Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leur influence/Chapitre VII

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Librairie Armand Colin (p. 148-171).



CHAPITRE VII

LA PÉRIODE CLASSIQUE(Suite)

Raimbaut d’Orange et la comtesse de Die. — Sincérité des poétesses provençales et de la comtesse de Die en particulier. — Pierre d’Auvergne. — La satire littéraire. — Le message du rossignol. — Peire Vidal. — Une vie originale. — Folquet de Marseille. — Folquet évêque de Toulouse et les hérétiques albigeois.


Les deux chapitres qui précèdent sont consacrés aux troubadours originaires du Sud-Ouest de la France. C’est là — on s’en souvient — que se trouve le berceau de la poésie des troubadours ; c’est là aussi que sont nés les plus grands d’entre eux, ceux que nous pouvons appeler classiques, entendant par ce mot ceux qui méritent d’être mis hors de pair par la perfection de la forme et l’élévation de la pensée.

Cependant les autres provinces de langue d’oc, depuis l’Auvergne jusqu’à la Provence et au Dauphiné, ont eu également de bonne heure leurs grands troubadours. C’est ainsi que, si nous avions voulu suivre l’ordre purement chronologique, nous aurions dû citer, presque en même temps que Bernard de Ventadour, Raimbaut, comte d’Orange et la comtesse de Die. L’activité poétique du premier peut être placée entre 1158 et 1173.

Comme Marcabrun il est un des premiers à cultiver le style obscur, maniéré et recherché. Une de ses chansons renferme le même mot ou son dérivé à chaque vers, et il y en a quarante-cinq. Dans une autre il se contente de répéter le même mot à chaque strophe. Cette recherche des artifices de la forme n’est pas pour faire croire à la sincérité de ses sentiments et à la force de sa passion. Le contenu de ses poésies — presque toutes consacrées à l’amour — justifie cette première impression.

Sans doute quelques-unes peuvent faire illusion au premier abord. Il y attaque souvent les médisants qui le desservent auprès de sa dame ; il proteste à plusieurs reprises de son amour et de sa fidélité, comme dans le début de la chanson suivante :

Je ne chante ni pour oiseau, ni pour fleur, ni pour neige, ni pour gelée, ni pour froid, ni pour chaleur, ni pour le retour de l’herbe verte dans les prairies ; je ne chante et je n’ai jamais chanté pour nulle autre joie ; mais je chante pour la dame que j’aime, car elle est la plus belle du monde.

J’ai quitté la pire qu’on ait pu voir ou trouver ; et j’aime la plus belle et la plus honorée qui soit au monde. Je lui serai fidèle toute ma vie et ne partagerai avec aucune autre mon amour[1]

Mais ce sont là protestations déjà bien banales dans la littérature provençale. Nulle part on ne sent dans l’œuvre de Raimbaut d’Orange la sensibilité naïve de Bernard de Ventadour ou d’Arnaut de Mareuil on éprouve plutôt l’impression d’avoir affaire à un excellent artiste en vers, amoureux des difficultés de la poésie, précieux et recherché. Il connaît d’ailleurs son talent et s’en vante sans modestie ; il défie ses rivaux et témoigne de quelque vantardise et même de quelque fanfaronnade en poésie comme en amour. « Depuis qu’Adam mangea la pomme, dit-il, le talent de plus d’un qui mène beaucoup de bruit ne vaut pas une rave au prix du mien » ; voilà des fanfaronnades de poète, et elles ne sont pas les seules. Et voici les vantardises de l’amant : « J’ai le droit de rire et je ris souvent ; je ris même en dormant ; ma dame me rit si aimablement qu’il me semble que c’est un sourire divin ; et ce sourire me rend plus heureux que ne ferait le rire de quatre cents anges. J’ai tellement de joie qu’elle suffirait à rassasier mille malheureux ; et de ma joie tous mes parents vivraient joyeusement sans manger[2].

Ce n’est pas par des exagérations de ce genre que se marque la vraie passion ; ces recherches et ces excès sont même un indice du contraire. Mais ce qui rend assez pâles les poésies amoureuses du comte d’Orange c’est leur contraste avec celles de la comtesse de Die, qui paraît avoir eu pour lui un amour sincère et profond.

C’est une figure originale dans la poésie provençale que celle de la comtesse de Die[3].

Elle n’est pas la seule poétesse du temps, comme on l’a vu dans un précédent chapitre ; mais elle est la plus célèbre. Il faut dire à la louange de la plupart de ces poétesses que leur poésie se distingue par une sincérité de ton qui manque souvent à la poésie des troubadours. Le « style obscur », la rime difficile ne paraissent avoir eu pour elles aucun attrait. Elles n’ont pris ou appris du métier que ce qui leur était nécessaire ; mais elles ont su rendre avec beaucoup de charme et de douceur des sentiments sincères et naturels. La plupart des troubadours écrivaient par nécessité, par métier ; il semble que les poétesses provençales n’aient chanté et n’aient écrit que sous le souffle de l’inspiration.

