Théâtre - Antigone, Catherine II

La bibliothèque libre.

THEATRES.




ANTIGONE. — CATHERINE II.




Nous sommes aujourd’hui dans une veine heureuse ; nous avons à rendre compte de deux succès. L’un est la reprise d’une tragédie couronnée il y a un peu plus de deux mille trois cents ans, sur le théâtre de Bacchus à Athènes ; l’autre est un drame tiré de l’histoire contemporaine, et dont les acteurs ont pu être connus de nos pères. Antigone ! Catherine seconde ! Quel océan de faits et d’idées sépare ces deux noms ! Et, néanmoins, dans les deux ouvrages qu’ils ont inspirés, un même ressort principal domine tout : le tombeau de Polynice et le tombeau de Pierre III ! Là il s’agit d’un peu de terre qu’un tyran défend à une sœur de jeter sur le corps sacré de son frère ; ici, c’est une souveraine qui pâlit incessamment devant une tombe que la main d’un complice tient inexorablement entr’ouverte….. Mais saluons, avant tout, l’ombre glorieuse et rajeunie du vieux Sophocle : Ab Jove principium. Parlons d’abord d’Antigone.

Il y a deux ans à peine, les journaux littéraires de l’Allemagne nous apportèrent, à grand renfort de réclames, une éclatante nouvelle. On venait de représenter à Berlin, sous un patronage auguste, la traduction littérale de deux chefs-d’œuvre du théâtre grec, accompagnée de la mise en scène la plus savante et la plus conforme aux usages de l’antiquité. Ces deux chefs-d’œuvre étaient les Grenouilles d’Aristophane et l’Antigone de Sophocle. Un musicien célèbre, M. Mendelssohn, avait composé tout exprès des accompagnemens pour les chœurs ; les hommes les plus compétens, les membres les plus illustres de l’académie de Berlin avaient choisi les costumes, dessiné les décorations, réglé jusqu’aux plus minutieuses dispositions scéniques ; enfin, avec un peu de bonne volonté, tout honnête bourgeois de Berlin avait pu se croire, pendant quelques heures, assis sur les gradins du théâtre de Bacchus à Athènes, la quatrième année de la 84e" olympiade, sous l’archontatde Timoclès. Ce tour de force archéologique avait, disait-on, pleinement contenté les juges les plus difficiles. Antigone, surtout, représentée dans la plupart des grandes villes d’Allemagne, avait charmé partout les complaisantes imaginations de la jeunesse des universités et piqué la curiosité blasée des gens du monde, avides de toutes les nouveautés, même des nouveautés renouvelées de Susarion et de Thespis.

Je dois confesser, pour ma part, que l’annonce de cette merveille me trouva fort incrédule. Il me paraissait peu probable qu’on fut parvenu à montrer sur un théâtre de forme moderne, je ne dis pas une représentation fidèle du drame grec, avec ses pompes religieuses et civiques, mais seulement une faible esquisse d’un aussi splendide et aussi singulier spectacle.

A Paris, vers la même époque, un de nos poètes les plus disposés aux entreprises aventureuses et des plus capables de les mener à bonne fin cherchait, de son côté, les moyens d’opérer chez nous une pareille résurrection, et, pour que l’évocation de la muse d’Eschyle fût aussi complète que possible, il ne se proposait rien moins que de composer, sur un sujet et avec des matériaux grecs, une trilogie entière, c’est-à-dire de donner à son œuvre la forme la plus achevée qu’ait revêtue la tragédie ancienne. J’eus un entretien avec ce jeune poète à l’occasion de ce projet grandiose. Je dus lui exposer ma pensée sur l’impossibilité qu’il y a, suivant moi, à reproduire, avec les conditions scéniques actuelles, les formes extérieures du drame grec, fragment magnifique d’un ensemble aujourd’hui détruit. Autant je l’engageai à persévérer dans la partie poétique et littéraire de son projet, je veux dire dans la composition d’un drame conçu sous l’inspiration pathétique, large et simple de la tragédie grecque, autant je m’efforçai de le dissuader de tenter une contrefaçon de mise en scène, puérile si elle était trop imparfaite, et qui, par de bien nombreux motifs, me paraissait d’une réalisation fort improbable.

Comment, en effet, espérer qu’une scène éclairée par les quinquets d’une rampe puisse nous offrir l’image d’un théâtre inondé de la pure clarté du soleil ? comment supposer qu’enfermés dans les cages incommodes que nous appelons loges, nous puissions nous croire assis au podium de l’hiéron de Bacchus, taillé dans le rocher de l’Acropole, rafraîchi par les brises de la mer Egée, et couronné par le Parthénon ?

De cette première, de cette immense différence qui sépare une fête publique, célébrée à ciel découvert, d’un divertissement qui a lieu de nuit, dans une enceinte fermée, il est résulté nécessairement deux systèmes tout opposés d’architecture, de décorations, de costumes et même de déclamation théâtrale. Ce sont là, suivant moi, des données contraires qui se combattent et qui s’excluent.

