Traditions indiennes du Canada Nord-Ouest/05

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Maisonneuve Frères et Ch. Leclerc (p. 345-442).


CINQUIÈME PARTIE

LÉGENDES ET TRADITIONS DES DÈNÈ TCHIPPEWAYANS












CINQUIÈME PARTIE

LÉGENDES DES DÈNÈ TCHIPPEWAYANS


I

TTATHÈ DÈNÈ

(apparition de l’homme)


Au commencement, il n’y avait point d’hommes sur la terre. Alors tout à coup : « Voilà l’homme », dit-on. Quel est celui qui fit cet homme ? Nous autres, nous l’ignorons.

Alors, comme l’hiver approchait, le premier homme (ttathè Dènè) fit quelque chose : des raquettes, sans doute.

— Comment vais-je m’y prendre ? pensait-il.

Il n’en savait rien, et toutefois il s’en tira bien.

Ayant coupé du bouleau, il en fit le cadre de ses raquettes ; le lendemain, après les avoir fait sécher, il les embarra. Le troisième jour, il les acheva en entier, sauf quant à la natte qui devait les recouvrir.

— Hélas ! comment parviendrai-je à les lacer ? se dit-il.

Ça lui était tout à fait impossible, parce que c’était un ouvrage de femme, et que de femme il n’avait point.

Il laissa donc ses raquettes dans sa tente, telles quelles, inachevées, et se coucha à bout de courage ; car il n’avait pu trouver le moyen de les natter. La nuit venue, il s’endormit.

Le lendemain, s’étant levé, le premier homme trouva une de ses raquettes lacée à moitié.

— Qui donc est venu natter mes raquettes, durant mon sommeil ? se dit l’homme.

Il ne le devinait pas. Mais il en fut satisfait.

Le soir venu, il se coucha de nouveau, et le lendemain étant arrivé, la raquette était lacée en entier. Alors, ayant levé les yeux vers le faîte de sa loge conique, il vit une gelinotte des neiges qui s’envolait hors de la tente.

— Ah ! c’est donc cette gelinotte qui en agit ainsi à mon égard, se dit l’homme.

Ayant dormi une sixième nuit, l’ouvrage des raquettes se trouva entièrement achevé, et la gelinotte s’envola de nouveau.

— Je sais bien ce que je vais faire pour m’emparer de cette perdrix, se dit Dènè. Donc, le soir venu, il disposa un appareil qui pût obturer l’ouverture supérieure de sa tente, et se coucha.

Le lendemain (septième jour), en s’éveillant, il vit bien les raquettes à son côté et la gélinotte qui s’apprêtait à s’envoler ; mais il fit jouer le mécanisme, ferma l’ouverture de la tente, et la perdrix, se trouvant prise, devint une belle et grande femme. Elle était blanche, dit-on, avait de très longs et beaux cheveux, et était nue. D’abord elle n’était qu’une gélinotte blanche ; maintenant elle est femme.

Alors ils se marièrent séance tenante ; ils multiplièrent et engendrèrent beaucoup d’hommes et de femmes. Et ces hommes, c’est nous-mêmes ; car nous sommes évidemment des hommes, des hommes proprement dits et du commencement.

Racontée par l’aveugle Ekounélyel,
au Grand-Lac des Esclaves, en mai 1863.


II

DÈNÈ (Suite).


Alors tous les hommes étaient contenus dans un seul, et étaient comme un seul homme. Et celui-là s’appelait Dènè (le terrestre). C’est lui qui donna des noms et des couleurs à tous les animaux de la terre.

Lorsqu’il eut achevé de distribuer à tous le nom et la couleur qui leur convenaient, Dènè avisa un oiseau qui n’avait encore ni nom, ni couleur.

— Eh ! dis-donc, toi, oiseau, que veux-tu être ?

L’oiseau répondit :

— Je veux être un bien bel oiseau.

— Eh bien ! tu seras ainsi, répondit Dènè.

— Non, dit l’oiseau, je ne serais pas assez beau.

— Alors, tu seras de la sorte.

— Non, dit encore l’oiseau, cela ne me convient pas.

— Eh bien ! tiens, tu seras ainsi.

— Non, dit-il encore.

Cet oiseau continua ainsi à contredire Dènè pendant longtemps, jusqu’à ce qu’il l’eût poussé à bout.

Alors l’homme impatienté saisit l’oiseau, le jeta dans le feu et le roula dans les tisons, jusqu’à ce qu’il en devînt entièrement noir.

Il en sortit en s’écriant : Kρwa ! Kρwa ! et c’est pourquoi, de nos jours encore, cet oiseau n’a point de couleur. Nous l’appelons Excrément de l’air (Tρa-tsan), ou bien Plumes souillées (Ttatsan)[1].

Le corbeau partit donc fâché et jura à l’homme une guerre éternelle. Il s’en éloigna dans le dessein de lui nuire, et, dans son vol, ayant rencontré un étourneau sans méfiance, il le saisit à la gorge, dans sa colère, l’étrangla à demi et se frotta contre lui en tous sens.

C’est pourquoi l’étourneau, quoique ami de l’homme, est tout noir, et qu’il a la voix si aigre.

À cette époque, l’homme vivait sur terre tout comme aujourd’hui. Mais les bêtes conversaient et vivaient avec l’homme et lui obéissaient en tout.

Alors on ne mourait pas, sur la terre. On y vieillissait très longtemps sans mourir.

À la fin cependant, les pieds de l’homme ayant fini par s’user, à force de marcher, il mourut ; et son gosier ayant fini par se percer, à force de manger, il arriva qu’il mourut également.

Depuis lors, on meurt de diverses causes.

(Racontée par le même Indien).


III

ELTCHÉLÉKWIÉ ONNIÉ

(l’histoire des deux frères)


(Origine des Danè Castors.)


Au commencement des temps, il existait un vieillard qui avait deux fils. Un jour il leur dit :

— Mes enfants, montez dans votre pirogue et partez pour la chasse, car il n’y a plus rien ici à manger.

Les deux fils obéissants s’embarquèrent et partirent aussitôt pour la chasse. Le vieillard leur dit :

— Vous allez vous diriger vers l’Ouest, car là se trouve votre première patrie, et là seulement vous vivrez heureux.

Ils partirent donc.

Dès la quatrième journée de marche, ils parvinrent à une chute d’eau appelée Eltsin nathèlin ou le Gouffre tournoyant. Là ils capturèrent des outardeaux ; mais, le soir venu, ils ne surent pas où ils étaient et s’égarèrent tout de bon.

Le lendemain et les jours suivants, les deux frères ne furent pas plus avancés. Cependant ils avaient mangé leurs petites outardes, et s’avancèrent le long des rivages déserts et abruptes du grand Lac des Esclaves, au bord duquel ils découvrirent une montagne nommée Dènè-chethyaρè : la montagne qui contient des hommes.

— Mon frère aîné, dit le plus jeune des jeunes gens à son frère, ce pays ne ressemble nullement au nôtre. Où nous trouvons-nous donc, penses-tu ?

— Hélas ! mon cadet, reprit l’aîné, je ne le sais pas plus que toi ; mais ne te trouble point, marchons toujours.

Tout à coup les deux frères entendirent des voix souterraines, des voix d’hommes géants (Otchoρé), qui demeuraient sur ce rivage septentrional du Grand-Lac. Devant la montagne, un petit géant et sa sœur jouaient ensemble. Cette montagne conique était leur tente.

— Oh ! quels petits hommes ! s’écrièrent-ils pleins de joie, en apercevant les deux frères Dènè.

Ils coururent à eux, ils les prirent dans leurs mains, ils les déposèrent dans leurs mitaines, comme de petits oiseaux tombés du nid que l’on veut réchauffer, et les portèrent ainsi à leurs parents.

— Voyez, père, mère, quels petits bouts d’hommes nous venons de trouver sur le rivage, dirent-ils en riant.

— Ne vous moquez pas d’eux, fit le géant père, qui était un fort brave homme. Mes enfants, ajouta-t-il en s’adressant aux deux frères, demeurez avec nous, on ne vous fera aucun mal.

Ce disant, il leur servit à manger à chacun un œil de truite, d’une truite géante.

Les petits Dènè demeurèrent donc à Dènè-cheth-yaρè, sur la côte nord du Grand Lac des Esclaves. Ils allaient visiter les hameçons et les filets de pêche, en compagnie des enfants du géant, et ne manquèrent de rien.

Mais ils finirent par se lasser de cette vie aisée et facile, et demandèrent à poursuivre leur route.

— Volontiers, dit le géant.

Il leur fit faire un pemmican de poisson, et leur donna à chacun deux flèches.

— Avec cette flèche mâle, vous tuerez l’orignal mâle, leur dit-il ; et avec cette flèche femelle vous poursuivrez la femelle. Ces deux flèches sont très puissantes. Elles reviennent d’elles-mêmes après qu’on les a tirées ; ne courez donc pas pour les reprendre, car il vous arriverait malheur. Je vous le défends absolument.

Les deux frères promirent tout et partirent.

À leur départ, le bon géant leur indiqua le Couchant comme étant le point de l’horizon où se trouvait leur patrie primitive, et leur conseilla de se diriger de ce côté.

Peu après leur départ de chez le bon géant, le plus jeune des deux frères avisa un écureuil perché sur un gros sapin, et lui décocha une de ses flèches. Puis aussitôt il courut à elle pour la reprendre.

— Ah ! mon frère cadet, prends garde ; ne la saisis point, s’écria l’aîné. Tu sais qu’on nous l’a défendu. C’est bien mal, pense-t-on, de désobéir.

Mais le cadet s’obstina.

— Elle est à ma portée, cria-t-il à son frère, je puis l’atteindre.

Il tendit donc le bras pour la saisir, mais elle monta plus haut, à la suite de l’écureuil, qui se moquait du chasseur.

— Ah ! voilà que je la tiens ! s’écria-t-il d’un air triomphant.

Mais elle, échappant, montait encore, montait toujours. À la fin, le jeune homme saisit la flèche. Mais aussitôt elle partit comme un éclair et s’élança rapide vers le ciel, entraînant après elle le malheureux frère cadet. La flèche l’introduisit au ciel.

Là-haut est une terre supérieure en tout semblable à celle que nous habitons. Quand le jeune homme y arriva, il la trouva couverte de frimas, et, sur cette neige, il aperçut une quantité prodigieuse de pas d’animaux de toute sorte dont la chair est comestible.

Il vit là aussi un grand chemin blanc, large, planté d’arbres portant des fruits et de poteaux indicateurs. Sur le chemin, une paire de raquettes toutes neuves étaient plantées dans la neige et paraissaient l’attendre.

Le frère cadet, emporté loin de sa patrie par sa désobéissance, chaussa ces raquettes, et suivit le sentier blanc. Il arriva ainsi à une tente immense dans laquelle il trouva trois femmes qui lui donnèrent l’hospitalité.

La plus vieille, mère des deux autres, lui dit en secret :

— Mon gendre, je t’avertis que mes filles sont méchantes. Elles trompent les humains. Méfie-t-en donc. Ne couche point avec elles et ne les regarde pas même dormir.

Ce disant et pour prévenir toute liaison entre ce jeune homme, qu’elle trouvait beau, et ses filles, la vieille lui noircit entièrement le visage avec du charbon, de crainte qu’il ne fût aimé d’elles.

Sur le soir, les deux filles célestes arrivèrent de la chasse, car c’étaient des amazones chasseresses. L’une s’appelait : Sein plein de belettes (Delkρaylé-tta-naltay) ; la plus jeune : Sein plein de souris (Dluné-tta-naltay).

Dès qu’elles virent le négrillon qui était assis dans la tente maternelle, elles ne purent s’empêcher d’en rire aux éclats, et se moquèrent de lui.

La vieille triomphait. Mais le lendemain, le jeune homme, piqué au vif, s’étant lavé le visage et les mains, il apparut si beau aux deux sœurs, que toutes deux s’écrièrent simultanément :

— Je veux l’avoir ! je veux l’avoir ! Il sera à moi !

En vain la vieille s’opposa-t-elle à leur union, les deux filles se jetèrent sur le beau jeune homme, l’entraînèrent sur leur couche et le firent dormir entre elles.

Mais ils n’eurent pas plus tôt passé une nuit ensemble, malgré la défense maternelle, qu’un abîme s’entr’ouvrit sous le jeune homme, et qu’il fut englouti vivant dans le sein de la terre d’en haut.

Nari ! (pauvre malheureux !) s’écria la vieille quand elle l’eut vu disparaître. Voilà encore un bel homme que vous me ravissez, méchantes !

Cependant un loup énorme survint, qui, sentant de la chair humaine au lieu où gisait le jeune coupable, se mit à creuser la terre de ses ongles puissants. À force de creuser, il dégagea l’homme, qui sortit enfin de sa sépulture horrible. Il attendit, sur le sentier blanc, Sein plein de souris. Il voulait se venger d’elle, mais il ne put la tuer, car elle était immortelle. Alors il lui déchira ses vêtements, il la mit en lambeaux, et toutes les souris, les rats, les taupes, les serpents, les vers et autres bêtes malfaisantes, qui étaient enfermées dans son sein, en sortirent et se répandirent sur la terre, où elles ont habité jusqu’à ce jour. C’est depuis lors qu’il y a sur la terre tant de maux (llay), de maladies (tata), de famine (dan), de jeûne forcé (éttchiéri), la mort {edzil’) et le froid (klu). Tout cela nous est venu par la désobéissance du jeune homme et la malice de la femme.

C’est pourquoi nous tuons toutes les souris (klu), les taupes (dan), les capricornes (llaë), les bêtes malfaisantes (éttchiéri), qui ont causé le malheur de l’homme.

Alors la vieille femme, qui habitait sous la grande tente, dit au beau jeune homme :

— Viens-t-en, fie-toi à moi, à la fin. Je vais te procurer le moyen de retourner dans la terre d’où tu es venu. Je connais un endroit, sur cette terre supérieure, où il y a un orifice d’où l’on voit la terre d’en bas. Je vais te faire descendre par cette ouverture.

Ce disant, la vieille découpa des peaux d’élans en lanières et en fit une longue corde, à l’extrémité de laquelle elle lia le jeune homme sous les aisselles. Puis elle le descendit par le trou béant.

— Aussitôt que tu sentiras la terre sous tes pieds, lui dit-elle, lâche la corde.

La vieille descendit donc le jeune Dènè par le trou, et il descendit longtemps, car la distance était grande et la corde fort longue.

À la fin, son pied sentit un obstacle :

— J’arrive à terre, pensa-t-il.

Il lâcha donc la lanière, qui, en un clin d’œil, remonta vers le ciel, et il se vit, où ? Dans l’aire d’Orelpale (la Blancheur), aigle immense qui se nourrissait de chair humaine.

