Traité d’économie politique/1819/Avertissement de la troisième édition

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Deterville (Ip. 9-11).


AVERTISSEMENT
QUI PRÉCÈDE LA TROISIÈME ÉDITION.




La première édition de cet ouvrage parut en 1803. L’auteur exerçait alors des fonctions qui pouvaient devenir importantes (celles de Tribun). Il s’aperçut bientôt qu’on voulait, non pas travailler de bonne foi à la pacification de l’Europe et au bonheur de la France, mais à un agrandissement personnel et vain, bien insensé, puisqu’il devait amener l’humiliation et la ruine. Ce que l’on conservait des formes de la liberté, ce que l’on proclamait de respect pour les droits de la nation et de l’humanité, n’était plus qu’un semblant destiné à leurrer le gros du public. Quant aux hommes qu’on ne pouvait duper, et qui ne se laissent pas acheter, ils étaient contenus par une administration active, appuyée de la force militaire.

Trop faible pour s’opposer à une telle usurpation, et ne voulant pas la servir, l’auteur dut s’interdire la tribune ; et, revêtant ses idées de formules générales, il écrivit des vérités qui pussent être utiles en tout temps et dans tous les pays. Telle fut l’origine de ce Traité d’Économie politique.

Après y avoir travaillé trois ou quatre ans, l’auteur n’avait encore que les matériaux d’un bon ouvrage ; et cependant le despotisme, ennemi né du bon sens, poursuivait sa marche effrayante. Une police inquiète, acquérant chaque jour quelques-uns des droits que perdait la liberté, on voyait s’approcher de nouveau, et sous d’autres livrées, cette époque de terreur où le philosophe paisible et ami du bien, courait le danger d’être assailli dans son domicile, et de voir ses manuscrits, fruits pénibles de ses veilles, saisis et dispersés. L’auteur sauva le sien par l’impression, tout imparfait qu’il était, et tandis qu’on le pouvait encore.

Il fut éliminé du Tribunat ; et en même temps, par une contradiction qui n’étonnera que ceux qui n’ont pas assez étudié les hommes et les époques, on le nomma à un emploi lucratif. Mais comme il était hors de son pouvoir de changer les principes de l’administration, et hors de sa volonté de coopérer à des désastres, il envoya sa démission, et résolut d’essayer, dans un cercle borné, de faire le bien qu’on devait désormais désespérer d’opérer en grand. Il forma dans un méchant village, à cinquante lieues de Paris, une manufacture ou quatre cents ouvriers, la plupart composés de femmes et d’enfans, trouvèrent de l’occupation ; en peu d’années, il eut la satisfaction de voir l’industrie et l’aisance animer des campagnes où, durant plusieurs siècles, un régime féodal et monacal n’avait su entretenir que la mendicité et la misère.

Ses loisirs furent employés à perfectionner ce livre, qu’on ne pouvait plus des long-temps se procurer dans la librairie : il menait ainsi de front la théorie et la pratique. Enfin il profita de l’espèce de liberté qui suivit l’entrée en France des armées de l’Europe entière, pour donner de cet ouvrage une seconde édition, beaucoup moins imparfaite que la première. Le Traité d’Économie politique reparait aujourd’hui avec de nouvelles et importantes corrections, où l’auteur a mis à profit les conversations qu’il a eues avec les hommes les plus distingués de la France et de l’Angleterre.[1]


  1. L’auteur a consigné dans une courte brochure (de l’Angleterre et des Anglais ; Paris, Arthus Bertrand), les observations qu’il recueillit sur la situation économique de ce peuple, lorsqu’il parcourut l’Angleterre et l’Écosse, en 1814.