Traité de la nature, de la culture et de l’utilité des pommes de terre

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Traité de la nature, de la culture et de l'utilité des pommes de terre
1771
J. Antoine Chapuis - Lausanne
TRAITÉ

DE LA NATURE, DE LA CULTURE, ET DE L'UTILITÉ

DES POMMES DE TERRE.

PAR UN AMI DES HOMMES.




INTRODUCTION.

Parmi les choſes que l'on nomme de premiere néceſſité, ſont, la demeure, l'habillement, l'un & l'autre pour ſe mettre à l'abri des injures du temps, & la nourriture. les deux premieres ſont peu en comparaiſon de la derniere. les premiers hommes dans les climats doux, ſe contentoient de feuillées, dont ſe ſervent encore ſouvent les Americains; dans les pays froids, ils habitoient les cavernes, ce .qui eſt encore la demeure des ſauvages ſeptentrionaux. Il en eſt de même de l'habillement, ceux-ci ſe contentent des peaux de bêtes, les autres encore de moins.

Quant à la nourriture, la premiere fut, le fruit des arbres, cela eſt connu; ils auront pris le parti que les Européens, d'après les ſauvages, ont pris, de diſtinguer les fruits ſains d'avec les nuisibles, en remarquant les bequétemens des oiſeaux ſur les uns, & ceux qui ſervirent d'aliment aux animaux, pour en reconnoître ſurement la falubrité.

La même remarque les aura conduit à la connoiſſance des racines qu'ils auront découvert enſuite, n'étant pas douteux que ce qui fourniſſoit le plus de nourriture ſaine & agréable, n'ait eu la préference.,

On peut donc aſſurer, ſans hazarder, que le pain n'a été connu qu'après des ſiécles ; car le mot traduit pain, & qui pourroit faire croire que nos premiers parens l'ont connu, veut proprement dire dans ſon origine, aliment, que ce peuple, qui en a fait uſage, a donné enſuite au pain, qui en faiſoit le principal, tout comme chez les François, viande ; par où on a entendu & on entend encore, en bien des occaſions, tout ce qui ſert à conſerver la vie, & qui par coutume a été employé inſenſiblement pour déſigner la chair des animaux apprêtée, comme un des alimens qui nourriſſent le plus, & par conſéquent, des principaux qui ſervent à entretenir la vie. Il y a donc apparence, que voyant les oiſeaux manger des grains de bleds, les hommes voulurent en goûter auſſi ; ces grains petits & durs ne les auront pas tentés ; ils en auront ramaſſé des épis qui venoient naturellement par-ci par-là à la campagne, & en auront écraſé, & broyé les grains, qu'ils auront cuits à l'eau ou au lait ; cette bouillie ſ'étant par hazard trop ſechée au feu, on y employa quelques ſoins, pour en faire des gâteaux, juſqu'à-ce qu'on eut découvert l'art de faire du pain. On voit donc que divers hazards & événemens ont dû arriver, avant qu'on connut le pain, pendant tout ce temps les hommes étoient auſſi contens de leurs alimens, que le ſont les neuf dixiemes des hommes & plus, de nos jours, qui ne le connoiſſent point, ou lui préferent ceux dont ils font uſage.

Ce qu'on peut appeller fruits de terre, font des plus ſains, des plus agréables, des plus nourriſſans, & nourriſſans, & les pommes de terre y tiennent le premier rang.

C’eſt quelque choſe qui tient du prodige, que l’accueil qu’on a fait à cette denrée dans tous les pays où on l’a introduite, & avec quelle rapidité elle a été adoptée, dans les uns, à l’égal du pain, dans d’autres, elle a prévalu ; l’utilité qu’on en a tiré, & de quel ſecours elle a été dans des temps de diſette de bleds, à laquelle elle a ſuppléé ; la Suiſſe en général, l’Etat de Berne en particulier, en a reſſenti les effets, & la différence entre les contrées & leurs beſoins, à proportion que la culture y a été pratiquée ou négligée du plus au moins.

Cet effet & cette difference ont été ſi viſibles. & ſi palpables, qu’on déſire généralement, à l’occaſion des beſoins & de cette calamité publique, dont il a plû à Dieu de nous viſiter, de ſ’en mettre à l’abri pour l’avenir, par cette culture : celle-ci étant moins connue dans la plus grande partie du pays de Vaud, j’ai cru pouvoir être utile au public, en lui communiquant ce que j’en ai appris chez les meilleurs Auteurs & les cultivateurs les plus experimentés.

Si dans de pareils cas, dont il plaiſe à Dieu de nous préſerver, mes ſoins & mes inſtructions peuvent ſervir au bonheur de mon prochain, & à conſerver la vie à un ſeul homme, j’aurai une ſatisfaction plus pure & plus parfaite, de me montrer l’ami des hommes, que ne peuvent avoir ceux des grands de la terre, qui ſ’en déclarent les ennemis, en détruiſant la vie, les mœurs, le bonheur de tant de millions de leurs ſemblables.

Que les peuples ſeroient heureux, ſi tous les ſouverains qui les gouvernent penſoient & faiſoient ce qu’un Prince, dont le rang tire le plus d’éclat de ſes vertus, me diſoit avec vérité, dans une des lettres dont il m’a honoré ; Je tâche de bien faire & de faire le bien.

de la nature de la culture & de l'utilité des
Pommes de Terre



AUTEURS

J'ai cru devoir en alléguer quelqueſ-uns, pour éviter le ſoupçon de plagiat, & afin qu'on puiſſe les conſulter, ſi on le juge à propos.

1°. Année Champêtre, 3 Volumes, bon à quelques erreurs près.

2°. Dictionnaire de Bomare, de même.

3°. Du Hamel, Elemens d'Agriculture, très obn.

4°. Ecole du Potager, bon, avec quelques confuſions.

5°. Maiſon Ruſtique, très peu ſur les pommes de terre.

6°. Muſtel, ſur les pommes de terre, excellent, mais dommage qu'il ne ſe ſoit pas étendu plus amplement.

7°. Recueil Oeconomique, Genève 1767, cet article eſt bon, parce qu'il eſt tiré mot à mot du ſuivant.

8°. Recueil ſuiſſe, année 1764, Mémoires de Mr. le C. de Mnitzech, très bon.

Chomel, dans ſon Dictionnaire, où il parle de toutes les parties de l’œconomie & des productions naturelles, n’en dit rien.

La grande Encyclopedie en parle dans divers articles avec beaucoup d’érudition, mais ſans aucune utilité.

L’Encyclopedie Œconomique fait eſperer dans l’article Battates, que les Volumes ſuivans y répondront.

Les herbiers en général n’ont rien d’intéreſſant ſur le ſujet que je vais traiter.

les Allemands, ſur toute affaire d’œconomie rurale, ont toujours dix ouvrages pour un en François ; cependant cette brochure étant compoſée principalement en faveur de ceux qui font uſage de la langue françoiſe, je ne citerai des Auteurs Allemands, que Ludovic, le plus récent, & qui s’étend amplement ſur cette matiere ; quand même il y règne beaucoup de confuſion, d’erreurs & de repétitions, il a grand nombre de faits & d’inſtructions qu’on ne trouve pas ailleurs.

Le Muſæum ruſticum, traduit de l’Anglois, de même.

les Recueils de Leipſic & de la Franconie, ſont auſſi intéreſſants. Miller ne répond pas ſur cet article, à l’opinion qu’on en devroit concevoir, par le reſte de ſon grand & excellent ouvrage.

Noms & eſpéces. Tous les Auteurs confondent les trois genres que l’on compte parmi les pommes de terre, ou du moins deux ; par condonnent pour eſpéces des varietés, que le crois pour la plû-part accidentelles.

Il s’agit de trois genres, ſavoir :

1°. Les Battates, ou Patattes, qui ſe cultivent entre les Tropiques, dont il paroit qu’il y a plusieurs eſpéces : il y en a qui ne peut être conſervée en Europe, en Eté même, que dans des caiſſes vitrées, & en hyver au ſecond degré de chaleur, qui en tout doit être ſoignée comme les ananas. Il n’eſt donc pas queſtion de celle-ci pour notre pays. Dans la Caroline on en cultive trois eſpéces, qui paroiſſent être les mêmes que celles d’Eſpagne, ſur le genre & eſpéce deſquelles je ne ſuis pas aſſez inſtruit ; j’eſpére que je le ſerai dans peu de temps. Ce genre eſt de celui des Convolvulus, ou Liſerons, tous les Botaniſtes ſont d’accord à ce ſujet.

2°. Les Topinamboux, poires de terre, artichaux de terre, du genre des fleurs de ſoleil, Helianthentum, à tiges de ſix à dix pieds de haut ; on en a preſque abandonné la culture, on les prétend mal ſains, elles effritent fort le terrain, & ſe multiplient tellement qu’on ne peut preſque plus les extirper ; on pourroit pourtant en planter dans quelque piéce éloignée, ne fut— ce que pour en nourrir les cochons.

3°. Les véritables pommes de terre, connues & cultivées ſi généralement ; ſont du genre du Solanum, ou Morelle ; ceci eſt encore décidé par les Botaniſtes.

L. qui ne fait pas lui-même parmi quel genre il doit les compter, veut ridiculiſer ceux qui en font un ſolanum, avec l'épithete d'eſculentum, mangeable, diſant qu'elle ne fait pas toute l'affaire ; que la pomme de terre n'y reſſemble point. C'eſt lui qui ſ'y trompe ; la pomme d'amour, qui en eſt ſans contredit une eſpéce, a les mêmes Feuilles, ou peu ſ'en faut ; il y a des eſpéces de morelles, qui ont des petites pommes de graine, comme les pommes de terre ; enfin on ne ſauroit revoquer en doute la déciſion des Botaniſ

Origine. On eſt généralement d'accord, que les pommes de terre viennent de l'Amerique. On a connu les Battates les premieres.

Enſuite les pommes de terre y ayant une eſpéce de reſſemblance, pour le fruit & l'uſage, on leur a donné le même nom dans l'Amerique ſeptentrionale ; car dans le Chili, où ſe trouve ce genre, on les nomme Papas, & on ſ'en ſert uniquement. C'eſt de-là que vient la confuſion & que quelqueſ-uns aſſurent que nous les tenons de Quito, ſitué ſous la ligne ; d'autres ſoutiennent qu'elles ſont venues du Chili en Angleterre, pays de l'Europe qui les a reçu en effet le premier. le trouve ceci contraire à la probabilité. J'ai dit qu'on les y nomme Papas, & non Battates ; à quelle occaſion les Anglois en auroient-ils pu apporter ? Jamais les eſpagnols ne leur y ont permis aucun commerce ; le trajet du retour, ſoit par le détroit de Magellan, ſoit par les Indes orientales, eſt ſi long, que les pommes de terre n’auroient abſolument pas pu ſe conſerver. Je trouve donc que l’opinion de ceux qui les font venir de la Virginie, eſt la ſeule fondée & ne peut être revoquée en doute. C’eſt Walther Raleigh, qui les a apportées en Angleterre du temps de la Reine Eliſabeth ; c’eſt lui qui a découvert ce pays, il y a près de deux cents ans, & lui a donné ce nom. Le trajet eſt peu de choſe, on en tranſporte avec ſuccès des arbres, graines & plantes, on ne paſſe pas la ligne ; enfin puiſque les deux pays ſont ſitués ſous le 36 degré, pourquoi ne pas convenir que ce fruit vient d’une colonie Angloiſe & voiſine, plutôt que d’une Eſpagnole ſi éloignée & inabordable pour les Anglois ?

On convient pourtant qu’on a vu en Europe les premieres chez les Anglois, qui ſe ſont moins appliqués à cette culture que les Irlandois ; de-là on les a tranſportées en Brabant, enſuite en quelques Provinces d’Allemagne. En Suéde, depuis cinquante ans ; en Saxe, depuis trente ans ; cependant en Suéde elle ont pris très fort de l’accroiſſement par les ordonnances Royales, & en Saxe on les a ſi fort multipliées, qu’un Sgr. de condition, qui a ſervi parmi les troupes Françoiſes dans la derniere guerre, m’a aſſuré, qu’y ayant une petite armée, à laquelle l’ennemi avoit coupé les vivres, elle a vécu pendant huit ou dix jours uniquement de pommes de terre, & s’en eſt bien trouvée,

Il eſt donc ſurprenant qu’elles ayent été ſi fort cultivées en Suiſſe, dans les montagnes même, il y a déja quarante à cinquante ans, en abondance, quoique ſi éloignée des pays, d’où quelques Provinces d’Allemagne, bien plus voiſines, les ont tirées plus tard. Je les ai vues en abondance, il y a paſſé quarante ans, vers le pays de Hasle, & en même temps on y connoſſoit déja la maniere de les ſecher, de les faire moudre au moulin & d’en faire du pain ; le meunier d’Unterſée n’avoit preſque à moudre que des pommes de terre, & en 1734, un payſan, ſur la route vers le pays des montagnes, en a ſi bien connu le profit, qu’il a acheté un champ de deux à trois poſes, & l’a payé deux ans après par le produit des pommes de terre.

L’Auteur de l’article dans le Dictionnaire de Bomare, ſe trompe donc, lorſqu’il dit ; “ que depuis vingt-cinq à trente ans, la culture, ſ’en étoit tellement accrue en Suiſſe, que, cette manne fait la nourriture des deux tiers du peuple ”. S’il parle du pays Allemand, on voit qu’il en dit trop peu ; ſi c’eſt du pays ; de Vaud, il en dit trop, puiſque les deux tiers de ce pays l’ont ſi fortement négligée, que cela m’a engagé à compoſer ce Traité.

Deſcription. Quant aux eſpéces ou varietés, on ſait aſſez qu’il y en a de rouges & de blanches, de rondes & de longues, de rouges de diverſes nuances : on trouve les blanches généralement plus fades, mais plus hâtives, ce qui peut faire croire que c’eſt une eſpéce particuliere. En Allemagne on en cultive une eſpéce rouge qu’on nomme pommes de Jaques, parce que l'on peut en uſer bientôt après la St. Jaques, ce qui joint à ce qu'on les dit les plus groſſes, les plus ſavoureuſes, enfin les plus parfaites, les fait préferer à toute autre eſpéce ; le ne les connois pas, mais j'eſpére d'en recevoir & pouvoir les introduire pour l'utilité du pays. Un ami en a reçu quelques unes, qui doivent être auſſi hâtives & de bon goût, auſſi rouges, mais petites, longuettes & recourbées par le bout ; il en fera l'experience en les plantant ce printemps. Près de Dublin, on en a une noire, qui doit être ferme, qu'on peut manger crue & qui eſt d'un grand produit ; une autre, couleur de cuir; enfin il y a bien des varietés, que le me propoſe de me procurer pour les connoitre.

Miller dit, que les Battates d'Eſpagne ne réuſſiſſent en Angleterre, que par une méthode qu'il décrit, & n'en promet pas une culture profitable.