Tout autour de Dènè, dans le nid gigantesque de l’aigle mangeur d’hommes, il ne vit que des crânes et des ossements humains.

Il regarda en bas, mais il aperçut avec effroi qu’il était loin, bien loin de la terre habitable.

Heureusement que le petit de l’aigle eut compassion de l’homme.

— Il fait pitié, se dit-il ; il est si jeune ! Cache-toi sous mes ailes, beau-frère, dit-il au jeune homme. Et si tu vois que le jour se fait, c’est que mon père, l’aigle géant, arrive au nid. Mais si la nuit survient, alors c’est un indice que ma mère arrive.

Tout à coup, Dènè, entendant un grand bruit d’ailes, alla se réfugier sous les ailes de l’aiglon. Aussitôt le jour se fit, et l’aigle mâle rentra au nid.

— Ah ! ça sent bien la chair fraîche ! dit-il en flairant de tous côtés.

— Est-ce étonnant, dit l’aiglon, alors que tu m’apportes tous les jours de la chair humaine à dévorer ?

Orelpale, le père, s’en alla, et Dènè reprit un peu d’assurance. Un instant après, le bruit du tonnerre se renouvela, la nuit se fit, et Orelpale femelle entra au nid avec des débris humains dans ses serres[2].

— Comme cela sent la chair fraîche ! s’écria-t-elle en flairant d’un air inquisiteur.

— Allons, mère, est-ce étonnant, alors que tu m’en apportes toi-même ? répartit l’aiglon.

L’aigle femelle s’en alla à son tour.

Cela ne pouvait durer longtemps ainsi. Orelpale finit par s’apercevoir qu’il y avait un mortel vivant dans son aire. Il en fut courroucé, il voulut tuer l’homme téméraire qui venait le braver jusque chez lui.

Alors l’aiglon se jeta entre son père et l’homme.

— Si vous le tuez, s’écria-t-il, je me précipite aussitôt de mon nid sur la terre.

De crainte de causer la mort de son fils, l’aigle père consentit à laisser vivre celui-ci. Alors l’aiglon dit à l’homme :

— Tu ne peux toujours vivre ici. Mon père pourrait te surprendre et te tuer à mon escient. Tiens, prends ces plumes de mes ailes, adapte-les à ton corps, et essaye de voler autour de mon nid. Si tu parviens à en faire trois fois le tour, tu es sauvé, et tu pourras voler jusqu’à ta patrie.

Le jeune homme s’ajusta donc, aux bras et aux jambes, les plumes de l’oiseau-tonnerre, et essaya de voler. La première fois qu’il s’élança, il tomba et se fit grand mal.

Mais l’aiglon le reprenait.

— Fais donc comme ceci, et comme cela, lui disait-il.

Et peu à peu il lui apprenait à voler en le soutenant de ses ailes. À la fin, l’homme y parvint, aidé de l’aiglon ; il put faire une fois, deux fois, et enfin trois fois le tour de l’aire ; et aussitôt il s’envola vers la terre, au moyen des plumes de l’aiglon charitable. C’est la fin.

(Racontée par Pacôme Kkiρay-khρaa, dit Baughen, Dènè Couteau-Jaune-Castor du Grand-Lac des Esclaves, en juillet 1863.)


IV

ELTCHÉLÉKWIÉ ONNIÉ


(Suite.)


La légende intéressante que je viens de traduire ci-dessus présente une variante très forte, chez les Tchippewayans du lac Athabasca, où le R. P. Faraud la recueillit. Je la transcris ici littéralement et dans sa simplicité primitive, c’est-à-dire en retranchant du récit de ce missionnaire, depuis évêque d’Anemours in partibus injidelium, tout ce qui s’y trouve de conforme au récit précédent. C’est la Genèse des Danè ou Castors.

La divergence entre ces deux versions, celle du grand lac des Esclaves, et celle du lac Athabasca, commence à l’endroit de la disparition du jeune téméraire dans les entrailles de la terre, après qu’il eut enfreint l’ordre de la vieille Parque, en dormant avec les deux plus jeunes.

Dans cette seconde version, les deux sœurs ne sont plus que de simples mortelles qui, comme les deux frères, voyagent sous l’œil et la protection de l’invisible Providence.

Je commence :

Quand, le lendemain, Sein plein de belettes et Sein plein de souris s’aperçurent de la disparition de leur hôte, elles pleurèrent et se lamentèrent beaucoup.

— Allons à sa recherche, se dirent-elles.

Aussitôt elles et leur mère s’élancèrent au dehors. Elles ne savaient ce que le jeune homme était devenu.

Tout à coup, elles aperçurent un monstre, un géant à figure humaine, mais n’ayant qu’un œil au milieu du front, qui creusait la terre avec ses griffes d’ours. Il n’avait qu’un bras et qu’une jambe, et sa bouche courait d’une oreille à l’autre.

Les trois femmes conçurent une crainte affreuse et se cachèrent pour épier ce qui allait arriver. Elles virent le cyclope déterrer le jeune homme avec ses griffes, puis se disposer à le dévorer dans sa loge. C’était Edzil’ (la mort).

Le jeune homme n’était pas mort, il n’était qu’évanoui ; aussi, quand il fut en plein air, il reprit ses sens, et, apercevant le cyclope, il poussa un cri d’effroi.

— Ne le tuez pas, dirent les deux sœurs à la Mort.

— Je ne le tuerai pas, si l’une de vous deux consent à m’épouser, répartit Edzil’ ou la Mort.

Comme elles hésitaient, la Mort s’apprêtait à dévorer sa proie, lorsqu’un aigle gigantesque nommé Orelpalé (la Candeur, l’Immense, Celui qui s’étend au loin) se précipita sur le cyclope, l’enleva dans ses serres puissantes et repartit avec lui.

— Le bon Esprit vient de nous sauver. Que lui offrirons-nous ? s’écrièrent les trois femmes.

Au même moment, elles virent un épervier qui poursuivait un malheureux roitelet.

— Tuez l’épervier ! dit la vieille.

Aussitôt le jeune homme lui décocha une flèche, et, par la mort de l’épervier, sauva le petit oiseau.

Étant partis de ce lieu, ils se mirent tous quatre à cheminer à l’aventure, et arrivèrent vers une grande tente dans laquelle ils pénétrèrent.

Ils y trouvèrent un petit enfant endormi.

— Petit enfant, dit la vieille, où sont tes parents ?

Le petit, s’éveillant, indiqua l’Orient, et dit :

— Ils sont là-bas.

Puis il se rendormit.

— Petit enfant, dit le jeune homme, dis-moi où est mon pays ?

Le petit enfant indiqua le Couchant, et dit :

— Là-bas.

Puis il se rendormit.

— Petit enfant, dirent les deux sœurs, où est le bon Esprit, notre protecteur ?

Le petit enfant leva ses bras au ciel et dit :

— Là-haut.

Puis il se rendormit.

— C’est merveilleux, dit la vieille ; mais il ne faut pas chercher à comprendre.

Étant partis de là, ils virent un peu plus loin un vieillard qui venait à eux. C’était le père du petit enfant endormi. Il remit, lui aussi, deux flèches magiques au jeune Dènè, et lui défendit en même temps de les laisser manipuler et même toucher par les jeunes filles.

— Pourquoi cela ? demanda le jeune chasseur.

— Il ne faut jamais demander le pourquoi, répondit le vieillard.

Ils partirent de là, et le frère cadet tua beaucoup d’animaux de venaison, au moyen de ses flèches magiques, dont l’une était mâle et la seconde femelle. Et les jeunes filles ne touchaient pas aux flèches. Mais un jour elles se levèrent de grand matin, et, ayant aperçu un élan, elles voulurent se servir des flèches du jeune homme pour tuer l’animal. Elles les eurent à peine touchées qu’elles furent ensevelies vivantes dans le sein de la terre, et se trouvèrent tout à coup dans une grotte souterraine, qu’elles reconnurent pour l’aire de l’oiseau-tonnerre Orelpalé, l’aigle géant et le bon génie.

Celui-ci saisit les deux filles dans ses serres et les emporta au loin pour les déposer sur une plage déserte et sablonneuse, non loin de la demeure des géants, où il les laissa endormies.

Cette disparition causa tant de chagrin à la vieille mère des deux filles qu’elle en mourut ; mais, en mourant, elle prédit au jeune homme qu’il épouserait Sein-plein-de-souris, et qu’il retrouverait un jour son frère aîné qui deviendrait le mari de l’autre fille, Sein-plein-de-belettes.

Elle leur recommanda de marcher toujours vers l’Occident, parce que c’était en ce lieu que se trouvait leur patrie première et le pays promis, une belle contrée couverte de grands arbres, et située au bord et à l’extrémité d’une mer occidentale.

Le jeune garçon fendit un gros sapin, le creusa, y plaça le corps de la vieille, puis il replanta le tronc d’arbre, à la manière de ses ancêtres. Il se coucha ensuite fort triste, car il était entièrement seul au monde.

À peine Dènè était-il couché qu’il vit s’abattre à ses côtés un oiseau énorme, qui se posa là avec un bruit d’ailes formidable.

— Ne t’effraye pas, lui dit l’aigle géant. Je suis le fils d’Orelpalé, le bon Esprit, et j’accours pour te sauver de la mort. Voilà que je vais te conduire dans ta patrie, un beau pays élevé, où il y a beaucoup de neige, et d’arbres, et d’élans et de rennes, et de castors gras. Mais n’oublie pas cet ordre : « Lorsque tu y seras arrivé et que tu l’habiteras, ne quitte jamais la tente pendant la nuit, et ne chasse le castor que lorsque le soleil sera levé. »

— Pourquoi cet ordre ? demanda le jeune homme.

— Il ne faut jamais demander pourquoi à l’Esprit, répliqua l’aiglon.

Ce disant, il continua :

— Place-toi sous mes ailes, et tiens-toi bien.

Le jeune Dènè ayant obéi, Orelpalé s’éleva dans les airs, plana un instant ; puis, avec le bruit et la rapidité de la foudre, il plongea dans les entrailles de la terre céleste, la traversa, atteignit cette terre d’ici-bas et s’en vint déposer l’homme sur le sol que nous habitons,

— Maintenant, lui dit-il, dirige-toi vers le lieu où le soleil se couche jusqu’à ce que tu rencontres une grande eau ; prends ce morceau de bois, place-le sur l’eau et il deviendra pirogue. Puis, attends les ordres d’en haut.

Ayant ainsi parlé, le fils de l’Esprit bon disparut.

Cependant les deux sœurs avaient été recueillies par les bons géants, de la même manière qu’ils avaient accueilli les deux frères, au commencement.

Un jour le géant père leur dit :

— Mes filles, il faut cependant que vous songiez à partir d’ici. Marchez donc vers le Couchant, là est votre patrie. Voyez-vous ce cygne qui plane dans les airs ? C’est l’esprit de votre mère qui est morte. Suivez-le, il vous indiquera le chemin.

Les deux sœurs partirent ; mais comme elles étaient toutes nues, le bon géant leur donna à chacune une peau de renard afin qu’elles couvrissent leur nudité, plus quelques poissons secs pour provisions de route.

Au bout de dix jours de marche, elles atteignirent le grand lac (ou mer) dont on leur avait parlé, et demeurèrent en ce lieu.

De son côté, le frère aîné, depuis que son imprudent cadet avait été emporté par la flèche magique, s’était toujours, lui aussi, dirigé vers l’Occident, et il avait atteint le rivage du même grand lac, le même jour où le fils d’Orelpalé y déposait le corps endormi de son cadet, muni de la pièce de bois qui devait se changer en canot.

Les deux frères se rencontrèrent et se reconnurent avec bonheur. L’aîné était toujours muni de son pemmikan, lequel n’avait pas diminué depuis le jour que le géant le lui avait donné ; parce qu’il ne le mangeait jamais en entier, et qu’il lui laissait toujours le temps de repousser. Le cadet avait sa pirogue et ses deux flèches magiques, don de l’aigle protecteur Orelpalé.

Tout à coup, à l’extrémité de la grève, ils virent surgir les deux sœurs. Sein-plein-de-belettes et Sein-plein-de-souris, qui arrivaient à eux toutes joyeuses. Le frère cadet présenta à son aîné ces deux femmes célestes. Les deux couples s’embrassèrent en pleurant de bonheur. Puis le bois fut déposé sur l’eau et métamorphosé en pirogue, et les deux couples de jeunes époux y prirent place, en même temps que le beau cygne, esprit de la vieille Parque, les guidait de son vol.

Ils traversèrent ainsi la Grande-Eau, et abordèrent à la terre qu’on leur avait promise, après avoir passé quatre jours et quatre nuits sur l’eau sans voir de terre. Le lieu où ils accostèrent était un vert et riant rivage. Ils y prirent terre avec des cris de joie et d’allégresse.

En ce même moment, Orelpalé père et fils apparurent dans les airs. Les deux couples remercièrent avec effusion leurs génies protecteurs. Peu après, le même vieillard qui avait donné les secondes flèches magiques au frère cadet se montra à son tour, accompagné de son fils, le petit enfant qui dormait. Ce vieillard dit aux deux frères Dènè :

— Mes enfants, je vais vous apprendre qui vous êtes. Vous êtes les derniers descendants d’un grand peuple venu de l’Orient, qui obéit longtemps aux ordres du Puissant-Bon, mais qui, par la suite, l’oublia et s’abandonna au génie du mal, Edzil’.

L’Esprit bon les abandonna à eux-mêmes, car ils étaient devenus si méchants qu’ils se dévoraient les uns les autres.

Une seule famille avait conservé intactes les bonnes coutumes des temps jadis. C’était la famille de votre grand-père. Demeuré seul avec vous, ses petits-fils, le bon Esprit Orelpalé lui avait dit :

— Quitte ton pays et va-t’-en au loin dans la terre étrangère.

Votre grand-père se leva, il vous prit dans ses bras, et, quittant ses parents anthropophages, il s’en alla camper au bord d’un grand fleuve.

Plus tard, l’Aigle gigantesque Orelpalé lui apparut encore et lui dit :

— Aussitôt que tu seras mort, j’abandonnerai tout à fait le pays où tu demeures, à cause de ses habitants ; ordonne donc à tes petits-fils de le quitter et d’errer à l’aventure jusqu’à ce que je les conduise dans la belle terre que je leur ai promise. Ils y seront les fondateurs d’une nation nouvelle.

Le vieillard, votre grand-père, fidèle aux ordres du Grand-Esprit bon, vous commanda donc de quitter votre pays et de vous diriger vers l’Occident, jusqu’à ce que vous eussiez atteint les plages de la mer. Vous en souvenez-vous, mes enfants ?

— Oui, oui, grand-père, répondirent-ils. Nous nous en souvenons.

