Théorie de la grande guerre/Livre IV/Chapitre 2

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Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 107-109).
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Le combat

CHAPITRE II.

caractère de la bataille moderne.


Nous avons défini le combat l’instrument de la stratégie pour arriver au but de la guerre. Or, toute modification dans un instrument exerçant nécessairement une influence sur la manière de s’en servir, si nos conceptions sont logiques, dès qu’il se produit un changement dans la nature de la tactique il en résulte aussitôt une modification dans les procédés de la stratégie. Nous ne pourrons donc passer à l’étude de l’emploi stratégique qu’il convient aujourd’hui de faire du combat, qu’après nous être pénétré du caractère nouveau qu’il a revêtu dans les dernières guerres.

Or comment procède-t-on aujourd’hui à une grande bataille ? De part et d’autre on dispose méthodiquement les masses à côté et en arrière les unes des autres, pour n’en déployer relativement qu’une faible partie qu’on laisse, pendant de longues heures, s’épuiser en un feu de mousqueterie et d’artillerie, entremêlé, çà et là, d’attaques partielles à la baïonnette et de charges de cavalerie isolées, actions restreintes dans lesquelles on est tantôt repoussant et tantôt repoussé. Quand les troupes ainsi engagées tout d’abord, ont usé la presque totalité de leur ardeur guerrière, quand il n’en reste plus pour ainsi dire que des scories, on les retire et on les remplace par des forces fraîches.

Ainsi conduite, la bataille se poursuit à une allure modérée comme se consume une masse de poudre humide, et lorsque la nuit impose le repos, parce que des deux adversaires aucun ne veut agir en aveugle, on fait de chaque côté l’estimation des forces dont on dispose encore, de celles que l’on suppose rester à l’ennemi, du terrain que l’on a gagné ou perdu et de la sécurité que présentent encore les derrières de l’armée. De cette estimation et de l’opinion que le général en chef s’est faite de l’énergie ou de la faiblesse dont il a perçu, de part et d’autre, les indices pendant l’action, résulte une impression générale unique d’où jaillit la résolution d’évacuer le champ de bataille ou de recommencer la lutte au point du jour.

Telle est, dans l’offensive comme dans la défensive, non pas la peinture achevée, mais l’esquisse de la bataille moderne, et les traits particuliers qu’y introduisent la nature du sol et le but poursuivi n’en modifient pas sensiblement le ton.

Or ce n’est pas par accident qu’il en est ainsi, mais bien parce que les nations civilisées en étant à peu près toutes arrivées au même degré d’organisation et d’instruction militaires, l’élément de la guerre attisé par les grands intérêts qui se trouvent aujourd’hui en jeu, a enfin brisé les limites conventionnelles qu’on lui imposait jadis, et donné carrière aux allures de rudesse et d’impétuosité qui lui sont propres.

Il nous faudra revenir à cette idée générale de la bataille moderne chaque fois que nous aurons à déterminer la valeur de l’un quelconque des différents facteurs de l’action à la guerre, tels que le terrain, le nombre, etc., etc., etc. Nous devons ajouter d’ailleurs, que nous n’avons en vue, ici, que les batailles et autres grands engagements décisifs. Quant aux combats d’importance secondaire, nous trouverons dans la suite plus d’une occasion de les mettre en lumière ; mais, en raison de considérations d’ordre tactique que par conséquent nous n’avons pas à examiner, ils n’ont subi, dans ce sens, que fort peu de modifications.