Traité de paix, signé à Andrinople, entre la Russie et la Turquie

La bibliothèque libre.
TRAITÉ DE PAIX,
SIGNÉ À ANDRINOPLE,
ENTRE LA RUSSIE ET LA TURQUIE.


Au nom du Dieu tout-puissant : S. M. I. le très-haut et très-puissant empereur et autocrate de toutes les Russies ; et Sa Hautesse, le très haut et très-puissant empereur des Ottomans, animés d’un désir égal de mettre un terme aux calamités de la guerre, et d’établir sur des bases solides et immuables la paix, l’amitié et la bonne harmonie entre leurs empires, ont résolu, d’un commun accord, de confier cette œuvre salutaire à… (Suivent les noms et les titres des différens plénipotentiaires des deux puissances.)

Art. 1er . Toute l’inimitié et tous les différends qui ont existé jusqu’à présent entre les deux empires, cesseront dès aujourd’hui sur terre comme sur mer et il y aura paix, amitié et bonne intelligence perpétuelles entre S. M. l’empereur et padischah de toutes les Russies, et S. H. le padischah des Ottomans, leurs héritiers et successeurs au trône, ainsi qu’entre leurs empires respectifs. Les deux hautes parties contractantes appliqueront leur attention particulière à prévenir tout ce qui pourrait faire renaître la mésintelligence entre leurs sujets respectifs. Elles exécuteront scrupuleusement toutes les conditions du présent traité de paix, et veilleront en même temps à ce qu’elles ne soient enfreintes en aucune manière, directement ou indirectement

ii. S. M. l’empereur et padischah de toutes les Russies, voulant donner à S. H. l’empereur et padischah des Ottomans un gage de la sincérité de ses dispositions amicales, rend à la Sublime Porte la principauté de la Moldavie avec toutes les frontières qu’elle possédait avant le commencement de la guerre à laquelle le présent traité met fin.

S. M. I. rend aussi la principauté de Valachie, le Banat de Crajova, la Bulgarie et la contrée de Dobridges, depuis le Danube jusqu’à la mer, y compris Silistrie, Hirsova, Matzia, Isaktga, Toulza, Babadaz, Bazardjik, Varna, Pravady et autres villes, bourgs et villages qui y sont contenus ; toute l’étendue du Balkan, depuis Emineh-Bournon jusqu’à Kazan, et toute la contrée depuis le Balkan jusqu’à la mer, avec Selimnea, Samboli, Aïdos, Karnabat Missenovica, Akchioli, Bourgas, Sizeboli, Kirk-Klissé, la ville d’Andrinople, Lule-Bourgas et toutes les villes, bourgs et villages, et en général toutes les places que les troupes russes ont occupées dans la Romélie.

iii. Le Pruth continuera à former la limite des deux empires, depuis le point où cette rivière touche au territoire de la Moldavie jusqu’à sa jonction avec le Danube. Depuis cet endroit, la ligne frontière suivra le cours du Danube jusqu’à la bouche du Saint-Georges, de telle sorte qu’elle laisse toutes les îles fermées par les différens bras de cette rivière, en la possession de la Russie ; la rive droite demeurera, comme auparavant, en la possession de la Porte Ottomane. Néanmoins il est convenu que cette rive droite restera inhabitée depuis le point où le bras du Saint-Georges se sépare de celui du Soulini, jusqu’à une distance de deux lieues de la rivière, et que nul établissement d’aucune espèce ne sera formé sur cette rivière ni sur les îles qui resteront soumises à la cour de Russie, et dans lesquelles, à l’exception des quarantaines qui pourront y être établies, il ne sera permis de former aucun autre établissement, ni de construire aucune nouvelle fortification. Les vaisseaux marchands des puissances auront la liberté de naviguer sur le Danube, dans tout son cours ; et ceux qui portent le pavillon ottoman pourront entrer librement dans les bouches du Keli et du Soulini ; celles du Saint-Georges restant communes aux vaisseaux de guerre et aux marchands des deux puissances contractantes. Mais les vaisseaux de guerre russes qui remonteront le Danube n’iront point au-delà du point de jonction de ce fleuve avec le Pruth.