En Allemagne, en Angleterre, partout où le climat s’est opposé à l’établissement des théâtres de forme grecque, on conçoit que l’érudition essaie de les parodier de son mieux ; mais en France, en Italie, en Espagne, en Sicile, où subsistent tant de belles ruines théâtrales, si l’on veut jamais, par une pieuse reconnaissance, faire revivre un instant Sophocle ou Aristophane dans tout l’éclat de leur grandeur poétique, c’est sur la scène restaurée des théâtres d’Orange, de Pompéï, de Sagonte et de Taormine, qu’il conviendrait de donner le spectacle de cette imposante résurrection, digne de réunir, comme en un congrès poétique, toute la littérature européenne. Dans nos petites salles, sans jour et sans air, construites pour un autre art et pour d’autres mœurs, il faut désespérer de pouvoir atteindre aux grands effets de la scène antique. Vous doutez ? Examinons.

Vous voulez conserver le chœur, cette partie fondamentale de l’édifice scénique en Grèce ; vous voulez même lui restituer la place que les usages religieux lui avaient assignée dans les solennités du théâtre. Vous avez raison : la séparation constante, absolue, des comédiens et du chœur, est une des lois constitutives de la tragédie grecque ; mais prenez garde. Ce premier pas peut vous mener plus loin que vous ne pensez. Vous n’avez pas envie apparemment de faire marcher vos acteurs sur des cothurnes à échasses, d’armer leurs mains de gantelets rembourrés, ni de couvrir leur tête de masques énormes ; vous ne prétendez pas recourir au gigantesque appareil d’Eschyle et de Sophocle, qui donnait près de sept pieds aux acteurs. C’est cependant pour avoir voulu, comme vous, faire concourir à la même œuvre, sans les confondre sur la même scène, les acteurs, τεχνίται (technitai), chargés du drame, et le chœur, chargé des hymnes et des prières, que les fondateurs du théâtre en Grèce, qui avaient un si parfait sentiment de la beauté, se sont vus contraints d’affubler leurs comédiens de cet embarrassant et bizarre attirail. Pourquoi ? Le voici : les choreutes, c’est-à-dire les bourgeois choisis par les choréges dans chacune des douze tribus d’Athènes pour accomplir, dans les tragédies nouvelles, les anciens rites du culte de Bacchus, les choreutes, dis-je, placés sur la partie de l’orchestre où s’élevait le thymélé, pratiquaient leurs chants et leurs danses sur ce lieu, le plus voisin des spectateurs. Les personnages du drame, au contraire, les acteurs de profession, agissant beaucoup plus loin des spectateurs, sur le proscenium, estrade élevée de plusieurs pieds au-dessus de l’orchestre, auraient, dans cet éloignement, paru des pygmées, eux qui représentaient les demi-dieux et les héros, les Ajax, les Hercule, les Agamemnon, les Diomède, tandis que les choreutes auraient semblé des géans, fils de la Terre, et non de paisibles citoyens de Thèbes ou d’Argos. Il fallut donc que l’art vînt rétablir les proportions. Ne prendre de ce système que la moitié, c’est-à-dire grouper les choreutes autour du thymélé, et placer vos comédiens, sans masques ni échasses, sur les hauteurs du proscenium, c’est risquer de rapetisser les héros et de grandir les comparses.

Je pourrais vous faire apercevoir encore bien d’autres difficultés non moins insolubles. Savons-nous, par exemple, bien nettement ce que c’était que la mélopée tragique ? Êtes-vous bien assuré que M. Mendelssohn lui-même ait retrouvé le secret de cette musique des anciens si expressive et si puissante, et qui, en même temps, était assez transparente pour permettre à l’auditeur de ne rien perdre des délicates beautés des chœurs tragiques ? C’eût été, en effet, et ce serait encore aujourd’hui un crime de lèse-poésie que de livrer les chœurs d’Eschyle et de Sophocle à la merci d’un compositeur capable d’étouffer ces fragiles merveilles sous une tempête d’harmonie.

Cependant, c’est un désir si naturel et si légitime que de vouloir reproduire dans leur beauté complète et naïve les immortelles productions des anciens maîtres du théâtre, que bien des essais, avant ceux de Berlin et de Paris, ont été faits dans tous les pays et dans tous les temps. A l’époque de la renaissance surtout, à ce premier épanouissement de l’enthousiasme et de la ferveur classiques, on fit de nombreux efforts en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne, pour rendre la vie de la scène aux chefs-d’œuvre que l’érudition exhumait chaque jour des manuscrits. Des princes, des académies, des cardinaux, des papes même, tinrent à honneur de faire jouer à grands frais devant eux, et souvent dans la langue originale, Sophocle, Plaute, Térence[1]. À Rome, en 1474, l’Hippolytus de Sénèque fut représenté avec beaucoup de pompe dans le palais du cardinal de Saint-George, Raphaël Ricorio, neveu de Sixte IV. Un jeune homme de quatorze ans, devenu plus tard poète, orateur et bibliothécaire du Vatican, Thomas Inghirami, fut chargé du rôle de Phèdre et s’en acquitta si bien, que le surnom de Phœdra lui en est resté[2]. Les représentations de pièces traduites ne furent pas moins nombreuses. En 1486, Hercule Ier, duc de Ferrare, fit jouer sur un grand théâtre, élevé dans la cour de son palais, l’Amphitryon et les Menechmes de Plaute, dans une traduction à laquelle lui-même avait mis la main. Chez nous, Pierre Ronsard, encore écolier, traduisit le Plutus d’Aristophane en vers et le représenta avec ses condisciples dans le collège de Coqueret. La mise en scène des comédies latines n’offrait que peu de difficultés ; mais la tragédie grecque, avec ses chœurs, présentait, comme à présent, un problème des plus ardus. Quoique l’on fût loin alors de posséder les notions archéologiques que les travaux des deux derniers siècles ont amassées, on était pourtant, à la fin du XVe siècle, dans de meilleures conditions qu’aujourd’hui pour entreprendre de tels essais. Comme il n’existait point, ou qu’il existait peu de salles de spectacle permanentes, on avait besoin, pour chacune de ces solennités, d’élever des théâtres dont rien n’empêchait de rapprocher la forme des dispositions connues ou soupçonnées des théâtres anciens. Malheureusement, la prédilection toute naturelle des Italiens pour Plaute et Térence, et les facilités plus grandes qu’ils avaient pour étudier les monumens romains, portèrent les plus habiles architectes de la renaissance. à reproduire, dans ces occasions, plutôt le type des théâtres de l’Italie que celui des théâtres de la Grèce, dont les restes, déblayés aujourd’hui en grand nombre et bien étudiés, étaient encore assez peu connus.