Mr. du Hamel donne la deſcription ſuivante : « Cette plante pouſſe pluſieurs tiges de deux ou trois pieds de hauteur, groſſes comme le doigt, anguleuſes, un peu velues, elles panchent de côté & d'autre & ſe diviſent en pluſieurs rameaux qui partent des aiſſelles des feuilles, réunies & compoſées de folieles d'inégale grandeur : à l'extremité de ces rameaux qui eſt d'un verd terne, il fort des aiſſelles des feuilles, des bouquets de fleurs, en forme d'étoile, couleur gris de lin, le piſtil ſe change en une groſſe baye charnue, qui devient jaune en meuriſſant, & dans laquelle ſe trouve quantité de ſemences : cette plante pouſſe en terre vers ſon pied, un grand nombre de groſſes racines tubereuſes qui reſſemblent en quelque façon à un rognon de veau ; ſur la ſuperficie de ces racines on apperçoit des trous, d'où ſortent les tiges & les racines chevelues qui nourriſſent la plante, & donnent naiſſance à de nouvelles pommes &c. »

L. le confirme, diſant, que les fleurs paroiſſent en Juillet & Août, ſortant du ſommet par bouquets de douze à quinze fleurs ; que la couleur en étoit differente ſuivant celle des fruits ; que la petite pomme qui en provient augmente lentement, parvient à la groſſeur d'une noix, qu'en la coupant on y trouve une ſubſtance charnue, aqueuſe, gluante, que les pluyes fréquentes font tomber les fleurs ; ce qui étoit cauſe que ſouvent on en voyoit peu, & d'autres années en grande abondance.

Culture. Il eſt affligeant que dans le pays de Vaud, préciſément dans les parties de cette Province, où on cultive le moins de bleds, ſoit à cauſe du mauvais ſol, qui ſe trouve en tant d'endroits, ſoit à cauſe de la pareſſe d'un grand nombre d'habitans, [qu'on croiroit vouloir être nourris par les corbeaux, comme Elie] on ait tant négligé cette culture, & qu'on ne veuille que du pain, & toujours du pain, ſans imiter ceux de leurs compatriotes, [ſans parler de ceux des Provinces Allemandeſ] qui malgré la diſette des bleds, ne reſſentent pas celle pour la nourriture en général, ſ'étant appliqués à celle des légumes ans parler de ceux des Provinces Allemandeſ] qui malgré la diſette des bleds, ne reſſentent pas celle pour la nourriture en général, ſ'étant appliqués à celle des légumes & ans parler de ceux des Provinces Allemandeſ] qui malgré la diſette des bleds, ne reſſentent pas celle pour la nourriture en général, ſ'étant appliqués à celle des légumes & des pommes de terre en particulier ; il paroit que cette comparaiſon leur ait ouvert les yeux, & qu'ils vont ſe corriger. Pour parler de la culture, je commence par le ſol. les opinions à cet égard, font diverſes; la plus univerſellement adoptée, fondée ſur une experience conſtante, eſt celle de choiſir une terre légère ; ſi elle ne l'eſt pas, de l'ameublir au poſſible par tous les moyens imaginables, ſans regretter peine quelconque; quelques-uns prétendent qu'une terre forte donne des pommes plus grandes.

Les uns ſuppoſent qu'un ſol ſabloneux & graveleux y convient, ſans ou avec peu d'engrais ; d'autres y en veulent employer trop.

Il faut prendre un milieu, & tâcher de tout concilier : pour cet effet, conſiderer la fécondité extraordinaire de cette plante, & de quelle maniere la nature y procéde.

Elle pouſſe des racines, celles-ci, dans leur naiſſance, font extrêmement délicates & foibles, pour former des trainaſſes, & celles-ci, de diſtance en diſtance, de jeunes pommes, il eſt néceſſaire qu'elles puiſſent pénétrer & ſ'étendre ; ceci ne peut avoir lieu qu'elles n'ayent toute la facilité poſſible pour pénétrer ; dans une terre un peu forte, non ameublie, c'eſt une impoſſibilité toute pure, elles ne peuvent pas pénétrer, par conſéquent ſe multiplier ſuffiſamment ; elles ſe rangent autour de la maitreſſe racine autant qu'il eſt poſſible, & y forment, à proportion de la place, des eſpéces de nids & de pommes, en groſſeur auſſi ſelon la place : mais on ſent bien, que ſi cette place n’alloit de côté & d’autre qu’à environ trois pouces, elles ne ſauroient en produire à beaucoup près autant, que s’il y en a dix, huit, ou ſeulement ſix, tout ſera à proportion.

Pour l’engrais. Il faut encore diſtinguer le terrain ſabloneux, & le graveleux, [pourvu que celui-ci ne ſoit ſi ſerré & compacte, qu’il forme une eſpéce de rocaille, ce qui opereroit le contraire, & ſeroit le plus mauvais] convient préciſément à cauſe de cette pénétrabilité ; ſans engrais il produira, mais très peu ; toujours on y pourra recueillir des pommes de terre, lorſque rien d’autre choſe n’y réuſſiroit ; mais ſi on en veut tirer bon parti, il y faut de l’engrais, du plus au moins, ſelon le terroir. C’eſt le même cas que celui de l’eſparcette, qui réuſſit mieux que toute autre plante dans un tel terroir, & infiniment mieux lorſqu’on y employe le fumier ou la marne.

On doit auſſi, en extirpant, faire des monceaux des racines &c. les couvrir de mottes de terre, y mettre le feu, en répandre les cendres ; l’engrais eſt des plus excellent ; mais en faiſant trop ſouvent uſage de cette méthode à la même place, on effrite le terrain entierement.

De même auſſi la trop grande quantité d’engrais eſt nuiſible ; ceux qui en ont fait l’experience, ont trouve, que la quantité, qualité & groſſeur étoient moindres qu’avec un engrais médiocre ; la proportion doit ſe conformer à la qualité plus ou moins fertile du ſol.

Un des cultivateurs le plus zèlé & le plus experimenté de Zurich, m’a aſſuré, qu’ayant voulu ſuivre le conſeil de Mr. du Hamel, il avoit choiſi une piéce d’un terrain gras, & ne lui a pas épargné le fumier ; que les tiges pouſſerent prodigieuſement & qu’il ſe flatta d’une recolte abondante ; mais ſe trouva bien loin de ſon eſperance ; au lieu des huit à neuf cent que D. H. avoit fait eſperer, il n’en avoit recueilli qu’environ deux douzaines.

La principale attention doit ſe tourner vers le labour de la terre, en la réiterant auſſi ſouvent que poſſible, & même profondément, quand même les pommes de terre n’exigeroient que la profondeur de ſix pouces, quoique les meilleurs cultivateurs en conſeillent douze & plus ; les bleds qu’on y ſemera enſuite en profiteront d’autant plus, qu’en y mettant la charrue, la terre du fond, qui n’eſt pas effritée, revient au haut, & donne un engrais conſiderable au froment.

Les mêmes cultivateurs qui ont fait les plus fortes recoltes, les devoient à leur méthode de fouiller, ou [comme on dit en quelques endroits] de miner la terre, la travaillant à bras, avec la pèle, ou la pioche, après quoi on donne un ſecond labour avant de planter, avec la charrue. Il ſeroit très utile, même néceſſaire, de donner un labour l’automne précédente, d’abord après la moiſſon de la piéce, qui devroit être en jachere & ſera plantée en pommes de terre. En Suéde on n’y manque jamais, auſſi leur recolte eſt ordinairement de quarante pour un. Quoiqu’on y répugne en bien des endroits, à cauſe du travail, il finit penſer qu’on n’a rien ſans peine ; que deux hommes laborieux peuvent fouiller douze à ſeize toiſes par jour ; qu’ils ne s’y refuſeroient pas, ſi quelqu’un les employoit en payant ; pourquoi donc ne le feroient-ils pas, s’ils en ſont encore mieux payés par le profit qu’ils retireroient de leur propre fond ? Il y a des gens entendus & laborieux, qui ayant acheté à bas prix des mauvais fonds, en ont décuplé la valeur par ce moyen, ſe ſont mis à leur aiſe, & ſe ſont même enrichis.

Les pommes de terre, quoiqu’aimant le ſable & le gravier, par la raiſon ſuſdite, exigent pourtant quelque humidité, & réuſſiſſent partout, excepté dans les marécages & lieux qui reçoivent des eaux, qui y peuvent croupir : on devroit donc, ſi on craint que des eaux s’y ramaſſent, choiſir préferablement des terrains un peu en pente, d’où elles peuvent s’écouler, ſur-tout là où on évite la peine de les bien fouiller ; ce terrain léger & un peu en pente, ſeroit d’autant plus néceſſaire, ſi on vouloit planter de bonne heure, parce que ſans cela l’eau des pluyes qui pourroient ſurvenir dans cette ſaiſon & y croupir, les feroient pourrir.

On remarque que les pommes de terre, plantées dans des terrains ſablonneux & avec peu d’engrais, ſont d’une qualité ſuperieure pour le goût, quoique pas d’une ſi grande abondance & rapport.

On a remarqué qu’en en plantant ſur le penchant d’une colline pas trop rapide, en bonne expoſition & de bonne heure, on en peut cueillir déja environ la St. Jaques.

Rien de plus avantageux, & pour la terre & pour ſon produit, que des nouveaux défrichemens, ou les terres non cultivées depuis longues années, des ſiécles même ; les Irlandois qui s’y ſont appliqués depuis deux cents ans, nous peuvent ſervir de guide.

On y employe les plus mauvais marais ; on tire un grand foſſé d’environ ſix pieds de large, pour le principal écoulement ; on diviſe le terrain en carreaux, auſſi de ſix pieds de large ; on laboure, on les ſépare par d’autres foſſés de trois pieds en largeur & en profondeur ; on jette toute la terre de ces foſſés ſur le terrain ; ceux qui ne peuvent ſe procurer du ſable de la mer, ont tant à cœur d’ameublir cette terre, déja légere, qu’ils amaſſent des branches d’arbres, les hachent & les y mêlent : ils continuent ces foſſés pour tout un grand terrain, afin que l’eau s’écoule dans le grand ; le tout ſe fait en automne ; au printemps le terrain eſt deſſéché ; ils le plantent de pommes de terre, & on en tire un produit prodigieux ; après quoi on le réduit, en prez & en champs, qui doivent leur exiſtence pour la plupart aux pommes de terre.

A Zurich, on a eſſayé une méthode un peu differente ; ſur un terrain de cinq mille pieds, ou un huitieme de poſe, on a fait des foſſés dans le marais, on en a tiré la terre, fait vingt-cinq gros tas ou monceaux ; la terre deſſéchée on y a planté des pommes de terre, ſans autre façon ; l’année ſuivante on a mis en haut la terre du fond, qui étant neuve, en a produit de même, le tout ſans engrais ; on y a recueilli cent & ſept quintaux de pommes de terre : quel prodigieux produit d’un terrain qui ne rapportoit rien ! après quoi en faiſant la même operation des foſſés, on a réduit ces terrains en prez.

Il en eſt de même des jacheres, dont nous parlerons ci-après à l’occaſion des objections à reſoudre.

Engrais. Le plus naturel eſt le fumier ; celui des vaches eſt le meilleur, comme à peu près pour toute autre culture ; celui de cheval pur donne peu d’engrais, & dans les terres trop ſablonneuſes & trop ſeches, il nuiroit ſûrement dans un Eté chaud, à la production ; celui de brebis, très fertiliſant mais chaud, devroit auſſi être mêlé ; on peut croire, que la charrue devroit être avantageuſe dans un terroir convenable ; je n’en ai rien pu apprendre : le tan, ſoit écorce de tanneurs, de deux à trois ans eſt excellent, puis qu’outre les ſels qu’il contient, il remplit le grand but, dans une terre forte, de la rendre meuble ; d’autres conſeillent la chaux, ſoit de la maniere ordinaire, ſoit en la mêlant par couche avec de la terre, & laiſſant repoſer les tas pendant une année avant de s’en ſervir, le ne doute pas du ſuccès.

Mais quel fumier y doit-on employer ? les avec raiſon, le tout pourri comme le plus fertiliſant, l'employent; ailleurs, comme en Angleterre, on préfere le frais, ou moitié pourri, apparemment pour rendre la terre plus légere, à cauſe qu'il ſ'y trouve beaucoup de paille, pas encore conſumée : de très bons cultivateurs de notre pays recommandent cette derniere méthode ; quelqueſ-uns pouſſent leurs ſcrupules ſur la légereté de la terre, ſi loin, que, ſur-tout dans les terres fortes, ils enveloppent chaque pomme, de ce fumier paillé, en la plantant, ce .que ſans doute perſonne n'imitera.

L'égoût des fumiers, & urines, ſont un engrais ſuperieur à tout autre pour tout genre de plantes, il eſt incroyable quel profit immenſe on a fait dans le Canton du Zurich, en la ramaſſant avec ſoin & l'employant ſur les prez, ſur les champs, & ſur tout autre terrain. Il faut pourtant obſerver :

I°. Que généralement, ſur-tout pour les pommes de terre, il faut en arroſer le terrain dès les ſaiſons pluvieuſes & pendant l'hyver ; ſa vertu fertiliſante eſt ſi forte, & ſa qualité ſi âcre & brulante, qu'en Eté il cauſeroit bien plus de mal que de bien ; à moins que :

2°. Alors on le mêlat de beaucoup d'eau, qu'on en uſât avec moderation, & dans un, temps pluvieux, ou lorſqu'on ſeroit certain de la pluye ; alors on peut en arroſer les pommes de terre même, lorſqu'elles ſont élevées d'environ demi pied.

Le rablon, ou rublon, s’il eſt bon, mêlé de tant de ſubſtances diverſes, pénétré de quelque égoût ou urine, ſeroit préferable à tout autre pour les pommes de terre ; ayant les deux qualités les plus avantageuſes, en ce qu’il fournit un très bon engrais, &, que n’étant jamais parfaitement conſumé, il procure & entretient la légereté de la terre.

Labour. Nous en avons déja parlé, ſur les premiers labours, à quoi nous renvoyons.

Des bons cultivateurs ont eſſayé la méthode Tullienne, & la recommandent fortement ; on dit, qu’en plantant les pommes en rangées ou lignes droites, à une plus grande diſtance qu’à l’ordinaire, on peut paſſer entre deux avec la charrue, & auſſi ſouvent qu’on le juge à propos, ſans ſe donner la peine de ſarcler, ni de butter, ouvrages qui ſe ſeront par cette operation ſi facile, cela eſt vrai dans un ſens, j’y trouve pourtant des inconvéniens : en jettant la terre au moyen de la charrue vers les rayes, les pommes de terre ſeront-elles aſſez réchauffées ? Je n’en crois rien. Les pommes de terre ſe trouvant à la diſtance de douze pouces, il y en auroit onze qui en profiteroient, ſans en avoir beſoin, & le douzieme auquel il faut de temps à autre beaucoup de terre, en manqueroit, à moins qu’également on voulut butter les pommes de terre ; alors on multiplierait la peine au lieu d’en épargner.

Si on laboure profondément, ne détruira-t-on pas nombre de jeunes pommes, qui ſont produites de côté & d’autre ? ſi on le fait lépeu de choſe, & on manqueroit encore plus de terre pour réchauffer. Je m'en tiendrai donc à l'ancienne méthode, à celle que je vais continuer de décrire.