iv. La Géorgie, l’Iméritie, la Mingrélie, le Gouriel, et plusieurs autres provinces du Caucase ayant été, depuis un grand nombre d’années, unies à perpétuité à l’empire de Russie, et cet empire ayant, en outre, par le traité conclu avec la Perse à Tourkmantchai le 10 février 1828, acquis les Khanats d’Erivan et de Nakchivan, les deux hautes puissances contractantes ont reconnu la nécessité d’établir entre leurs états respectifs, sur toute l’étendue de cette ligne, une frontière bien déterminée, capable de prévenir toute future discussion. Elles ont également pris en considération les moyens propres à opposer des obstacles insurmontables aux incursions et aux déprédations commises jusqu’à présent par les tribus des environs, et qui ont si souvent compromis les relations d’amitié et de bonne intelligence entre les deux empires. En conséquence, il a été convenu que l’on considérerait désormais comme la frontière entre les territoires de la cour impériale de Russie, et ceux de la Sublime Porte ottomane en Asie, la ligne qui, en suivant la limite actuelle du Gouriel, depuis la mer Noire, remonte jusqu’aux frontières de l’Iméritie, et de là dans la direction la plus droite, jusqu’au point où les frontières des pachaliks d’Akbaltzil et de Kars rencontrent celles de la Géorgie, laissant de cette manière au nord et dans l’intérieur de cette ligne la ville d’Akhaltzik et le fort de Knallnaliek à une distance d’environ deux heures.

Toutes les contrées situées au sud et à l’ouest de cette ligne de démarcation vers les pachaliks de Kars et de Trébizonde, ainsi que la majeure partie du pachalik d’Akhaltzik, resteront à perpétuité sous la domination de la Sublime Porte, tandis que ceux qui sont situés au nord et à l’est de ladite ligne vers la Géorgie, l’Iméritie et le Gouriel, ainsi que tout le littoral de la mer Noire, depuis la bouche du Kouben, jusqu’au port Saint-Nicolas inclusivement, resteront à perpétuité sous la domination de l’empereur de Russie. En conséquence, la cour impériale de Russie abandonne et rend à la Sublime Porte le reste du pachalik d’Akhaltzik, la ville et le pachalik de Kars, la ville et le pachalik de Bayazid, la ville et le pachalik d’Erzeroum, ainsi que toutes les places occupées par les troupes russes, et qui se trouvent hors de la ligne ci-dessus mentionnée.

v. Les principautés de Moldavie et de Valachie, s’étant placées, par une capitulation, sous la suzeraineté de la Sublime Porte, et la Russie leur ayant garanti leur prospérité, il est entendu qu’elles conserveront tous les priviléges et franchises qui leur ont été accordés en vertu de leur capitulation, soit par les traités conclus entre les deux cours impériales, ou par des hatti-schérifs rendus à diverses époques. En conséquence, elles jouiront du libre exercice de leur religion, d’une parfaite sécurité, d’une administration nationale et indépendante, et d’une entière liberté de commerce. Les clauses additionnelles aux précédentes stipulations, regardées comme nécessaires pour assurer à ces deux provinces la jouissance de leurs droits, seront inscrites dans l’acte séparé annexé au présent traité, et considérées comme formant partie intégrante dudit traité.

vi. Les événemens arrivés depuis la conclusion du traité d’Ackermann n’ayant pas permis à la Sublime Porte d’entreprendre immédiatement l’exécution des clauses de l’acte séparé relatif à la Servie, et annexé au cinquième article de ladite convention, la Sublime Porte s’engage, de la manière la plus solennelle, à les exécuter sans le moindre retard et avec la plus scrupuleuse exactitude, et à procéder en particulier à la restitution immédiate des six districts séparés de la Servie, de manière à assurer pour toujours la tranquillité et le bien-être de cette fidèle et obéissante nation. Le firman confirmé par le hatti-shérif qui ordonnera l’exécution des clauses susdites, sera délivré et communiqué à la cour impériale de Russie, dans l’espace d’un mois, à partir de la date de la signature du présent traité de paix.

vii. Les sujets russes jouiront, dans toute l’étendu de l’empire ottoman, sur terre comme sur mer, de la pleine et entière liberté du commerce, qui leur a été assurée par les anciens traités conclus entre les deux hautes puissances contractantes. Il ne sera commis aucune infraction à cette liberté, et elle ne pourra être paralysée dans aucun cas, ni sous aucun prétexte, par des prohibitions ou des restrictions, ni par des réglemens ou mesures, soit d’administration intérieure, soit de législation. Les sujets, vaisseaux et marchandises russes seront assurés contre toute violence et toute chicane. Les premiers seront placés sous la juridiction exclusive et la police des ministres et des consuls de Russie. Les vaisseaux russes ne seront soumis à aucune visite de la part des autorités ottomanes, soit en mer, soit dans les ports ou dans les passages maritimes dépendans de la Sublime Porte. Toutes les marchandises et articles quelconques de commerce appartenant à un sujet russe, après avoir payé à la douane les droits fixés par les tarifs, seront transportés librement et déposés à terre dans les magasins du propriétaire ou de son consignataire, ou transférés sur les vaisseaux de toute autre nation, sans que les sujets russes soient tenus d’en donner avis aux autorités locales, et encore moins de demander leur permission. Il est expressément convenu que tous les grains venant de Russie jouiront des mêmes privilèges, et que leur libre transit n’éprouvera jamais, sous aucun prétexte, ni obstacle, ni empêchement. La Sublime Porte s’engage en outre à veiller avec soin à ce que le commerce et la navigation de la mer Noire n’éprouvent de difficulté d’aucune espèce. À cet effet, la Sublime Porte reconnaît et déclare le passage du canal de Constantinople et du détroit des Dardanelles entièrement libre et ouvert aux vaisseaux russes sous pavillon marchand, chargés ou en lest, soit qu’ils viennent de la mer Noire pour aller dans la Méditerranée, soit que, revenant de la Méditerranée, ils veuillent rentrer dans la mer Noire. Ces vaisseaux, pourvu qu’ils soient des vaisseaux marchands, quels que puissent être d’ailleurs leur dimension et leur tonnage, ne seront, comme il a été stipulé plus haut, exposés à des difficultés ou des vexations d’aucun genre.