De là vint que l’illustre Palladio, qui avait construit pour de pareilles représentations plusieurs théâtres temporaires (un, entre autres, en 1565, à Vicence, sa patrie, dans la grande salle du palais de justice, où l’on représenta une imitation libre de l’Édipe-roi), ayant été chargé par ses confrères, les membres de l’académie olympique, d’élever un édifice permanent sur le modèle des théâtres anciens, construisit un magnifique édifice qui subsiste encore, mais où, malgré sa profonde érudition et sa ferme volonté de le rendre propre aux représentations du drame antique, il négligea d’introduire plusieurs des parties constitutives d’un théâtre grec. Cependant, en 1585, ce beau monument, encore inachevé, fut inauguré par une des plus mémorables solennités de ce genre qui ait jamais eu lieu. On y joua l’Edipe-roi, fidèlement traduit par un noble vénitien, Orsatto Giustiniano. Pour compléter l’illusion et ajouter au pathétique, le rôle d’Édipe fut rempli au dénouement par le célèbre Louis Giotto, poète lui-même, et qui, à cause de sa cécité, était surnommé le cieco d’Adria. Ce poète avait été amené de sa patrie à Vicence aux frais de l’académie olympique ; il avait été accueilli,, logé, fêté pendant son séjour dans cette ville, et fut reconduit avec la même libéralité et les mêmes honneurs à Adria. Cette représentation, dont il nous reste plusieurs relations contemporaines, eut un retentissement immense, et cependant il suffit d’étudier avec un peu d’attention le plan du fameux théâtre de Palladio, pour être bien convaincu que cette représentation si dispendieuse et si vantée ne dut retracer que fort imparfaitement la manière dont l’Édipe-roi avait fait son apparition sur le théâtre d’Athènes. Jugez par là de ce qu’on peut espérer de faire en ce genre dans nos petites salles modernes, construites pour des besoins tout-à-fait étrangers au système du théâtre antique.

Cependant, aiguillonnés par le bruit du succès obtenu à Berlin, deux jeunes gens, MM. Meurice et Vacquerie, viennent, avec toute la confiance aventureuse de leur âge, d’essayer de transporter à l’Odéon l’Antigone de Sophocle, avec les chœurs de M. Mendelssohn et toute la savante mise en scène de Berlin. J’aurais mieux aimé, je l’avoue, qu’ils eussent choisi une autre pièce. Antigone est une des plus belles, des plus simples, mais aussi une des plus intraduisibles compositions du théâtre grec. Le sujet de cette tragédie, qui remuait si profondément la fibre religieuse dans le cœur des Grecs, ne répond presque à aucun sentiment moderne[3]. Antigone est une sainte du martyrologe païen ; sa mort était accueillie par les Grecs avec la même dévotion qu’un mystère de sainte Marguerite ou de saint Jean-Baptiste inspirait à nos aïeux du XIVe siècle. L’Antigone de Sophocle est une légende pieuse, écrite avec toute la poétique perfection d’Esther et de Polyeucte. J’aurais donc conseillé à MM. Meurice et Vacquerie de choisir plutôt une autre pièce, plus en rapport avec nos idées. Il me semble que l’Édipe-roi ou une trilogie, l’Orestée d’Eschyle, par exemple, auraient mieux répondu à leur dessein ; j’aurais préféré surtout une composition originale et libre, qui eût échappé aux périls immenses d’une traduction littérale. Traduire Sophocle, grand Dieu ! Il n’est déjà pas trop facile de le comprendre, surtout dans les chœurs ! Traduire cette poésie pure comme la Vénus de Milo, expressive comme le groupe de la Niobé ! lutter corps à corps avec une diction si poétique, si naïve, si variée de tons ! Savez-vous que c’est quelque chose comme de traduire La Fontaine ? Nos jeunes et intrépides auteurs n’ont assurément pas pensé qu’il leur fût donné d’atteindre à la perfection de leur modèle ; mais ils avaient à cœur de nous faire connaître la mise en scène de Berlin et la musique de Mendelssohn ; ils avaient l’exemple d’un grand succès ; ils ont compté sur la bienveillance du public et de la critique, sur l’intérêt des amis sérieux des lettres, sur la curiosité de tous ; ils ont pensé qu’une pièce de Sophocle toute pure, sans retranchemens, sans additions, exciterait encore, après vingt-trois siècles, l’admiration passionnée qui a salué sa naissance, et ils ne se sont pas trompés. Malgré les inévitables inexactitudes de la mise en scène, malgré les faiblesses plus regrettables qu’offre dans plusieurs scènes la traduction, la pureté religieusement conservée des grandes lignes de l’original, le pathétique du dénouement, le jeu intelligent de tous les acteurs, la grandeur, enfin, et la nouveauté de l’ensemble ont produit une sensation profonde. On a senti, dans la marche si ferme du drame, le souffle calme et puissant du grand maître. On a su gré aux jeunes auteurs de plusieurs passages bien rendus, de quelques vers bien frappés et dignes de leur modèle. Le succès a été brillant ; il mérite d’être durable.

