Thèse sur la question : Si l’homme tire son origine d’un ver

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Académie des inscriptions et belles-lettres
Journal des sçavans (p. 443-449).

XXIX.


LE JOURNAL
DES
SÇAVANS,


Du Lundy 13. Juillet M. DCCV.




THESE SUR LA QUESTION : SI L’HOMME TIRE SON ORIGINE D’UN VER,

soutenue aux Ecoles de la Faculté de Medecine de Paris, le Jeudi 13e. de Novembre 1704. sous M. Geoffroy, de l’Académie Royale des Sciences de Paris, de la Société Royale de Londres, Docteur Regent de la même Faculté de Medecine, Auteur de la These, & President de la dispute. Traduction du Latin, par M. Andry, Lecteur & Professeur Royal, Docteur Regent de la Faculté de Medecine de Paris. A Paris chez Laurent d’Houry, rue saint Severin. 1705. vol. in 12. pagg. 70.



Les Theses qui se soutiennent aux Ecoles de la Faculté de Medecine de Paris, ont cet avantage, que ce sont des especes de traitez complets sur une matiere. On y propose d’abord une question, qu’on y resout ensuite par les raisonnemens qu’on juge les plus simples, & qu’on croit s’accorder le mieux avec l’experience. La forme de ces raisonnemens n’est pas arbitraire, l’usage de la Faculté est de les réduire à l’Epichereme, c’est-à-dire à cette sorte de Syllogisme dont chaque proposition est immédiatement suivie de sa preuve. Cette maniere de raisonner est moins seche, & en même temps plus claire. C’est celle dont Ciceron s’est servi dans la fameuse Oraison pour Milon, laquelle ne consiste toute entiere qu’en un seul épichereme. Un autre usage de la Faculté est de distinguer dans la These les membres de l’Epichereme, ce qui fait en tout cinq articles. Le premier article de la These contient donc la majeure : le second, la preuve de la majeure : le troisiéme, la mineure : le quatriéme, la preuve de la mineure ; & le cinquiéme, la conclusion. Ces sortes de Theses sont ordinairement bien travaillées, parce que la Faculté en commet le soin, non aux Bacheliers qui les doivent soutenir, mais aux Docteurs qui doivent y présider.

M. Geoffroy Auteur de celle-cy, y a suivi exactement les regles que nous venons de marquer. La question qu’il propose est : Si l’homme tire son origine d’un ver. Il la décide par l’affirmative, donc l’homme tire son origine d’un ver.

Pour prouver ce sentiment, il observe d’abord que la nature n’a donné aux animaux qu’un seul moyen de reproduction, qui est celuy des semences. Ensuite il avance que ce moyen est le même en eux que dans les plantes ; en sorte que pour bien connoître l’origine du corps de l’homme, & celle de tous les animaux, il ne faut, dit-il, que bien examiner l’origine des autres corps vivans.

Dans le second article, cette uniformité de la nature en ce qui regarde la génération, se trouve prouvée par l’uniformité qu’on remarque dans tout ce qui concerne les autres fonctions des corps vivans, & les organes necessaires à leur vie. M. Geoffroy fait dans cette occasion un parallele des animaux & des plantes, dans lequel il expose tout ce qu’il y a de plus curieux sur ce sujet. Ensuite il conclud que puisque la nature suit en général un même plan dans ce qui regarde la structure, l’accroissement, & l’entretien de tous les corps vivans, il n’y a pas d’apparence qu’elle se démente dans ce qui regarde leur generation. Il ajoute qu’au contraire il y a tout lieu de juger que puisque les animaux & les végétaux vivent, se nourrissent, & croissent de la même maniere, ils se reproduisent aussi tous d’une maniere semblable.