Les deux cours aviseront aux meilleurs moyens de prévenir tout délai dans la délivrance des lettres de passe nécessaires. En vertu du même principe, le passage du canal de Constantinople et du détroit des Dardanelles est déclaré libre et ouvert à tous les vaisseaux marchands des puissances en paix avec la Sublime Porte, soit qu’ils aillent dans les ports russes de la mer Noire ou qu’ils en reviennent, soit qu’ils aient ou n’aient point de chargement, le tout sous les mêmes conditions que celles stipulées pour les vaisseaux sous pavillon russe. Enfin, la Sublime Porte, reconnaissant à la cour impériale de Russie le droit d’obtenir des garanties pour cette pleine liberté de commerce et de navigation dans la mer Noire, déclare solennellement qu’elle ne mettra jamais, sous aucun prétexte quelconque, le moindre obstacle à l’exercice de cette liberté. Elle promet surtout de ne jamais se permettre à l’avenir d’arrêter ou détenir des vaisseaux chargés ou en lest, appartenant à la Russie ou à des nations avec lesquelles l’empire ottoman ne serait point dans un état de guerre déclarée, et qui traverseraient le canal de Constantinople et le détroit des Dardanelles pour se rendre de la mer Noire dans la mer Méditerranée ou de la Méditerranée dans les ports russes de la mer Noire. Et si, ce qu’à Dieu ne plaise ! il arrivait qu’une ou plusieurs des stipulations contenues au présent article fussent enfreintes, et que les réclamations du ministre russe à ce sujet n’obtinssent pas une pleine et prompte satisfaction, la Sublime Porte reconnaît, par avance, à la cour impériale de Russie le droit de regarder une telle infraction comme un acte d’hostilité, et d’user immédiatement de représailles contre l’empire ottoman.

viii. Les arrangemens stipulés par le sixième article de la convention d’Ackermann, dans le but de régler et de liquider les réclamations des sujets et négocians respectifs des deux empires, relativement à l’indemnité pour les pertes éprouvées à différentes époques, depuis l’année 1806, n’ayant point encore été exécutés, et le commerce russe ayant, depuis la conclusion de ladite convention, souffert de nouvelles et considérables injures en conséquence des mesures adoptées au sujet de la navigation du Bosphore, il est convenu que la Sublime Porte, en réparation de ces injures et de ces pertes, paiera à la cour impériale de Russie, dans le cours de dix-huit mois, aux époques qui seront ci-après déterminées, la somme de 1,500,000 ducats de Hollande (18,000,000 de francs), en sorte que le paiement de cette somme mettra un terme à toutes les réclamations ou prétentions réciproques de la part des deux puissances contractantes, au sujet des circonstances susdites.

ix. La prolongation de la guerre à laquelle le présent traité met heureusement fin, ayant occasionné à la cour impériale de Russie des dépenses considérables, la Sublime Porte reconnaît la nécessité de lui offrir une indemnité équivalente. À cet effet, indépendamment de la cession d’une petite portion de territoire en Asie, stipulée par le quatrième article, que la cour de Russie consent à recevoir comme partie de ladite indemnité, la Sublime Porte s’engage à payer à ladite cour une somme d’argent dont le montant sera réglé par une convention mutuelle.

x. La Sublime Porte, tout en déclarant son entière adhésion aux stipulations du traité conclu à Londres le 24 juin-6 juillet 1827 entre la Russie, la Grande-Bretagne et la France, adhère également à l’acte dressé le 10-22 mars 1829, d’un mutuel consentement, entre ces mêmes puissances, sur les bases dudit traité, et contenant les arrangemens de détails relatifs à son exécution définitive. Immédiatement après l’échange de la ratification du présent traité de paix, la Sublime Porte nommera des plénipotentiaires pour établir avec ceux de la cour impériale de Russie et des cours d’Angleterre et de France, l’exécution desdits arrangemens et stipulations.