Le bon vieillard dit alors aux deux sœurs :

— Quant à vous, vous êtes les derniers descendants d’une autre nation, qui, à son début, fut également fidèle au bon Esprit, mais qui bientôt après l’abandonna pour suivre l’enseignement du mauvais Esprit qui gouvernait les peuples anthropophages.

Le Mauvais les détruisit entièrement, à l’exception de votre famille, qui s’était conservée pure.

Elle s’enfuit sur une montagne où elle échappa au feu qui dévora les autres, et où elle demeura. C’était votre mère et vous, mes deux filles.

Le grand Esprit avait prédit à votre mère que vous trouveriez un époux, bien que vous fussiez seules dans votre pays. Le fait vient de s’accomplir.

Toi, ajouta-t-il en s’adressant au frère aîné, prends pour femme Sein-plein-de-belettes, et habite cette partie de la forêt. Toi, dit-il au cadet, tu auras pour épouse Sein-plein-de-souris, et tu chasseras dans cette partie du pays. Allez maintenant, chassez et multipliez-vous.

Ainsi parla le vieillard céleste, puis il disparut, et l’on ne le revit jamais plus. Quant au beau cygne, il poussa un cri de joie en voyant le bonheur de celles dont il avait été la mère, puis il disparut dans la nue.

Or, nous sommes les descendants de ces deux couples-là, nous, les premiers hommes (ttathé danè) ; car c’est là notre histoire.

C’est la fin.

(Racontée au lac Athabasca, par Dènèdègouzié, au R.-P. Faraud, en 1859 ( ?) ; confirmée et modifiée, en 1880, par Alexis Enna-azé, à E. Petitot.)


V

NNI-NA-OUDLÉY

(la fin du monde)


Au commencement on habitait sur cette terre tout comme aujourd’hui ; car ce qui est a toujours été, ce qui se fait s’est toujours fait. L’homme a toujours été pèlerin sur la terre, il a toujours chassé et pêché pour gagner sa subsistance, il a toujours bu, mangé et dormi, il a toujours dormi avec sa femme et procréé des enfants.

Or, durant un hiver, il arriva une chose qui n’avait pas toujours été : il tomba tant et tant de neige que la terre en était comme ensevelie, et que le faîte des plus hauts sapins seul paraissait.

Ce n’était pas tenable. Aussi tous les animaux qui, alors, demeuraient et conversaient avec l’homme, partirent pour le ciel, en quête de chaleur ; car sur cette terre, convertie en glacier, on se mourait de froid et de besoin. Il était évident que, si l’on ne se dépêchait, tout le monde allait périr.

L’écureuil, étant le plus leste des animaux, grimpa à la cime des plus hauts sapins, il fit un trou à la voûte du firmament, et, par cette ouverture, pénétra dans le ciel. Ce trou, c’est le soleil.

Tout le monde, émerveillé de ce haut fait, déclara que l’écureuil était un grand chef.

Par cet orifice, tous les animaux pénétrèrent dans le ciel à la suite de l’écureuil. Mais celui-ci s’approcha de si près de la chaleur qu’il en eut le poil tout roussi, et c’est pourquoi il est de couleur jaune.

L’écureuil produisit donc le jour, car avant ce haut fait il faisait sombre et froid sur la terre. Mais l’ours, qui est maître dans la terre supérieure, où il gardait la chaleur pour lui seul, l’ours dit à l’écureuil :

— S’il fait toujours jour, comment chasseras-tu ?

Alors il étendit comme une peau épaisse sur l’orifice céleste, et de nouveau il fit nuit.

Ce fut donc l’ours qui produisit la nuit. Aussi est-il toujours noir. Il aime les ténèbres et habite sous terre, dans une bauge sombre et ténébreuse.

L’ours est mauvais. Dans la terre supérieure, lui et son fils gardaient la chaleur. Ils l’avaient appendue aux branches d’un grand arbre qui s’élève au milieu du ciel, et elle était contenue dans une outre de peau.

À cet arbre, on voyait aussi suspendus tous les autres éléments, tous les biens et tous les maux qui descendent sur cette terre inférieure : de pluie, une outre, et de neige une outre ; de beau temps, une outre, et de tempête, une outre ; de froid, une outre, et de chaleur, une outre.

Il s’agissait donc de s’emparer de cette dernière, et certes cela n’était pas facile ; car l’ours et son fils étaient campés au pied de l’arbre et gardaient la chaleur.

— Qui d’entre nous sera capable de décrocher cette outre, se dirent les animaux, et qui sera homme assez puissant pour lutter contre cet ours fort et féroce ?

Le renne se présenta alors comme étant l’homme le plus innocent et le plus léger à la course. Il se dirigea vers l’ours à la nage (car l’arbre s’élevait dans une île), et s’empara du sac de cuir qui renfermait la chaleur, avant que l’ours, dont les mouvements sont lents, eût eu le temps de l’atteindre.

Alors il eut recours à son canot. Il le lança à l’eau, y monta et poursuivit le renne qui se sauvait à la nage avec la chaleur. Il allait l’atteindre, quand tout à coup sa pagaie se brisa dans ses mains et le réduisit à l’inaction. C’était la souris qui en avait creusé l’intérieur, en travaillant au bien commun.

Cet accident donna aux animaux le temps de se sauver avec la chaleur. L’outre était fort pesante ; on l’avait suspendue au milieu d’un bâton, et les animaux la portaient deux à deux à tour de rôle.

Il y avait loin entre la terre d’en haut et cette terre inférieure, aussi fallut-il camper bien souvent. Une nuit, au bivouac, la souris, dont la chaussure était en lambeaux, voulut raccommoder ses souliers et ne crut pas mieux faire que de couper un morceau de la peau de l’outre.

Malheur ! l’outre ouverte, la chaleur qu’elle contenait se répandit aussitôt sur la terre, et avec une telle intensité qu’elle fit fondre en un instant l’immense quantité de neige qui la couvrait. Il en résulta une inondation telle que l’eau, montant toujours, envahit les montagnes et recouvrit même les plus élevées.

Un petit vieillard à cheveux blancs, prévoyant cela, avait dit :

— Mes amis faisons un grand canot et sauvons-nous dedans.

Mais on s’était ri de lui.

— Fais-le toi-même, lui avait-on dit, toi qui es si sensé. Pour nous, nous habiterons la montagne, où les eaux ne nous rejoindront pas.

Mais ils s’étaient trompés évidemment, car les eaux les y rejoignirent, et ils périrent tous jusqu’au dernier. C’est fini ; l’eau a dépassé les plus hauts sommets des montagnes Rocheuses ; de terre il n’y en a plus. C’est la fin du monde (nni na oudlé).

Tous les hommes, tous les animaux, tous les oiseaux, périrent.

Quant au petit vieux dont on s’était moqué, et qui avait construit, lui seul, une grande pirogue, il s’y retira, y recueillit un couple de tous les animaux et de tous les oiseaux qu’il rencontra sur son chemin, et s’en alla à la dérive de l’inondation.

Ce vieillard s’appelait Etsié, le grand-père, ou Ennèdhékwi, le vieillard.

Cependant on n’en pouvait plus, et les habitants du canot n’auraient pu vivre longtemps dans cet état. Tous les animaux amphibies se mirent donc à plonger, pour aller chercher la terre au fond des eaux. Mais de terre, il n’y avait point. Elle était si loin, si loin, au fond de l’eau !

L’aigle s’envola au loin, à sa recherche, et s’en revint sans l’avoir trouvée nulle part. La tourterelle partit à son tour, vola toute une journée et s’en revint épuisée sans avoir rien vu.

Le lendemain, elle partit de nouveau et demeura encore toute la journée absente. Le soir, quand elle arriva, elle était exténuée, mais elle tenait dans sa patte un bourgeon de vert sapin. Elle avait vu les cimes des arbres et s’y était reposée.

Encouragés par cette trouvaille, tous les oiseaux aquatiques et les animaux amphibies recommencèrent à plonger de plus belle, dans l’espoir de soulever la terre.

Le rat musqué plongea et revint à bout de respiration sans avoir rien trouvé ; la loutre plongea, elle demeura longtemps sous l’eau, et quand elle reparut à la surface, elle était mourante.

— Rien ! dit-elle.

Le petit canard-trompette plongea à son tour. Et il revint avec un peu de vase dans sa patte. Il souleva la terre, il refit la terre. C’est pourquoi tous les animaux s’écrièrent :

— Le Rankanli, seul, est tout-puissant ; lui seul est un grand homme, un chef.

C’est la fin.

(Racontée par Tsinnayiné, Couteau-Jaune
du Grand-Lac des Esclaves, en septembre 1862.)


VI

TTATSAN DÈNÈ ODÉLYON NANÉTTA

(le corbeau décepteur)


Cependant Etsié, avant de quitter son grand canot, avait laissé partir le corbeau, qui ne revint plus. Vainement on le chercha, il ne parut pas. Et l’on s’aperçut alors qu’on n’avait plus rien à manger, et que tous les animaux ruminants et comestibles avaient disparu.

On soupçonna donc le corbeau, dont on connaissait la malice, d’avoir fait ce coup ; et tous les animaux qui se nourrissent de chair, tous les oiseaux rapaces, ainsi que l’homme, se mirent à la recherche du voleur.

La chouette, nommée Ethi-djiazè (petite tête velue), fut envoyée en éclaireur. Elle vola toute une journée et revint à bout de forces.

— Je n’ai rien vu, dit-elle.

Le geai bleu (Djizé) fut député à son tour. Le soir venu, il revint épuisé.

— J’ai vu, dit-il, j’ai vu le corbeau se reposant à la cime de cette haute montagne que vous voyez là-bas. Il est gras et repu, et autour de son col souillé de sang, il porte un collier fait des yeux de tous les animaux qu’il a aveuglés afin de les garder ; car il les a enfermés et ils sont ses prisonniers.

Ainsi dit le geai bleu.

Alors tous frémirent de colère, ainsi que l’homme, et ils se dirent :

— Poursuivons le corbeau !

Au sommet de la montagne s’élève une loge immense. C’est celle de la vieille corbeau, cette sorcière malfaisante. Là elle avait parqué tous les animaux qui broutent et ruminent. Elle les y avait poussés, rassemblés, et elle les gardait soigneusement, aidée de ses petits corbeaux. Elle se tenait sur le seuil, avec sa famille, préparée à en défendre l’accès.

— Qui nous ouvrira la porte de cette tente ? se demandaient les animaux. Ce corbeau est puissant et méchant.

En vain le loup et le renard essayèrent-ils. Le corbeau les harcelait de son bec puissant, et les obligeait de rebrousser chemin.

Alors le geai bleu dit encore :

— Ce sera moi qui viendrai à bout du corbeau.

Il alla se percher d’un air inoffensif sur le faîte de la loge, il en déchira l’enveloppe de peau, il en défit les ligatures, il en fit tomber la couverture. Aussitôt tous les ruminants sortirent de l’enceinte, et repeuplèrent cette terre sortie fraîchement du sein des eaux. Alors tous les animaux s’écrièrent :

— Maintenant tuons, tuons le corbeau, cet oiseau malfaisant et inutile. Il est notre ennemi.

Mais lui :

— Par pitié, laissez-moi la vie, s’écria-t-il, et désormais je me contenterai du charnier.

— Eh bien ! puisque tu veux vivre, lui dit-on, donne-nous donc de la viande.

Ce qui se disait là était nécessaire ; car depuis que le corbeau avait enfermé les ruminants, tous les animaux qui se nourrissent d’herbe étaient invulnérables, ils étaient tous revêtus d’os et de corne comme d’une cuirasse, de sorte que nos flèches s’émoussaient sur leur corps. Comme on ne pouvait les tuer, la vie devenait impossible.

Le corbeau ayant donc demandé la vie à la condition qu’il donnerait aux hommes de la viande, il s’en alla et se percha au sommet de la montagne, où il se mit à ronger, à ronger des os. Il les tailla, les façonna, les découpa en forme de côtes, qu’il lança comme des flèches parmi les animaux ruminants. Tous ceux qu’il atteignit eurent une charpente formée de côtes et de chair, et devinrent vulnérables et comestibles. Quant aux autres, ils demeurèrent à l’abri de nos flèches, et on ne put les tuer ni les manger.

Cependant on s’entredisait :

— Où sont les cadavres des hommes que l’inondation a détruits, et pourquoi n’en voyons-nous pas ?

En vain on les chercha. On ne vit de cadavres humains nulle part. Alors le geai bleu dit encore :

— Là-bas, sur le rivage, j’ai vu, oui j’ai vu les mouettes et les goëlands qui s’en disputaient les lambeaux et les dévoraient.

C’est assez ; il y eut de nouveau beaucoup d’hommes, beaucoup d’animaux, et l’on continua à vivre de la même manière que l’on vit de nos jours sur la terre.

Quelque temps après l’inondation, l’eau vint à manquer complètement. Le grand Butor (T’ulkudhi), qui l’avait toute bue, était étendu sur le sable, le ventre au soleil. Il était gonflé comme une outre.

Etsiyé (le grand-père) se rendit donc vers l’hydre, suivi de tous les animaux qui, comme lui, étaient altérés et cherchaient l’eau.

Quand il se vit ainsi surpris et entouré, le Grand Buveur d’eau essaya de gagner ses ennemis en excitant leur pitié, afin qu’ils l’épargnassent. Il feignit donc d’être malade :

— J’ai mal au ventre, geignait-il ; hélas ! je suis hydropique. J’ai grand mal au ventre !

Alors le lynx s’approcha d’un air patelin :

— Ma grand’mère a mal au ventre, dit-il. En vérité ! C’est bien fâcheux !

Et il se mit à lui frotter le ventre avec sa patte de velours. Mais tout d’un coup il sortit ses griffes, les lui enfonça dans la peau et lui déchira le ventre.

Alors, des flancs rebondis de l’hydre crevée, surgirent fleuves et rivières. L’eau en jaillit par torrents, et les lacs se formèrent, et toutes les excavations du sol se remplirent d’eau. La terre, arrosée de nouveau, reverdit et redevint ce qu’elle était auparavant. C’est la fin.

(Racontée par le vieil aveugle Ekounélyel,
au Grand-Lac des Esclaves, en juin 1863.)


VII

DÈNÈYAT’IÉ L’AN ADJYA

(la multiplication des langues)


Au commencement, on habitait sur une montagne, et tous les hommes parlaient la même langue. Il n’y avait donc qu’un seul langage.

Or, des jeunes gens jouaient ensemble dans un bois, disant :

— Imitons tout ce que font nos parents.

Ils contrefirent donc l’action des chasseurs qui tuent un animal. Ils se saisirent de l’un d’entre eux, ils le tuèrent comme un vil animal, ils le dépouillèrent, l’écartelèrent, le dépecèrent, l’écorchèrent, le démembrèrent, et, toujours par manière de jeu, il allèrent en distribuer les quartiers dans chaque loge.