Ainsi donc, jeunes Athéniens du quartier des écoles, éphèbes de la Chaussée-d’Antin, figurez-vous, un moment, que vous avez pris place dans l’hiéron de Bacchus Lénéen, au pied du temple de Minerve ; acceptez, sans controverse, la clarté de ce lustre, en échange de la splendeur matinale du soleil dorant les sommets de l’Hymette. Vous qui connaissez l’antiquité, résignez-vous de bonne grâce à d’inévitables mécomptes, et vous qui désirez la connaître, venez assister à un spectacle nouveau, et qui, dans son imperfection même, est encore plein d’intérêt, de poésie et de grandeur.

Cela dit, et nos réserves faites, prenons des billets et entrons… Des billets ! Voilà déjà quelque chose de bien pauvrement moderne. C’étaient des tessères, jetons de cuivre ou d’ivoire, qui servaient à Athènes de billets d’entrée. L’ouvreuse, je devrais dire l’hyperète ou le designator, nous place dans ce qu’elle appelle improprement l’amphithéâtre. Je note l’impropriété du terme, mais je loue la chose. En effet, ces stalles rangées en gradins qu’on a élevées dans l’ancien parterre, et où nous prenons place, c’est ce que les Grecs appelaient le ϰοίλον (koilon), les Romains la cavea, ce que les Italiens nomment la gradinata. Je vois bien qu’il faut que je vous explique les motifs de tout le dérangement que vous remarquez dans la salle et sur la scène ; je le ferai volontiers, et je suppléerai, chemin faisant, à ce qu’auront omis les arrangeurs.

D’abord nous voilà assis près l’un de l’autre, vous jeune et moi qui ne le suis plus guère. Il n’en aurait pas été ainsi à Athènes ; il y avait des gradins réservés pour les éphèbes ; ce lieu s’appelait l’ἐφηϐιϰὸν (ephêbikon). Vous avez à votre droite une jeune voisine ; c’est un avantage dont je vous félicite, et que vous n’auriez pas eu dans un théâtre grec : la plupart des antiquaires assurent que les femmes n’étaient pas admises aux solennités théâtrales. Je suis, je vous l’avoue, d’une opinion contraire ; je crois que les femmes assistaient au moins à la tragédie, et qu’on ne les empêchait pas de remplir cet acte de dévotion : je tâcherai d’en donner ailleurs la preuve ; mais toujours est-il certain qu’elles ne siégeaient pas au théâtre d’Athènes, comme à celui de Rome ou aux nôtres, mêlées avec les hommes.

Vous jetez des regards étonnés sur l’avant-scène et vous ne comprenez point ce que signifie l’autel placé devant le trou du souffleur. D’abord supprimez, si vous pouvez, par la pensée, cette hutte du souffleur, qui est bien tout ce qu’il y a au monde de moins attique. Quant à cet autel consacré à Bacchus, c’est le Thymélé. C’est là qu’avant et après les concours scéniques, l’archonte, les stratèges et quelques autres magistrats faisaient, avec l’assistance du prêtre de Bacchus toujours présent, des libations, des purifications et des prières. C’est aussi là que se tenait le poète ou le didascale, à portée de diriger les mouvemens et d’aider la mémoire des comédiens et du chœur. Mais qu’est-ce là ? qu’entends-je ? bon Dieu ! une ouverture ! À quoi donc ont pensé les doctes archéologues de Berlin ? Comment ont-ils laissé M. Mendelssohn placer une symphonie à grand orchestre devant une tragédie grecque ? À Athènes, dans les beaux temps du théâtre, rien ne précédait la voix humaine, si ce n’est l’appel du héraut qui avertissait le poète et le chœur dont le tour de représentation était venu : plus tard, pour éviter toute surprise, un coup de trompette donnait aux acteurs et aux choreutes le signal de leur entrée en scène. À Rome, au temps d’Auguste, un roulement du tonnerre de Claudius[4] annonçait à tous que la pièce allait commencer. Derrière le thymélé, vous apercevez un rideau ; on le baisse, et vous le voyez disparaître sous le plancher de la scène, suivant l’usage romain ; vous y eus rappelez le vers d’Horace :