Que l'on tire des rayes à la profondeur indiquée, ave l'eſſarde, avec laqelle, ſi on y eſt accoutumé, on avance beaucoup ; il faut commencer par la largeur du champ, afin que le planteur ait moins de peine à conſerver toujours la même diſtance ; & pour cet effet il doit toujours recommencer par le même bout. Si on en a beaucoup à planter, on avance plus, ſi trois perſonnes s'y employent ; la première fait la raye ou le ſillon, avec l'eſſarde, & dirige tout ; la ſeconde peut être un enfant, qui y jette dans la diſtance indiquée, ls pommes de terre, ſoit les morceaux coupés, la troiſième une femme ou fille, qui les couvre de fumier, à trois doigt d'épaiſſeur, ſi on en a ſuffiſament, & qui les recouvre : ces trois perſonnes, même deux, peuvent planter une poſe, ſoit arpent, en trois jours, bien exactement & régulièrement.

Des perſonnes trop œconomes pour le terrain, & qui ſe propoſent un plus grand profit, le manquent, en ne donnat que ſix pouces de diſtance d'une pomme à l'autre ; nous avons vu que les trainaſſes s'étendent beaucoup, pour en former de nouvelles, & de jeunes pommes alternativement ; comment veut-on que dans l'eſpace de trois pouces, qui reſteroit de chaque côté, il se forme beaucoup de racines & racines & de pommes ? comment dans cet eſpace, toutes ces pommes & racines pourroient-elles trouver leur nourriture ſuffiſante ? le parle des terres fortes & bien menuiſées, car pour les fortes & argilleuſes, où les racines ne peuvent pénétrer, le ſurplus ſeroit en pure perte. Ce n’eſt donc pas ſans raiſon, que les bons cultivateurs mettent cette diſtance à un pied & demi, ce qui fait neuf pouces de chaque côté ; il ſeroit à ſouhaiter qu’on les plantât avec loin, alors on pourroit le faire en quinconce, & douze à quinze pouces pourroient ſuffire.

Il y en a qui buttent ces pommes de terre en les plantant, ce qui eſt très bon, tant pour les préſerver de la gelée en les plantant de bonne heure, ſoit parce que la vertu végétative eſt ſi extraordinaire dans cette racine, ou pomme, qu’elle pouſſe de tout côté, & par conſéquent ſe multiplie d’avantage. Un Auteur indique trois méthodes pour planter, qu’il dit également bonnes ; il auroit pu dire également mauvaiſes, au moins les deux premieres.

1°. De faire, ſans labour, des trous avec un piquet ou plantoir, qui paroit être à peu pres le même que ce qu’on nomme pauſer dans ce pays.

Je ne ſai comment on a pu ſe ſormer cette idée ; la néceſſité de rendre la terre auſſi légere & meuble, pour cette culture, eſt ſi généralement reconnue, que l’Auteur n’auroit pas du la méconnoitre. Or on ſait, qu’en enfonçant fortement ce gros fer, [car avec un petit le trou ne deviendroit pas aſſez grand, pour qu’une pomme, une piéce même, y put trouver une place libre & ſuffiſante] toute cette terre, qui ſe trouvoit à la même place, eſt pouſſée à l’entour de ce fer, par conſéquent enſuite de la pomme plantée, devient ſi ſerrée, ſi compacte, qu’elle ſeroit impénétrable aux racines, outre que ce travail me paroit pour le moins auſſi grand & auſſi long que tous autre.

2°. De ſemer les pommes ſur le champ & les enterrer avec la charrue ; que par-là tout l’ouvrage eſt fait en même temps ; ceci eſt bon pour ceux qui préferent la douceur d’épargner la peine à leur profit & avantage. J’ai bien eſſayé cette méthode & avec ſuccès, avec les bleds, qui ont été par là mieux enterrés, à l’abri des gels & des oiſeaux, & on a épargné de la ſemence : ici c’eſt tout le contraire, point de diſtance, point de profondeur réguliere, grand nombre en ſeroit à peine couvert de terre, étant les unes par touffes, on ne pourroit les réchauffer. Un Auteur aſſure que dans ſon pays, les corneilles en enlèvent beaucoup ; il y a apparence que ſi on les couvroit ſi peu, les nôtres, qui ne les connoiſſent pas encore, ne manqueroient pas non plus d’y prendre goût.

3°. De ſemer dans les ſillons après la charrue. J’avoue que c’eſt la méthode la plus uſitée dans notre pays même. On pourra voir par ce que j’ai expoſé ci-deſſus, qu’elle manque pourtant de bien des avantages, & d’une partie du produit, dont ceux-là jouiſſent, qui prennent plus de peine, laquelle ſûrement ils ne regretteroient pas.

Quant à l’engrais, L. indique, pour cinq carreaux, qui tiennent enſemble huitante pas en longueur, [ſans en indiquer la largeur] la quantité d’un char de fumier, de vache, tel qu’il le faut pour la charge de quatre bœufs. Si on ne veut pas prendre la peine de butter d’abord les pommes de terre, qu’on ne manque pas de les couvrir ſuffiſamment de terre, par les raiſons ſuſdites.

Choix des pommes à planter. Ce n’eſt pas des diverſes eſpéces que je veux parler ; chacun choiſira celle qu’il veut, ou peut avoir ; je parle ſeulement de leur qualité intrinſeque. Une œconomie auſſi mal entendue que bien d’autres, a fait choiſir chez le grand nombre, les plus petites ; tout comme il y a des gens aſſez inſenſés, pour employer le moindre bled, le plus ſale, pour leur ſemaille, quoiqu’on tout on doive choiſir ce qu’il y a de plus parfait en graines ou en plantes ; on regrette les grandes ou moyennes, on craint d’y perdre ; les plus petites doivent produire comme les groſſes, & ils ne ſongent point que par-là ils perdent réellement : une pomme qu’on coupe en quatre juſqu’à ſept morceaux, ſuivant ſa groſſeur, ne fait pas un volume auſſi grand, qu’autant de petites pommes ; la perte eſt donc palpable : il y a bien plus, ces petites pommes ont chacune trois ou quatre yeux, tous pouſſent & forment ſoit des racines, ſoit des tiges ; elles aſſez de ſuc nourricier pour produire des pommes en ſi grand nombre & groſſes ? Il eſt clair, qu'une pièce n'ayant qu'un oeil, n'ayant à produire qu'une ſeule, y réuſſit mieux.

Les moyennes étant les meilleures, le les conſeillerois préferablement : les groſſes, à la vérité, ſont ſujettes à des deſſauts, ſouvent elles ſe trouvent fendues au milieu & creuſes, à cauſe que ce milieu ſ'eſt épuiſé par la production ; mais comme les derljuuts font inviſîbles pour celles que l'on cuit entieres, il y auroit cet avantage, qu'en les coupant pour planter on les découvriroit; on en couperoit ce qui n'y ſeroit pas propre & on le jetteroit, alors le reſte pourroit ſe planter également à proportion du nombre de ſes yeux, qui ſont tellement féconds, qu'en en coupant un ſeul, ſans y laiſſer preſque d'autre ſubſtance, produit une plante.

Temps de les planter. On y employe le plus ſouvent le mois d'Avril, crainte de la gelée ; on a tort ; j'en vais parler ci-après.

II faut choiſir un temps ſec, afin de ne pas riſquer qu'elles pourriſſent, ce qui ne manqueroit pas d'arriver, ou en entier, ou du moins en partie.

ſi quelqu'un veut ſe regler ſur la lune, ou ſur les ſignes du Zodiaque, il en eſt fort le maitre ; une longue experience m'a pourtant appris à me fier bien plus à une bonne ſemence ; foius requis pour la bonne culture, & temps favorable, comme caufes toutes prochaines, qu'à la lune qui eſt à cinquante-neuf mille lieues, & les étoiles axes qui le ſont à tant de millions de lieues de diſtance.

Culture ulterieure. Pendant quelque temps on n'a beſoin d'autre que celle de nétoyer la place des mauvaiſes herbes ; on doit réiterer cette operation auſſi ſouvent que poſſible. Il y a des cultivateurs qui y comptent tellement, qu'ils conſeillent d'employer pour les pommes de terre, les terrains remplis de chiendent, ou autres herbes, qu'on peut regarder comme paralkes vis-à-vis des plantes cultivées, étant aſſurées que par ce moyen elles ſeront détruites, ce qu'on ne peut eſperer de toute autre façon. En ſarclant il faut prendre garde, lorſqu'on le fait vers la fin de Juin ou plus tard, de ne pas aller plus profondément qu'à un pouce & demi dans les premiers temps, & tout au plus deux pouces ; & quant aux buttes, en arracher les mauvaiſes herbes avec la main plutôt qu'avec quelque outil, de crainte qu'on ne coupe les trainaſſes, dont les petites pommes tirent la nourriture de la maîtreſſe racine ou pomme, & qui étant privées de cette reſſource, en ſouffriroient infiniment.

lorſqu'elles ont la tige, tout au plus à demi pied de hauteur, [quelqueſ-uns le font plutôt] il faut les butter ; ceux qui ſe contentent de peu, ſans parler de ceux qui négligent entierement cette operation ſi néceſſaire, le font deux fois par Eté ; d'autres tous les, mois, tous les quinze jours même, & ils ſe trouvent trouvent bien recompenſés de leur travail & de leur peine.

En Septembre, ſi on ne veut pas faire uſage de l’herbe, ſoit montans, on les coupe ; les uns le font plutôt, lorſqu’ils ne veulent pas faire uſage des graines, ſoit chaque jour, à meſure qu’ils en veulent faire uſage, ou à la fois ; en ce dernier cas, on ſeche ce qu’on ne peut conſumer en verd ; d’autres les ſeches pour s’en ſervir l’hyver, d’autres encore pilent les pommes de graine & ces montans, tout verds, les mettent avec une portion de ſel, dans des tonneaux, & le donnent au bétail au commencement de l’hyver ; la nourriture en eſt ſaine & agréable au bétail. D’autres encore, au lieu de couper les tiges en entier, les lient, quelques ſemaines avant d’arracher les pommes, par le milieu, & coupent le deſſus pour le même uſage ; lorſqu’ils les fouillent, une perſonne prend cette partie liée avec les deux mains, pour aider à l’homme qui les arrache avec la pioche ou croc ; ſi la quantité & la profondeur l’empêchent d’y réuſſir entierement, alors elle donne un coup de pioche de l’autre côté, pour les arracher plus aiſément.

Enfin, bien d’autres ont aſſuré par l’experience, qu’au lieu de les couper, foulant ces tiges avec les pieds, en même temps que d’autres les coupent, [pourtant pas trop bas] ni avant que la fleuraiſon ſoit preſque faite, ſans quoi cette operation pourroit plutôt nuire] ils en ont eu des pommes de terre plus groſſes & en plus grande quantité, ce qui eſt fort probable.

Temps & maniere de la recolte. On a dit que les pommes de Jaques peuvent être recueillies en Août ; les blanches plus tard, les autres en partie en Septembre ; la recolte principale ſe fait en Octobre, même juſqu’à la St. Martin, c’eſt ce qui eſt manifeſtement trop tard : les pommes de terre ne font pas l’unique objet de cette culture ; on viſe pour le moins autant à la recolte du froment, &c. qui y doit ſuccéder ; la ſemaille en eſt trop retardée, ſouvent entiérement empêchée, comme l’automne de 1768 nous en a donné une triſte preuve, puiſque cet événement a été la principale cauſe de cette diſette accablante, qu’on a reſſentie dans tous les pays, depuis ce temps-là. D’ailleurs ſi on ne peut réduire ces pommes de terre en temps ſecs, les pluyes leur font un mal infini, puiſqu’elles ſont ſujettes à pourrir, ou ſi l’endroit eſt ſec, mais un peu chaud, le germe y pouſſera d’autant plus fort vers le printemps, ce qui épuiſe le fruit, & diminue & faculté végétative pour la groſſeur, la ſaveur & la quantité. Ceux qui après les avoir tirées de terre, les lavent, ne font pas moins mal, pour la même raiſon.

Les outils dont on ſe ſert ſont divers & aſſez connus, un crochet, une pioche, une pèle &c. Mr. L. préfere un inſtrument d’un bois fort & non caſſant, de la figure d’une fourche dont on ſe ſert pour charger le fumier ; mais les fourchons droits & vers les pointes plus larges & plus tranchantes, & je crois qu’en effet on peut fouiller les pommes de terre avec ces outils, exactement, ſans les rompre, ni en perdre, & en même temps bien remuer la terre. Je crois que tout ceci eſt aſſez indifferent, pourvu qu’on parvienne au double but que deſſus. On vante fort la maniere de les arracher avec la charrue ; il n’eſt pas douteux qu’on ne s’épargne par-là beaucoup de peine, & ce ſera le principal ; les cochons peuvent chercher les pommes de terre qui ſe perdent par cette operation : je préfererois donc les autres méthodes, ſoit pour mieux profiter de ce qui reſteroit en arriere, ſoit pour mieux fouiller la terre, qui doit être enſemencée immédiatement après, & qui en profitera ?

On connoit la maturité entiere des pommes de terre, lorſque les tiges jauniſſent, & commencent à ſe durcir & à perir, alors étant ligneuſes, on ne peut plus s’en ſervir pour la nourriture du bétail.

Maniere de les conſerver. Quelques-uns y font trop de façon ; ils conſeillent, ou des caves ſeches, à l’abri de toute gelée, où on peut coucher & ranger les pommes de terre, & les couvrir de ſable. D’autres des magazins qui ayent les mêmes qualités. Il y en a qui veulent les conſerver dans des tonneaux ou cuves, en y mettant par couche des feuilles de chênes, de chataigniers, ou autres, ſeches & non ſujettes à la pourriture. Ces gens-là ne penſent pas que les grands cultivateurs ont rarement un endroit aſſez vaſte & qui ait ces qualités requiſes, pour cent, deux cent coupes & plus ; les petits & les pauvres, ſi peu qu’ils en ayent, ne l’ont jamais. Si des perſonnes de condition en veulent conſerver pour leur table, [car on en ſert ſur pluſieurs] elles peuvent employer un tonneau de la maniere ſuſdite pour en garder juſqu’en Eté, mais alors on devroit les faire flétrir au ſoleil, ou même un peu ſecher, pour les empêcher de germer ; quand même elles ſeroient un peu germées, elles reprendront leur fraicheur au moyen de l’eau chaude qu’on y verſe, avant de les apprêter.

La meilleure méthode, la plus ſûre, la plus commode, & par-là même la plus uſitée, eſt celle des foſſes, que l’on fait de trois à quatre pieds de profondeur, ſur environ cinq pieds de long & trois pieds de large ; je n’en conſeille pas de plus grandes. Si les pommes de terre ſont tant ſoit peu humides, la pourriture les gagnera peu à peu généralement ; ſont-elles fort ſeches, en lieu bien ſec, bien à l’abri du froid, elles ſentent tant plus fortement le commencement de la végétation au printemps, quand la quantité en eſt grande. Nous avons fait voir combien cela leur eſt nuiſible. L’article qui mérite le plus d’attention à cet égard, eſt, que ſi on ouvre une foſſe pour en tirer, elles s’en trouvent mal, ſi on ne la vuide pas entierement, en une, ou tout au moins en deux fois. Si la fauſſe étoit trop grande, où trouver une place convenable pour tout ?