Cela posé, il montre dans la suite, que les plantes s’engendrent par mâle & femelle ; que les plantes femelles conçoivent par des germes qui sont eux-mêmes autant de petites plantes ; d’où il infere que la conception de l’homme & celle de tous les animaux se fait aussi par des germes, qui tout eux-mêmes autant de petits animaux. Il dispose par avance l’esprit à tirer cette conclusion, & pour cela il rapporte dés le commencement du troisiéme article, ce qu’on découvre par le Microscope dans l’humeur destinée à la generation des animaux. Si l’on ouvre, dit-il, le corps d’un jeune homme, qui en pleine santé soit mort de mort violente, & qu’avec le Microscope on examine les vaisseaux seminaires, on appercevra dans la liqueur qu’ils contiendront, un si prodigieux nombre de vermisseaux, qu’une petite portion de cette matiere, quand elle seroit moins grosse qu’un grain de sable, en laissera voir plus d’un million ; ou s’il arrive qu’on n’en découvre point, c’est que l’homme étoit sterile. Si l’on fait le même examen sur le cadavre d’un vieillard, on trouve moins de ces vers, encore sont-ils languissans. Si c’est sur celuy d’un enfant de 12. à 13. ans il s’en presente une grande quantité, mais ils sont la plupart pliez & envelopez comme des insectes dans leurs nymphes, au lieu que dans les corps qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieux, on les trouve developez, & avec un mouvement très sensible : toutes circonstances, dit M. Geoffroy, qui semblent déjà donner lieu de conjecturer que ces petits animaux pourroient bien être la matiere essentielle & immediate de la generation, d’autant plus que les mêmes experiences faites sur des cocqs, sur des chiens, & sur d’autres animaux qu’on peut ouvrir vivans, réüssissent de la même maniere. Ce qu’il y a de remarquable, ajoute l’Auteur, c’est que quand l’œuf a été fécondé par le mâle, on apperçoit dans cet œuf un petit animal, & que lorsqu’il ne l’a pas été, on n’y en apperçoit aucun : de sorte, continue-t-il, qu’il semble que la conception de l’enfant ne s’accomplisse que lorsque parmi un si grand nombre de petits animaux renfermez dans la substance du mâle, il s’est introduit quelqu’un dans l’œuf de la femme, pour s’y déveloper ensuite, & y acquerir la figure d’homme.

Cette preuve seroit insuffisante, si elle étoit seule ; mais la maniere dont les plantes conçoivent, y donne un grand poids ; & c’est sur quoy M. Geoffroy appuye vers la fin du même article, où il avance que cette Hypothese ne suppose rien dont on ne trouve une fidelle image dans la maniere dont les plantes conçoivent. La preuve de cette derniere proposition fait le sujet du quatriéme article.

M. Geoffroy y montre de quelle maniere se fait par les semences la generation des vegetaux. Cet article est assez curieux pour meriter que nous nous y arrêtions.

Les plantes ont leurs sexes aussi bien que les animaux. Les parties mâles des plantes sont les étamines garnies de leurs sommets ; & les parties femelles sont les pistiles. On entend par étamines, ces petits filets placez ordinairement au milieu de la fleur ; par sommets, ce qui termine le haut des filets, & par pistiles une petite tige verte qui s’éleve entre les filets dont nous parlons. Dans le Lys par exemple, les petits corps jaunes qui occupent le milieu de la fleur, sont les sommets, les filets blancs qui les soutiennent sont les étamines, & ces parties ensemble font les parties mâles. La poudre jaune qui se détache de ces sommets & qui tient aux doigts quand on y touche, contient les germes du lys. La tige verte & mince qui paroit entre ces petits corps jaunes, est ce qu’on nomme le pistile, cette tige est creuse & terminée en haut par trois coins arrondis & fendus ; elle reçoit les germes qui se détachent des sommets du lys, & elle les conduit jusqu’au reservoir des graines. Car le bas du pistile cache dans sa cavité de petits œufs, ou autrement des vesicules seminaires, qui sont les graines de la plante. Ces graines deviennent fecondes par l’intromission des germes qu’elles reçoivent ; & toute la partie entiere qui comprend le haut & le bas du pistile, est la partie femelle du lys. La plupart des plantes portent sur la même fleur les deux sexes. On peut nommer celles-là plantes androgynes ; il y en a d’autres où les deux sexes sont separez en differens endroits du même pied ; & d’autres où ils se trouvent sur des pieds differens, & tout à fait détachez. Entre ces dernieres on peut appeller mâles celles qui portent les étamines garnies de leurs sommets, & femelles celles qui portent les pistiles. Parmi les plantes qui produisent sur le même pied les parties mâles & les parties femelles séparées les unes des autres, on compte le bled de Turquie, la larme de Job, les especes de Ricin, le Tournesol, l’Ambrosie, le sapin, le noisetier, le chêne, l’aulne, &c. Entre celles dont les parties mâles & les parties femelles croissent séparément sur les differens pieds de la même espece, on comprend la mercuriale, le chanvre, l’épinard, le houblon, l’ortie, le saule, le peuplier, &c. Dans les fleurs à feuilles, les parties mâles prennent leur origine des feuilles de la fleur ; dans celles qui sont sans feuilles, & qu’on nomme chatons, comme par exemple, dans les fleurs du noyer, elles partent du pedicule, c’est-à-dire de la queuë de la fleur ; les parties mâles portent une poussiere dont les grains sont autant de germes de plantes. La partie femelle que l’on nomme le pistile, & qui est ouverte en haut, reçoit ces germes, qui en meurissant se détachent & vont s’introduire dans les graines renfermées au fond du pistile. A l’égard des plantes qui dans la même fleur portent les deux sexes reünis, la partie femelle est placée entre les parties mâles : cette situation fait qu’elle reçoit aisément leur poussière feconde ; mais lorsque les parties mâles & les parties femelles au lieu de se trouver ensemble, sont separées en differents endroits du même pied, ou sur differents pieds d’une même espece, c’est par l’entremise du vent que les plantes conçoivent. Les plantes femelles où cette poussiere ne peut parvenir, demeurent steriles ; toutes celles dont les fleurs n’ont point de sommets, c’est-à-dire de parties mâles, sont steriles aussi, & portent des graines qui sont semblables à ces œufs que font les poules sans le secours du cocq, dans lesquels il n’y a point de germe. Si on ôte à une plante ses parties mâles, c’est-à-dire les sommets de ses fleurs, on luy ôte en même temps tout moyen de multiplier. C’est ce qu’il est facile d’éprouver sur le bled de Turquie & sur le Palma christi, en en coupant les étamines avant qu’elles soient meures : car alors les parties femelles, c’est-à-dire les pistiles, au lieu de porter des graines fecondes, ne porteront que quelques vesicules vuides qui ne tarderont pas même à secher. Si entre les plantes d’une même espèce, dont les fleurs & les fruits croissent sur des pieds séparez, l’on en cultive en particulier quelqu’une de femelle, en sorte qu’elle ne soit point à portée de recevoir aucun grain de la poussiere qui se détache des fleurs du mâle, cette plante solitaire ou ne conduira point de fruits à maturité, ou n’en donnera que de steriles. C’est une observation qui se peut faire aisément sur la mercuriale, sur le chanvre, & sur d’autres plantes semblables.

