I Pièces de l'édition originale (1893) supprimées en 1897.[modifier]
- II, 15 (« Venez nous voir dans l'asile... »): voir Les Années funestes, XXVIII.
- II, 28: pièce retirée de l'édition originale sans qu'on ait pris le temps de
modifier la numérotation des poèmes ni la pagination. Le titre (« Horreur
divine ») figure encore à la table des éditions ordinaires; il a été supprimé dans
les exemplaires sur Chine (voir l'exemplaire de Paul Meurice à la Maison de
Victor Hugo). Peut-être s'agit-il d'« Horreur sacrée » (Les Quatre Vents de
l'Esprit, III, 55)?
- III, 8 (Quatre heures du matin): publié dans Les Quatre Vents de l'Esprit
(III, 35).
- IV, 20 (Les Guides): publié dans L'Année terrible (« Mars. I »).
- V, 8 (« Le sommet est désert, noir, farouche, inclément... »): publié dans
Les Quatre Vents de l'Esprit (III, 45).
- La Corde d'airain, I (Ecrit sur un exemplaire des « Châtiments »): voir
Les Années funestes, VI.
II Dossier des «Chansons des rues et des bois»[modifier]
Cécile Daubray a d'autre part écarté de son édition de Toute la lyre (1935) plusieurs poèmes de l'édition originale, rendus par elle au « Reliquat » des Chansons des rues et des bois (Imprimerie nationale, 1933). Nous les donnons ici dans le texte de l'édition originale:
DROIT DE REPRENDRE HALEINE[modifier]
Certe, ô solitude, Je suis l'homme rude, Le songeur viril; Mais puis-je répondre De ce que fait fondre Un rayon d'avril? L'âme, ô lois obscures, A des aventures. Je vis absorbé, Pensée irritée, Comme Prométhée, Comme Niobé; L'aspect de l'abîme, La haine du crime, L'horreur, le dédain, Mettent dans ma bouche Un hymne farouche... Mais parfois, soudain, Une strophe passe Emplissant l'espace D'ébats ingénus, Et m'arrive, ailée, Fraîche dételée Du char de Vénus. L'exil sombre assiste A mon hymne triste; Et je suis amer Dans ma rêverie, Comme la patrie Et comme la mer. Le sceptre et le glaive Règnent, je me lève Pour les réprimer; Mais suis-je coupable D'être aussi capable De rire et d'aimer? Le barde est prophète; Mais son âme est faite De plusieurs clartés. Dieu n'est Dieu, lui-même, Que parce qu'il sème De tous les côtés. Est-ce donc ma faute , Si le soleil m'ôte Mon deuil par instants? Est-ce par faiblesse Que l'âpre hiver. laisse Entrer le printemps? Je n'y puis que faire; Némésis préfère Certes ma fureur; Je charme Erinnye Quand mon vers manie Un blême empereur; Je plais à Tacite Quand je ressuscite, Emplissant ma voix De chants populaires, Toutes les colères Contre tous les rois; Sous les nuits tombantes Les vieux corybantes Mettaient en courroux Au bruit de leur cistre Dans le soir sinistre Les grands aigles roûx; Et je leur ressemble Quand ma strophe tremble, Sonne, parle aux cieux, Punit, venge, insulte, Et semble un tumulte De cris furieux. Mais l'esprit s'apaise. Châtier lui pèse. O forêts! ciel pur! Ombre des grands chênès! Au delà des haines, Il cherche l'azur. Comme l'hydre énorme, Avant qu'elle dorme, Veut sur l'onde errer, Les penseurs funèbres Hors de leurs ténèbres Viennent respirer. 25 avril. (II, 20)
VISIONS DE LYCÉEN[modifier]
Quand on sort de rhétorique, Du livre et de l'encrier, On a l'âme chimérique Et le coeur aventurier. On a pour nid des murs bistres, Des galetas fabuleux, Que les rats ont faits sinistres, Que l'illusion fait bleus. On n'est pas très difficile Aux divinités qu'on voit; Et les nymphes de Sicile S'accoudent au bord du toit. Puisqu'il faut que j'en convienne, C'est vrai, souvent nous prenons Dans le passage Vivienne Des Margots pour des Junons. Toute la mythologie Vient becqueter nos taudis;- Nous y faisons une orgie, De ciels et de paradis. Je rêve. Oui, la