Il faudroit donc placer ces foſſes, s’il étoit poſſible, ſur une élévation de terrain graveleux, au moins toujours en lieu où on puiſſe empêcher qu’aucune humidité n’y pénétre. Si on ne peut couvrir les pommes de terre de feuillées, de paille ou de planches, afin que l’humidité ne puiſſe percer la terre tirée de la foſſe, dont on la couvrira, du moins il faut toujours avoir le même objet.

Une autre méthode de les conſerver pendant une année & plus, c’eſt en les pelant, les coupant par tranches, & les ſechant au four ; ſans compter l’uſage qu’on en fait pour le pain, parce que j’en traiterai ci-après en particulier, on peut les apprêter également : on voit qu’on employe de cette façon diverſes plantes potageres, pommes d’artichaux, haricots, &c. qu’on ſert ſur les bonnes tables même, ayant été ſechées ; & apprêtées pluſieurs mois après.

On ſait que les pommes de terre gèlent fort aiſément, & qu’on les compte alors perdues : il eſt vrai que ſi le gel les prend dans leur reſervoir, & qu’elles reſtent quelque temps gelées, il n’eſt pas ſi aiſé d’y remédier, que lors qu’on s’en apperçoit d’abord ; en ce cas, on peut les arroſer amplement d’eau froide, qui les degéle, & alors on peut s’en ſervir pour le bétail auſſi bien que des autres. C’eſt le moyen de dégeler tout fruit, en le jettant dans une ſeillée d’eau froide & l’y laiſſant un temps proportionné ; on remarquera que les parties glaciales s’en élévent contre la ſurface & vouloir y former un commencement de glace ; le fruit enſuite peut être mangé, comme s’il n’avoit pas été gelé. On ſait que les haricots ne ſupportent pas le moindre gel ; un jour, au commencement de May, un forte gelée en ayant ſurpris deux carreaux, je les ai fait arroſer largement dans l’inſtant, & ils ont été fort bien rétablis.

Celles qui reſtent en terre après la recolte, ſouffrent moins, ſoit que la terre les en préſerve, ou que les pluyes du printemps les dégêlent de la même maniere, elles repouſſent & ſe propagent, mais ni la qualité ni la groſſeur ne peut atteindre celles des pommes plantées ; on voit même ſouvent pendant trois ou quatre ans de jeunes fruits ſur ces champs recoltés. Auſſi la végétation dans ce fruit eſt ſi forte, que les germes même, venus vers le printemps, & tranſplantés, prennent racine de même, à ce que quelques-uns prétendent, les tiges ſoit pouſſées, provignées en terre ; obſervations curieuſes mais qui ne méritent pas d’être miſes en pratique ; la ſuivante par contre eſt très importante.

Nous avons vû ci deſſus le déſavantage infini qui arrive par ces recoltes tardives ; il ſeroit donc de la derniere importance d’y trouver du remede. Nos connoiſſances préſentes à cet égard étant encore aſſez foibles, nous ne pouvons, ſi nous n’en cherchons pas de nouvelles, n’avoir recours qu’aux moyens ſuivans.

1°. Avoir ſoin de nous procurer des eſpéces hâtives ; les pommes de Jaques, les petites courbes & les blanches ; de celles-ci le moins, puiſque généralement elles ſont moins goûtées que les rougeſ.

2°. Les planter plutôt ; mais craignant les gelées, on ne fait ordinairement cet ouvrage qu’en Avril, lorſqu’il n’y a plus de gelées à craindre ; on a tort : ſi comme on le doit, on les plante à huit, dix, douze pouces de profondeur, ſi on les couvre de fumier, & celui-ci de la terre tirée, qui fait déja un réchauffement, comment ſeroit-il poſſible qu’une gelée ſi forte qu’elle fut, y pénétrât ? En Suéde, pays ſi froid, éloigné de près de trois cents lieues plus au Nord que la Suiſſe, on les plante ordinairement en Mars, [Alſtroem l’aſſure, & j’en doute] & on y fait de plus riches recoltes que chez nous, Ne laboure-t-on pas dans ce mois les aſperges, bien plus délicates, que les pommes de terre ? ainſi cinq ou ſix ſemaines d’avance gagnées en les plantant, devroit nous procurer à peu près la même avance pour la recolte.

Il eſt vrai que des perſonnes ſoutiennent, que la végétation n’y gagne rien, & n’en ſeroit pas plus avancée, ce qui eſt contredit par l’experience de toutes les plantes potageres ; lorſqu’on en ſeme, fut-ce au milieu de l’Hyver, la graine lève pour la plus grande partie, mais les jeunes plantes ſont détruites par le froid ; ici il n’en eſt pas de même, le froid ne met aucun obſtacle, par les dites raiſons, à l’action végétative des pommes de terre, où elle ſe trouve en plus haut degré que chez toute autre plante, puiſqu’elle ſe manifeſte même hors de terre, à l’approche du printemps.

J’ai remarqué, que ſemant des graines de plantes délicates, ſur couche, qui même avoit déja perdu ſa chaleur, ont fort bien réuſſi, parce que l’étant en bonne terre meuble, préſervées du gel par les vitres, elles n’avoient plus rien à craindre ; combien moins les pommes de terre, préſervées par trois doigts de fumier, & huit pouces ou plus de terre.

On verra ci-après que toute graine, par ſa nature, devroit être ſemée en automne ; alors ſitôt qu’un gel abſolu ne l’empêche pas, le germe ſe produit & la végétation continue d’agir juſqu’à la maturité. Si donc, par ce moyen, on pouvoit faire la recolte des pommes de terre avant la fin de Septembre, on auroit remedié à tout ; ſi faiſant cela la terre étoit bien remuée, il ne faudroit que l’égaliſer, ſemer & paſſer la herce, ſans avoir beſoin d’un autre labour, & la ſemaille ſeroit faite en temps ordinaire : cependant ſi on peut parvenir au meilleur, au plus ſûr, cela vaudra mieux, que ce qui ne l’eſt pas tant.

L. y a penſé & ſouhaité qu’on put ſe procurer des pommes d’été, qui, plantées en automne, puiſſent paſſer l’hyver en terre, ſans alteration. Il raiſonne ſagement, en Theſe, diſant ; qu’on a tant de varietés, tant en divers bleds, qu’en plantes potageres, dont on ſeme avec ſuccès, les uns en automne, les autres au printemps, qu’on devroit eſperer d’en trouver auſſi pour les pommes de terre ; mais ſon conſeil, pour y parvenir, me paroit mal imaginé.

Qu’on doit conſerver une partie des pommes de terre pendant l’été, en lieu frais, & les empêcher par-là de germer ; alors les planter au commencement de l’automne, que peut-être on en pourroit faire des pommes d’été.

Il n’a pas ſongé ſans doute qu’elles germent à l’approche du printemps, dans les foſſes, les caves, & tous autres lieux, bien plus frais alors que tout autre en Eté ; ce n’eſt que la chaleur externe qui nous fait trouver dans cette ſaiſon de pareils lieux frais, quoiqu’ils le ſoyent moins qu’en hyver, & ſeulement comparativement ; par conſéquent cette végétation qui a commencé par un temps frais, au printemps, pouſſera d’autant plus ſon action pendant l’été, & tout ſon projet tombe.

Il faut encore conſiderer que ſi on a pu parvenir d’avoir même des bleds, des plantes, ou fruits du potager, ce n’a jamais été par le moyen des plantes mêmes, mais de leurs graines, dont on a pu changer la nature de maniere, que quoique de leur origine elles ont-été ſemées en automne, on a pu parvenir à les faire réuſſir, les ſemant au printemps.

Quelques-uns ſeront ſurpris de ce que j’avance ; je crois pourtant qu’ils ſe rendront à l’évidence de mes preuves.

Le Souverain Créateur a fait produire à la terre toutes les plantes qu’on y voit, avec leurs graines ; cela eſt prouvé par l’Ecriture. Ces plantes pouſſent par tout au printemps, ſelon la ſaiſon de chaque climat ; l’été produit les fleurs, les fruits & les graines, qui meuriſſent, & tombent en automne ; par-là elles ſe propagent, c’eſt ainſi que la nature fait ſa ſemaille avant l’hyver. Nous en avons grand nombre que nous ſemons au printemps, parce que venant originairement de climats plus temperés, nous n’oſons les expoſer à la rigueur de nos hyvers ; nous avons tâché d’en changer la nature, & nous y avons réuſſi : je le repéte, au moyen de la graine, celle-ci commence peu à peu à s’accoutumer à cette éducation, ſi j’oſe parler ainſi ; les pommes de terre tirent leur origine de l’Amerique, & les pays ſitués à environ trente-ſix degrés paroiſſent être leur patrie ; du trente-ſixieme au quarante-cinquieme, il y a cent-huitante lieues de diſtance ; il y en a environ trois cents de plus qu’au dernier pays, où la culture en eſt le plus fort en vogue, en Suéde. On ne doit donc pas être ſurpris ſi ces fruits ne peuvent s’accoutumer au froid entierement, quoique ceux reſtés en terre, germent & ſe propagent de nouveau. Il y donc plus que de l’apparence, que les graines s’endurciront peu à peu, au point, que leurs fruits prendront la même nature & pourront être plantés en automne, & paſſer l’hyver ſans aucun danger. Il y a des milliers d’arbres, plantes, bleds, qui ont été apportés dans les pays temperés, même froids, & y

ont réuſſi comme ſi c’étoient des plantes originaires du pays. Le ceriſier, apporté de l’Arménie réuſſit dans nos montagnes, où le froid ou la culture en eſt le.plus fort en vogue, en Suéde. On ne doit donc pas être ſurpris ſi ces fruits ne peuvent ſ
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accoutumer au froid entierement, quoique ceux reſtés en terre, germent et ſe propagent de nouveau. Il y a donc plus que l'apparence, que les graines ſ'endurciront; peu à peu,.au point, que leurs fruits prendront la même nature & pourront être plantés en automne, & paſſer l'hyver ſans aucun danger. Il y a des milliers d'arbres, plantes, bleds, qui ont été apportés dans les pays temperés, même froids, & y ont réuſſi comme ſi c'étoient des plantes originaires du pays. Le ceriſier, apporté de 1'Arménie, réuſſit dans nos montagnes, où le froid des glaces eſt apporté le plus ſouvent, & ainſî de nombre d'autres. Des curieux ont ſemé du ris en Suiſſe, qui a réuſſi aſſez bien, quoique ce ſoit le produit principalement des deux Indes . J'ai ſemé avec ſuccès du froment de Maroc, de Sicile, de Minorque, &c., pays des plus chauds, & les pommes de terre venant d'origine de la zone tempérée, pourront mieux s'accoutumer à notre froid, pourvu qu'on ait des plantes provenues de graines.

Nous avons fort abrégé ci devant l'article de la graine des pommes de terre ; nous y allons ſuppléer.

Chaque pomme de graine, dont une plante en porte dans les bonnes années, vingt-cinq à trente, contient huitante à cent grains, de la groſſeur & preſque de la figure de la graine de lin ; on les écraſe, & on en met la pulpe ſur du papier gris, qui ſ'imbibe de la ſubſtance aqueuſe & gluante ; la graine ſeche & on peut la conſerver bonne pendant plus de quatre ans ; ſi on veut prendre la peine de la ramaſſer, on peut en recueillir aſſez pour en faire certaine quantité de bonne huile.

L. forme cette objection : que ſi cette graine ne mûrit pas, on ne pourra pas ſ'en ſervir pour produire des plantes & des pommes. Il y répond par le raiſonnement & par l'experience. Il dit, quant au premier, que preſque toutes les graines potageres ne ſont pas cueillies dans leur maturité ſur les plantes ; on en coupe les tiges, on les ſuſpend pour les laiſſer meurir ; ce font pourtant celles dont on ſe ſert, & on n' en demande pas d'autres ; pourquoi n'en ſera-t-il pas de même de celles-ci ? Cependant l'expérience étant ſuperieure à tout raiſonnement ; voici ce qu'il dit ; qu'il avoit coupé des montans avec leurs pommes de graine encore vertes, il les avoit étendus à l'entrée de l'hyver ſur un carreau de jardin, & les y avoit laiſſés ſans les couvrir; que l'hyver avoit été fort dur & long ; que vers le printemps, allant les viſiter, il trouva les pommes partie ridées, partie pourries, qu'alors il les couvrit de terre ; qu'après ſix femaines, les allant voir il avoit trouvé la graine levée fort dru, & les jeunes plantes en touffeſ; que les pommes ou les fruits qui en étoient provenus, étoient devenus de la groſſeur d'un œuf de poule, & en même quantité,

Voilà donc prouvé que la graine, quoique point meure, levoit, & cela après avoir ſupporté toute la rigueur de l'hyver ; qu'elle avoit produit des pommes aſſez groſſes ; d'où on peut conclure qu'elle auroit encore mieux réuſſi, ſ'il l'avoit enterrée en automne. Il eſt ſurprenant que L. propoſant de faire l'eſſai avec des fruits, ne l'ait pas fait avec ceux-ci, comme devant avoir un degré d'endurciſſement au froid, pour ainſi dire, dont les autres manquent,

Voici donc la marche que le conſeillerois.

I°. Cueillir autant que poſſible, de ces petites pommes, meures, d'autres qui ne le ſeroient qu'à moitié, étant poſſible que la graine de celles-ci réuſſiroit mieux, ſéparant l'une de de l’autre, pour être inſtruit laquelle on devroit preferer.

2°. En tirer la graine & la ſecher de la maniere ſuſdite.

3°. Faire le premier eſſai, principalement dans un des climats des plus doux de notre pays, & en bonne expoſition ; une contrée où les grenardiers, les lauriers, les romarins &c., ſupportent le froid de nos hyvers, ne doit pas differer infiniment pour la temperature de la Virginie, d’où les arbres & les plantes qu’on en apporte ſe naturaliſent aiſément dans notre pays : on en pourra auſſi faire des eſſais ailleurs, mais préferablement dans pareille contrée, pour réuſſir plus ſurement, & alors étendre cette culture de proche en proche.

4°. Il y a une certitude, que, ſinon tout, du moins une grande partie, lèvera, produira des plantes & de nouvelle graine, de laquelle on en gardera pour une autre année, & on en ſemera, & toujours ainſi d’année en année ; car plus cette graine eſt éloignée par ſa deſcendance de celle des anciennes pommes de terre, plus elle aura perdu ſa délicateſſe, & ſe ſera accoutumée à nos froids ; c’eſt de quoi dépend un ſuccès conſtant pour l’avenir, principalement parce que ces dernieres plantes & graines en ſeront déja plus naturaliſées.

5°. On ſemera la premiere en Octobre, parce qu’on ne la pourroit pas tirer plutôt de leurs bayes ; la ſeconde, qui meuriroit plutôt, devroit être ſemée, s’il ſe peut, en Septembre, pour que les plantes puiſſent ſe fortifier un peu en hyver.

6°. Auſſitôt qu’on en aura du fruit, on eſſayera auſſi de le planter en automne, pour voir ſ’il a déja acquis la qualité qu’on lui déſire.

7°. Quand même les premiers eſſais ne réuſſiroient pas entierement, on ne doit pas s’en dégoûter ; il n’en coute qu’un peu de peine, & le ſuccès ſeroit d’une importance & d’un avantage inexprimable.