Quatuor aut plures aulæa premuntur in horas,


et vous applaudissez à l’exactitude de cette manœuvre, en criant, à la mode athénienne ou romaine, ὀρθῶς, ϰαλῶς, θείως (orthôs, kalôs, theiôs), pulchre, bene, feliciter ! Prenez garde cependant ; ceci est un point d’antiquité fort controversable. Il est bien douteux que les Grecs, avant l’invasion des mœurs romaines, aient songé à dérober, un seul instant, la vue de la scène aux assistans. Du moins aucun texte, antérieur à la conquête, ne fait-il mention d’un pareil usage. Quoi qu’il en soit, en descendant lentement sous le théâtre, la toile a laissé à découvert le proscenium et la scène. Vous le savez, la scène, dans les théâtres anciens, était, à proprement parler, ce qui bornait la vue des spectateurs, ce qu’en termes de coulisses on nomme aujourd’hui la ferme. La scène ici représente le péristyle de la demeure du roi. Voici bien les trois portes du fond recommandées par Pollux. Celle du milieu est la porte royale, à l’usage du personnage principal ; les deux autres, plus petites, sont destinées aux acteurs chargés du second et du troisième rôle. De plus, sur les deux ailes en retour, appelées parascenia, s’ouvrent deux portes qui donnent entrée, l’une aux chariots venant de la campagne, l’autre aux dieux marins et à tout ce que des machines voiturent de la ville ou du port. Aussi appelait-on δρόμος (dromos) ; ou iter l’intervalle compris entre les deux portes latérales qui, dans Antigone, ne seront d’aucun usage, mais qui servaient dans l’Agamemnon d’Eschyle, par exemple, pour donner passage au roi des rois rentrant sur son char dans Argos.

La colonne aigüe qui s’élève à droite de la grande porte du palais est ἀγυιεὺς (aguieus), monument pieux qu’on dressait en Grèce devant les maisons, en l’honneur d’Apollon-Aguatès ou gardien des rues. Cette colonnette a pour support une table sur laquelle on déposait les offrandes et les gâteaux sacrés. Toute cette décoration de la scène est irréprochable.

Antigone et Ismène sortent du palais. Elles viennent faire ce que nous appelons l’exposition, et ce que, du temps d’Eschyle et de Sophocle, on appelait le prologue. Cette partie du drame ancien éprouva, comme on sait, par le fait d’Euripide, une profonde modification, qui ne fut pas un progrès. Après le prologue, les choreutes, ayant à leur tête le chorège ou le coryphée (ce qui n’était pas la même chose du temps de Sophocle), viennent un à un, et appuyés sur des bâtons recourbés[5], prendre place non pas sur le proscenium, qui appartenait en propre aux comédiens, mais sur l’orchestre, où ils se rangent, par demi-chœur, des deux côtés du thymélé. Ils sont entrés tout simplement par une coulisse. La descente du chœur dans l’orchestre se faisait sur les théâtres grecs avec beaucoup plus de solennité ; on le voyait sortir des parascenia où il s’était préparé[6], et descendre par un escalier qui manque ici. Aristophane, dans les Nuées et dans les Oiseaux, nous montre les acteurs placés sur le proscenium s’amusant à voir l’irruption de ces singuliers hôtes qui sortaient par essaims des portes des parascenia et se répandaient, avec des danses grotesques, dans l’orchestre. Ces escaliers des parascenia servaient encore de passage aux acteurs qui venaient à pied du dehors. Arrivés dans l’orchestre, ils montaient sur le proscenium par un autre escalier en forme de perron que vous voyez là, derrière le thymélé. Quant au nombre des choreutes, je crois qu’il excède ici quelque peu celui de quinze, auquel on avait réduit le chœur tragique du temps de Sophocle.

L’exiguité de l’orchestre, formé par un simple retranchement de quelques pieds pris sur l’avant-scène, atténue beaucoup l’inconvénient si grave que j’ai signalé plus haut ; mais, d’une autre part, cette exiguité a l’inconvénient de ne pas permettre au chœur l’exécution des marches si variées qui étaient un de ses principaux devoirs dans les cérémonies théâtrales. Le chœur se borne ici à quelques évolutions autour de l’autel du dieu. Ces espèces de rondes étaient, pour le dire en passant, une des figures que les choreutes pratiquaient le plus rarement ; car, pour se distinguer des chœurs cycliques, dont les danses étaient circulaires, ils préféraient les figures qui se rapprochent du carré. Ils se groupaient double plus ordinairement cinq de front sur trois files, ou trois de front sur cinq files. Un aulète ou joueur de flûte les précédait. Le costume dont on a cru devoir vêtir le chœur me paraît un peu plus austère que ne le comportaient le faste athénien et la dévotion dionysiaque. C’était surtout, en effet, par l’éclat et la richesse des habits, dont ils faisaient les frais, que les chorèges de chaque tribu s’efforçaient de surpasser leurs rivaux. Dans Antigone, le chœur, qui est composé des principaux citoyens de Thèbes, des princes de la patrie, comme disent les traducteurs, aurait très convenablement porté des étoffes de pourpre brodées d’or ; il aurait dû, surtout, avoir la chaussure blanche que Sophocle lui-même avait ajoutée à la parure des choreutes.

