Théâtre en liberté/Don César

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Texte établi par Gustave SimonLibrairie Ollendorff (Œuvres complètes de Victor Hugo / Théâtre, tome Vp. 203-209).


DON CÉSAR



I

UNE AVENTURE DE DON CÉSAR.


DON CÉSAR. — UN PASSANT. — DES ALGUAZILS.
À Madrid. Une rue des faubourgs.
DON CÉSAR.

Dans ce qui fut ma poche et ce qui n’est qu’un trou,
Pas le moindre liard se heurtant contre un sou !
Votre bruit, ô sequins, vaut le luth et le cistre ;
Une position entre toutes sinistre
Est celle d’un mortel qui n’a dans ses haillons,
Sequins, rien qui ressemble à vos gais carillons.

Don César en guenilles. Passant magnifiquement vêtu, rapide et inquiet. — Don César l’admire et confronte ses haillons avec la splendeur du passant. Monologue envieux. Le passant de son côté le regarde. Tout à coup le passant l’apostrophe.
LE PASSANT.

Huit syllabes d’alexandrin manquent ici. — Changeons d’habits.

DON CÉSAR, stupéfait

Hein ? quoi ?

LE PASSANT.

Hein ? quoi ? Combien veux-tu me vendre ton costume ?

DON CÉSAR, regardant ses loques.

Un costume, ça !

LE PASSANT.

Un costume, ça ! Dis.

DON CÉSAR, regardant ses loques.

Un costume, ça ! Dis. Ce pourpoint est posthume.
Jadis il exista, maintenant il est mort.

Montrant sa cape.

À travers ce manteau le vent hideux me mord.
Et je puis à travers mon feutre voir les astres.

LE PASSANT.

Et combien en veux-tu de piastres ? dis !

DON CÉSAR.

Et combien en veux-tu de piastres ? dis ! Des piastres
Par-dessus le marché !

Consentement ahuri et joyeux. — Le passant se met à déshabiller fiévreusement don César.
DON CÉSAR.

Neuf syllabes d’alexandrins manquent ici. Prenez garde !
Vous dévoilez, aux yeux du peuple épouvanté
Et malgré ma pudeur en pleurs, ma nudité.

Tous deux se déshabillent, puis se rhabillent. César est un seigneur et le passant un gueux.
DON CÉSAR, considérant le passant en guenilles.

Quatre syllabes manquantes. Quelle mine effroyable j’avais !

Le passant disparaît. Don César fait quelques pas, se carrant dans ses beaux habits. Survient une escouade d’alguazils, qui l’entoure.
LES ALGUAZILS.

Ah ! le voilà ! C’est lui ! — Repincé ! — Suis-nous, chien !

DON CÉSAR.

Messieurs, c’est une erreur ; mais c’est une aventure.
J’accepte. Je vous suis.

UN ALGUAZIL.

J’accepte. Je vous suis. Viens !

DON CÉSAR.

J’accepte. Je vous suis. Viens ! La rue est obscure.

UN ALGUAZIL.

Ici, chien !

DON CÉSAR.

Ici, chien ! Vous avez des manières, d’honneur,
Charmantes. Souperai-je où nous allons, seigneur ?

UN ALGUAZIL.

Bâillonnez ce garçon d’esprit.

DON CÉSAR, se débattant.

Bâillonnez ce garçon d’esprit. Sbires du diable !

Le gentilhomme qui a changé d’habits avec Don César était un condamné à mort évadé de la Capilla la veille de son exécution.
Don César a beau nier, on l’emprisonne.
Une belle fille lui offre sa main, riche, noble, etc. — Éblouissement de Don César. Tout s’explique. La belle fille veut ce mari afin d’être veuve, état charmant. Un gentilhomme qu’on va pendre lui convient. Force scènes comiques. Trouver un dénouement.


II

DON CÉSAR. — DON ALCIBIADÈS. — GOULATROMBA.
Cour des miracles de Madrid. Tous les gueux.
DON CÉSAR.

Qu’avez-vous, mon très cher ? Qui vous fait à cette heure
Souffler lugubrement comme un marsouin qui pleure ?
Je vous trouve tragique et bête cet été ?

DON ALCIBIADÈS.

Je l’avoue, ô César, je suis tout contristé
De sentir le lard rance au lieu de la vanille,
Et d’avoir pour chasuble une affreuse guenille
Dont les trous laissent voir ma chair aux curieux.

DON CÉSAR.

Pédant !

Alcibiadès s’éloigne.

Pédant ! Oh ! que je hais ces airs mystérieux,
Et ces prétentions que n’aurait pas un sage
De ne jamais montrer aux gens que son visage !
Mon pourpoint est percé. Je n’en puis mais. Tant pis !

Passe Goulatromba, l’air abattu.

Mais, ô frère de cœur, drapé d’un vieux tapis,
Qu’as-tu, toi ? Fallait-il qu’à ce point je tombasse
De voir Goulatromba marcher l’oreille basse ?
À ces airs éplorés quels malheurs t’ont réduit ?

GOULATROMBA.

J’ai, tel que tu me vois, passé toute la nuit
À fouiller, le cœur plein de projets pacifiques,
Les poches de quatorze ivrognes magnifiques.
J’ai trouvé quatre sous. Ma foi ! j’espérais mieux.

DON CÉSAR.

Soyons deux grands seigneurs pensifs et sérieux,
Deux philosophes, rois de la machine ronde.
Traitons comme fumier tous les biens de ce monde.
D’ailleurs j’estime heureux le chercheur humble et doux
Qui put ne rien trouver et trouva quatre sous.


III

DON CÉSAR. — ZEBEDRO.
DON CÉSAR.

Les axiomes. — C’est leCommençons par poser
Les axiomes. — C’est le moyen de causer
D’une façon correcte à la fois et civile.
— Parmi tous les états nocturnes d’une ville,
Je n’en connais, s’il faut dire tout en un mot,
Que trois, que puisse faire un homme comme il faut,
Un gentilhomme, sans qu’à son rang il en coûte ;
C’est : — Amoureux, voleur, et chiffonnier.

ZEBEDRO.

C’est : — Amoureux, voleur, et chiffonnier. Sans doute.

DON CÉSAR.

Le premier se compose un peu des deux derniers.

ZEBEDRO.

Bah !

DON CÉSAR.

Bah ! Que font les voleurs ? que font les chiffonniers ?
Ils vont, fouillant la rue ou forçant murs et grilles,
Dérober des trésors, ramasser des guenilles,
Prendre aux gens ce qu’ils ont, ou, non sans quelque ennui,
Se mettre sur le dos ce que dédaigne autrui.
Les amoureux font-ils autre chose ?

ZEBEDRO, rêveur

Les amoureux font-ils autre chose ? Une femme…

DON CÉSAR.

Est guenille ou trésor.

ZEBEDRO

Est guenille ou trésor. C’est juste. Sur mon âme,
Vous dites vrai.

DON CÉSAR.

Vous dites vrai. Mon cher, je sais tout par hasard.
J’aurais été Platon si je n’étais César.