Produit. Il ne s’agit pas de la multiplication de huitante, de cent, ou ſuivant Mr. du Hamel, ſept à huit cent, prévenus d’une ſeule pomme, & ſelon le même, de trois-cents-quarante boiſſeaux par journal, & ailleurs de quatre-cents par arpent : du moins Muſtel l’aſſure, & d’autres le confirment : que là où un arpent de terre produit douze quintaux de froment, le même en produit deux cents de pommes de terre : ni le calcul de divers Auteurs Allemands, ni des Irlandois, qui eſt à peu près égal par tout, ne le contrediſent pas : les Suédois ont leur recolte fort ordinaire de quarante pour un. Il y a tant de perſonnes, qui, à ces preuves & à ces faits, répondent, je n’en crois rien & on eſt à bout. Je vais donc donner deux exemples qu’on ne ſauroit nier.

L’un de cet excellent patriote, cultivateur expert & zélé, Mr. Tſchiffeli, qui a donné un calcul, d’après ſon experience, à Mr. le C. de Mnitzeck, qu’il a joint à ſon mémoire, d’après lequel le produit de huit meſures pommes un demi arpent, a été de cent huitante grandes, & ſeptante petites pommes de terre ; & le profit en argent, tous les frais, même l'intérêt du fond, déduit, & les pommes de terre au plus bas prix poſſible, de L. 27. 17. f. Il n'eſt pas néceſſaire de réduire ces meſures ; cinq arpents de Berne en font quatre de ce pays, & cinq meſures de la Capitale, font exactement les quatre de ce pays, ou la coupe de Vevay, de Morges, de Nyon, qui ne different pas de grand choſe entr'elles.

L'autre, d'un ami grand cultivateur, qui tâche d'ameliorer ſes fonds au poſſible : il en a fait deffricher un terroir fort médiocre > il y a fait planter des arbres fruitiers, au printemps de 1770, ſans prévoir la diſette, & que cet événement lui en parteroit un profit conſiderable, y a planté environ ſept huitieme de poſe, avec neuf coupes pommes de terre, après lui-avoir fait donner un labour à bras, & un à la charrue, & fumé avec douze .charrettes de fumier : il a fait jetter les pommes de terre dans le ſillon après la charrue, fait ſarcler & reterrer autant que néceſſaire, la recolte a été de cent & deux coupeſ; les pauvres qui y ſont allés glaner en ont trouvé encore trois coupeſ. le préſume que ſ'il n'avoit pas fait faire un labour à bras, la recolte auroit été moindre ; que ſi par contre il avoit fait planter les pommes une à une, à juſte diſtance & profondeur, elle auroit été; encore plus riche.

Voici du moins deux exemples inconteſtables, bles, à quoi la recolte d’un terrain planté de pommes de terre & bien cultivé, peut & doit aller.

Objections. Nous aurions dû faire précéder l’article important de la grande utilité, générale & particuliere des pommes de terre ; la crainte que cet ordre ne nous portât à repéter ſouvent, nous a fait choiſir celui-ci.

Elles méritent d’autant plus d’attention & de diſcuſſions, qu’on les préſente ſous une face qui frappe & entraine par leur apparence, qui, en les examinant de près, s’évanouiſſent.

Les voici, 1°. Il eſt inconteſtable que toute eſpéce de bled, ſur-tout le froment, épautre, meſſel, ont une ſuperiorité très grande ſur les pommes de terre ; qu’un bon pain eſt le meilleur & le plus ſain des alimens. 2°. Qu’il faut donc multiplier, étendre la culture des bleds, préférablement à toute autre. 3°. Qu’en étendant celle des pommes de terre, on reſtreint & diminue celle des bleds, & cela par deux endroits. A en y employant des terrains, qui l’auroient été par des bleds. B en y employait le fumier ſi néceſſaire pour les bleds, & dont on manque du plus au moins.

Concluſion. Que par-là prétendant remédier à la diſette en général, & celle des bleds en particulier, on la rendra plus fréquente, les habitans ſeront plus & plus ſouvent ſujets à ce fléau & à cette calamité publique, & qu’il faut y faire attention pour empêcher ce mal.

On voit bien que je n’ai rien omis pour rendre ces objections dans toute leur force.

Examinons tout ſans prévention, d’après les faits & les règles de la ſaine raiſon.

1°. Le premier article n’eſt pas hors de conteſte ; outre qu’il ſe trouve de ces bleds de Mars, qu’on ne ſait où employer, & qui ſont, en temps d’abondance, preſque pour rien ; un ami cultivateur, m’ayant entr’autre aſſuré, qu’il y a environ quinze ans, il avoit été obligé de vendre le mecle du printemps, grande meſure, à quatre batz. Les autres graines, en effet très bonnes & recommandables, & ce pain qu’on en fait, ne ſont ſuperieurs que par le goût, dont il ne faut pas diſputer.

Pour rendre un peuple heureux, il faut principalement être attentif à lui procurer abondance de vivres, d’une nourriture ſaine & agréable ; que ce ſoit du pain, dont une moitié de l’Europe uſe, ou de pommes de terre, qui fait la nourriture de l’autre moitié ; des maniocs, pattates, ignames, qui eſt celle de tant de millions d’hommes, ſur-tout en Amerique ; du ris, comme chez la moitié des Aſiatiques, tout eſt indifferent ; les habitans des bords de la mer ſeptentrionale ne changeroient pas leurs poiſſons ſecs contre du pain, ni les ſauvages du milieu des terres leur gibier : pourvu donc qu’ils ſoyent contents, bien nourris, autant & plus ſains que ceux qui ne crient qu’après le pain, & que le but ſuſdit, l’unique qu’on doive ſe propoſer, ſoit rempli, il ne peut y avoir de conteſte ſur la préference. On croira qu’on n’en uſe pas faute de le connoître ; on ſe tromperoit. Dans les Antilles, les Européens n’en font cas que par air & par luxe ; ils préferent eux-mêmes les racines du pays. Dans le Chili, à ce qu’un ami qui y a demeuré pluſieurs années, m’a aſſuré, ils préferent leurs papas ou pommes de terre, au pain, quoique le plus beau froment y ſoit à vil prix ; & depuis que cet excellent aliment a été porté en Europe, il a fait des progrès étonnants, & la moitié du peuple s’en nourrit, quoiqu’il eut été auparavant accoutumé au pain, comme les habitans des alpes du laitage, ſur-tout du fromage, & ne mangent pas autant de pain dans un an, que d’autres dans un mois ; tout eſt goût & habitude.

Je ſuis bien éloigné de vouloir faire favoriſer la culture des pommes de terre, au détriment des bons bleds : je les regarde comme denrées également propres à la nourriture, en donnant la préference aux bleds, par pluſieurs raiſons.

1°. Le pain fait de divers bleds, conſtitue la principale nourriture des campagnards même, preſque l’unique des habitans des villes ; celui de certains bleds, non de tous, eſt très ſain & agréable.

2°. Ils ont une préference, qui fait une ſuperiorité des plus conſiderables, par leur qualité de pouvoir ſe conſerver très longues années ; autrefois à la vérité, ſupportant une forte décale dans les premieres, au point que le Souverain fait un ſacrifice, que l’on ignore communément ; c’eſt que pour la grande proviſion qu’il entretient pour les beſoins de ſes reſſortiſſants, il eſt obligé de la renouveller en moins de cinquante ans, & la précédente eſt perdue pour lui. les années de diſette ſont par la grace de Dieu, rares chez nous, on en voit peu ſouvent deux ou trois de ſuite ; par contre des dix, des vingt, des trente, dont j'en ai été témoin, où les bleds étoient à un prix modique, & très ſouvent à vil prix; auſſi les particuliers n'auroient pas trouvé leur compte d'en amaſſer, dans le deſſein d'y gagner.

3°. Ainſſi lorſque les bleds avoient tait toute leur décale dans des lieux & des pays, où on n'en compte plus après un certain temps, ils ſe conſerverent des ſiécles, à la vérité moins bons pour le goût, que des bleds nouveaux, & il étoit avantageux d'en former des proviſions ; combien plus à préſent, que des eſſais reiterés prouvent, à n'en pouvoir douter, que les étuves introduites, cauſant une décale modérée au commencement, & lors de l'operation, il n'y en a plus à craindre ; les bleds ſe conſervent des ſiécles, & d'une auſſi bonne ou meilleure qualité, que les non étuvés.

Les pommes de terre ne pouvant ſe conſerver fraîches qu'environ ſix mois, & ſechées un an ou deux ans, elles ne peuvent entrer en comparaiſon avec les bleds, pour cette qualité. .

4°. les pommes de terre ne font pas une marchandiſe à vendre généralement & en quantité, excepté dans les cas de diſette, ou d'autres, lorſque les uns en manquent & que d'autres peuvent fournir de leur ſuperflu; au lieu que les bleds en font une, néceſſaire, agreable & demandée de tout le monde, qui vaut mieux même que l'argent, qui n'en eſt pas une, mais un ſigne repréſentatif, pour en acquerir toutes les autres ; on a vu actuellement, que malgré les ſommes que le gracieux ſouverain a deſtiné pour l'achat des bleds, & à ſoulager ſes peuples ; malgré ſes ſoins & ſes veilles, cet argent ne pouvoit ſe convertir en bleds : les circonſtances d'une diſette générale ayant fermé l'accès chez les Puiſſances voiſines ; combien plus a-t-on trouvé néceſſaire la nourriture que l'argent ! Combien ſera-t-on heureux, lorſque par la prévoyance & les deſſeins paternels que ce ſouverain a formés, cette marchandiſe ne manquera plus !

C'eſt donc plutôt dans le deſſein de n'en jamais manquer, mais auſſi dans celui de n'être pas privé de tout autre aliment ſain, dans les temps principalement, où malgré toute prévoyance humaine, on tomberoit dans pareille diſette de bleds, que j'expoſerai la grande utilité des pommes de terre ; le le repète, ſi on meurt de faim, on ne choiſit pas ; on dit, donnez-moi à manger... le n'ai pas de pain n'importe, donnez-moi de quoi vivre.

On voit que j'adopte le premier & le ſecond fait & theſe, quoique avec reſtriction. Il n'en eſt pas de même du troiſieme ; car A, bien loin d'ôter du terrain aux bleds, on leur en donne. Quelle terre leur ôte-t-on pour l'employer en pommes de terre ?

Il faut changer la culture par-tout ; de-là les bleds d'hyver, que l'on ſeme enſuite en bleds de Mars, & qu'on laiſſe enſuite en jachère, ſans en rien tirer ; toute cette année on n'en a que des labours, des peines ; des chariages de fumier, ſans aucun produit; car l'avantage de faire pâturer les herbes, qui à peine commencent à poindre, par les brebis & les cochons, ne mérite aucune attention, en employant dans la même année ce champ pour les pommes de terre, on en tire un produit beaucoup plus riche que celui du froment de l'année ſuivante, qui fait pourtant à peu près le ſeul objet de la culture des champs. On n'ôte donc rien à celui-ci, au contraire, on prépare ſi bien ces terrains, comme ſi on avoit eu pour ſeul objet l'avantage des bleds. auſſi des cultivateurs très entendus, m'ont aſſuré, qu'ils ſeroient très fâchés de négliger cet avantage, & de ne pas faire ſuivre immédiatement après les pommes de tête, le froment, &c. pour en profiter.

Si on y employe un autre terrain qui n'eſt pas en jachere, c'eſt alors que le froment & toute autre culture gagne le plus. Nous avons remarqué là-deſſus la culture des Irlandois à cet égard, & qu'aucun défrichement ne réuſſit bien, ſi on ne commence à le mettre en valeur par les pommes de terre. Un pauvre Irlandois croit faire une fortune, ſ'il peut obtenir en bail, pour un prix fort haut, un terrain qui a été inculte pendant des huitante à cent ans & plus ; le produit par les pommes de terre en eſt très grand, & il eſt ſuivi par un autre en froment qui y eſt proportionné. Voilà donc prouvé que les bleds, loin d'y perdre, gagnent par la culture des pommes de terre, quant au terrain.

Ce que je viens de dire ne regarde que les cultivateurs & du commun, que ſera-ce ſi j'y ajoute ceux des villes & autres qui ne cultivent ni bleds ni pommes de terre, & cependant ſubſtituent de celles-ci aux bleds ? Qu'on ne regarde pas ceci comme une idée chimerique; de peu à peu, tous ceux qui ont goûté le pain mêlé d'un tiers ou d'un quart de pommes de terre, des perſonnes même de condition, l'ont préferé par goût, 3U pain de pur froment ; ce fera donc toujours autant d'épargné de celuici en faveur de ceux qui en achètent; par conséquent, la difette toujours moins à craindre.

B. Il en eſt de même de l'engrais. les bleds n'en ſouffrent point par une diminution, qui en tout cas, ſeroit compenſée, par rapport au ſeul but de l'agriculture, au décuple. D'un autre côté, la quantité même de fumier en augmente d'année en année ſï conſiderablement, que ſi on n'a pour objet que l'augmentation des bons bleds, on ne pourroit mieux ſ'y prendre que de favoriſer au poſſîble la culture des pommes de terre.

Quant au premier point, je crois que perſonne ne peut nier, que de bons & fréquens labours ne faſſent plus proſperer toutes productions de la terre, que l'engrais même. Dans les jardins, cet engrais ne feroit pas tant d'effet ; vu qu'il eſt bien-tôt épuiſé par ces groſſes plantes ſucculentes, qui ſ'y ſuccédent dans une même année, ſi on n'y étoit toujours la bêche à la main pour remuer la terre. Il y a des pays où on met la charrue juſqu'à quatre & cinq fois ; dans le nôrre, la terre étant plus difficile à travailler, en auroit encore plus beſoin ; ce ſont en partie, ces mêmes travaux plus durs & plus fréquents, qui rendent difficiles ces multiplications de labour : je connois pourtant un cultivateur de condition, qui met la charrue aux champs auſſî ſouvent que poſſible, & ſ'en trouve bien recompenſé, parla qualité & la quantité de ſes bleds. Or un jardin même, n'eſt pas plus ſoigneuſement fouillé, farcie, ameubli, qu'un terrain planté en pommes de terre j en le fouillant même pour les cueillir, on achève de le mettre dans un état parfait; on y feme preſque dans l'inſtant le froment ; dans un pareil champ, la herſe l'enterre au mieux ; les racines prennent partout & peuvent ſe fortifier dans peu de temps; l'hyver n'y fait pas de dégat par le gel, les oiſeaux ne peuvent pas en piller la moitié, comme cela arrive ſouvent ; quel avantage infini pour le froment, &c. pour lequel on craint !

Rendons palpable non-ſeulement le profit du cultivateur, mais auſſî l'augmentation du fumier, par un calcul ſimulé. Poſons qu'il a deux arpens par pie, deux en jacheres, deux en froment, & deux en petites graines, deſquelles nous ne parlerons pas ici, parce que leur ſemaille ne change pas.

On feme ici deux coupes par arpent & elles rapportent, au plus, à l'exception de quelque terroir, choiſi, cinq pour un, plus ſouvent au deſſous : les deux arpens, donneront 20 Coup.

ſemence déduite-- 4

Reſte---16 Coup.