Si le costume du chœur peut fournir matière à quelques objections, il n’y a que des éloges à donner à celui des acteurs. Cependant, pour cette portion de la mise en scène, les indications de Berlin ont fait, je crois, défaut aux auteurs. Heureusement, sur cet objet, les renseignemens authentiques ne manquent pas ; on sait, à présent, que ce n’est pas aux vases peints, aux bas-reliefs ni aux statues antiques qu’il faut demander la vérité du costume théâtral. Ce costume procède d’une autre source ; il vient d’ailleurs et de plus loin. Il s’est formé à l’époque où les effigies des dieux et des déesses étaient encore emmaillotées de vêtemens ; il a conservé la longueur, l’ampleur et les nuances tranchantes et variées de l’habit traditionnel usité dans les processions et probablement aussi dans les mystères dionysiaques. On trouve abondamment des modèles du vêtement scénique dans les mosaïques anciennes ; celle, entre autres, qu’a publiée M. Millin ne contient pas moins de vingt-quatre scènes de tragédies[7]. Dans tous les monumens de ce genre où figurent des femmes, on les voit porter, comme les hommes, ce costume à demi oriental, dont des bandes d’or ou de pourpre, des mouches ou des étoiles relevaient souvent l’éclat. On ne peut savoir trop de gré aux acteurs de l’Odéon, et particulièrement à Bocage, d’être entrés aussi résolument dans cette voie nouvelle, un peu étrange, et qui ne paraissait pas sans danger. Les femmes même ont été dociles aux sévères prescriptions de la science : elles ont accepté les amples tuniques bariolées, et les ont portées avec grâce ; seulement, elles en ont raccourci ou plutôt supprimé les longues manches. En effet, s’emmailloter les bras et les épaules par respect pour l’archéologie, cela leur eût fait perdre trop de leurs avantages ; elles ont désobéi, et elles ont bien fait. Un pareil usage, d’ailleurs, n’a pu se maintenir sur la scène grecque que parce que les rôles de femmes y étaient toujours joués par des hommes.

Je n’ai pas la prétention de juger du mérite musical des chœurs de M. Mendelssohn ; je ne parlerai que de leur effet. D’abord ils ont le tort, à mon avis, de toute musique moderne appliquée à des paroles, celui de les tuer sans miséricorde. Et pourtant, dans l’occasion actuelle, le problème consistait à ne pas écraser la plus exquise de toutes les poésies sous les notes. Le savant compositeur ne paraît pas y avoir songé. Tous ces morceaux, d’une grave et large facture, sont malheureusement trop monotones. L’invocation à l’Amour ne m’a pas même paru différer sensiblement du reste. Et cependant, en composant cette ode si gracieuse, Sophocle avait évidemment pour but de ménager un contraste.

Si à présent l’on me demande, à part la nouveauté et la curiosité du spectacle, quelle impression a produite sur le public l’œuvre de Sophocle, je répondrai que cette impression a été des plus vives et des plus sympathiques. Trois ou quatre grandes situations surtout ont frappé et ému l’auditoire : l’entrée de Créon, entrée majestueuse et royale ; la belle scène des adieux d’Antigone, si bien rendue par Mlle Bourbier, lorsqu’entraînée par les soldats, elle s’attache à l’autel de Bacchus, et, les cheveux épars, la tête renversée, elle invoque la pitié des Thébains et la justice des dieux du ciel et des enfers ; le morne silence de la reine, précurseur de sa mort, et, enfin, la dernière scène, celle où l’on voit Créon revenir éploré, portant dans ses bras le corps de son fils. Chose étonnante ! ce cadavre d’un enfant, ces sanglots d’un vieillard qui s’accuse, ce mélange de la jeunesse, de la mort et du repentir, m’ont rappelé une scène d’un autre drame, d’un drame d’une tout autre école et d’une inspiration bien différente, la scène où le vieux roi Lear revient portant dans ses bras affaiblis le corps inanimé de Cordelia. Rapports singuliers ! il y a donc, à une certaine hauteur, des régions si pures, que les génies venant des points de l’art les plus opposés s’y rencontrent et sourient de cette nouvelle et étrange fraternité.

Ai-je besoin d’ajouter que quand Bocage est venu nommer les auteurs, il a été accueilli par de longs applaudissemens qui s’adressaient aux traducteurs, à Mlle Bourbier, à lui Bocage et à tout le monde. car tout le monde, dans cette soirée, avait bien fait son devoir. Cependant ne croyez pas que, chez les Grecs, les solennités dramatiques se terminassent ainsi brusquement. Non ; l’encens fumait de nouveau sur le thymélé, les cinq juges allaient aux voix, l’archonte proclamait le nom des vainqueurs et leur distribuait de sa main des couronnes ou des trépieds. J’ignore comment, pour cette partie du spectacle, les choses se sont passées à Berlin ; mais ici, j’aurais souhaité de grand cœur que M. le ministre de l’instruction publique ou M. le ministre de l’intérieur, rémunérateurs naturels des efforts littéraires, se fussent chargés de cette partie finale et intéressante de la représentation. Il est vrai que la couronne d’or ou même de laurier eût été, pour les traducteurs d’Antigone, une récompense tant soit peu prématurée et à laquelle eux-mêmes, j’en suis sûr, ne croient pas encore avoir droit : ils la mériteront par leur prochain ouvrage ; mais dés à présent, et ne fût-ce que dans l’intérêt de la complète exactitude de cette mise en scène antique, M. le directeur des beaux-arts aurait bien dû, comme autrefois l’archonte, venir faire aux deux jeunes poètes le don d’un trépied.