vie est sombre Et charmante; et des clins d'yeux M'arrivent au fond de l'ombre Qui m'ont mis au rang des dieux. L'extase au cinquième habite, L'amour fait multiplier Les rêves du cénobite Par le front de l'écolier. Je suis naïf au point d'être Par moments persuadé Que Vénus, à sa fenêtre, M'a fait signe à Saint-Mandé. Mon oeil sous ma boîte osseuse Est à de tels songes prêt Qu'à travers ma blanchisseuse Phyllodoce m'apparaît. Une chemisière aimante Vint hier dans mon grenier; Elle portait, la charmante, Des rayons dans son panier; Ravi de cette descente, Je crus que je voyais choir Hébé, toute frémissante D'aurore, sur mon perchoir. Comment peindre l'air de fête De deux yeux presque innocents? Fraîche, elle avait sur la tête Cette lumière, seize ans. Et l'autre jour, plein d'Homère, Je songeais je ne sais où Je marchais dans la chimère, Tout au bord, sans garde-fou; Une muse au front suprême Passa dans mon horizon. -C'est Calliope elle-même! Criai-je. C'était Suzon: Je me risquai, dans l'échoppe Dont un coffre est le sofa, A chiffonner Calliope; Calliope me griffa. La modiste est la sirène. J'attire Anne à mon foyer, Lui donnant des noms de reine Afin de la tutoyer. Ainsi je vis, l'oeil en flammes, Dans mes bouquins, loin du bruit, étoilant toutes les femmes, Confusément, dans la nuit. Je les fais déesses toutes, Et sur leurs chiffons je mets La lueur des sombres voûtes Ou l'éclair des bleus sommets. Je vois parfois la tunique S'ébaucher sous le torchon Et la Diane ionique Sous le madras de Fanchon. Je m'éblouis, solitaire; Car il faut que nous usions L'une après l'autre, sur terre, Toutes les illusions. Je guette et je me hasarde A sonder d'un oeil ardent L'empyrée et la mansarde; Et je contemple; et, pendant Que rôde sur ma gouttière Quelque gros chat moustachu, Cypris met sa jarretière, Pallas ôte son fichu. (VI, 8) La grecque et la parisienne Font, parmi nos couples railleurs, Comme à travers l'idylle ancienne, La même course dans les fleurs. Toutes deux sont l'amour, la joie, Le coup d'oeil tendre ou hasardeux, Le caprice, et pour qu'on les voie Elles se cachent toutes deux. Toutes deux montrant leurs épaules Pour dire oui prononcent non, Et Galatée est sous les saules Comme sous l'éventail Ninon. Deux soeurs! à qui la préférence? Pan hésite au fond des forêts Entre l'Arcadie et la France, Entre Théocrite et Segrais. Romainville vaut le Taygète; Et, ramassant sur tous ses pas Les bouquets que le temps lui jette, L'églogue ne donnerait pas, Dans sa clairière, où la noisette Ai sa place à côté des lys, Li bas bien tiré de Frisette Pour les pieds nus d'Amaryllis. (VI12)
LA FIGLIOLA[modifier]
Moins de vingt ans et plus de seize, Voilà son âge; et maintenant Dites tout bas son nom: Thérèse, Et songez au ciel rayonnant. Quel destin traversera-t-elle? Quelle ivresse? quelle douleur? Elle n'en sait rien; cette belle Rit, et se coiffe d'une fleur. Ses bras sont blancs; elle est châtaine; Elle a de petits pieds joyeux, Et la clarté d'une fontaine Dans son regard mystérieux. C'est le commencement d'une âme, Un rien où tout saura tenir, Coeur en projet, plan d'une femme, Scénario d'un avenir. Elle ignore; elle est gaie et franche; Le dieu Hasard fut son parrain. Elle s'évade le dimanche Au bras d'un garnement serein. Il est charmant, elle est bien faite, Et Pantin voit, sans garde-fou, Flâner cette Vénus grisette Avec cet Apollon voyou. Elle s'ébat comme les cygnes; Et sa chevelure et sa voix Et son sourire seraient dignes De la fauve grandeur des bois. Regardez-la, quand elle passe; On dirait qu'elle aime Amadis A la voir jeter dans l'espace - Ses yeux célestes et