Et de la pièce en jachere, il ne tire rien.

Suppoſons à préfent, ſuivant ce qu'on aſſure, que les pommes de terre ayent diminué la fécondité, de maniere que le froment n'y trouve plus les ſecours pour la végétation, tels qu'ils auroient été dans un champ nouvellement fumé, & qu'au lieu de 2O Coupes, il n'en recueilliroit que-- 16 Coup.

ſemence déduite -4

Reſte ...12 Coup.

les 16 Coupes, au prix moyen

de L. 8- feront-- L. 128 »
à déduire les 4 de moins, ou-32 »

L. 96 »

Cette perte de L. 32. n'eſt-elle pas déja un grand profit ? Que l'on calcule ce qu'on y epargne ; environ vingt chars de fumier, & tous ces labours ſi fréquents, qui tous font mis ſur le compte des pommes de terre. Je compterai tout ceci, autant qu'il en auroit fallu, pour fumier, ſon chariage, & deux labours ; [ car le troifieme reſte ſur le compte du froment] ſeulement à L. 80. voilà un profit de L. 48. le ſuppoſe plus outre ; le cultivateur y auroit employé l'argent qu'il auroit tiré des 4 Coupes vendues ; les L. 32. Il auroit reſté court de ces L 48., autant de perdu.

Voyons à préfent avec quoi il le remplace, au moyen des pommes de terre. Mr. Tfchiffeli a compté, & le tout au plus haut, les fraix de demi arpent, à L. f 3. 3 f. ſoit deux arpens-L.212, 12.

De quoi à déduire l'intérêt du fond, qui n'a pas été compté non plus pour les bleds, de deux arpens-- L. 25 —.

Nous, avons compté la voiture de fumier avec le chariage ci-deſſus, à L.3. 10.f. Mr. Tfchiffeli le paſſe à L. 5 f. difference ſur vingt 30.

Il y-auroit encore d'autres articles à déduire--- 55.

Reſte 175,, 12.

Il a. mis le produit de demi arpent, en pommes de terre, à 250 meſures ; ce qui fait ſur deux arpens, 250 coupes, ſans l'herbe coupée &c. Celle-ci, en ne la paſſant que L. 1. la coupe, on ſent combien elle eſt à bas prix, fait L. 250

déduit L. 257 - 12

& ce qu'il y a à ſuppléer ci-deſſus 48.

205,, 12.

La perte ſur la quantité ſeroit bonifiée, toute la culture du froment ne couteroit rien, & on auroit ſur ces pommes de terre, comptées à ſi bas prix, un profit de L. 45,, 8«

Voici à préfent une obſervation, qui conduit à ma preuve ſur l'engrais.

Que fera-t-on de toutes ces pommes de terre ? la vente ne fait pas un objet ſenſible, elle n'eſt que vis-à-vis des habitans des villes, qui n'en cultivent pas ; ceux de la campagne en recueillent pour eux-mêmes ; cependant il faut en tirer parti : comment ? Il en uſe en place de la moitié des bleds, ſoit pour les hommes, ſoit pour les beſtiaux; par- là il ne, peut également pas les conſumer toutes à beaucoup près ; il ne peut mieux faire que d'augmenter le nombre de ſon bétail ; ſi-tôt qu'il a des vaches, une ſeule ou quelques brebis &c., il en élève, il a dequoi les bien nourrir ; les engraiſſer lorſqu'il le croit profitable ; il voit une ſource de richeſſes, qui, bien loin de tarir, augmente chaque jour ; & ce bétail n'augmente-t-il pas le fumier à proportion? N'eſt-ce pas à l'avantage des bleds, & de toute autre culture ? Voilà donc ma Theſe, en détruiſant le fait de l'objection, prouvée ſans réplique. \

Les faits que je rapporte ſur cette utilité & ce profit ſi conſiderable, font entierement averés ; ſans me referer au témoignage univerſel des peuples de l'Europe & d'autres parties du monde ; je ne rapporterai que celui de Ludovic, qui dit :

Quoique toutes les denrées font montées au double dans le Marggraviat de Bayreut, & qu'on employe beaucoup plus de viande depuis qu'on y a introduit cette culture, il n'y,a jamais de diſette de bétail, ni de beure, ni de graiſſe : au lieu qu'on y en faiſoit venir autrefois de Hambourg, on en peut exporter du • depuis en grande quantité en Saxe & ailleurs.

Si donc cette culture augmente infiniment, non-feulement l'abondance d'une bonne nourriture en général par cette denrée elle-même, mais auſſi celle reconnue par ceux qui ne l'approuvent pas, du lait, du beure, de la graiffe, dela viande, & par celle du fumier, encore des bleds, qu'on veut recommander & favorifer à l'exclufion de. celle-ci ; qu'aura-t-oii à dire ?

Le voici 5 on continue : nous perſiſtons A croire, que ſur le pied & le calcul ci-deſſus, le froment &c. diminuera en général pour le pays, d'un quart ; ainſſi cette diminution peut entraîner de grands maux; ſî par exemple, au lieu de quatre-cent mille ſacs, le pays en-per. doit cent mille. Le ſouverain même ne pourroit plus ſuivre ſes intentions paternelles, fc ne trouveroit pas dequoi augmenter les proviſions, pour préſerver ſes peuples de cet affreux fléau de la difette.

Je crois que ce que j'ai dit ci-deſſus ſur l'opinion erronée de cette diminution, en montrant le contraire, en depréviendra déja quelques-uns : continuons, & prouvons un paradoxe. Que ſi cette diminution étoit réelle, l'augmentation des bleds, pour le fays en géneral, ſeroit plus grande.

Il faut diſtinguer; lorſque par exemple un pays a beſoin, ſuppoſé, de quatre- cent mille facs, en ne ſe nourriifant que de pain, & qu'enfuite par le grand uſage des pommes de terre, celles-ci rempliflent la quantité de centmille; qu'une partie des habitans employent des pommes de terre, le reſte du pays n'y perd rien. Or perſonne n'ofera ſeulement avancer comme une conjecture, que par cette culture, la quantité des bleds fera diminuée dans le total de cinquante mille facs; pofons-le cependant ; alors le reſte du pays, ſoit la totalité, y gagnera cinquante mille facs > tellement que les habitans des villes auront leurs proviſions en plus grande abondance. & à plus bas prix. Le ſouverain aura plus de facilité à remplir les magazins, & ſi la difette ſe manifeſtoit, ſeroit à même de vendre les bleds à un prix plus favorable & ſans perte.

Un auteur AngloisFootNote(. Muſæum ruſticum, T. III. édition Allemande, p. 225.), a rapporté un projetFootNote(. Tiré apparemment du recueil des Mémoires de la Societé Oeconomique de Berne, année. 1761, ſur le Commerce des grains.) qu'il regarde à peu près comme adopté, & qu'il approuve fort ; que pour prévenir la trop forte baiſſe des bleds, contraire à la culture & au bien du cultivateur en général, de même que la hauſſe trop forte, ruineuſe aux acheteurs ; ainſi l'un & l'autre, au public, à l'Etat ; le ſouverain en faiſant conſtruire de nouveaux magazins, les remplirait à meſure que ces bleds feroient à charge au cultivateur, & les ouvrirait lorſque le prix le feroit à ceux qui eu auraient beſoin.

Il ne faut pas douter, que la ſageſſe & l'affection paternelle du ſouverain ne trouve les moyens les plus convenables de parvenir à un but ſi néceſſaire & ſi digne de lui. Alors on ne doit pas craindre que le cultivateur, malgré ſes ſoins pour la culture des pommes de terre, ne pouſſe plus que jamais celle des bleds, pour peu qu'il connoiſſe ſes vrais intérêts, celles-là lui fournirent la nourriture, ſans qu'il ait ſujet de craindre qu'elle lui manque ; elle augmente ſes richeſſes au moyen du bétail, & de tout ce qu'il fournit : celui-ci lui donne de l'argent par la vente ; il épargnera des bleds dans ſon ménage autant que poſſible, pour en ramaſſer. Nous diſons qu'il ne doit jamais craindre de manquer de pommes de terre, qui réuſſiſſant du plus au moins, chaque année & dans tout terroir, & ce qui doit faire le plus d'impreſſion, eſt, qu'elles n'ont rien à riſquer de la grêle. On a beau donner tous ſes foins, à la culture d'un champ de froment, & le voie prêt à l'en recompenſer par une riche recolte, une grêle plus ou moins générale furvient, les eſpérances du cultivateur font ruinées, & il manque de nourriture. les pommes de terre n'en riſquent rien, elles font enfoncées dans la terre ; ſi la grêle ſurvient de bonne heure, les tiges renaiſſent ; vient-elle tard, il n'y a plus de mal, puiſqu'on les coupe ou on les foule exprès ; elles ſeules peuvent en pareils cas ſuppléer aux bleds. le n'héſite point à ſoutenir que dans cette derniere calamité publique, peut-être cinquante mille ſacs de bleds n'auroient pas remplacé les pommes de terre, donc on ſ'eſt nourri & on ſe nourrit encore. Le ſouverain n'ayant pu, malgré ſes ſoins, ſe procurer le ſecours néceſſaire, qu'en feroit-il arrivé, ſi on avoit encore manqué de cet aliment ? ſon cœur auroit ſaigné bien plus encore, en voyant une famine mortelle.

II n'y aura donc pas de négligence à craindre dans la culture des bleds, à moins que le cultivateur ne trouvât plus à les vendre, comme ceci eſt arrivé : j'ai vu la graine d'épautre aux environs de la Capitale, [comptée de même valeur que le froment] à raiſon de L. 5. la coupe d'ici ; en d'autres endroits, à L. 4. ſans même pouvoir en vendre ; alors il ne ſ'empreſſera plus à ſ'appliquer à une denrée qui n'eſt plus néceſſaire pour ſon ménage, qu'il ne peut vendre ni en tirer de l'argent, qui ne lui cauſe qu'un travail en pure perte ; il ſ'appliquera à ce qui lui eſt probable pour lui & pour ſon bétail. Alors ſi des années calamiteuſes furviennent, la diſette ſe manifeſte fortement tout d'un coup ; mais tandis qu'il faura où on les lui achètera & payera, jamais il ne négligera les bleds.

Utilité generale des pommes de terre. Ce que nous venons de dire pourroit ſuffire ; nous y ajouterons pourtant encore quelques remarques.

Cette denrée augmente la population, ſoit directement, ſoit indirectement ; l'Auteur Anglois aſſure qu'en Irlande on voit ſortir de chaque miſerable cabane des enſans par trois, quatre, ou cinq couples ; ce qu'il ne peut attribuer qu'à la nourriture, laquelle, chez les adultes, n'eſt que les pommes de terre ; indirectement parce qu'il a été démontré que par cette culture, les vivres, pluſieurs denrées, des plus néceſſaires & agréables font multipliées preſque à l'infini, & que par-tout où une nourriture ſaine eſt en abondance & ne manque jamais, la population fera fleuriſſante ; par conſéquent tout l'Etat, d'autant plus que le travail que cette production exige, eſt tel, qu'il ne favorife rien moins que la fainéantiſe, & ſi l'appas du gain qui en réſulte, ne le déracine pas, on ne pourra plus eſpérer de l'extirper de même que ſes fuites ; pertes aſſez funeſtes à notre pays, où tant de ces frelons ne cherchent qu'à conſumer ce miel que les diligentes & actives ramaſſent ; chargent le ſouverain bienfaiſant, raviſſent les mènes aux véritables pauvres ; cette ſainéantiſe, dis-je, qui entraine à tous les vices, qui ruine le corps, l'ame, les bonnes mœurs ; enfin le bonheur, la liberté, la ſureté de tout un Etat. Si par ce moyen on pouvoit parvenir à déraciner, du moins en partie, ces maux qui gangrènent un Etat, cela ſuffiroit ſeul pour tout tenta:.

Que l'on jette les yeux entr'autres ſur ce que Bomare & Muſtel diſent de l'utilité extrême de cette culture, & combien ils la croyent digne de l'attention de tout Gouvernement; on verra que je ne ſuis pas le ſeul de cette opinion.

Utilité particuliere, pour les hommes. Je ne décrirai pas les diverſes manieres de les apprêter, chacun en uſe ſelon ſon goût. le dirai ſeulement, qu'on les broye dans une eſpéce de cylindre, avec un pilon, ſoit après les avoir bouillies ou fechées, on les mange cuites, à la main ſeules, ou avec du pain, de la viande, du fromage ; du pain, dont nous allons parler, on fait de la ſoupe, on ſ'en ſert comme de celui de bled ; on les fricaſſe avec du beure, on les rôtit ſous la cendre, on les mange en ſalade. Un Medecin célèbre, aſſure dans un ouvrage, que cette ſalade, ſoit pommes de terre avec du vinaigre, eſt le remede le plus efficace contre cette dyſſenterie épidemique, qui eſt fort accompagnée de putridité. Enfin on en fait un uſage ſi général, ſi multiplié, que dans bien des pays on ne peut plus ſ'en paſſer, & on la regarde comme une manne

Le pain de bled étant regardé comme la nourriture la plus excellente & la plus néceſſàire, il faut parler un peu amplement de celui des pommes de terre ; on en fait, auſſi bien que des gâteaux, de pure farine de pommes de terre, & cela dans des contrées de la Suiſſe, où les bleds étant rares, on ſe paſſe aiſément de ceux-ci : on fait ſecher ces fruits, après les avoir coupés par tranches, & on les paſſe au moulin ; on n'a pas même beſoin de les peler, parce qu'on en peut féparer le ſon & en faire uſage comme de celui du froment &c., en le blutant. le parlerai plutôt de celui qu'on fait en unifiant ces deux alimens rivaux ; & comme Muſtel eſt celui qui en parle le mieux, je vais en tranſcrire tout le paſſage, en l'accompagnant cependant de mes réflexions.

Ma méthode, en épargnant les inconvéniens de la deſſication, les frais & les embarras du moulin, me donne le produit des pommes de terre, ſans rien perdre de leur fraicheur & de leur ſuc; elle conſiſte à reduire ces pommes en bouillie : je m'étois ſervi d'abord d'une rape à ſucre ; mais conſiderant que ce moyen occaſionoit une grande perte de temps & de matiere, voici la machine que j'ai inventée.

C'eſt une eſpéce de varlope renverſée, portée ſur quatre pieds, telle que celle des tonneliers, qu'ils appellent colombe; le fût a ſix pouces de largeur, ſur trois à quatre pieds de longueur & trois à quatre pouces d'épaiſſeur ; le fer doit avoir quatre pouces ſix lignes de largeur, placé comme tous les fers de van lope ordinaire, mais un peu moins incliné, il laiſſe neuf lignes de bois de chaque côté ; la lumiere, c’eſt-à-dire, l’eſpace vuide entre le fer & le bois ne doit avoir que deux à trois lignes.