Je me suis laissé entraîné si loin par ma bavarderie classique, qu’il me reste à présent bien peu d’espace, ou, pour être plus véridique, bien peu de temps pour parler, comme je me l’étais promis, de cet autre succès obtenu par la Comédie-Française, — de la tragédie de Catherine II. Quelques mots pourtant.

C’est pour l’art moderne, il faut en convenir, un bien redoutable voisinage que celui de l’art grec, si vrai, si naturel, si logique, où le bon sens domine, où la poésie n’est que le vêtement d’une pensée droite et saine, où l’effort ne se montre jamais. Lorsque s’ouvrent nos expositions annuelles de peinture, on se garde bien de rappro- cher les toiles du Poussin ou de Lesueur des cadres de notre jeune école ; on voile les chefs-d’œuvre de la statuaire antique, le jour où Ton expose à nos regards les marbres de nos modernes sculpteurs. M. Romand a été moins favorisé. Il lui a fallu comparaître devant des spectateurs qui venaient de voir relever sur son piédestal un des chefs- d’œuvre de Sophocle, Il a triomphé cependant, et il doit trouver dans cette circonstance de son succès une raison de plus d’en être fier.

La tragédie de M. Romand est, sans contredit, d’un puissant effet dramatique. Les passions, les événemens, les caractères, y sont accusés avec hardiesse et mis vigoureusement en saillie ; la diction est chaleureuse, l’action vivement conduite. Il y a incontestablement dans ce drame toutes les qualités propres à appeler et à intéresser la foule. Est-ce assez ? Oui, pour la scène ; mais M. Romand est un poète de trop de valeur et d’avenir dramatiques, pour que la critique ne lui demande pas davantage. Je le dis à regret ; l’auteur de Catherine II ne me paraît pas, dans cet ouvrage, avoir assez évité les défauts de ses qualités. Il y a du romanesque dans la fable, de l’exagération dans les reliefs, de l’invraisemblance dans le dialogue.

C’était une idée heureuse que de nous montrer Catherine II sous les traits de la grande actrice qui depuis long-temps nous l’avait à demi révélée dans Roxane. Il m’a toujours paru impossible de voir Mlle Rachel dans Bajazet, où par sa voix, sa démarche, son port, elle trahit si bien les passions impatientes de la voluptueuse et implacable odalisque, sans se prendre, malgré soi, à penser à Catherine II. Cependant, pour élever Roxane à la hauteur de la czarine, l’actrice et surtout le poète ont beaucoup à faire. Il y a dans Catherine II autre chose que Roxane : il y a l’impératrice et l’homme d’état, les deux boudoirs se ressemblent ; mais à ses faiblesses de femme, Catherine joint une force et un esprit virils : c’est Roxane, plus Acomat.

M. Romand ne s’est pas proposé la soudure de ces deux caractères. Il n’a pas prétendu nous montrer Catherine dans sa glorieuse maturité, arbitre de l’Europe, idole des philosophes, protectrice de Grimm, protégée de Voltaire, Catherine-le-Grand, comme l’appelait spirituellement le prince de Ligne. M. Romand n’a voulu nous montrer que Catherine jeune et à peine sortie de la révolution qui l’a couronnée ; elle parle bien de ses projets de gloire, mais vaguement, sans rien d’arrêté. En choisissant cette époque de la vie de Catherine, M. Romand a de beaucoup diminué les difficultés de sa tâche. Je ne l’en blâme pas : le poète est maître de choisir son sujet ; mais dans Catherine novice il devait laisser percer Catherine la grande. Il devait nous la montrer dominant sa cour, ses amans, ses ministres, toute-puissante dans son palais avant de l’être dans l’Europe, sachant tout, conduisant tout. Il fallait bien se garder de la supposer éprise d’un jeune prétendant à la couronne des czars, risquant le trône pour une fantaisie romanesque, elle si positive en amour, si maîtresse d’elle-même, si habile dans l’insignifiance même de ses choix. Il ne fallait pas nous la faire voir, en toute occasion, impuissante, bravée, vaincue, car c’est absolument le contre-pied de l’idéal de force, d’habileté et de succès que son nom réveille. Mais, je le répète, ces fautes, qui peuvent blesser à la réflexion, sont à peine aperçues au théâtre : tout cela est couvert par le mouvement du drame, par de belles tirades, par le jeu si plein d’éclat et de nuances de Mlle Rachel, par le rôle d’Ivan très bien rendu par Beauvalet, comme celui d’Orlof par Guyon.

