralement : « aiguiser et tâter cela, » c’est-à-dire, tâter une lame avec le doigt après l’avoir aiguisée.

G : Le mot tchoaî veut dire « tâter la lame avec la main, pour régler la finesse du tranchant de peur qu’il ne s’émousse.

Lieou-sse-youen : Lorsqu’on aiguise une arme, elle ne manque jamais de s’émousser. Il vaut mieux (dit Sou-tseu-yeou) ne pas se fier à la précaution qu’on prend de tâter le tranchant avec le doigt ; il vaut mieux (dit Liu-kie-fou) ne point aiguiser cette arme. E : Si vous augmentez toujours la finesse du tranchant, la lame (deviendra trop mince et) se brisera promptement.

Le commentateur B entend autrement les mots tch’ang-pao 長保 « conserver constamment, ou longtemps. » Selon lui, ce passage signifierait que, quand on prendrait la précaution de tâter avec la main une lame qu’on aiguise, on ne pourrait se préserver constamment des coupures et des blessures quelle peut faire ; il vaut mieux être attentif à ne pas s’en servir. Alors, dit-il, on ne sera point exposé à un tel danger.

(3) B : Il viendra un temps où elle s’épuisera. Est-il possible de garder constamment de telles richesses et de ne pas les perdre ?


(4) E : L’auteur veut dire qu’il ne pourra conserver ses richesses et ses honneurs. Je suis le commentateur B, qui explique tseu-i 自遺 par tseu-thsiu 自取 « s’attirer quelque chose. »


(5) B : Lorsqu’un héros a fait de grands exploits et obtenu de la réputation, il faut qu’il sache que la vie est comme l’illusion d’un songe, que les richesses et les honneurs sont comme les nuages qui flottent dans l’air. Il doit, quand le temps est venu, trancher les liens d’affection qui l’attachent, s’échapper de sa prison terrestre, et s’élancer au delà des créatures, pour s’identifier avec le Tao.


(6) A : Toutes les choses décroissent et dépérissent lorsqu’elles sont arrivées à leur apogée. La joie extrême dégénère en douleur, et l’on tombe souvent du comble de l’illustration dans la disgrâce et le déshonneur, Ibid. Quand le soleil est arrivé au plus haut de sa course, il s’abaisse vers le couchant ; quand la lune est pleine, elle décroît.