Sur cette varlope on met une eſpéce de petit coffre ſans fonds, de la même largeur que le fût, de quinze à ſeize pouces de longueur, & de huit à neuf pouces de hauteur : les planches d’aſſemblage de ce petit coffre ne doivent avoir que huit lignes d’épaiſſeur, c’eſt-à-dire, un peu moins que le plein du fût de chaque côté du fer ; ſur chaque côté long de ce coffre eſt clouée exterieurement une planche qui déborde en deſſous de douze à quinze lignes. Ces planches ſervent à embraſſer la colombe, & à aſſurer ainſi la direction du coffre, lorſqu’on le met en mouvement ; & pour la mieux aſſurer encore il eſt bon d’attacher vers le milieu de ces planches, dans toute leur longueur, une petite tringle de quatre à cinq lignes de largeur & de même épaiſſeur ; cette tringle engagée, mais librement, dans une rainure de pareille largeur & profondeur, pratiquée dans le fût de chaque côté, tient toujours le coffre fixé ſur la colombe, & l’empêche de ſe déranger en travaillant : un bout de cette colombe forme une ſellette ſur laquelle le travailleur s’aſſeoit comme à cheval, ce qui rend l’operation plus commode, & ſert encore à mieux aſſurer la poſition de cette ſellette. On rempli à peu près aux trois quarts ce coffre de pommes de terre que l’on a pelées auparavant, & on les couvre d’une planche un peu peſante & moins grande en tous ſens que l’interieur du coffre.

Pour donner le poids néceſſaire à cette planche, on la ſurcharge de plomb, elle doit être percée de pluſieurs trous, pour laiſſer paſſage à l’eau que l’on verſe de temps en temps ſur les pommes, pendant l’operation pour la faciliter.

Au moyen de deux chevilles, ou mains placées de chaque côté du coffre, on l’agite, en pouſſant en avant & retirant à ſoi : la planche qui péſe ſur les pommes contenues dans ce coffre les aſſujettit au fer, & ce qui s’en trouve grugé à chaque coup de main, tombe par la lumiere en bouillie fine que reçoit un vaſe placé deſſous.

La planche baiſſe à meſure que le volume des pommes diminue, & l’on n’attend pas qu’il n’en reſte plus dans le coffre pour le remplir ; ce que l’on fait ſucceſſivement juſqu’à-ce que l’on ait préparé la quantité dont on a beſoin. Ce travail n’eſt ni long ni pénible.

J’ai dit que l’on pèle les pommes de terre avant que de les raper, c’eſt afin que le pain ſoit plus blanc & plus délicat ; mais cette attention n’eſt pas abſolument néceſſaire. Il n’en réſulteroit jamais la même difference qu’il y a du pain blanc au pain bis de froment ; car la proportion de l’épiderme à la pulpe de cette groſſe racine, n’eſt pas à beaucoup près la même que celle de l’écorce d’un grain de bled au peu de farine qu’il y eſt contenu. Si l’on vouloit faire une grande quantité de ce pain & qu’on n’y recherchât pas une blancheur & une délicateſſe extrême, on épargneroit le temps & la peine de cette operation, qui d’ailleurs ne peut ſe faire ſans perte. Il n’eſt pas plus néceſſaire de faire cuire les pommes ; étant rapées toutes crues le pain n’en eſt pas moins bon : j’ai même remarqué que la bouillie faite de ces pommes fraîches ne s’incorpore que mieux avec la farine de froment On y joint telle quantité que l’on veut de cette farine, ſelon l’abondance ou la rareté du bled, & le plus ou moins de qualité que l’on veut donner à ce pain.

Avec un tiers de farine & deux tiers de pommes de terre, on fait du pain très mangeable ; à parties égales, le pain eſt bon ; & ſi l’on met deux tiers de farine ſur un tiers de pommes, le pain eſt tel qu’il eſt difficile de s’appercevoir qu’il n’eſt pas de pur froment, Ce melange étant fait, on pétrit avec du levain ordinaire, & en même quantité que l’on a accoutumé d’en mettre : il faut peu d’eau, puiſque cette bouillie en contient preſque autant qu’il eſt néceſſaire. Cette pâte lève très bien ; on en fait des pains plus ou moins grands que l’on met cuire au four à l’ordinaire, obſervant de ne le pas tant chauffer.

Ayant mangé de ce pain, où il étoit entré un quart de pommes de terre, que le trouvai excellent, j’ai remarqué dans celui qui étoit tout frais, un petite humidité un peu gluante, qui provenoit des pommes de terre ; j’en ai conclu facilement que c’étoit ce qui conſervoit long-temps ce pain frais, & ne permettoit pas qu’il ſe ſéchât ſi promptement que celui de pur froment, qui en manquoit ; tout comme on voit la même choſe, à proportion, dans le pain de ſeigle & de meſſel.

Un trop grand degré de chaleur bruleroit ce pain, ou tout au moins le rendroit noir à l’exterieur, quoique l’interieur n’en fut pas moins blanc ; il ſe fait une tranſſudation conſiderable ſur la ſurface, qui étant frappée d’une grande chaleur, la noirciroit : comme d’ailleurs ce pain n’exige pas une ſi forte cuiſſon, il faut moins chauffer le four, & c’eſt encore une économie.

Avec cette attention, on aura de fort beau pain, qui ne differera point en apparence du pain de froment ; il est léger, très blanc, & de bon goût. La groſſe farine qui ne donneroit que du pain bis, étant mêlée avec les pommes de terre, donne du pain plus blanc, qui a l’avantage de ſe conſerver frais bien plus longtemps que le pain de froment. J’en ai gardé pendant quinze jours, il étoit encore bien mangeable, & tel que ſeroit le pain ordinaire après cinq ou ſix jours de cuiſſon. On peut s’en ſervir de même dans le potage.

Ceux qui connoiſſent les bonnes qualités de la pomme de terre, ne peuvent douter que ce pain ne ſoit très ſain. De quelle reſſources ne ſeroit-il pas dans les temps de diſette ? & pourquoi n’en feroit-on pas toujours uſage dans les campagnes ; les Communautés peu riches, les hôpitaux, &c., où l’on ne mange ſouvent que du pain de mauvais grains ?

Remarque. M. après avoir parlé de la deſſication des pommes de terre, pour faire le pain, y préfere ſa méthode. Je crois qu’en effet elle vaut mieux par certains endroits ; que le pain en devient plus blanc, plus délicat ; mais lorſqu’on en veut cuire en grande quantité, cela prendroit trop de temps, & ceux qui font accoutumés au pain de petites graines n’y perdront rien, ſur-tout ſi on melange les deux farines.

Je ne diſconviens pas, qu’en outre ce pain de pommes de terre, rapées ſur la varlope, n’ait encore deux avantages ; que le ſuc ſervant en partie d’eau pour pétrir ; lui donne plus de goût & le rend plus nourriſſant, parce que ce ſuc doit contenir bien des particules nutritives, qui peuvent s’évaporer par le deſſéchement au four.

Sa varlope eſt très bien imaginée ; c’eſt la même machine que celle dont on ſe ſert dans notre pays & en Allemagne, pour couper les choux dont on fait la compote, & dont les Alſaciens, ſur-tout de Strasbourg, font un commerce conſiderable, en en envoyant, ſous le nom Allemand de ſaurkraut, des milliers de Barils à Paris & ailleurs ; apparemment que quelqu’une de ces varlopes y ayant paru, elle aura donné l’idée de celle-ci.

L’article de la tranſſudation mérite attention. M. veut qu’on n’échauffe pas trop fort pour empêcher la croute de ſe bruler ; un autre conſeille le contraire, pour mieux faire lever la pâte plus peſante que celle de la farine de bleds. Si le fait que M. allégue eſt vrai, je l’attribue à ce ſuc un peu glutineux des pommes de terre, qui par la chaleur eſt pouſſé juſques vers la ſurface, & ne peut plus ſe diſſiper en vapeurs aqueuſes, formant une eſpéce de vernis, qui ſe charbonne ; en ce cas, le deſſéchement ordinaire, en faiſant de la farine au moulin, ſeroit préferable.

Ce ſuc étant glutineux, par conſéquent rempli de parties plus épaiſſes & materielles, & en ſi grande quantité, auſſi tôt qu’elles parviennent à la ſurface, au lieu de s’évaporer comme l’eau, ſe trouvent condenſées par la chaleur interieure & par l’exterieure qui s’y rencontrent ; la croute devient plus épaiſſe, & celle provenant de ce ſuc, plus ſubtile que celle de la pâte ſoit farine, ſe brule plus aiſément & plus promptement. C’eſt un inconvénient qui provient de la trop grande abondance de ce ſuc.

Par contre je ſuis de ſon avis, qu’une bouillie faite avec des pommes crues, vaut infiniment mieux que de celles qui ſont cuites ; on a déja remarqué, qu’en les apprêtant, il faut les laiſſer approcher plus de la crudité que de la trop forte cuiſſon, qu’elles ſont plus agréables, plus délicates, plus ſaines même, que lorſqu’elles ſont trop cuites Au reſte l’expérience ſera la maitreſſe la plus ſûre pour apprendre la meilleure méthode de faire le pain.

On en fait de bon amidon. J’ai été aſſez curieux d’en faire l’experience, il y a près de quarante ans, & le ſuccès a été à ma ſatiſfaction, excepté pour la poudre à poudrer, étant trop peſant pour cet uſage ; c’eſt ce même amidon que Mr. le C. de Mnitzech décrit : il la donne pour une farine préferable pour tout uſage, en tout met delicat, en blancheur, en fineſſe, en goût, à la fleur de farine ordinaire, & qui ſe garde huit à dix ans.

Chacun ſait de quelle utilité elles ſont pour l’engrais des cochons ; il en eſt de même des moutons, toujours avec la même diverſité d’opinion, ſi on doit les employer crues ou bouillies ; je crois qu’il convient d’alterner.

Quant à la volaille, il n’y en a aucune eſpéce qu’on ne puiſſe engraiſſer auſſi bien qu’avec des bleds, oyes & canards, crues, quelquefois bouillies ; les autres, dindons, chapons, pigeons, bouillies & broyées, les oyes s’en trouvent à merveille. Autrefois les engraiſſeuſes, pour épargner l’avoine, la remplaçoient avec des raves, la chair en contractait un goût abominable ; elles perdoient leur pratique ; en y ſubſtituant les pommes de terre, cet inconvénient ceſſa, & le profit leur reſta. Les poiſſons & les écreviſſes dans les reſervoirs s’en engraiſſent en leur en jettant des cuites entieres. Nous avons déja parlé de l’uſage avantageux qu’on fait de l’herbe, ſoit montans des pommes de terre.

Objections particulieres. Après avoir répondu ci-deſſus aux générales, examinons à préſent les particulieres, ſi elles ſont mieux fondées.

Cherchant d’approfondir cette matiere autant que poſſible, je me ſuis informé auprès de pluſieurs perſonnes, ſi quelqu’un avoit quelque choſe à dire contre les pommes de terre ? J’ai ramaſſé les points ſuivants :

1°. Qu’étant une eſpéce de ſolanum morelle, claſſe toute venimeuſe du plus au moins, la pomme de terre devoit auſſi participer à cette qualité, ou du moins être très mal ſaine : je repliquai par un autre exemple. Le napel eſt un fort poiſon, on le crut même autrefois réſiſter à tous les antidotes, excepté à l’anti-napel, qui non-ſeulement eſt de la même claſſe des aconits, mais preſqu’entierement reſſemblant au napel, par les feuilles & encore plus à cette eſpéce par la fleur ; cependant c’en eſt, dis-je, l’antidote.

2°. Un homme aſſuroit, ſur ce qu’il avoit apperçu de brillant dans la farine des pommes de terre, que c’étoit de l’arſenic, ſans autre preuve. Quoique cette aſſertion me parut ridicule, je demandai à un Chimiſte, ce qu’il en avoit trouvé, par une analyſe ; il dit, qu’il ne s’y trouvoit ni arſenic, ni même d’aucune autre eſpéce de ſel ; que ce brillant provenoit de quelques particules reſineuſes, qu’il y avoit trouvé pour l’eſſentiel, à peu près la même ſubſtance qu’au mays, ou bled d’Inde, & rien de mal ſain, encore moins de venimeux.

3°. Que des bêtes ruminantes, engraiſſées avec des pommes de terre, et étoient peries ſubitement, ayant perdu la faculté de ruminer.

Je compris d’abord que cet effet devoit avoir été cauſé par un empêchement materiel, externe, & non par quelque poiſon introduit dans le ſang ; cependant ne connoiſſant rien à l’anatomie des bêtes, ni à leurs maladies, j’en conſultai deux élèves de l’écôle Vétérinaire de Lyon, & leur expoſai mes idées ; j'étois ſurpris de voir qu'ils les approuvoient : ils diſoient, comme le l'avois cru, que dans cette partie de l'eſtomac il y avoit des plis &c., qui ſe rempliſſoient par la trop grande quantité de cette nourriture ſolide, en pâte ou en bouillie ; que le mouvement faiſant la fonction d'un ſoufflet, ſe trouvoit gêné par la contraction, des fibres, & ne pouvoit faire une heureuſe elaboration de cet aliment ; que cette action empêchée entrainoit la mort ; que d'ailleurs il en arrivoit comme avec d'autres alimens trop nourriſſans, donnés en trop grande quantité, comme treffle, ſainfoin &c. qui pris avec moderation, n'étoient pas mal ſains ; que cet accident doit ſurement provenir de la trop grande quantité plutôt que de la qualité, qu'ils regardent comme des plus excellentes ; que l'herbe l'étoit de même ; que pour les pommes, il faudroit les bouillir, les bien broyer, & délayer avec de l'eau ; qu'alors on peut les donner utilement à toutes eſpéces d'animaux : qu'il faut ſur-tout ſe garder de les leur donner entieres avec la peau, puiſque ces bêtes ne pouvant les digerer, il ſ'en formoit des pelotes, qui ſouvent les faiſoient mourir ſubitement par un gonflement &c. qu'il faudroit ſouvent mêler juſqu'à une once de nître [au cas qu'elles fuſſent actuellement en danger] & dans le breuvage ci-deſſus, de temps en temps quelques pincées.

Il y a déja eu d'autres Auteurs, qui en ont raifbnné comme moi, & conſeillé de donner à la fois de ces pommes cuites, & entre deux fois quelque fois, apparemment pour nétoyer l’eſtomac & y ranimer la faculté de ruminer.

4°. Qu’à ceux qui ne ſe nourriſſoient pendant tout l’hyver que de pommes de terre, prenant peu d’exercice, on remarquoit contre le printemps un teint pâle & blême, qui diſparoiſſoit en Eté : je remarquai d’abord, que, le fait portoit d’abord ſa ſolution. Les pommes de terre ſont d’une digeſtion difficile, en s’en empliſſant ſans moderation, & ſans prendre d’exercice, c’eſt pourquoi en reprenant celui-ci, tout diſparoiſſoit, Il y a vingt ans, que dans un village de mon reſſort, un homme & une femme, par épargne, ne ſe nourriſſoient que de pain de pures geſſes ; ils en devinrent paralitiques, à paſſer toute leur vie au lit ; les geſſes ne ſont pourtant qu’indigeſtes & non venimeuſes

En général on donne les pommes de terre pour difficiles à digerer, ſans diſtinguer : l’uſage immoderé des alimens regardés comme les plus ſains, eſt dangereux, & à la longue, mortel : d’autres qui les regardent comme favorables aux eſtomacs foibles, ne diſtinguent pas non plus ; les pommes de terre, contiennent beaucoup d’acides, nombre d’eſtomacs foibles en manquent ; elles peuvent donc leur être ſalutaires, priſes avec moderation. Un très célèbre Medecin les a conſeillées à une perſonne qui a un eſtomac foible, contre les douleurs des nerfs ; il les auroit peut-être deffendues à une autre qui l’auroit eu fort ; tant les conſtitutions & les circonſtances ſont differentes : il ſuffit qu'elle ſoyent ſaines. Ce que nous avons dit des Iralandis, & le témoignage de tant de milliers de perſonnes, n'en laiſſent pas douter. Un Ecrivain dit, dans une feuille périodique, que les Irlandois jouiſſent d'une ſanté, ſans être ſujets au ſcorbut & autres maladies, que ceux qui mangent ailleurs un pain groſſier, éprouvent. Il ne peut l'attribuer qu'aux pommes de terre, qui ſont leur nourriture unique.