Nous regrettons d’autant plus vivement que M. Romand ne se soit pas toujours tenu dans la parfaite convenance des situations et dans l’exacte vérité des caractères, que, quand il s’y trouve, quand les personnages sont bien posés, il sait leur prêter alors le langage le plus vrai, le plus habile, le plus pénétrant. Je n’en veux pour preuve que la scène du quatrième acte, la meilleure peut-être de l’ouvrage, où Catherine s’efforce de rendre excusable, aux yeux d’Ivan qu’elle aime, l’assassinat de Pierre III. Dans cette apologie passionnée que nous citons en terminant, Mlle Rachel a déployé une force, une âme, une éloquence admirables :

…………
Attendez, et, malgré vos injustes dédains,
Vous la plaindrez peut-être autant que je la plains.
Avant de la juger, entendez sa défense :
Confidente des pleurs qu’a coûtés sa puissance,
Puisque vous l’attaquez, je puis, je veux, je dois
Lui prêter contre vous le secours de ma voix.
Stettin fut son berceau, dans la Poméranie ;
Elle y vécut quinze ans : sans gloire et sans génie,
Riche de sa beauté, belle de sa pudeur,
Elle ne rêvait point sa future grandeur.
Mais elle était la joie et l’orgueil d’une mère
Qui nourrissait déjà la fatale chimère
De couronner un jour, sur son front triomphant,
Cet orgueil maternel qui perdit son enfant.
Ah ! ces vanités-là nous coûtent bien des larmes ! —
Savez-vous à quel homme on immola ses charmes ?
Non ! — Dans votre cachot, vos geôliers, je le crois,
Ne vous auront pas dit ce qu’était Pierre trois.
Mais c’était l’union repoussante, infernale,
De la laideur physique à la laideur morale ;
Stupide, violent, plein de vices honteux,
Faible autant que brutal, lâche autant que hideux !...
Et vous voulez aussi qu’une enfant noble et pure
Adore un pareil homme, effroi de la nature !...
Vous la mépriseriez de ne le point haïr.
— Sa mère le voulait ; il fallut obéir.
Encor si Pierre en elle eût adoré la femme !
Mais l’amour descend-il dans une pareille âme ?
Mais il la détestait par instinct, par retour,

Et reportait ailleurs ce qu’il avait d’amour.
Qu’a-t-elle fait au ciel pour être ainsi punie ?...
Elisabeth, traînant une affreuse agonie,
De débauches sans fin rassasiait sa mort.
La jeune Catherine, à la merci du sort,
Était là, belle, aimante... En vain l’impératrice
Lui parlait de vertu par la bouche du vice,
En vain, pour se tromper, dans ses rêves de feu,
La pauvre enfant mettait son âme aux pieds de Dieu !
Cinq ans elle a vécu de prière et de larmes.
Peut-on toujours pleurer au mépris de ses charmes,
Et prier dans le deuil quand on n’a que vingt ans ?
Faites donc que l’hiver remplace le printemps.
— Et puis, on la tenta... Je ne saurais vous dire...
Si bien que par ennui, par dépit, par délire.
Par vengeance peut-être, enfin par désespoir,
Elle connut l’amour dans l’oubli du devoir.
Catherine tomba comme les âmes hautes.
Elle est grande dans tout, et même dans ses fautes.
Pierre perdit son cœur ; un autre l’eût sauvé.
Devant lui, devant tous, marchant le front levé,
A défaut de l’honneur elle chercha la gloire.
Son âme s’agrandit aux récits de l’histoire.
Pierre voulut alors, avec sa nullité,
Lui barrant le chemin de l’immortalité.
Ainsi que de son lit la chasser de son trône.
Épouse sans époux et reine sans couronne.
Prends garde, malheureux ! l’abîme est sous tes pas...
Elle avance toujours... il ne recule pas !...
Dans ce duel il faut que l’un des deux succombe.
C’en est fait ! elle règne, et lui dort dans sa tombe…..


CHARLES MAGNIN.

  1. Cet usage s’est perpétué jusqu’à nos jours. On a donné à Berlin, cette année même, 5 mars 1844, une représentation latine des Captifs de Plaute.
  2. Un accident vint accroître encore l’admiration. On raconte que, la chute d’une machine ayant interrompu la représentation, le jeune acteur fit prendre patience à l’assemblée en improvisant en latin plusieurs pièces de vers fort applaudies. Voy. Amaduzzi, Anecdota litterar., t. III, p. 278.
  3. Je parle du sujet de la tragédie de Sophocle, et non du mythe entier d’Antigone. Personne n’ignore qu’un de nos écrivains et de nos penseurs les plus originaux et les plus éloquens, M. Ballanche, a su tirer de ce mythe un poème célèbre où les symboles de l’antiquité sont admirablement associés aux symboles modernes.
  4. Claudius Pulcher ayant perfectionné les moyens d’imiter le bruit du tonnerre dans les théâtres de Rome, on donna son nom à ce nouveau procédé : Claudiana tonitrua.
  5. Les vieux Argiens qui composaient le chœur de l’Agamemnon s’appuyaient aussi sur des bâtons recourbés. Voy. Agamemnon, v. 75.
  6. Les parascenia avaient donc deux espèces de portes, les unes qui communiquaient de plain-pied avec le proscenium, les autres qui conduisaient par un escalier dans l’orchestre. Ce sont ces dernières portes que Midias eut l’audace de fermer à clé pour rendre Démosthène, comme lui chorége, ridicule par le retard forcé du chœur qu’il présidait.
  7. Voy. Description d’une mosaïque antique du Musée Pio-Clémentin à Rome.