Alors, il se passa une chose inouïe : Comme jamais les Dènè n’avaient été témoins d’un crime si affreux, une épouvante indicible s’empara d’eux. Ils demeurèrent hors d’eux-mêmes, sans voix, et l’esprit si profondément troublé qu’ils en perdirent l’usage de la parole et ne purent plus se comprendre les uns les autres, tant ils étaient ahuris.

Ils se séparèrent donc ; ils s’enfuirent pleins d’épouvante, les uns d’un côté, les autres de l’autre. Et c’est ainsi que les langues se multiplièrent.

(Racontée par le même.)


N. B. — Je dois faire remarquer ici un fait très curieux et qui me semble plus que caractéristique. Le lieu où Noë sortit de l’arche et où ses fils construisirent la première ville, d’après la Bible, s’appelle en arménien : Nachi-dhenan (lieu de la Descente). Or, en dindjié, l’un des dialectes dènè, Nachi-dhenan, signifie : Insensé, fou (Nachi), et peuple de femmes publiques (Zhœnan, que les missionnaires écrivent Dhœnan) ; ce qui correspond parfaitement au nom de Babel ou Babilous : Confusion.


VIII

BÉ TSUNÉ YÉNELCHIAN

(l’enfant que sa grand’mère a élevé)


Longtemps après Etsiè et Eltchélékwié, il y eut une grande famine sur la terre ; car tous les rennes désertèrent notre pays, et l’on y mourait de faim. Alors les Dènè quittèrent leurs pays et descendirent le long de la mer pour aller habiter dans le désert sans arbres, dans la terre étrangère, afin d’y arracher leur vie.

Un jour que les Dènè étaient en marche, une vieille femme, qui ne pouvait suivre la troupe que de loin, entendit des cris d’enfant retentir au bord de l’eau. Elle chercha avec soin, et trouva au milieu de la bouse de bœuf musqué un petit enfant pas plus long que le doigt qui lui dit :

— Grand’mère, recueille-moi. Je suis venu sur la terre pour faire du bien aux hommes, mes frères.

La vieille femme ramassa le petit enfant. Elle l’éleva soigneusement, et c’est pour cette raison qu’on appela celui-ci Bé-tsuné-Yénelchian : Élevé par sa grand’mère.

Lorsque Bé-tsuné-Yênelchian devint un peu plus grand, il s’absentait chaque soir et ne reparaissait plus que le lendemain matin. Dans les commencements, la vieille s’inquiétait beaucoup de ces absences ; puis elle finit par s’y habituer. On ne savait où il allait ; mais lui, par la vertu de sa magie, se métamorphosait en renne ; puis, s’en allant parmi ces animaux, il les attirait à lui, leur touchait le museau de sa baguette (car c’est au moyen d’une verge qu’il opérait ces prodiges), et aussitôt les rennes tombaient inanimés.

Après cela il rentrait au camp, la ceinture pleine de langues de rennes qu’il y avait suspendues comme un trophée de sa chasse magique. C’est pourquoi la vieille, ainsi que ses autres parents d’adoption, vivaient dans l’abondance ; et l’enfant acquit une grande renommée par ses exploits cynégétiques.

Un jour cependant, Bè-tsuné-Yénelchian dit à sa grand’mère :

— Mère, dites ceci à mes frères : Si vous voulez me donner en tribut le bout de toutes les langues de renne (Ethula) que vous tuerez, je vous promets de ne vous laisser jamais manquer de viande. Je vous procurerai des rennes en abondance, et je demeurerai longtemps parmi vous.

La vieille rapporta aux Dènè les paroles de l’Enfant-Puissant, et les hommes consentirent à ce traité. Aussitôt les rennes commencèrent à abonder, et la viande à devenir très grasse.

Pendant longtemps, les Dènè furent fidèles à payer leur tribut de bouts de langues à l’enfant ; mais il arriva une époque où ils se lassèrent et l’oublièrent, et les bouts de langues ne lui furent plus apportés[3].

— C’est fini, dit l’enfant devenu homme, je ne demeurerai pas plus longtemps avec ces ingrats. On m’oublie parce que j’ai été trop bon. Si le tribut n’est pas payé, je partirai.

La vieille pleura, elle supplia ; mais ce fut en vain.

— Mes frères m’oublient, lui répondit l’Enfant-Puissant. Eh bien ! je m’en vais. Toutefois, je ne les abandonnerai pas entièrement. Quand ils seront dans la disette et qu’ils m’appelleront à leur secours, je reviendrai à eux. Quant à vous, tâchez de me suivre là où je vais aller.

Il dit, et disparut au milieu d’un grand troupeau de bœufs musqués. La vieille suivit bien ses traces parmi les bœufs pendant quelque temps ; mais ce lui était chose bien pénible, à son âge, que de tracer un sentier à l’aide de ses raquettes. Elle ne put jamais arriver au bout.

Depuis ce temps-là, quand le renne vient à manquer et que nous sommes menacés de la famine, nous nous en allons dans le désert de la mer Glaciale et nous appelons Bé-tsuné-Yénelchian et ses bœufs. Ils entendent notre voix, ils accourent, nous tuons quelques-uns de ces bœufs, et nous échappons, par ce moyen, à la mort qui nous menaçait.

(Racontée en 1863, au Grand-Lac des Esclaves,
par le vieil aveugle Ekunélyel.)


IX

MÊME LÉGENDE


(Version des Couteaux-Jaunes.)


Un jour, dans le désert stérile qui borde la mer glacée, la disette de viande (tan) régnait parmi les Dènè. On était donc en quête de rennes, mais en vain. C’était très pénible.

On entendit alors comme les vagissements d’un enfant, au bord de la rivière du Cuivre. Il y avait là beaucoup de filles qui se mirent toutes à la recherche de la voix. Mais ce fut sans succès. Survint une vieille femme, qui chercha à son tour, et trouva bientôt un tout petit enfant, long comme le pouce, mais merveilleusement beau, qui était couché dans l’empreinte du sabot d’un renne. Elle le prit, l’éleva avec amour, et c’est pourquoi on l’appelle Bé-tsuné-Yènelchian : Élevé par sa mère-grand. Quoiqu’il fût bien petit, il parut bientôt qu’il était très puissant par la vertu de son Ombre.

Un jour Bé-tsuné-Yénelchian dit à sa grand’mère :

— Les hommes, mes frères, sont bien malheureux. Je veux aller les trouver. Ils ont faim. Je veux leur procurer de la viande.

La vieille pleura, elle voulut le lui défendre ; mais il ne l’en pressait que plus vivement. Enfin elle le laissa partir, et il partit seul durant la nuit, sans que les Dènè sussent où il était allé.

Quand le jour parut, l’Enfant-Magique revint vers les Dènè et retourna chez sa mère adoptive. La vieille était étendue à terre, inerte, sans feu, la tête glacée. Il la tira de sa léthargie, ralluma le feu, et, défaisant sa ceinture, il dit :

— Mère, voyez !

Aussitôt il tomba de sa ceinture quantité de bouts de langues de renne,

— Mes frères vivront à leur aise, maintenant, dit-il, pourvu qu’ils se souviennent de moi.

Bé-tsuné-Yénelchian demeura, en effet, longtemps parmi ses frères, et le caribou ne leur faisait jamais défaut. Un jour, dans le désert sans arbres, on chassait péniblement, car il n’y avait point d’eau. Nous mourions de soif.

— Attendez, dit l’Enfant-Puissant, devenu homme. Ayant aussitôt fabriqué une flèche magique, il la ficha en terre et en fit jaillir du sol de l’eau en abondance.

Enfin, étant devenu vieux, il gravit une montagne en disant :

— Je vais bientôt mourir, mais je ne vous abandonnerai pas. Quand vous serez dans la détresse, invoquez-moi et je viendrai à votre secours.

Alors, il fit dresser pour lui en ce lieu une loge magique (chuns), et, y étant entré, il évoqua l’esprit ou Ombre. Pendant longtemps il fit la magie. Comme il n’en sortait plus, on s’aventura dans le pavillon, afin de voir ce qui lui était arrivé. Mais on ne l’y trouva point.

Depuis ce temps, on ne sait ce qu’il est devenu, et nul ne le revit jamais plus.

(Racontée au Grand-Lac des Esclaves,
par Tsépan-Khé, Couteau-Jaune, en septembre 1863.)


X

MÊME LÉGENDE

(version des tchippewayans du lac athabasca.)


Il fut un temps où le Puissant-Bon, mécontent des hommes, leur retira tous les rennes ou caribous.

Les Dènè s’en revenaient donc tristement des bords de la mer glaciale, et s’en allaient chercher fortune sur une terre nouvelle, lorsqu’une vieille femme qui les suivait péniblement de loin, ayant remué avec son pied des crottins de rennes, s’entendit tout à coup appeler du milieu de cette bouse par une voix enfantine.

La voix disait :

— Grand’mère, je viens pour faire du bien aux Dènè (hommes) ; mais je suis tout petit. Veux-tu prendre soin de moi ?

La vieille regarda, et aperçut un fœtus vivant, long comme le pouce. Elle eut pitié de lui. Elle le prit et lui promit d’en avoir le plus grand soin. Puis, réfléchissant qu’elle n’avait elle-même rien à manger, elle dit à l’enfant :

— Je te promets, petit, de te garantir du froid.

Mais comment te ferai-je manger ? Je n’ai rien moi-même !…

— Je suffirai moi-même à nos besoins, répondit l’enfant. Je ne demande qu’à rester avec toi.

Le soir venu, on dressa les tentes, et l’enfant, qui était seul avec sa grand’mère, lui fit cette confidence :

— Je viens pour faire du bien aux Dènè. Je ramènerai l’abondance parmi eux. Seulement, j’exige qu’ils me payent un tribut. Ils me donneront toutes les langues des rennes qu’ils tueront. S’ils sont fidèles, je resterai longtemps parmi eux, et ils ne manqueront de rien. Va, et répète-leur mes paroles.

La grand’mère alla de suite trouver les Dènè, et leur répéta ce que l’enfant avait dit. Tous consentirent à payer le tribut, et dès le lendemain les rennes reparurent.

L’enfant restait avec sa mère-grand, et il fut appelé Bé-tsun-Yénelchian. En peu de temps, il avait grandi et était devenu long comme le bras.

Chaque jour, l’enfant sortait seul, et s’en allait dans la forêt, et chaque soir, en rentrant, il disait à la vieille femme :

— Où sont mes langues ?

Pendant un certain temps, les Dènè furent fidèles à payer le tribut ; mais enfin l’abondance affaiblissant la reconnaissance, ils n’apportaient plus que quelques langues à l’enfant, devenu grand comme les autres hommes de la tribu. Ce que voyant, Bé-tsun-Yénelchian dit à la grand’mère :

— Tu vois, grand’mère, c’est toujours la même histoire du temps passé, l’abondance nuit ; on m’oublie parce que l’on est trop bien. Je ne puis plus demeurer avec ce peuple, et si le tribut n’est pas payé rigoureusement, je l’abandonnerai.

Plusieurs années s’écoulèrent, et enfin le tribut, qui allait toujours en diminuant, était réduit à cinq ou six langues. Bé-tsun-Yénelchian dit alors à sa grand’mère :

— C’en est fait, je pars. Je n’abandonnerai pas tout à fait les Dènè ; mais je leur ferai sentir leur ingratitude.

La grand’mère voulut s’opposer à son départ. Elle le supplia même de ne pas abandonner sa nation.

— C’en est fait, répéta-t-il. Suis-moi, si tu le peux. Je pars.

Il partit en effet. La grand’mère, qui l’aimait beaucoup, tenta de le suivre ; mais comme elle était bien vieille, elle bronchait à chaque pas, et enfin elle fut obligée de s’arrêter.

— Sois tranquille, grand’mère, lui répéta l’enfant une dernière fois. Je n’abandonnerai pas entièrement les Dènè, mes frères.

Il la quitta. Bientôt il disparut du côté de la mer glacée et s’en alla habiter parmi les bœufs musqués qu’il rendit dociles à sa voix. Quand il fut las de vivre, il s’incarna dans ces paisibles animaux et leur donna, en récompense de leur docilité, l’intelligence de la parole humaine.

Lorsqu’une grande disette (éttchiéri) se fait sentir parmi les Tchippewayans, ils se dirigent vers les côtes inhospitalières de la mer glaciale, et ils y appellent les bœufs musqués (ètchiéré). Ces animaux entendent leurs voix et se rendent docilement à leurs appels. Alors les Dènè se contentent d’en tuer quelques-uns pour apaiser leur faim, et laissent partir les autres en paix.

— N’est-ce pas le fils de Dieu qui est allé habiter parmi eux et qui leur donne cette intelligence ? C’est la fin.

(Racontée en 1859, à Athabasca, au R.-P. Faraud,
par Dènèdègouzyé.)


XI

MÊME LÉGENDE

(Version des Mangeurs-de-caribous de la baie d’Hudson,
fleuve Churchill.)


Une jeune fille trouva un petit enfant, dans le pays des Caribous (Yuthen). Il était couché dans un peu de mousse, au bord d’un fleuve (Nilin).

Cette fille, abandonnée elle-même par des parents barbares, ramassa l’enfant, l’enveloppa d’une peau de renne, et résolut de lui sauver la vie.

Tous deux vivaient bien misérablement, ne se nourrissant que de racines et de fruits dont elle exprimait le jus dans la bouche du pauvre petit. Aussi l’enfant ne grandissait pas, et la fille disait :

— Si du moins il pouvait grandir vite, il aurait soin de moi quand je serai vieille.

Elle ne savait pas que ce petit enfant était un magicien puissant.

Un jour qu’elle pleurait amèrement, n’ayant rien à manger, l’enfant, qui n’avait jamais fait que balbutier, lui adressa la parole en ces termes :

— Ne te lamente pas. Je sais où il y a du poisson. Tu as été bonne pour moi ; je le serai aussi pour toi.

Surprise d’entendre parler son nourrisson, la jeune fille le regarda, et elle crut voir la peau de renne qui le couvrait briller comme une flamme, tandis qu’une autre flamme entourait sa tête.

— Écoute, continua l’enfant, bientôt les Dènè seront heureux plus que jamais ; les rennes, obéissant à leur voix, viendront d’eux-mêmes se faire tuer et ne chercheront plus à fuir.

Quelques saisons s’écoulèrent ainsi, et l’enfant demeurait de taille exiguë ; mais la jeune fille n’était plus misérable. Il lui découvrait le poisson lors même qu’il se tenait caché sous la glace.

Un jour, l’enfant eut le désir d’aller se divertir dans la forêt. Elle lui chaussa ses petites raquettes, et il partit sans dire où il se rendait.