Lorsque les fleurs sont dans leur perfection, non seulement les extrêmitez des pistiles se couvrent de la poussiere qui échape des sommets du mâle, mais si l’on ouvre tout le tuyau du pistile, on rencontre dans la cavité jusques vers les graines ou vesicules seminaires, une grande quantité de cette poussiere. Que l’on considere avec soin les graines d’une plante, avant que la poussiere donc nous parlons se soit introduite dans le pistile, on ne les voit remplies que d’une liqueur claire. Qu’au contraire on les examine après que cette poussiere s’est insinuée, on y remarque un corps opaque, qui se develope à mesure que la graine croît, & qui laisse assez voir qu’il est le principe de la plante, ou plutôt la plante même en abregé. Il s’agit de sçavoir par où le petit germe peut entrer dans la graine, pour la rendre feconde. Ce passage est très visible dans la plupart des graines : elles ont une petite ouverture près de l’endroit qui les attache. Cette ouverture est une cellule semblable à celle que l’on nomme cicatricule dans les œufs des animaux, & elle n’est pour l’ordinaire capable de contenir qu’un seul germe : il n’y a qu’à examiner les pois & les feves d’haricot, pour y distinguer sensiblement cet orifice ou cette cicatricule, avec la jeune plante cachée dedans, laquelle semble en deffendre l’entrée par sa petite racine. Que ce qui se passe dans la generation des vegetaux, serve donc, dit M. Geoffroy, à nous faire juger de ce qui se passe dans celle des autres corps vivans ; & puisque la conception des plantes se fait par des germes, qui sont eux-mêmes de petites plantes, & qui se détachant des parties mâles du vegetal, entrent dans les œufs, ou autrement dans les graines de la plante, disons aussi, continue l’Auteur, que la conception de l’homme, & des autres animaux, se fait par de petits animaux, qui de la substance seminaire du mâle dans laquelle on en découvre un si grand nombre, ainsi que nous venons de le remarquer, s’introduisent dans les œufs de la femelle, comme de petites plantes dans leurs graines. M. Geoffroy explique icy comment les petits vermisseaux se developent quand ils se sont une fois introduits dans leurs œufs. Il fait là-dessus des remarques curieuses, que la crainte de nous trop étendre nous oblige à passer malgré nous.

Le cinquiéme article renferme, avec la conclusion de tout le discours, une espèce de récapitulation, qui donne beaucoup de jour à ce qui a déjà été dit. On y explique outre cela comment se forment les jumeaux & comment s’engendrent les monstres à plusieurs têtes. La These est suivie des réponses aux objections que feu M. Tauvri a formées contre ce Systême dans son Livre de la generation du fœtus. Ces réponses sont du Traducteur de la These. Elles paroissent fort satisfaisantes ; nous rapporterions quelques-unes des objections & des réponses, si l’étendue de l’Extrait ne nous obligeoit à nous arrêter icy.