Traité de la peinture (Cennini)/XXVII

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xxvii.00Comment tu dois t’appliquer à copier et dessiner d’après les
maîtres le plus que tu peux.

Maintenant il est temps d’aller en avant, pour que tu puisses mettre en œuvre ce que tu as acquis de science. Tu as fais tes papiers teintés ; ton métier est de suivre cette route-ci. Tu as consacré un certain temps au dessin sur tablettes, comme je te l’ai enseigné d’abord, romps-toi à dessiner les meilleures choses que tu pourras trouver sorties des mains des grands maîtres ; fais-en tes délices. Et si tu es dans un endroit où il y ait abondance de bons maîtres, tant mieux pour toi. Cependant je te donne ce conseil : choisis toujours le meilleur et celui qui a le plus de réputation ; et t’y attachant jour par jour, il serait contre nature que tu n’acquières pas quelque chose de sa manière et de ses allures. Tandis que si tu te portes à dessiner aujourd’hui celui-ci, demain celui-là, tu n’auras la manière ni de l’un ni de l’autre, et peut-être il t’en résultera un peu de bizarrerie, comme ayant l’esprit tiraillé par ces différentes façons : un jour tu voudras faire comme celui-ci, demain comme cet autre, et ainsi tu ne conduiras rien à perfection.

Si tu continues à ne suivre que les pas d’un seul, il faudra que ton intelligence soit bien grossière pour que tu n’en recueilles pas quelque nourriture, et alors il t’arrivera que la fantaisie que t’aura concédé la nature, une fois développée, te poussera à prendre une manière qui te sera propre et qui ne pourra qu’être bonne, parce que ta main et ton intelligence, accoutumées à cultiver des fleurs, ne sauraient recueillir des épines[1].

  1. Ce chapitre répand une grande lumière sur la condition de ces vieilles écoles où l’élève imitait toujours le maître ; et il n’est pas naturel qu’en le faisant on puisse éviter de prendre sa manière et s’en faire une propre. Léonard de Vinci, dans son Traité de la Peinture., ch. xxiv, condamne ce procédé, et dit qu’un peintre en suivant cette route pourra passer pour un neveu, mais jamais pour un fils de la nature.
    (Note du cav. Tambroni.)

    Je crois que la méthode de Cennino a eu l’avantage de conserver long-temps les grandes traditions sans étouffer les grandes individualités, telles que celles de Cimmabuë, des Giotto, Orcagna, Masaccio, etc., etc. Et peut-être est-ce encore un avantage d’annihiler et d’effacer les individualités médiocres, qui ont seules à craindre ce mode d’éducation. Le mot de Léonard est spirituel, mais il ne me parait pas d’aussi bon sens que le chapitre de Cennino. La culture doit être au profit des beaux produits et non des mauvaises herbes.

    ( V. Mottet.)