Le soir venu, il ne reparut pas. La pauvre fille, voyant la nuit venue, se mit à pleurer et à se lamenter sur son malheureux sort, croyant son fils adoptif mort de froid ou égaré, lorsque tout à coup celui qu’elle croyait perdu se trouva à ses côtés et déposa à ses pieds une grande quantité de langues de renne.

Au même instant, la forêt fut tout illuminée, car le monde accourait au-devant de Bé-tsuné-Yénelchian avec des torches en main, faites de branches de sapin fendues, afin de le féliciter de l’heureux succès de sa chasse, et de lui rendre hommage.

Alors l’Enfant-Puissant, étant monté au sommet d’une butte rocailleuse, dit aux Dènè qui l’entouraient :

— Je ne vivrai plus longtemps désormais. Puis, se tournant vers sa bienfaitrice :

— Dorénavant, lui dit-il, les Dènè s’adresseront à moi dans leurs besoins. C’est toi que je charge de leur faire connaître mes volontés. Quiconque s’adressera à moi obtiendra mon secours, et je lui enverrai des rennes, afin qu’il vive dans l’abondance.

À peine Bé-tsuné-Yénelchian eut-il fini de parler, qu’on entendit un grand bruit dans la forêt.

— Allons, dit-il, le moment est venu. Un grand peuple m’attend au détour du Grand-Lac. Il vient me chercher pour me conduire en des lieux que vous ignorez. Partons.

La jeune fille éplorée suivit son petit compagnon. Arrivés au détour du lac Athabasca, elle aperçut une multitude d’ours (Sas), de toutes couleurs, noirs, gris, blancs et fauves qui s’empressèrent de rendre hommage à l’Enfant-Puissant.

Alors, jetant un dernier et affectueux regard sur sa compagne bien-aimée pour lui dire adieu, Bé-tsuné-Yémlchian s’avança hardiment au milieu des ours et s’incorpora à eux. On ne le revit plus jamais.

Mais jadis, dans notre jeune temps, nous n’allions jamais à la chasse sans invoquer cet Enfant de bénédictions.

Maintenant on peut le voir dans la lune où nous l’appelons Ya-tρèth-nanttay : Celui qui est venu en traversant le ciel.

(Racontée par le même Dènèdégouzyé.)


XII

OLTSIN-TpÉDH

(opérant-bâton)


Légende Couteau-Jaune.


Oltsin-tρédh : Celui qui opère par la baguette, était un magicien puissant. Il faisait des prodiges au moyen d’un bâton, et c’est de là que lui vient son nom.

Un jour, le Grand Ennemi lui enleva ses deux sœurs.

— Tu n’es pas un homme, lui dit-on, puisque tu te laisses ravir tes parents.

Alors il s’irrita contre celui qui l’invectivait, il le frappa, et, sans le vouloir, il le tua.

Après ce malheureux coup, il se leva et dit :

— Il faut cependant que je délivre mes deux sœurs.

Aussitôt il partit, accompagné de son frère, pour se mettre à leur recherche.

Comme ils cherchaient chacun de leur côté, ils convinrent d’un signal pour se retrouver ; car ils vivaient parmi leurs ennemis, les Eyunnè (fantômes, fous, femmes publiques). Oltsin-tρèdh suspendit donc une crécelle à la cime d’un arbre, afin que, le vent l’agitant, elle fût entendue des deux frères qui s’en revenaient camper en ce lieu.

En cherchant leurs sœurs, les deux frères arrivèrent dans une contrée dont les habitants ne se nourrissaient que d’une gomme blanche. Ils ne purent séjourner en ces lieux parce que ce mets les dégoûtait.

Étant partis de là, ils vinrent dans un pays dont le peuple se nourrissait de grives. Oltsin-tρèdh tendit pour ce peuple-là ses filets à oiseaux, et, d’un seul coup, il prit une quantité prodigieuse de grives. Mais, comme il ne trouva pas ses deux sœurs en ce lieu, il passa outre.

Il arriva alors dans une contrée dont les habitants étaient comme des lièvres. Ils vivaient dans une obscurité profonde, dormant sans cesse. Il produisit pour eux la lumière, en jetant au feu des yeux de lièvre[4] ; puis, il les métamorphosa en hommes.

Enfin, il parvint à une vaste tente, celle du Grand Ennemi, chef des Eyunnè, et ravisseur de ses sœurs, qui se désolaient en ce lieu, dans une dure captivité.

Ce jour-là, le Grand Ennemi était absent ; il était parti pour la chasse. Oltsin-tρèdh dit donc aux deux femmes :

— Voici que je viens pour vous délivrer. Suivez-moi.

Elles se levèrent et le suivirent ; mais elles firent quelque difficulté, disant :

— Ah ! mon frère, ton beau-frère, notre ravisseur, est terrible et puissant. Il va peut-être nous arriver malheur de notre fuite.

Cependant, sur ses vives instances, elles le suivirent. Quand le Grand Ennemi revint, et qu’il n’aperçut plus ses deux femmes esclaves, il entra dans une colère terrible et se mit aussitôt à leur poursuite, leur tendant embûche sur embûche, par le pouvoir de sa médecine ; car il était lui-même un grand magicien. Mais Oltsin-tρèdh les déjoua par son pouvoir plus grand encore.

Le lendemain matin donc, en s’éveillant, ils se trouvèrent au fond d’un précipice, dans une crevasse de rochers très profonde.

— Ne vous épouvantez pas, dit Oltsin-tρèdh à ses sœurs, confiez-vous à moi. Recouchez-vous et dormez, car je n’opère que lorsqu’on ne me voit pas.

Elles se recouchèrent et aussitôt, lui, par la vertu de sa baguette, les tira hors de l’abîme en faisant s’élever le fond du précipice jusqu’au niveau du sol environnant.

La seconde nuit étant arrivée, ils campèrent dans le désert sans arbres. Mais, à leur réveil, ils se trouvèrent au milieu des eaux, sur une petite île déserte. Les deux sœurs se désolaient :

— Ce n’est rien, leur dit Oltsin-tρèdh, couchez-vous et dormez.

Ce disant, il fit surgir une chaussée entre l’île et la terre ferme ; de sorte que, à leur réveil, ils traversèrent tous quatre le lac à pieds secs.

À la fin de la troisième nuit de bivouac, ils se trouvèrent enterrés dans un grand marais bourbeux. Les deux sœurs n’en pouvaient plus. Le Grand Ennemi était si mauvais ! Que faire ?

— Recouchez-vous encore et dormez, leur dit de nouveau leur frère avec confiance.

Aussitôt, par sa puissance, il forma à travers le marais une chaussée de sable dur et sec, sur laquelle ils traversèrent ces eaux fangeuses.

Enfin, voyant qu’il ne pouvait venir à bout à Oltsin-tpèdh, le Grand Ennemi le laissa partir en paix, ainsi que ses sœurs. Alors lui-même dit à son frère cadet :

— Viens avec moi, je vais tuer tous ces hommes ennemis ; après quoi, je les ressusciterai et les rendrai bons.

Il se dirigea donc vers une grande montagne, qu’ils gravirent tous deux. Il y tonnait affreusement. Au milieu de la foudre, Oltsin-tpèdh ramassa deux pierres de tonnerre, plates et lisses, et les ayant jetées parmi ses ennemis, il les frappa de mort sur-le-champ.

Alors il descendit de la montagne. Mais arrivé tout au pied, il y trouva la vieille femme qui l’avait élevé affolée et dansant. Elle chantait, la vieille, elle dansait, en disant :

— Mes chants sont nombreux. Je connais un grand nombre d’hymnes.

Et ce disant, elle dansait comme une folle. Or cette vieille, c’était un renard déguisé et métamorphosé en femme. Oltsin-tρèdh la frappa sur la tête de son bâton et la renversa sans vie. Après cette action, il vécut encore fort longtemps. La vieillesse seule en vint à bout, dit-on.

(Racontée par Tsépan-khé, Couteau-Jaune,
au Grand-Lac des Esclaves, en 1864.)


XIII

OTTSIN-TρESH

(légende des dènè d’athabasca.)


Un homme vivait avec ses parents, lorsque les Flancs-de-Chien, ayant combattu et détruit entièrement ces derniers, cet homme demeura seul et se sauva. Sur une haute montagne rocailleuse et à pic, il grimpa et demeura.

Les Flancs-de-chien entourèrent la montagne, afin qu’il ne pût leur échapper.

Ils décochèrent sur lui toutes leurs flèches sans pouvoir l’atteindre. Mais à la fin, comme cet homme demeura fort longtemps seul au sommet de la haute montagne, ils jugèrent que leurs flèches l’avaient atteint, qu’il en avait été blessé, qu’il était mort, et qu’ils pouvaient lever le siège de ce rocher. Ils s’en allèrent donc loin de ce lieu.

Cependant cet homme, nommé Ottsin-tρesh, demeurait toujours sur la montagne et était parfaitement en vie. Alors il descendit de son fort, et alla retrouver sa sœur qui, elle aussi, avait échappé au massacre de son peuple, et il vécut avec elle.

Alors, sur ces entrefaites, Ottsin-tρesh, dans le dessein de se venger de ses ennemis, se mit à fabriquer une grande lance. Sa sœur en avait peur, mais lui ne tua point sa sœur.

— Ma sœur, lui dit-il, ne crains point. Cette arme ne t’est point destinée. Ce sont ces Flancs-de-chien, meurtriers de nos familles, que je veux tuer.

Alors sa sœur entra dans son plan et s’en alla en quête des Flancs-de-chien pour les attirer dans un piège.

— Parmi les Flancs-de-chien, dit-elle, je vais répandre une nouvelle, au lac des Petits-Poissons, sur le rivage, au pied de la Grande Montagne[5]. Et ils s’y porteront.

Alors, le lendemain, de grand matin, elle se glissa dans le voisinage du camp des ennemis, et, contrefaisant le chant du petit oiseau appelé Ttsé-yazé, elle dit en chantant :

— Au bord du lac des Petits-Poissons, demain matin, les Dènè seront grandement satisfaits et contents par une belle nouvelle.

Alors, un vieillard qui l’entendit dit aux Flancs-de-chien :

— Ce petit oiseau dit la vérité assurément, à ce que je pense ; car il parle absolument comme un homme véritable.

Ottsin-tρesh dit à sa sœur :

— Sœur, ce vieillard, il nous faudra l’épargner.

Ayant dit ceci, le lendemain matin il massacra tous les ennemis, mais il épargna le vieillard ainsi que sa famille. C’est pour cette raison qu’il existe encore tant de Flancs-de-chien.

Alors, la descendance du vieillard s’étant de nouveau multipliée outre mesure, Ottsin-tρesh voulut encore les détruire ; mais il ne put en venir à bout, car les Flancs-de-chien furent plus forts que lui. Ils le prirent, le firent souffrir et finalement lui coupèrent la tête.

Mais cette tête, à leur grande horreur, continua à vivre et les poursuivait encore. Ils la jetèrent dans le feu. Le feu ne put la consumer. Alors, croyant en venir à bout, ils la pulvérisèrent à l’aide d’une grosse pierre. Mais cette poussière du crâne d’Ottsin-tρesh se changea en une nuée de moucherons et de cousins qui se jetèrent sur les hommes et les mirent en fuite. Depuis lors, ils en sont toujours poursuivis.

C’est pourquoi, lorsqu’il y a grande abondance de cousins et de moucherons, les Dènè disent en proverbe :

— Voilà que la cervelle à Ottsin-tρesh pullule encore ; voyez donc ! Cet homme se maléfie[6].

Voilà la fin de cette histoire.

(Racontée par Alexis Enna-azé, Sambos Franco-Dènè-Cris,
au lac des Hameçons, en 1880.)


XIV

TTSÉKWII-NÂHDUDHI

(la femme-serpent)


Une fois une femme demeurait avec son mari, dit-on, eux deux tout seuls.

Pendant que le mari chassait, la femme faisait semblant d’aller bûcher du bois de chauffage, mais ce n’était pas tout ce qu’elle faisait.

Sous un gros arbre, dont le tronc creux était rempli de serpents, elle s’en allait ; et là elle avait des rapports avec ces reptiles. C’est, du moins, ce que l’on dit.

Le mari, étant très vexé et fâché des allures mystérieuses de sa femme, se rendit au lieu où elle avait coutume d’aller bûcher du bois, et aperçut un grand arbre fruitier[7] dont le pied était enfoui dans de hautes herbes.

Alors, en ce lieu, Dènè dit, en contrefaisant la voix de sa femme :

— Mon mari, voilà que je reviens pour toi.

Hâte-toi donc de sortir et de venir vers moi en rampant !

Il dit, et aussitôt de gros serpents ayant surgi de l’arbre, il les tua tous. Alors il fit cuire le sang de ces reptiles pour le donner à manger à sa femme lorsqu’elle arriverait. Mais elle :

— Attends un peu, mon époux, fit-elle. Avant de manger, il est nécessaire que j’aille bûcher du bois.

Alors lui :

— Non, répondit-il, il y a encore assez de bois coupé. Mange d’abord, puis tu t’en iras au bois.

Elle lui obéit. Finalement, elle partit pour le bois, arriva à l’arbre, et voyant les serpents tués, elle entra dans une grande colère, et Dènè l’entendit qui criait :

— Hélas ! ce mari-serpent que j’aimais tant, voilà qu’on me l’a tué.

Et elle ajouta à l’adresse de son véritable époux :

— Eh bien ! je ne veux plus que tu vives, toi aussi.

Étant revenue vers lui, celui-ci ne crut pas devoir mieux faire que de lui décharger un coup de sa hache de pierre sur le cou, et, de ce coup, il lui sépara la tête du tronc. C’est pourquoi elle mourut.

Toutefois, elle soufflait encore sur Dènè en grimaçant, à ce que l’on dit.

Alors il se sauva à toutes jambes, et, étant arrivé sur le bord d’une rivière, il aperçut une vieille femme Sauterelle (Eρoathen).

Sauterelle, dit Dènè à la vieille, viens à mon aide et transporte-moi de l’autre côté de la rivière.

Aussitôt la vieille étendit les jambes et d’un bond lui fit franchir le torrent, dit-on.

La tête de mort, tout en poursuivant l’homme, parvint, elle aussi, sur le bord de la rivière, et dit à la vieille :

Sauterelle, traverse-moi.

Et celle-ci la traversa, dit-on.

Cependant Dènè s’était couché, harassé de sa course éperdue, et dormait paisiblement sur l’autre rive.

— Ici, du moins, ma méchante femme ne viendra pas me trouver, pensait-il.

Mais tout à coup, s’étant réveillé sur le minuit, il aperçut encore à son côté l’horrible méduse qui lui lançait des regards affreux.