hardis. Ces blanches filles des mansardes Aux tartans grossiers, âux traits fins, Ont la liberte des poissardes Et la grâce des séraphins. Elles chantent des chants étranges Mêlés de misère et -de jour, Et leur indigence a pour franges Toutes les poupres de l'amour. (VI, 17) Je suis naïf, toi cruelle; Et j'ai la simplicité De brûler au feu mon aile Et mon âme à ta beauté. Ta lumière m'est rebelle Et je m'en sens dévorer; Mais la chose sombre et belle Et dont tu devrais pleurer, C'est que, toute mutilée, Voletant dans le tombeau, La pauvre mouche brûlée Chante un hymne au noir flambeau. (VI, 20)
L'IDYLLE DE FLORIANE[modifier]
I La comtesse Floriane S'éveilla comme les bois Chantaient la vague diane Des oiseaux, à demi-voix. Quand elle fut habillée, Comme pour Giulietta Toute la sombre feuillée Amoureuse palpita. Et quand, blanche silhouette, Sur le balcon du préau, Elle apparut, l'alouette Chercha des yeux Roméo. J'accourus à tire d'ailes, Car c'est mon bonheur de voir Le matin lever les belles Et les étoiles le soir. II À l'heure où, chassant le rêve, L'aube ouvre les firmaments, C'est le moment, filles d'Ève, D'aller voir des diamants; Toute une bijouterie Brille à terre au jour serein; L'herbe est une pierrerie, Et l'ortie est un écrin; Des rubis dans les nymphées, Des perles dans les halliers; Et l'on dirait que les fées Ont égrené leurs colliers. Et nous nous mîmes à faire Un bouquet dans l'oasis; Et la fleur qu'elle préfère Est celle que je choisis. III Gaie, elle sautait dans l'herbe Comme la belle Euryant, Et, montrant le ciel superbe, Soupirait en souriant. -J'aimerais mieux, disait-elle, Courir dans ce beau champ bleu, Cueillant l'étoile immortelle, Quitte à me brûler un peu; Mais, vois, c'est inaccessible. (Car elle me tutoyait.) Puisque l'astre est impossible, Contentons-nous de l'oeillet. IV Aucune délicatesse N'est plus riante ici-bas Que celle d'une comtesse Mouillant dans l'herbe ses bas. Au gré du vent qui la mène, Dans les fleurs, dans le gazon, La beauté de Célimène Prend les grâces de Suzon. Elle montrait aux pervenches, Aux verveines, sous ses pas, Ses deux belles jambes blanches, Qu'elle ne me cachait pas. On se tromperait de croire Que les bois n'ont pas des yeux Et, dans leur prunelle noire, Plus d'un rayon très joyeux. Souvent tout un bois s'occupe A voir deux pieds nus au bain, Ou ce frisson d'une jupe Qui fait trembler Chérubin. Les bleuets la trouvaient belle; L'air vibrait; il est certain Qu'on était fort épris d'elle Dans le trèfle et dans le thym. Quand ses légères bottines Enjambaient le pré charmant, Ce tas de fleurs libertines Levait la tête gaîment. Et je disais: Prenez garde, Le muguet est indécent. Et le liseron regarde Sous votre robe en passant. Ses pieds fuyaient... Quel délire D'errer dans les bois chantants! Oh! le frais et divin rire Plein d'aurore et de printemps! Une volupté suprême Tombait des cieux entr'ouverts. Je suivais ces pieds que j'aime; Et, dans les quinconces verts, Dans les vives cressonnières, Moqueurs, ils fuyaient toujours; Et ce sont là les manières De la saison des amours. J'admire, ô jour qui m'enivres, Ô neuf soeurs, ô double mdnt! Les savants qui font des livres D'être les taupes qu'ils sont, De fermer leur regard triste A ce que nous contemplons, Et, quand ils dressent la liste Des oiseaux, des papillons, Des mille choses ailées, Moins près de nous que des cieux, Qui volent dans les allées Du grand parc mystérieux, Dans les prés, sous les érables, Au bord des eaux, clairs miroirs, D'oublier, les misérables, Ces petits brodequins noirs! VI Nous courions dans les ravines, Le vent dans nos cheveux