Théorie de la grande guerre/Livre VII/Chapitre 6

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Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Tome troisièmep. 31-32).

CHAPITRE VI.

destruction des forces armées de l’ennemi.


La destruction des forces armées de l’adversaire est le seul moyen d’arriver aux fins de la guerre.

Que convient-il d’entendre par là et comment peut-on y parvenir ?

Examinons la question sous ses différents aspects.

1o  On peut se borner à ne détruire des forces armées de l’ennemi que ce qui est strictement nécessaire à l’obtention du but cherché.

2o  On peut porter la destruction à ses plus extrêmes limites.

3o  On peut viser, avant tout, à la conservation de ses propres forces.

4o  On peut même aller si loin dans ce sens, qu’on ne recherche la destruction des forces de l’adversaire que lorsque l’occasion favorable s’en présente. — Le lecteur se rappellera que nous avons déjà montré, au chapitre III de ce livre, que l’offensive stratégique n’a parfois pas d’autre objet.

Le combat seul peut conduire, par deux voies différentes, à la destruction des forces armées :

1o  Directement.

2o Indirectement, par des combinaisons de combats.

La bataille générale, bien qu’elle soit le moyen principal, n’est donc pas l’unique moyen d’arriver au but. Il est d’autres procédés, en effet, la prise d’une place forte ou l’occupation d’une portion de territoire, par exemple, qui constituent à la fois un moyen de destruction directe et un moyen de destruction indirecte des forces de l’ennemi, par la raison qu’une fois obtenus ces premiers résultats peuvent aider à en atteindre de plus considérables.

L’occupation d’une province non défendue, en dehors même de sa valeur comme résultat acquis, doit donc aussi être considérée comme un amoindrissement des forces de l’adversaire. Il en est à peu de chose près de même de l’abandon, par ce dernier, d’une portion du territoire occupé par lui. Le fait ne peut, en somme, être apprécié qu’à ce point de vue, car il ne constitue pas, à proprement parler, un succès obtenu par les armes. On s’exagère la plupart du temps la portée de ces moyens ; ils ont rarement la valeur d’une bataille. Ils tentent par la modicité de leur prix, mais on a toujours à craindre de ne pas s’apercevoir des désavantages de la situation à laquelle ils conduisent ; ils n’exigent que de faibles enjeux, mais il ne rapportent que des gains médiocres ; ils trahissent enfin une situation gênée ou une direction sans énergie. Il faut cependant les préférer aux batailles sans but et aux victoires sans portée ultérieure.