Alors, ne se possédant plus dans son épouvante, Dènè saisit sa hache, il se rua sur la tête de la morte, il la frappa, il en brisa le crâne, il la pulvérisa, dit-on.

Et néanmoins, de cette tête de femme, il sortit de telles nuées de cousins et de moustiques, que l’homme en fut assailli et poursuivi le restant de sa vie, et que cette calamité dure encore.

Et voilà comment la femme, après avoir été le tourment de l’homme durant sa vie, continua encore de l’être après sa mort.

Telle est l’histoire de celle que l’on nomme la femme au Nâh-rampant (Ttsékwii-náhdudhi).

Mais tous les Dènè ne la racontent pas de la même manière. Il en est qui rapportent que la tête de mort fut bien transportée par la Sauterelle, comme l’avait été l’homme, mais que la vieille bonne femme, étant parvenue, dans son bond, au milieu du cours d’eau, écarta tout à coup les jambes et laissa choir la tête dans le courant, où elle fut emportée et ne reparut plus jamais ; et que depuis lors on n’a plus revu la femme-serpent. Mais nous pensons que ces conteurs sont des femmes, plus soucieuses de réhabiliter leur sexe que de rendre hommage à la cruelle vérité[8].

(Racontée par le même, en 1880.)


XV

SA-KLU-NAZÉTTI

(le soleil pris au lacet)


Un frère et sa sœur vivaient tout seuls il y a fort longtemps. Ils pourvoyaient à leur subsistance comme nous le faisons aujourd’hui, c’est-à-dire par la chasse et la pêche.

La sœur tendait chaque jour ses lacets sur les arbres de la forêt pour y capturer les faisans, les perdrix blanches, les lièvres blancs, et jusqu’aux lynx eux-mêmes.

Mais tant elle que son frère s’apercevaient avec terreur que les jours et les nuits se succédaient à intervalles de plus en plus rapprochés ; que les jours diminuaient sans cesse ; que le soleil (Sa) se montrait à peine, pour se dérober aussitôt sous le disque terrestre dans le Sud-Sud-Ouest, là où est la bouche de la terre (nni-odhaé).

Ils comprirent alors avec effroi que la terre allait se congeler, et que toute vie allait s’éteindre à sa surface.

Ils résolurent donc tous deux d’y mettre bon ordre. Un jour que la sœur avait tendu ses collets à lynx, comme d’ordinaire, sur les sapins de la forêt, elle aperçut dans l’un d’eux la figure ronde et violacée du soleil qui s’y était pris et s’y étranglait.

Elle en avertit son frère ; ils accoururent pour s’emparer de l’astre rétif et l’étrangler tout à fait. Mais lui, les implorant pour sa vie :

— Si vous me laissez vivre, leur dit-il, désormais j’allongerai ma course, je ferai grandir les jours et je répandrai de nouveau la vie avec la chaleur sur la terre.

À cette condition, ils le laissèrent repartir, et c’est depuis cette époque, dit-on, que l’on voit le soleil briller si longtemps à la voûte des cieux[9].

(Racontée par Alexis Enna-azé,
tchippewayan d’Athabasca, en novembre 1880.)


XVI

TSANTSANÈ-ÉUL’HAN

(à la découverte du métal)


Tradition des Dènè-Cuivres.


Un Otρelnah (Ennemi des Pays plats, Esquimau) enleva une femme Dènè et l’emmena au

 loin, de l’autre côté de la mer de glace. Il l’épousa 

et en eut un fils, dit-on. Mais, quoiqu’il la traitât bien, la malheureuse supportait mal son esclavage. Elle ne songeait qu’à s’évader. Après avoir attendu longtemps, il se présenta enfin à elle une occasion favorable qu’elle s’empressa de saisir : à l’occasion d’une fête, il y eut une orgie, on dansa et l’on se fatigua beaucoup. Aussitôt, elle profita du sommeil profond dans lequel la peuplade était plongée pour se jeter dans un Umiak avec son enfant, et se confier à la mer.

Mais elle ignorait d’autant plus de quel côté elle devait se diriger pour regagner sa patrie, que son ravisseur lui avait, en partant, voilé la tête dans sa propre couverture. Elle ignorait donc la route qu’il lui faudrait suivre pour regagner le territoire Dènè. Toutefois, elle se dirigea vers l’Orient, et vogua toute la nuit sur la mer. Le jour suivant, elle rama encore.

Dans les parages qu’elle suivait, la mer, dit-on, est peu profonde et les îlots abondent. La pauvre femme s’en allait donc d’île en île, tout en cherchant sa nourriture. Quand la traversée était trop longue entre deux îles pour qu’elle pût la franchir en un seul jour, elle plantait, le soir, une longue perche dans le fond de vase au-dessus duquel sa barque de peau flottait, y attachait sa barque, et, s’y couchant bravement, elle bivouaquait ainsi sur la mer.

La voyageuse répéta cette manœuvre pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’elle atteignît un continent oriental où elle aperçut l’estuaire d’une très large rivière qui venait du soleil. Elle ignorait où elle se trouvait, par quelles gens elle serait reçue, et même si la terre où elle allait aborder était ou non habitée ou habitable.

Cependant elle ne savait trop en quel endroit prendre terre, lorsqu’elle vit un loup blanc (Yés) qui traversait l’eau à gué et se dirigeait vers le même rivage qu’elle. De temps à autre, l’animal se retournait vers la femme et semblait la convier à le suivre.

La voyageuse se décida à voguer sur les brisées du loup qu’elle comprit être son protecteur et son Inkρanzé (Ombre ou talisman, fétiche, nahuatl, bon génie), et elle le suivit.

Le loup disparut sitôt qu’il toucha au rivage. La femme aborda au même endroit, elle y abandonna son umiak, et, comme elle savait que le loup décèle la présence des fauves herbivores, elle se mit à la recherche d’une proie, et ne tarda pas à apercevoir un grand troupeau de rennes. Elle emmancha alors d’une longue perche une alène en fer qu’elle possédait, et de cette lance improvisée, elle put, en se plaçant à l’affût sur le passage des rennes, percer un de ces animaux et le tuer.

La voyageuse, toute contente, dépeça alors sa proie, alluma du feu, fit rôtir les flancs du caribou, et se rassasia ainsi que son petit Esquimau de fils. Puis elle découpa le restant de la viande, dressa un boucan, y fuma sa venaison afin d’avoir des provisions de voyage, et se remit, pleine de courage, en quête d’une nouvelle proie.

Mais, comme le petit Esquimau, dans sa gloutonnerie, volait toute cette viande et la dévorait en cachette, pendant l’absence de sa mère, la femme Dènè abandonna cet enfant sans pitié, et partit toute seule pour retrouver son pays.

Ayant donc continué sa route, elle aperçut, le long du fleuve à l’embouchure duquel elle avait débarqué, une vive lumière au sommet d’une haute montagne. Il y brillait comme du feu.

La voyageuse voulut savoir d’où provenait cette clarté et ce feu, et elle gravit la montagne. Elle y trouva un métal rouge qui ressemblait à la fiente de l’ours frugivore ou du castor, et qu’elle appela de ce nom : Tsa-intsanné (fiente de castor). Elle comprit que c’était ce métal qui produisait ce feu et cette lumière sur la montagne[10].

La voyageuse ramassa de ce cuivre natif, et, continuant sa route, elle finit par arriver chez des hommes (Dènè) qu’elle reconnut, à leur langage, pour appartenir au même sang que sa famille. Elle demeura donc avec ces gens-là, et leur dit :

— Voyez le métal que j’ai découvert, sur ma route.

— Où donc ? lui demandèrent-ils.

— Au bord de la mer occidentale, sur la montagne flamboyante, répondit-elle.

Les hommes s’y transportèrent donc ; ils trouvèrent, eux aussi, de ce métal précieux, ils en ramassèrent, ils en rapportèrent chez eux, ils en firent des couteaux, des alènes et autres instruments, et vécurent ensuite bien à leur aise grâce au métal que la voyageuse leur avait procuré.

Mais, un jour, ces hommes ingrats injurièrent celle qui était leur bienfaitrice. Ils voulurent lui faire violence et abuser de ses grâces. Alors elle se sauva, froissée jusqu’au fond du cœur. Mais eux la poursuivirent. Elle s’en fut donc jusqu’à la montagne qu’elle avait vue en feu, où elle s’enfonça et disparut sous terre avec tout le métal qu’elle leur avait procuré. On ne la revit jamais plus depuis lors.

C’est là la fin de l’histoire de la Femme au métal[11].

(Racontée par Ekunélyel,
au Grand-Lac des Esclaves, en 1863. )


XVII

LA FEMME AU MÉTAL

(Version des Dènè du Lac Froid)


Il y a longtemps que des Esquimaux enlevèrent une femme, et, après lui avoir voilé la tête

 pour qu’elle ne pût reconnaître sa route, repassèrent 

avec elle de l’autre côté de la mer.

Là, on lui donna pour mari un Esquimau, qui la rendit mère d’un fils ; mais comme elle parvint à échapper à ses ravisseurs, elle chemina, dit-on, longtemps au bord de la mer, cherchant un passage pour traverser et revenir dans son pays[12]. N’en découvrant aucun, elle s’assit pour pleurer.

Sur ces entrefaites, un loup s’étant approché d’elle, il se dirigea ensuite vers la mer, dans laquelle il entra résolument, n’ayant de l’eau que jusqu’au ventre. Elle comprit, à cette vue, qu’il existait un gué en cet endroit, et que le loup blanc était son génie tutélaire. Elle se leva donc, avec un nouveau courage, marcha sur les traces du loup blanc, et finit par traverser le détroit à gué, et par aborder sur la terre ferme, de ce côté-ci[13].

La voyageuse s’étant ensuite retournée pour regarder derrière elle, elle aperçut sur la mer quelque chose qui ressemblait à une île de rochers. Cette vue l’épouvanta beaucoup, parce qu’elle se crut un instant poursuivie par un parti d’Esquimaux. C’est pourquoi elle se cacha pour épier cet objet noir. Mais comme il se rapprochait toujours davantage, elle reconnut, à la fin, que c’était un troupeau de rennes qui traversait le détroit à gué.

Alors elle se hâta d’emmancher son alène de fer à l’extrémité d’une gaule, et elle alla épier les rennes à leur passage. Elle en darda un dans le cœur et parvint à le tuer. Aussitôt elle fit cuire de la viande, se servant de la panse de l’animal en guise de marmite. Elle se rassasia ; puis ayant placé le restant de ce mets devant son enfant, elle l’abandonna sur le rivage, parce qu’elle vit qu’il lui serait trop à charge pour la continuation de son voyage.

Étant repartie de ces lieux, elle longea un fleuve qui, en cet endroit, se jette dans la mer. Tout à coup elle aperçut comme des flammes au sommet d’une montagne, ce qui lui donna à penser qu’il y avait un peuple campé au sommet.

Elle gravit donc la montagne enflammée ; mais elle reconnut alors que c’était un volcan, et qu’un métal rouge en fusion répandait cette lumière.

Étant encore repartie de ce lieu, la voyageuse éleva sur tout son passage de grosses pierres, comme des signes par le moyen desquels elle pût reconnaître le chemin qu’elle allait parcourir, et revenir sur ses pas, si besoin était.

Ce fut ainsi que cette femme arriva chez des gens qui la reconnurent pour une de leurs compatriotes. Elle apprit à ces gens-là qu’elle avait découvert un métal rouge sur les bords de la mer ; et, sur-le-champ, elle retourna en ce lieu, par trois fois, pour aller en chercher, suivie de ces hommes, qui la considéraient comme une femme venue du ciel.[14].

Mais, la dernière fois qu’elle entreprit ce voyage avec ses compagnons, ceux-ci ayant abusé d’elle honteusement, elle s’assit à terre, à côté de son métal, pour pleurer sa honte, et ne voulut plus les suivre.

En vain ces hommes indignes la conjurèrent-ils de se lever et de les accompagner, comme elle avait fait jusqu’alors ; froissée jusque dans l’âme, elle n’en voulut rien faire. Ils finirent donc par l’abandonner en ce lieu et s’en revinrent sans elle.

Cependant, quelque temps après, ces hommes (Dènè) retournèrent à la montagne flamboyante, pour y chercher de nouveau du métal. Ils trouvèrent alors que la femme voyageuse s’était enfoncée dans le sein de la terre jusqu’à la ceinture.

Elle refusa encore de les suivre, ne se fiant plus à leurs paroles, et préférant s’enterrer en ce lieu. Mais comme elle affectionnait particulièrement quelques-uns d’entre ces hommes, elle leur donna, mais à ceux-là seulement, encore un peu de son métal rouge (Sa-tsan : fiente d’ours).

Elle leur adressa, en même temps, ces paroles qui furent ses dernières :

— Si vous m’apportez ici en tribut de bonne viande, je donnerai à ces gens-là de bon métal. S’ils m’apportent du poumon d’orignal et de renne, ou bien du cœur, du foie, des rognons, je leur donnerai, en retour, du métal qui a la couleur et l’aspect de ces viscères. Quant à ceux qui ne m’apporteront que de méchante viande, ils ne trouveront ici que du métal cassant et de rebut.

Ainsi leur parla-t-elle. Ils s’en allèrent, mais ils retournèrent de nouveau plus tard sur ce rivage pour chercher du métal, et ils virent, cette fois, que la femme s’était enterrée jusqu’au cou. Sa tête seule paraissait encore, et c’est dans cet état que les Dènè lui donnèrent à manger de la bonne viande de renne ; moyennant quoi, ils trouvèrent encore de bon métal.

Mais la dernière fois qu’ils y retournèrent, la femme avait entièrement disparu dans la montagne, dit-on. Vainement les Dènè lui apportèrent-ils leur meilleure venaison, vainement l’appelèrent-ils à eux, elle s’était enfoncée dans la terre si fort avant, qu’elle ne put ni leur répondre, ni leur donner désormais de métal, à ce que l’on dit.

Et toutefois, l’on voit encore aujourd’hui ces grandes pierres levées que la Voyageuse étrangère avait disposées partout où elle avait passé. C’est par le moyen de ces signes ou repères que la Femme au métal était parvenue à s’en retourner vers la mer.

C’est ici la fin de cette histoire des Gens du Cuivre (Tρatsan-ottiné), et c’est ainsi qu’on voit la raison du nom qu’ils portent.

(Racontée par Alexis Enna-azé, en 1881.)



XVIII

OKCHÔΡÈ

(le géant artique)


Au temps des géants, l’un d’eux, nommé Yakké-elt’ini (Celui qui frôle le firmament de sa tête, ou bien : Celui qui est couché au ciel), se promenait sur les bords de la mer glacée.