xi. Immédiatement après la signature du présent traité de paix entre les deux empires, et l’échange des ratifications des deux souverains, la Sublime Porte prendra les mesures nécessaires à la prompte et scrupuleuse exécution des stipulations qu’il renferme, et particulièrement des troisième et quatrième articles, relatifs aux limites qui doivent séparer les deux empires, tant en Europe qu’en Asie ; et des cinquième et sixième articles, relatifs aux principautés de Valachie et de Moldavie et à la Servie ; et du moment où ces stipulations pourront être considérées comme ayant été remplies, la cour impériale de Russie procédera à l’évacuation du territoire de l’empire ottoman, conformément aux bases établies par un acte séparé qui fait partie intégrale du présent traité de paix. Jusqu’à la complète évacuation du territoire occupé par les troupes russes, l’administration et l’ordre de choses qui y sont établis maintenant, sous l’influence de la cour impériale de Russie, y seront maintenus, et la Porte Ottomane ne pourra s’en mêler en aucune manière.

xii. Immédiatement après la signature du présent traité de paix, il sera ordonné aux commandans des troupes respectives, tant sur terre que sur mer, de cesser les hostilités. Celles qui auraient lieu après la signature du présent traité seront considérées comme non avenues, et n’apporteront aucun changement aux stipulations qu’il contient. De la même manière, tout ce qui, dans cet intervalle, serait conquis par les troupes de l’une ou de l’autre des hautes puissances contractantes, sera restitué sans le moindre délai.

xiii. Les hautes puissances contractantes en rétablissant entre elles les relations d’une sincère amitié, accordent un pardon général et une pleine et entière amnistie à tous ceux de leurs sujets qui, durant le cours de la guerre heureusement terminée aujourd’hui, auraient pris part aux opérations militaires, ou manifesté, soit par leur conduite, soit par leurs opinions, leur attachement à l’une ou à l’autre des deux puissances contractantes. En conséquence, aucun de ces individus ne sera inquiété ou poursuivi, soit dans sa personne, soit dans ses biens, en raison de sa conduite passée, et chacun d’eux, en recouvrant les propriétés qu’il possédait auparavant, en jouira paisiblement sous la protection des lois, ou sera libre, d’ici à dix-huit mois, d’en disposer pour se transporter avec sa famille, ses biens, ses meubles, etc., partout où il voudra, sans éprouver de vexations ni d’obstacles d’aucun genre.

Il sera en outre accordé aux sujets respectifs des deux puissances établies dans les territoires restitués à la Sublime Porte ou cédés à la cour impériale de Russie, le même terme de dix-huit mois, à partir de l’échange des ratifications du présent traité de paix, pour disposer, si elles le jugent convenable, de leurs biens acquis, soit avant, soit depuis la guerre, et se retirer, avec leurs capitaux, leurs biens, leurs meubles, etc., des états de l’une des puissances contractantes dans ceux de l’autre, et réciproquement.

xiv. Tous les prisonniers de guerre, de quelque nation, condition ou sexe qu’ils soient, qui sont dans les deux empires, devront immédiatement après l’échange des ratifications du présent traité de paix, être mis en liberté et rendus sans la moindre rançon ou paiement, à l’exception toutefois des chrétiens qui, de leur propre et libre volonté ont embrassé la religion mahométane dans les états de la Sublime Porte, ou des mahométans qui, aussi de leur propre et libre volonté, ont embrassé la religion chrétienne dans le territoire de l’empire russe.

La même conduite sera adoptée envers les sujets russes qui, après la signature du présent traité de paix, seraient, d’une manière quelconque, tombés en captivité, et trouvés dans les états de la Sublime Porte.

La cour impériale de Russie promet de son côté de se conduire de la même manière envers les sujets de la Sublime Porte. Il ne sera requis aucune indemnité pour les sommes qui ont été appliquées par les deux hautes puissances contractantes à l’entretien des prisonniers. Chacune d’elles fournira aux prisonniers tout ce qui leur sera nécessaire pour voyager jusqu’aux frontières, où ils seront échangés par des commissaires nommés des deux côtés.

xv. Tous les traités, conventions et stipulations, conclus à différentes époques entre la cour impériale de Russie et la Porte ottomane, à l’exception de ceux qui ont été annulés par le présent traité de paix, sont confirmés dans toute leur force et teneur, et les deux hautes puissances contractantes s’engagent à les observer religieusement et inviolablement.

xvi. Le présent traité de paix sera ratifié par les deux hautes puissances contractantes, et l’échange des ratifications entre leurs plénipotentiaires respectifs aura lieu dans l’espace de six semaines, ou plus tôt, si faire se peut.

Fait à Andrinople, le 2/14 septembre 1829.

Signé comte Alexis Orloff.
Comte J. Pahlen.

En vertu, etc.

Signé Diebitsch Zabalkanski.