bruns, Rançonnés par les épines, Mais payés par les parfums. Chaque fleur, chaque broussaille, L'une après l'autre attirait Son beau regard, où tressaille La lueur de la forêt. Elle secouait leurs gouttes; Tendre, elle les respirait, Et semblait savoir de toutes La moitié de leur secret. Un beau buisson plein de roses Et tout frissonnant d'émoi Se fit dire mille choses Dont j'aurais voulu pour moi. Ému, j'en perdais la tête. Comment se rassasier De cette adorable fête D'une femme et d'un rosier! Elle encourageait les branches, Les fontaines, les étangs Et les fleurs rouges ou, blanches, A nous faire un beau printemps. Comme elle était familière Avec les bois d'ombre emplis! -Pardieu, disait un vieux lierre, Je l'ai vue autrefois lys! VII Quel bouquet nous composâmes! Pour qu'il durât plus d'un jour, Nous y mîmes de nos âmes; La comtesse, tour à`toùr M'offrant tout ce qui se cueille, Jouait à me refuser La rose ou le chèvrefeuille Pour m'accorder le baiser. Les ramiers et les mésanges Nous enviaient. par moments; Nous étions déjà des anges Quoique pas encore amants. Seulement, son coeur dans l'ombre M'appelait vers son corset Au fond de mon rêve sombre Une alcôve frémissait. Quoique plongés aux ivresses, Quoique égarés et joyeux, Quoique mêlant des caresses Aux profonds souffles des cieux, Nous avions ce bonheur calme Qui fait que le séraphin Trouve un peu, lourde sa palme, Et voudrait être homme enfin. Car là-haut même,. ô mystère, Il faut, et je vous le dis, Un peu de chair et de terre Pour qu'un ciel soit paradis. 22 juin 1859. (VI, 21)
À UN RAT[modifier]
Ô rat de là-haut, tu grignottes Dans le grenier, ton oasis, Les Pontmartins et les Nonottes Moisis. Tu vas, flairant de tes moustaches Ces vieux volumes qu'ont ornés De tant d'inexprimables taches Les nez. Rat, tu soupes et tu déjeunes Avec des romans refroidis, Des vers morts, et des quatrains jeunes Jadis. Ô rat, tu ronges et tu songes! Tu mâches dans tôn galetas Les vieux dogmes et les vieux soriges En tas. C'est pour toi qui gaîment les fêtes Qu'écrivent les bons Patouillets; C'est pour toi que les gens sont bêtes Et laids. Rat, c'est pour toi qui les dissèques Que les sonnets et les sermons Disent dans les bibliothèques: Dormons! Pour toi, croulent les noms postiches, Tout à bien pourrir réussit, La rime au bout des hémistiches Rancit. C'est pour toi qu'en ruine tombe L'amas difforme des grimauds; C'est pour toi que grouille la tombe Des mots. C'est pour toi, rat, dans ta mansarde, Que Garasse se fait vieillot; Et c'est pour toi que-se lézarde Veuillot. La postérité, peu sensible, Traite ainsi l'oeuvre des pédants La nuit dessus; toi, rat paisible, Dedans. Le public incivil se sauve Devant ces bouquins d'aujourd'hui Où gît, comme au fond d'une alcôve, L'ennui; Toi, tu-n'as point de ces faiblesses. On reconnaît, ô rat poli, Au coup de dent que tu lui laisses L'oubli. C'est égal, je te plains; contemple Là-bas, sous les cieux empourprés, Le lapin dans l'immense temple Des prés. Il va, vient, boit l'encens, s'enivre De rayons, de vie et d'azur, Pendant que tu mords dans un livre Trop mûr. L'aurore est encore en chemise, Que lui, debout, il se nourrit; Sa nappe verte est toujours mise; Il rit, Il est le roi de la clairière; Il contemple, point soucieux, Tranquille, assis sur son derrière, Les cieux. Il fait toutes sortes de mines A la prairie, à l'aube en feu, Aux corolles, aux étamines, A Dieu. Télégraphe de l'herbe fraîche, Ses deux pattes à chaque instant Jettent au ciel cette dépêche: Content! En plein serpolet il patauge. Vois, il est vorace et railleur. Compare: il broute, lui, la sauge En fleur, L'anis, le parfum, la rosée, Le trèfle, la menthe et le thym; Toi, l'Ermite de la Chaussée D'Antin. 1859. (VII, 6)