Il y rencontra un autre géant auquel il livra un combat acharné, et il en aurait été défait, si Dènè (l’homme), qu’il protégeait, n’eût secouru son maître, en tranchant le nerf du jarret au mauvais géant, à l’aide d’une dent de castor gigantesque.

Le mauvais géant tomba à la renverse en travers de la mer, de manière que sa tête reposait sur le sol que nous habitons (l’Amérique). Elle atteignit jusqu’aux abords du lac Froid, et c’est pourquoi les Dènè de ces parages se nomment Thi-lan-ottinè : Les gens du bout de la tête.

Le corps du géant forma donc un pont ou chaussée naturelle sur lequel les rennes passèrent et repassèrent périodiquement. Son épine dorsale est la cordillère des Montagnes-Rocheuses[15].

Plus tard, une femme étrangère entreprit le même voyage, sur le corps du géant, et arriva de l’Occident après bien des journées de voyage. Elle fut très bien reçue des Dènè, parce qu’elle leur rapportait des métaux rouge et noir. Elle fit même plusieurs voyages dans l’Ouest.

Mais ayant été outragée par ceux dont elle était la bienfaitrice, elle s’enfonça sous terre avec son trésor. Dès lors, les voyages à la côte occidentale cessèrent[16].

(Racontée en 1851, à l’île à la Crosse,
à monseigneur Taché, et confirmée, en 1879,
au Lac Froid, par le chef Unldayé.)



XIX

SHA-NARELTTHŒR

(la martre-qui-saute)


Une femme Dènè, nommée la Martre-qui-saute, fut enlevée par un parti d’Enna (les Savanois), et emmenée en captivité à l’orient de notre pays, tout au bord de la mer (la baie d’Hudson).

  

Elle aperçut avec étonnement chez ses ravisseurs des ustensiles en métal, des objets de toilette, des armes et d’autres objets qu’elle n’avait jamais vus encore. Elle crut d’abord que ces richesses étaient le produit de l’industrie algonquine, et elle admira la supériorité intellectuelle de ses maîtres.

Ceux-ci se gardèrent bien de détromper leur esclave, tant afin de s’assurer d’elle que par crainte qu’elle ne découvrît quelles étaient les gens dont ils tenaient ces merveilles.

Mais lorsque l’esclave fut habituée à leurs allures et à leurs pérégrinations périodiques, elle s’aperçut que ses ravisseurs, les Savanois, allaient quérir ces objets, si curieux pour elle, tout à fait dans l’Orient, où ils les recevaient en échange de leurs fourrures et de leurs provisions de bouche.

Ces menées bizarres intriguèrent la captive ; mais, comme elle pensa que le peuple qui enrichissait ainsi les Savanois devait être frère et allié de ces derniers, elle n’eut garde de se sauver chez eux.

Plusieurs années s’écoulèrent de la sorte. Mais la femme Tchippewayanne finit par apprendre la langue des Savanois et par savoir que les pourvoyeurs de ses ennemis étaient d’une race étrangère, venue d’au delà les mers, d’une race amie des Peaux-Rouges, et qui unissait l’humanité à la générosité. Aussitôt son parti fut pris, et elle résolut de se sauver chez ce peuple.

S’étant renseignée indirectement sur le lieu où elle pourrait s’aboucher avec lui, elle se dirigea seule et à l’insu de ses maîtres vers la grande maison où ce peuple demeurait. C’était une maison de pierre (thé-yé), la première qu’on eût encore vue dans le pays, ce qui nous fit donner à ce peuple le nom de Thé-yé-ottiné : Gens de la Maison de pierre[17].

Elle connaissait assez le savanois pour pouvoir s’exprimer en cette langue, et elle savait qu’il y avait des interprètes de cette langue chez les Anglais du fort Churchill.

Elle apprit donc à ces Européens qu’elle appartenait à la grande nation Dènè ou Tchippewayanne ; que son peuple habitait bien loin dans l’intérieur, à l’Ouest ; qu’ayant été enlevée par les Savanois lorsqu’elle était jeune fille, elle avait résolu de ne pas mourir loin de sa patrie, et que, dans ce but, elle se confiait à la générosité des Anglais, les priant de lui fournir les moyens de retourner vers les siens, et les assurant qu’elle déterminerait sans peine ses compatriotes à se mettre en rapport avec d’aussi bons voisins, et à capturer des animaux à fourrure pour leur en faire don.

Ravis, de leur côté, d’avoir une aussi belle occasion d’agrandir leur commerce, en se mettant en rapport avec une nouvelle nation peau-rouge, une nation que les Savanois disaient si belliqueuse et si puissante, les commerçants de la Compagnie d’Hudson donnèrent à la pauvre esclave Dènè un traîneau à chiens, un chaudron, des vêtements en drap, du linge, des colifichets, un couteau, une hache, un silex et un batte-feu. Ils lui enseignèrent l’usage de ces richesses, et la renvoyèrent, ravie de bonheur, vers ses compatriotes.

Mais ils eurent le soin de la munir d’un sauf-conduit qui ordonnait à tous les Savanois de la respecter, elle et ses compatriotes, et de leur donner passage sur leur territoire.

Cette femme célèbre se nommait Sha-nareltthœr : La Martre-qui-saute.

Après de longs jours, elle arriva enfin chez les Dènè, qui, éblouis et alléchés par tant de richesses, entreprirent immédiatement le long voyage des bords de la rivière aux Castors (rivière la Paix), où ils habitaient alors, à la baie d’Hudson.

Depuis lors, les Dènè continuèrent à entretenir ces bons rapports et s’adoucirent peu à peu. Mais, quelques années après (en 1778), les Canadiens vinrent s’établir sur les bords du lac de l’Île à la Crosse ; l’année d’ensuite, ils montèrent au lac Athabasca, puis enfin, dix ans après (1789), au grand Lac des Esclaves. Alors les Tchippewayans demeurèrent dans les parages de ces grands lacs et abandonnèrent tout à fait les Montagnes-Rocheuses qui leur avaient valu des Canadiens le surnom de Montagnais.

Cependant un grand nombre d’entre eux, voyant que, dans les terres stériles qui entourent la baie d’Hudson, ils trouvaient facilement leur vie dans les immenses troupeaux de rennes qui, deux fois par an, vont et viennent dans ces parages, ils se fixèrent dans le voisinage de Churchill, où on les nomme Anglais (Thé-yé-ottiné), et Mangeurs de Caribous[18].

(Racontée par Alexis Enna-azé
au lac Athabasca, en 1879.)



XX

BANLAY-NINIDEL

(l’arrivée des français)[19]


Tout d’abord, lorsque les premiers Français arrivèrent de ce côté-ci des terres de partage, je les ai vus, moi qui vous parle. Moi, devant moi, ces choses se sont passées, vous dis-je (en 1789).

Pour lors, un beau jour, on entendit dire :

— Voilà qu’il vient d’arriver beaucoup de Banlay (Français). Il y a avec eux un grand chef, plus un chef subalterne. À part ces deux-là, il y a beaucoup de Français.

Donc, comme j’étais encore un adolescent, je demeurais avec mes parents. Cependant, je suis fils d’un Français, moi, vous le savez. Mais ma mère est une femme Dènè qui ne parle que le Cris, et ma grand’mère est une Crise. Il y a donc trois sangs dans mes veines.

Alors les Français étant à peine arrivés, ils se dirigèrent vers la cabane de mon oncle Jacques Beaulieu.

— Chez vous, y a-t-il quelqu’un qui entende le français ? nous demanda-t-on.

— Sans nul doute ! leur répondit-on. Nous sommes tous ici Français ou fils de Français[20].

— Eh bien ! alors, toi, puisque tu es Français, tu nous serviras d’interprète, dit à mon oncle Jacques le grand chef des Blancs.

Or il y avait avec ces gens-là un Anglais qui comprenait, je crois, un peu le tchippewayan, mais pas très bien. Il se nommait James.

— Or sus, continua le grand chef des Blancs, rassemble donc tout le monde.

Mon oncle ayant convoqué tous les sauvages, il en vint une grande foule de tous les côtés du lac des Esclaves. Il vint aussi là beaucoup de Flancs-de-chien, bien que jusque-là nous eussions toujours été en guerre, car ma famille avait épousé les intérêts des Dènè proprement dits.

— Alors, vous autres, qui donc est votre chef ? demanda-t-on aux Flancs-de-chien.

— C’est celui-ci, L’inya-betρa, le fils du Chien, répondirent ces sauvages.

— Eh bien ! continua le chef Blanc, toi qui t’appelles Fils du Chien, je t’établis chef sur ta nation ; mais il faudra parler en notre faveur auprès de tes guerriers.

Nous sommes de très bonnes gens, paisibles ; nous ne tuons pas le monde, nous aimons les sauvages. Si vous nous procurez des pelleteries et de la viande, en retour vous gagnerez de quoi vivre confortablement. Recommande donc bien à ta suite de travailler aux fourrures. Dis-leur bien ceci : Si vous préparez des pelleteries, on vous procurera beaucoup de bonnes et belles choses qui vous aideront à vivre confortablement.

Ces vêtements, ce chaudron, cette hache, ce couteau, admirez-les donc ! On vous donnera des objets semblables pour vos fourrures.

— Dans quoi fais-tu cuire ta viande, Fils-du-Chien ? demanda-t-on au chef flanc-de-chien.

Alors le Fils-du-Chien tendit au Français une marmite en racines de sapin nattées.

— Oh ! cela ne vaut rien, dit le chef des Français. Voilà qui est meilleur. Vois-le donc. C’est une marmite vraie, cela.

Le Fils-du-Chien prit l’ustensile, le considéra ; il passa la main dessus son métal brillant et s’écria : « C’est bon ! »

— Eh bien ! verse de l’eau là-dedans et mets ce vase sur le feu. Bon ! voilà que l’eau bout ; vois-tu. Eh bien ! mets-y de la viande à cuire, maintenant.

Alors, voyant avec quelle promptitude l’eau y bouillait, et que la viande était cuite en rien de temps, les Sauvages se prirent à danser de joie.

— Et cependant cela n’est rien encore, dit le chef des Français. Si vous nous procurez beaucoup de fourrures et de la bonne viande, si vous ne maltraitez pas les Français, un grand nombre de chaudrons semblables vous seront donnés, ainsi que beaucoup d’autres objets qui vous feront passer la vie agréablement.

Ayant ainsi parlé, le grand chef donna au Fils-du-Chien un habit rouge à basques et à parements, un chapeau à claque et à plumet, un couteau, un chaudron, un mouchoir, une tasse à boire, une hache, des aiguilles, du tabac ; tout cela pour rien, en pur don.

— Ah ! ah ! voilà que vous ignorez encore ceci, dit le bourgeois. On l’appelle tabac.

Alors il donna une pipe et du tabac à tous les Sauvages et leur apprit comment on se servait de ces objets nouveaux pour eux.

Mais dès qu’ils eurent commencé à fumer :

— Que c’est mauvais ! s’écrièrent-ils.

Ils firent la grimace, ils crachèrent ; il en est qui vomirent. Toutefois tout le monde était satisfait ; aussi l’on chanta et l’on dansa toute la nuit.

À cette époque là, ainsi que je vous l’ai déjà dit, je n’étais pas encore homme fait. Cependant je m’en souviens comme si c’était d’hier ; car j’étais un jeune garçon de quinze ans[21].

Mon oncle suivit les Français à titre d’interprète titré, et nous quitta.

Ce que je viens de raconter s’est passé à l’extrémité Nord-Ouest du Grand-Lac des Esclaves, sur la Grosse-Île, en ma présence.

(Racontée par le patriarche métis
François Beaulieu, en 1863.)



XXI

INKρANZÉ Ol’É

(manière de faire la magie)


Jadis, lorsqu’un médecin se proposait de guérir un malade par la vertu de son Ombre, il s’y disposait par un jeûne absolu de trois ou quatre jours, qu’il passait sans boire ni manger.

D’abord, il se fait préparer un Chouns ou Loge de médecine. Pendant que d’autres personnes y travaillent, le médecin demeure assis sous sa tente sans s’occuper de ce qui se passe au dehors ; et toutefois il sait tout ce que l’on fait. Il connaît dans quel endroit de la forêt on coupe les perches qui doivent servir à dresser le Chouns, quels sont les arbres qui les ont fournis, et le reste.

La loge de médecine ayant été montée loin du camp, et les perches qui la composent ayant été liées au sommet avec trois liens, le médecin, quoiqu’il n’en ait pas été informé, dit : « Tout est prêt, » et il se lève et se dirige vers le Chouns qu’il ébranle par trois fois. Trois fois il en fait le tour en répétant des formules magiques ; puis il y pénètre et s’y couche en observant toujours son jeûne.

Après avoir dormi le Sommeil de l’Ombre pendant un temps suffisamment long, le magicien demande qu’on lui amène le malade qui demande son secours.

Alors l’homme qui, à cause de ses péchés, est tombé malade, se rend dans le Chouns accompagné d’un autre vieux pécheur bien portant, et il s’assied dans la loge où il se confesse au médecin.

Le Jongleur le questionne à différentes reprises, le tance et le sermonne afin de lui arracher l’aveu de toutes ses fautes.

— Tu ne me dis pas tout, peut-être ! lui dit-il.

Enfin, lorsqu’il s’est assuré que le malade a tout dit, le médecin fait descendre sur lui l’Esprit éloigné (Yu-hanzin) et pour cela il chante au son du tambourin. De temps à autre, il souffle sur le malade, puis il commande au mal de le quitter.

Lorsque le médecin s’aperçoit que l’Esprit Yuhanzin est venu sur le patient, il s’approche de ce dernier en même temps que l’Esprit, et tous deux faisant des passes sur le malade (Yettsen-yénirenni), ils l’endorment.

Alors cet Esprit qui est loin de nous, entrant dans le corps du malade endormi, en arrache le péché, cause du mal qui le fait souffrir, le rejette au loin, et aussitôt la maladie abandonne le malade.

Après cela, l’Esprit s’empare de l’âme du moribond qui s’échappait et la replace sur terre. Cette âme, qui s’en allait dans la terre supérieure, il la saisit et la replace dans le corps du moribond afin qu’elle y vive encore en l’animant.

Mais en l’y replaçant, il jette un grand cri qui éveille le malade de son sommeil magique, et le laisse parfaitement guéri. La maladie l’a entièrement quitté. C’est ainsi que nos ancêtres guérissaient les malades.

Souvent ils pratiquaient des entailles sur la partie malade, et, la suçant fortement, ils en tiraient du sang, des vers, des arêtes de poisson, des cailloux et autres objets qui causaient du mal au patient.

D’autres fois aussi, par la vertu des incantations du médecin, il sortait un serpent du corps du malade. Mais les médecins d’aujourd’hui n’ont plus la même puissance ; et depuis que les priants (les prêtres et les ministres) sont arrivés parmi nous, on n’a plus foi en leur pouvoir.