Deffauts. Il n'y a rien ſous le ciel qui n'en ait ; encore ceux qu'on leur attribue leur ſont pouer la plu part communs avec d'autres plantes.

Il y a des pommes de terre creuſes, avons-nous dit, qu'on peut en couper la tare, & s'en servir également.

La brulure, une eſpéce de gangrène, les rend quelquefois mauvaiſes ; ce n'eſt que dans les années & places fort ſeches, ou par trop de fumier, ou trop chaud ; dans une année tempérée on n'en verra pas.

Les hannetons, les chryſalides, nommés vercoi ou ver de bled, parce qu'ilss'attaquent le plus aux bleds, y font auſſi du mal certaines années, mais le ravage n'y eſt pas à beaucoup près auſſi conſiderable que vis-à-vis d'autres plantes, qui ſouvent en ſont entierement détruites, au lieu que le volume des pommes de terre eſt conſiderable, la diminution ne l'eſt pas ; d'ailleurs ce dégât même en prouve la ſalubrité ; tous ces inſectes n'attaquant rien que ce qui forme une nourriture ſaine.

L'acide qu'on attribue aux pommes de terre eſt encore un deffaut dont on les accuſe ; Cependant, quoique l'uſage immodéré puiſſe le rendre mal ſain, cet acide n'eſt pas un deffaut : ſi tous les alimens en manquoient, la ſanté s'en trouveroit mal. Il s'agit toujours de tant de circonſtances, qu'on ne peut conſeiller, ni deffendre un aliment ſans aucune reſtriction.

Enfin en examinant tout ſans prévention, & ſous toutes les formes, on trouvera qu'il n'y a aucune plante pour aliment, à qui on puiſſe attribuer moins de deffauts,

Faisons une eſpéce d'application à tout ce que nous venons de déduire.

On conſeille cette culture pour ſatiſfaire aux beſoins de la nourriture, & pour les prévenir. Cela doit donc regarder principalement les gens mal aiſés & pauvres, qui on peu ou point de reſſources. Où prendront-ils le terain néceſſaire pour planter ? Ou l'engrais pour rendre cette cultur auſſi utile que poſſible ?

Ces deux queſtions méritent l'attention la plus ſcrupuleuſe. Si le général des cultivateurs parmi le peuple ne s'aveugloit pas tant ſur leur propre intérêt ; s'ils ſongeoient, qu'un arpent tant ſoit peu cultivé, rapporte plus que dix & que vingt, & en pomme de terre, autant que quarante ou cinquante qui ſont en friches ; que comme en Irlande & ailleurs, après en avoir tiré un produit incomparable, ils en feroient de bons champs pour les bleds ; d'excellens prez même pour une quantité de fourage, dont on manque, & au moyen duquel on nourriroit plus facilement quatre ou ſix bêtes à corne à l'écurie, qui ſeroient plus ſaines, plus vigourreuſes ; les vaches reuſes ; les vaches donnant plus de lait que celles qu’actuellement paiſſent en mauvais pâturages ; qu’ils quadrupleroient le fumier dans les courtines au moyen de ce bétail, & en conſervant celui qui ſe perd au pâturage ſans l’améliorer, ſur-tout en Eté, où un char tiré de l’écurie, & provenant de l’herbe verte, vaut autant que deux faits en hyver ; que ces augmentations de bétail, de fourage, de fumier, de productions de la terre, allant par une circulation néceſſaire toujours plus en augmentant, les mettraient tous, s’ils ne craignent pas la peine, à leur aiſe & au-delà. Il ne ſeroit pas néceſſaire d’élever cette queſtion. Il faut pourtant eſpérer, que les grands, que les heureux ſuccès qu’ont éprouvé les Communes, qui ont ſuivi cette ſage méthode, les excitera à vouloir jouir du même bonheur ; comme entr’autres les colons du Canton de Zurich, où tout a pris la face la plus riante, au moyen d’un emploi convenable des Communs.

En attendant je leur préſenterai une autre réflexion,

Lorſque les Communes ont acquis ces terrains, ſoit par la bénéficence de leurs ſupérieurs, ſoit, ce qui eſt plus rare, de leurs propres deniers, à quoi viſoit-on ? d’être en état de pourvoir aux beſoins de la Commune, & de chacun de ſes membres. Quel en eſt le plus fort, le plus indiſpenſable ? La nourriture. Qui en a le plus de beſoin, de tous ceux qui comme Communiers ont droit d’y participer ? Sans doute les pauvres, qui n’ont d’autre moyen de ſe la procurer, étant ou trop vieux, ou trop infirmes, trop jeunes, eſtropiés, ou qui ſouhaitant de gagner leur vie par le travail, ne trouvent pas à s’occuper utilement, ſur-tout en hyver, ſaiſon pendant laquelle il leur faut également de la nourriture. Si tout ceci ne ſauroit être nié, il faudroit avoir renoncé à l’eſſence de la religion, à tout ſentiment d’humanité, ſi on vouloit fermer ſon cœur aux cris douloureux de ces objets ſi dignes de pitié, & ne pas rechercher de pareils moyens ; je ne dirai pas, poſſibles, mais faciles, qui ſe préſentent d’eux-mêmes, de les ſoulager.

Si on s’opiniâtroit à ne pas vouloir faire un arrangement général, que du moins on employe une partie de ce fond commun pour un but ſi ſaint, à tirer de la détreſſe, ces objets de compaſſion qui en ſont communiers, ſoit en aſſignant à chacun une portion convenable, & telle qu’il lui faut, pour, en la cultivant, remédier à ſes beſoins ; ſoit, ſi on croyoit, que, faute d’engrais, ou de la ligueur convenable à ce travail, ils n’en puiſſent tirer tout l’avantage qu’on en devroit eſpérer, la Commune fit défricher une ou plusieurs piéces, la fumer & la travailler à ſes frais, en y employant ces mêmes pauvres entant qu’ils ſeroient en force de le faire ; néanmoins en leur payant leur ſalaire, puiſqu’ils doivent avoir dequoi vivre pendant ce temps ; qu’en ne le faiſant pas, ils en ſeroient revoltés, & les uns fortitifiés dans leur goût pour la fainéantiſe ; on diſtribueroit alors à l’approche de l’hyver ce qu’il leur faut pour leur nourriture, en divers en pommes de terre., en excluant les ſainéans : Qui ne travaille pas, ne doit pas manger. Les Communes ne ſauroient aſſez veiller à de pareilles gens, qui vivans dans l'oiſiveté & les vices, y élèvent leurs enfans, en perpétuent la race, en augmentent le nombre, en en attirant d'autres par leurs mauvais exemples ; gangrène qui gagne inſenſiblement, & énerve tout le corps.

Par un de ces moyens, on parviendra à toutes les parties de ce but ſalutaire ; les pauvres ſeront nourris, la mendicité ceſſera, ou diminuera ; les particuliers ne ſeront plus tant importunés ; les Communes, qui doivent pourvoir à pareils beſoins, d'une maniere ou d'autre, conſiderablement déchargées, & les fainéans obligés au travail. J'en ai vu l'expérience & la difference parmi celles qui agiſſoient differemment.

Il y a des particuliers qui dorment des pièces à cultiver à des pauvres ; quand même ils n'en prendraient aucune retribution en moitereſſe ; ce qui n'eſt pas juſte, s'ils n'y fourniſſent point de fumier, iis y gagneroient conſiderablement : dans l'année de jachere ils n'en tirent rien, & on les leur rend prêtes à recevoir la ſemence, ſans qu'il leur en coute de la peine.

Si on entreprenoit pareilles inſtitutions, il ferait néceſſaire d'établir des infpecteurs charitables & vigilans en même temps, pour examiner d'un côté les beſoins réels & non mérités, & les ſoulager ; d'un autre en exclure les mendians volontaires, comme auſſi de tâcher de fournir de l'ouvrage des fabriques ou auſſi, pendant la ſaiſon morte, à ceux qui ne demandent pas mieux que de gagner leur vie par le travail.

Il faut encore engager ceux qui poſſedent quelque cabane, dont il n'y a aucune qui n'ait quelque terrain, ſi peu que ce ſoit, d'en cultiver chaque pas, chaque pied, où il y a ſouvent des buiſſons, des ronces, des vieilles hayes, de mauvaiſes herbes; tout ceci peut être mis en valeur par les pommes de terre ; la perſonne la moins propre au travail, peut s'amuſer d'une occupation ſi légere, & jouïr de la ſatisfaction d'en recueillir quelques paniers de pommes de terre, pour ſa proviſion d'hyver.

Venons à l'engrais. Par-tout à la campagne, que j'aye eu du fumier en petite ou en grande quantité, je n'ai point négligé de l'augmenter de la maniere ſuivante.

On fait une ou pluſieurs foſſes, proportionnées à la quantité de materiaux que l'on compte pouvoir y employer, en lieu ſec, qu'il faudroit couvrir par le motif ci-après énoncé; ceux qui n'ont pas des planches, paille, &c. à y employer, peuvent ſe ſervir de branches d'arbres ou arbriſſeaux, ſur-tout de ſapin: quand même il faut renouveller cette operation chaque année, on ne doit pas en regretter la peine, les feuilles ou piquants, qui en tombent, augmentent l'engrais, & les branches ſeches fourniſſent quelque bois à la cuiſine; ſi ceci paroiſſoit donner encore trop de peine, il faudroit du moins tâcher d'adoſſer cette foſſe, contre quelque maiſon, &c. du côté du vent, pour la garantir des pluyes fortes & abondantes.

On remplira peu à peu ces foſſes de tout ce qu'on peut ramaſſer de putreſcible, ou des choſes qui peuvent agir par la fermentation ; mauvaiſes herbes des jardins, de celles encore plus mauvaiſes, ſouvent venimeuſes & âcres, d'autant plus propres à cet uſage, qu'elles contiennent plus de ſels, & qu'on trouve en quantité le long des chemins & dans des terrains incultes ; des feuilles molles, [non de chêne ou de hêtre] le rebut de ce qu'on confume dans le ménage ; tous les animaux & leurs parties, le ſang, les lies de vin diſtillées; le marc de raiſins, ſuye, branches d'arbres menues & hachées, ſur-tout des lapins, cendres leſſivées ou non ; tout ce qu'on peut ramaffer autour & dans la maiſon ; bref tout ce qui peut ſe conſumer & changer de nature par la pourriture ou fermentation, comme il eſt dit ci-deſſus,

Dans ces foſſes il faut jetter par couche de la terre, ſoit celle qu'on en a tirée, ſoit d'autre, auſſi bonne que poſſible, ou celle que l'on peut ſe procurer, pourvû que ce ſoit de la terre & non des pierres, ce qui, avec les autres materiaux deſignés ci-deſſus, & ſur-tout, les arroſemens d'urine, augmentera la maſſe d'un engrais excellent, ſur-tout pour les pommes de terre. Voilà pour le ſolide.

Voici le liquide. Toute urine eſt tellement ſuperieure à tout autre engrais, qu'on peut la nommer la quinteſſence, au point que ceux qui en connoiſſent l'effet & la valeur, donneroient volontiers trois ou quatre chars de fumier, contre une boſſette d'égoût des écuries, ſurtout des vaches des brebis & des cochons, au lieu que cet engrais précieux eſt ſi à charge à la plus grande partie des habitans de ce pays qu'ils le font écouler dans les chemins, pour s'en débaraſſer ; de crainte apparemment que leurs terres, ſouvent ſi ſteriles, n'en ſoyent fécondées, reduits en prez, ou rendus propres aux productions les plus abondantes.

Si l'on veut les ramaſſer dans des reſervoirs; tels que j'ai fait faire, & les mener par boſſettes ſur les terrains qu'on veut améliorer, on en verra l'effet ; il faut pourtant avertir que cet ouvrage doit ſe faire pendant l'hyver, ou, ſi c'eſt en Eté, lorſque la quantité n'eſt pas ſi grande, ſoit parce que les vaches des riches ſont pour la plupart à la montagne, ſoit parce que cet égoût des autres ſe perd avec le fumier ſur les pâturages, il faut le mêler avec de l'eau, & l'y conduire pendant ou avant une pluye; les ſels fertiliſants y font ſi forts, qu'ils bruleroient ſoit l'herbe, ſoit autres productions. c'eſt ſur-tout pour les pommes de terre qu'il faut, ou s'en ſervir pour préparer la terre avant l'hyver, ou délayé avec beaucoup d'eau, pour les en arroſer lorſqu'elles ſont ſorties de terre, avant qu'on les butte pour la premiere fois.

Il y a peu de gens de la campagne qui n'ayent, ſinon une vache, du moins quelque brebis, cochons, chèvres, &c. ; qu'ils ayent donc un ſoin extrême de ces égoûts pour en arroſer les materiaux dans la foſſe ; les eaux des leſſives & autres, qui contiennent des ſels, font très bonnes, & ſi on n'a pas de bétail, qu'on ne néglige point l'urine que l'on peut ramaſſer dans la maiſon. dans la maiſon. On comprendra donc pourquoi j’ai fortement conſeillé de mettre cette foſſe à l’abri des fortes pluyes ; il pourroit en arriver de ſi abondantes & de ſi durables qu’elles rempliroient les foſſes, les feroient déborder & entraineroient une grande partie des ſels qui ſ’y ſeroient amaſſés & formés ; ce qui ſeroit une perte réelle & irréparable.

Après une année, on fait paſſer par un temps ſec tout ce qui ſe trouve dans la foſſe par une claye pas trop ſerrée ; s’il y a des materiaux pas tout-à-fait conſumés, il n’en ſera que mieux pour les pommes de terre, parce qu’ils entretiendront la terre qui les entoure, toujours légere, en même temps qu’ils leur fourniront l’engrais néceſſaire.

Si les gens mal à leur aiſe veulent, ſuivre cette inſtructon, il n’y en a point, qui s’y appliquant, ne puiſſe ramaſſer ſuffiſamment d’engrais pour une plantation aſſez conſiderable & ſuffiſante.

Si les préjugés, la pareſſe ou la négligence empêchent quelques cultivateurs & habitans de la campagne de profiter des avis que j’ai eu ſoin de rendre auſſi utiles que faciles, je me flatte que mon eſpérance & mon but ſe trouveront remplis, par le nombre beaucoup plus conſiderable de ceux qui, en les ſuivant, y trouveront un très grand avantage : c’eſt tout ce que he ſouhaite !

FIN.