SOUS LES SAULES[modifier]
LUI Farouche! ELLE Moqueur! LUI Ta bouche! ELLE Ton coeur! (VII, 10, 3)
III « Être aimé»[modifier]
Manque également dans l'édition de Cécile Daubray un fragment de « comédie » (on y aurait vu un roi mal aimé retourner aux bas-fonds pour l'amour des gueux et des galériens; édition chronologique, t. XV-XVI/2, p. 294-299). Entre crochets droits, les passages supprimés dans l'édition originale (1893): ÊTRE AIMÉ Écoute-moi. Voici la chose nécessaire: Etre aimé. Hors de là rien n'existe, entends-tu? Etre aimé, c'est l'honneur, le devoir, la vertu, C'est Dieu, c'est le démon, c'est tout. J'aime, et l'on m'aime. Cela dit, tout est dit. Pour que je sois moi-même, Fier, content, respirant l'air libre à pleins poumons, Il faut que j'aie une ombre et qu'elle dise: Aimons! Il faut que de mon âme une autre âme se double, Il faut que, si je suis absent, quelqu'un se trouble, Et, me cherchant des yeux, murmure: Où donc est-il? Si personne ne dit cela, je sens l'exil, L'anathème et l'hiver sur moi, je suis terrible, Je suis maudit. Le grain que rejette le crible, C'est l'homme sans foyer, sans but, épars au vent. Ah! celui qui n'est pas aimé, n'est pas vivant. Quoi, nul ne vous choisit! Quoi, rien ne vous préfère! A quoi bon l'univers? l'âme qu'on a, qu'en faire? Que faire d'un regard dont personne ne veut? La vie attend l'amour, le fil cherche le noeud. Flotter au hasard? Non! Le frisson vous pénètre; L'avenir s'ouvre ainsi qu'une pâle fenêtre; Où mettra-t-on sa vie et son rêve? On se croit Orphelin; l'azur semble ironique. On a froid; Quoi! ne plaire à personne au monde! rien n'apaise Cette honte sinistre; on languit, l'heure pèse, Demain, qu'on sent venir triste, attriste aujourd'hui. Où vivre? où fuir? On est seul dans l'immense ennui. Une maîtresse, c'est quelqu'un dont on est maître; Ayons cela. Soyons aimé, non par un être Grand et puissant, déesse ou dieu. Ceci n'est pas La question. Aimons! Cela suffit. Mes pas Cessent d'être perdus si quelqu'un les regarde. Ah! vil monde, passants vagues, foule hagarde, Sombre table de jeu, caverne sans rayons! Qu'est-ce que je viens faire à ce tripot, voyons? J'y bâille. Si de moi personne ne s'occupe, Le sort est un escroc, et je suis une dupe. J'aspire à me brûler la cervelle. Ah! quel deuil! Quoi! rien! pas un soupir pour vous, pas un coup d'oeil! Que le fuseau des jours lentement se dévide! Hélas! comme le coeur est lourd quand il est vide! Comment porter ce poids énorme, le néant? Toute l'ombre est un trou de ténèbres, béant; Vous vous sentez tomber dans ce gouffre. Ah! quand Dante Livre à l'affreuse bise implacable et grondante Françoise échevelée, un baiser éternel La console, et l'enfer alors devient le ciel. Mais quoi! je vais, je viens, j'entre, je sors, je passe Je meurs, sans faire rien remuer dans l'espace! N'avoir pas un atome à soi dans l'infini! Qu'est-ce donc que j'ai fait? De quoi suis-je puni? Je ris, nul ne sourit; je souffre, nul ne pleure; Cette chauve-souris de son aile m'effleure, L'indifférence, blême habitante du soir. Être aimé! sous ce ciel bleu -moins souvent que noir - Je ne sais que cela qui vaille un peu la peine De mêler son visage à la laideur humaine, Et de vivre. Ah! pour ceux dont le coeur bat, pour ceux Qui sentent un regard quelconque aller vers eux, Pour ceux-là seulement, Dieu vit, et le jour brille! Qu'on soit aimé d'un gueux, d'un voleur, d'une fille, D'un forçat jaune et vert sur l'épaule imprimé, Qu'on soit aimé d'un chien, pourvu qu'on soit aimé! 14 mars 1874. (VI,4)