C’est la fin.

(Racontée par le vieillard Khaziou,
au Grand-Lac des Esclaves, en 1863.)



TEXTE ET TRADUCTION LITTÉRALE

de la première légende



TTATHÈ DÈNÈ
(le premier homme )


Ttathè D’abord dènè d’homme ullè. point. Ekhu Puis ettaχan tout à coup dènè homme unli, il y eut, sni. dit-on. Eilaρén Qui donc dènè l’homme sheltsi fit békkè- nous odilyan le savons illé la, ne pas, nuni. nous.

Ekhu Alors χay l’hiver énattiun, arrivant, ttasin quelque chose sheltsi, il fit, hay des raquettes sheltsi il fit lésan. peut-être.

— Etla — Comment wasttè ? vais-je faire ? ékkèodélyan il ne le savait illè, pas, dé- mais kρulu toutefois kkρi du bouleau déρithel il coupa bétta par quoi hay les raquettes ziré sheltsi. leur cadre il fit. Kρanbi Le lendemain intthay les barres hay les raquettes dans élya. il plaça. Inl’aρè-dziné Le jour suivant nionidhéru, étant arrivé, hay les raquettes χodélyon toutes sheltsi ; furent faites ; kρulu : mais :

— Etla wasttè — Comment ferai-je usρay pour les oρa ? natter ? yénidhen pensait-il tta, vu que, ttsékwii une femme béρan-ullé n’ayant itta, pas, duyé sin. c’était pénible.

Ekρa Cela onttè étant ttu cependant bé kρunhè sa maison dans hay les raquettes shéllaw, gisant, tρèdhè la nuit anadjaw arrivant shétpi la. il se coucha. Kρanpi- Le lendemain dédanè de bonne heure nni-éρayu, se levant, ékutta c’est fini hay-kkèdh une des raquettes tpannidhéttsen à moitié épay est lacée laku. assurément.

— Etlaρen — Qui donc sé-tchanρè durant mon sommeil se mes hayé raquettes elρay lace sunnu ? je pense ? dènè-édéléti ; se dit l’homme ; kρulu mais shun impossiblement dènè kkaneltpa sin. il voit quelqu’un.

Inl’aρè Une fois tsétρez il dort ttè encore tthi et ékhu alors kρanpi demain dé, étant, hay les raquettes tthil’a encore yazé un peu éρay sont lacées χonnashéttsen. davantage. — Etlaρen — Qui donc atti a fait cela sunni ? je pense ? yénidhen pensait-il tta, vu que, yé-ola le faîte de ttsen sa tente onelhiun, vers regardant, ti une perdrix hanttaρ, s’envola, sni la. dit-on.

— Ah ! — Ah ! diri cette ti perdrix atti a fait cela ikkèla ! assurément ! uni- on dhen. pense.

Inl’aρè Encore une tρèdhè nuit anl’aon encore dènè il shétρiun dormit ékhu’ et yelkρan, à l’aube, hay les raquettes kkatchiné presque odélyon toutes éρay sont la, lacées, ékhu et tthi encore ti la perdrix anl’aon de nouveau natρettaρ s’envola nadli de sin. nouveau.

— Tta — Ce que awasnè je vais faire ékkéodesyan, je le sais, adéléti dènè. se dit-il. χilttsen Le soir anattiun, venu, nibali-layé la tente son faîte otanil- il obtura tchushu, avec une peau, nétρi il se coucha nadli de nouveau tthi. et. Shani Seul shétρi la, il dormit, duyé sin. c’était pénible.

Kρanpi Le lendemain ttsénidhéru s’éveillant ttal’aon, aussitôt que, hay les raquettes sédéthiyé entièrement éρay lacées dènègρa à ses côtés shella. gisent. Ti La perdrix tthi et « natρusttal’ » « je vais m’envoler », yénidhen ; pensait-elle ; kuρlu mais yéola le faîte taniltchush était obturé itta, vu que, naëttap illé. elle ne partit pas. Ti La perdrix ttsékwiii femme édeltsini, se fit, ttsékwii une femme nézun, belle, sni la, dit-on, ses thi-ρa cheveux l’an. abondants. Ttathé D’abord ti perdrix ρilé, elle était, ékhu puis duon maintenant ttsékwiii femme enli elle est sin[22]. devenue.

Ekhu Alors unldun ensuite elρanshekρé ils se marièrent lakhu. assurément. Ekhu Et eyer depuis ottsen lors daél’étρilyan ils se multiplièrent inttu, vu que, dènè beaucoup l’an d’hommes anadja ; il y eut. ékhu, Or, éyéné dènè, ces hommes, nuni ρadé c’est nous-mêmes aïtti qui sommes lakhu. assurément ; Ekhu car nuni nous dènè des hommes idli sommes lakhu. assurément. Eyi bélanρè. C’est la fin.


HÉROS ET DIVINITÉS DES DÈNÈ TCHIPPEWAYANS


Bé-tsunè-Yénélchian (l’enfant élevé par sa grand’mère).

Béttsinuli (le créateur).

Etsié (le grand-père).

Eltchélékwiè (les deux frères).

Dènè (l’homme).

Dènè-chesh-yaρé (la montagne habitée).

Dlunè-tta-naltay (Sein-plein-de-souris).

Delkρaylé-tta-naltay (Sein-plein-de-belettes).

Djizé (le geai).

Edzil’ (la mort).

Eρoathen (la sauterelle).

Ennèdhékwi (le vieillard).

Nu-hanzin (l’Esprit éloigné).

Nâhdudhi (le serpent).

Nni-odha (la bouche terrestre).

Otchòρè (le géant).

Olbalé ou Orelpalé (l’immense blanc).

Oltsintρesh (la baguette opérante).

Rankρanli (le canard créateur).

Sha-nareltther (la Martre qui saute).

Tchizé (le lynx).

Thè-naïnltther (le rocher qui branle.)

Thi-eltchiudhi (la chouette).

Tρulkudhi (l’hydre).

Ttatsan (le corbeau).

Ttsèkwii-nâhdudhi (la femme serpent).

Yakkè-eltρini (Celui qui frôle le ciel de sa tête).

Ya-tρedh-nanttay (Celui qui a traversé le ciel en volant).

Yédariyé (le Puissant).

Yu-hanzin (l’Esprit éloigné).

  1. Le corbeau.
  2. Cet apologue rappelle ce que Rab Béchaï dit, dans le Talmud, sur le chapitre xxxiv du Deutéronome, à savoir comment Moïse pouvait distinguer le jour de la nuit, lorsqu’il était avec Dieu sur le Sinaï.

    « Quand Dieu, dit-il, lui enseignait la loi écrite, il reconnaissait qu’il faisait jour ; mais quand Il lui apprenait la loi orale, aussitôt la nuit arrivait. » Ce qui, entre parenthèses, n’est point en faveur de la tradition orale.

    À un autre point de vue, nous avons dans cette triade aquiléenne la parité ou l’équivalent de la trinité hébraïque et punique :

    Reschith, le père divin,

    Jah ou Mem-Ra, le fils ou verbe divin, formateur du monde,

    Rouch, l’esprit divin, qui couve les eaux primordiales et l’œuf universel. Il est dit du sexe féminin, du moins quant à ses attributions, puisqu’un esprit n’a pas de sexe.

    (D’après P. Nommès, Mélanges sur la Kabbale, p. 77.)

    C’est cette troisième personne de Jahowah qui a, sans doute, inspiré le Roch ou aigle gigantesque des Arabes, que nous retrouvons dans les légendes dènè. De même, Jah, le créateur divin, se retrouve dans le Jao des Grecs, le Jahyah des Syriens, le Yao des Chinois, le Jhoïho des Taïtiens, le Janus des Étrusques, le Jol des Phéniciens, le Jehl des Kolloches, etc.

    La trinité punique était :

    Baal Hammon, le Brûlant, Jol, le dieu fils créateur, et Thanith, la déesse mère.

  3. Dans l’argot des Dènè de l’extrême Nord, la langue signifie l’attribut masculin, et le bout de la langue le prépuce. Ces Indiens sont, en effet, circoncis. Ceci offre quelque rapport avec le nom du même membre, en sanscrit, le lingam.
  4. Il y a ici un jeu de mots tel qu’il s’en trouve un grand nombre, incompris du vulgaire, dans ces légendes Dènè. Yeux de lièvre se dit kka-ta, mais ékka-ta signifie le prépuce. Il s’agirait donc ici de la circoncision en termes voilés aux gens non initiés.
  5. Il s’agit évidemment ici du Grand-Lac des Ours et de la montagne des Petits-Poissons. Voyez la légende Flanc-de-Chien, intitulée Tunè ou les Gens du Lac. Ceci est la confirmation de ce que prétendent les Peaux-de-Lièvre, à savoir que les Tchippewayans faisaient jadis des incursions belliqueuses dans la vallée du Mackenzie.
  6. J’invente ce néologisme, opposé au verbe se bonifier, afin de traduire aussi littéralement que possible le mot dènè dènè édeséliné (se rendre homme mauvais).

    Cette légende n’est pas homogène ; le mythe d’Ottsin-tρesh y perd du caractère qu’il possède dans les tribus du Nord, pour se souder à un autre mythe qui constitue le fond de la légende suivante que je tiens du même Indien, et qui est également propre aux Tchippewayans méridionaux. Voici cette tradition. Elle a un caractère éminemment asiatique.

  7. Cette particularité ferait cette légende originaire du Sud, où il existe des pruniers, des poiriers et des pommiers sauvages. Chez les Tchippewayans, le noisetier est l’arbuste à fruits le plus élevé.
  8. Dans l’Inde, Bhadra-Kali, la femme-serpent, la mère des maux et de la mort, l’incestueuse fille-épouse de Chiva, est figurée sans tête à la porte des temples ; tandis que l’on met sa tête dans tous les lieux habités, comme un talisman contre ses propres maléfices. — À Ceylan on représente la mère des humains entichée d’un serpent.
  9. Comparer avec la légende des Tuamotou, de Mâni et Rii (R.-P. Monthiton, Miss, cath., 1874, p. 343), ainsi qu’avec celle des Taïtiens (L. Gaussin, Tour du monde, 1860, p. 302).
  10. Sans doute le volcan Saint-Élie, qui s’élève à l’embouchure de la rivière du Cuivre, dans la mer de Béring, lieu qui paraît être l’abord des Indiens Couteaux-Jaunes ou Cuivres.
  11. Les Kollouches, peuple à peau rouge et à tête déformée artificiellement, qui habite les bords du Pacifique, aux mêmes latitudes que les Dènè, racontent que « avant le déluge universel, un couple composé du frère et de la sœur se sépara du reste de l’humanité. Le frère revêtit, comme Atsina, Ratρonnè et Ayatç, la peau d’un aigle immense nommé Chelhl’ et prit son essor vers le sud-ouest.

    « La sœur s’enfonça dans le cratère du volcan d’Edgecumbe, près de Sitka, et disparut dans les flammes. Depuis lors elle soutient l’axe terrestre ; tandis que son frère, devenu l’oiseau-tonnerre, accourt se percher au sommet du volcan aussitôt que la sœur, secouant le pivot du monde, produit des tremblements de terre. L’homme-aigle se nomme Yehl ou Iell. » (W. Dall, Alaska and its ressources, p. 423, d’après von Wrangell, idem. ; Alph. L. Pinart, les Atnahs.

  12. Ceci semblerait faire supposer que la Nation du Cuivre, personnifiée par la voyageuse, aurait accompli le périple de la région arctique, dans un passé fort éloigné.
  13. Comparer avec la légende de la Femme Aïnos, accueillie par un chien qu’elle prit pour époux. Elle est citée par M. de Chareney, d’après M. Rodolphe Lindau, Voyages autour du Japon, liv. V, p. 99. Paris, 1884. Seulement, les Aïnos font arriver cette femme de l’Occident sur un navire. (Les Hommes-Chiens, p. 5.)

    Les habitants du Pégu, dans l’Indo-Chine, parlent, comme les Tchippewayans du Grand-Lac des Esclaves, des rapports d’une femme avec un chien. Ibid.

  14. Comparez avec la croyance aux Filles célestes, accusée par les traditions dènè et dindjié, ainsi que par celles d’autres nations asiatiques et océaniennes dont parle M. de Charencey, les Hommes-Chiens, p. 6. Paris, 1882.
  15. Les Dènè Peaux-de-Lièvre nomment, par le fait, la Grande Cordillère : Ti-gonankkwéné (Épine dorsale de la terre).
  16. La même légende existe à Tripoli de Mauritanie, c’est-à-dire dans l’ancien pays des Carthaginois. (Schott, Tour du monde, 1861, p. 79 et suiv.).
  17. Le fort Churchill et les Anglais. C’était avant 1770.
  18. Les Dènè Thi-lan Ottiné appellent cette femme Thé-Naïnltthœr, la Pierre-qui-branle. Sa légende est conforme à celle des Athabascans, avec ceci en plus qu’elle est soudée aux légendes septentrionales de L’atρa-natsandé et de L’atρa-tsandia. Elle avait des amants sur les deux rivages de la mer, m’ont dit les Thi-lan-Ottiné, et était pillée alternativement par les Dènè Tchippewayans et par les Savanais ou mashkégons de la baie d’Hudson (d’après le chef Uldayé, 1879).

    Le docteur Rink a retrouvé la même légende au Groënland. Il y est question d’une femme qui tantôt venait du continent américain au Groenland, et tantôt s’en retournait en Amérique. Dans ce cas, les Nakantsell ou Petits-Ennemis, des Dindjié, seraient des Esquimaux orientaux.

    Dans cette légende, aussi bien que dans celle de la Femme au métal, il faut voir un apologue des migrations successives et périodiques du continent asiatique en Amérique et de l’Amérique au Groënland, migrations que le commerce européen seul a fait cesser.

  19. Il s’agit ici des Franco-Écossais qui constituaient la Compagnie canadienne dite du Nord-Ouest, rivale de celle de la baie d’Hudson, dont les éléments étaient anglais. Mais il existait des Français du Canada, au Grand-Lac des Esclaves, avant la venue de ces deux compagnies.
  20. Ceci est la meilleure preuve que, si Sir Alexander Mackenzie mérite l’honneur d’être appelé le premier explorateur du fleuve qui porte son nom, il ne le découvrit nullement, puisqu’il trouva dans cette région de vrais Français accompagnés de leurs enfants métis.
  21. Cela donne 89 ans à François Beaulieu, en 1863. Il mourut, en 1875, à l’âge de 101 ans et quelques jours. Il s’agit ici de l’arrivée de Peter Pond, officier de la Compagnie canadienne du Nord-Ouest.
  22. Comparez avec la Femme du jour, mère des perdrix blanches, dans la première légende dindjié.