Parmi elles Béatrix, comtesse de Die, occupe une place éminente. Par sa naissance elle était l’égale du comte d’Orange. Comment naquit et se développa le roman d’amour dont les chansons de la comtesse de Die — au nombre de cinq — nous ont gardé l’écho ? C’est-ce qu’il est bien difficile de dire. Étant donné ce que nous connaissons du caractère de notre poète, il ne semble pas qu’il ait répondu comme il convenait à l’amour que lui témoignait Béatrix. Cependant, des cinq chansons qui nous restent d’elle deux au moins nous apprennent que son amour pour le comte d’Orange fut d’abord heureux. La chanson suivante, par exemple, doit se rapporter au début du roman. On y remarquera une certaine recherche — plus sensible dans l’original que dans la traduction — et qui consiste surtout dans la répétition du même mot (ou de son dérivé) deux fois à la rime ; mais il y règne d’un bout à l’autre un souffle de gaîté et de jeunesse que l’on ne saurait méconnaître.

Je me repais de joie et d’amour et de l’amour et de la joie me vient le bonheur ; mon ami est le plus gai, c’est pourquoi je suis aimable et gaie ; et puisque je suis sincère, il convient qu’il le soit avec moi…

Je suis heureuse de savoir que celui que j’aime est le plus vaillant qui soit au monde ; je prie Dieu qu’il donne grande joie à celui qui le premier m’attira vers lui ; quelque médisance qu’on lui rapporte, qu’il n’ait confiance qu’en moi ; car souvent on cueille la verge dont on se bat soi-même.

La femme qui tient à une bonne renommée doit placer son amour en un preux et vaillant chevalier ; quand elle connaît sa vaillance, qu’elle ne cache pas son amour ; quand une femme aime ainsi ouvertement, les preux et les vaillants ne parlent de son amour qu’avec sympathie…

Ami, les preux et les vaillants connaissent votre vaillance ; et je vous demande, s’il vous plaît, de me garder votre amour[4].

On a pu remarquer combien cette chanson est conforme à la théorie de l’amour courtois. L’amour est principe de vertu : l’amant et l’objet aimé doivent réaliser l’idéal de la perfection ; tout amour fondé sur ces principes et conforme à cet idéal est noble et pur ; il est une vertu et non une faiblesse, et les preux et les vaillants n’en parlent qu’avec respect et sympathie. Mais il y a dans les cours une catégorie de gens dont l’unique mission paraît être de troubler l’amour des autres en répandant médisances et calomnies ; c’est à eux qu’est adressé le fragment de chanson suivant.

L’amour parfait me donne joie et me fait chanter plus gaiement ; et je n’éprouve ni chagrin ni ennui de savoir que ces médisants truands travaillant contre moi ; leurs médisances ne m’effraient pas ; bien plus, j’en suis dix fois plus gaie… Ces gens-là sont semblables au brouillard qui s’épand et fait perdre au soleil ses rayons[5].

Il semble cependant que Béatrix avait tort de garder vis-à-vis des médisants sa gaie et sereine tranquillité ; ils réussirent à mettre la brouille entre elle et le comte d’Orange ou du moins ils y contribuèrent. Deux des chansons de Béatrix se rapportent à cette seconde phase du roman. Voici la traduction d’une des deux.

Je chanterai ce que je n’aurais pas voulu chanter ; tellement celui que j’aime me cause de chagrin. Je l’aime d’amour parfait ; mais auprès de lui ne me sont d’aucun secours ni pitié, ni courtoisie, ni beauté… Je suis trompée et trahie comme si j’étais coupable envers lui.

Ce qui me réconforte, ami, c’est que je ne commis jamais envers vous aucune faute, en aucune manière ; car je vous aime plus que Seguin ne fit Valence, et il me plaît beaucoup, ami, que je vous surpasse en amour ; puisque vous êtes le plus vaillant, pourquoi vous, qui êtes si doux pour les autres, pourquoi vous montrez-vous si dur pour moi en paroles et en actions ?

Je suis bien étonnée, ami, que votre cœur soit si dur, et j’ai sujet de m’en plaindre. Il n’est pas juste qu’une autre femme vous enlève à mon amour… Rappelez-vous quel fut le commencement de cet amour ; Dieu veuille que je ne sois pour rien dans notre séparation…

Vous devriez avoir égard à mon mérite et à ma naissance, à ma beauté et plus encore à mon cœur si parfait ; c’est pourquoi je vous mande cette chanson pour vous porter mon message : je veux savoir, mon bel ami, mon doux ami, pourquoi vous m’êtes si dur et si cruel ; est-ce par orgueil ou par antipathie ?

Mais je veux que vous sachiez par mon message que trop d’orgueil fait mal à beaucoup de gens[6].

Il semble que sous cette traduction imparfaite on sente encore la douce plainte d’un cœur blessé, et d’un cœur délicat. « Quand je veux chanter, dira une autre poétesse, Clara d’Anduze, je pleure et je soupire… et mes vers ne disent pas ce qu’il y a dans mon cœur. » C’est l’écho de ces plaintes et de ces soupirs qui survit dans les chansons de la comtesse de Die. Et peut-être, encore, comme chez Clara d’Anduze, le « meilleur de ses vers » ne fut-il jamais lu.

On pourrait continuer l’histoire de la poésie dans ce petit coin privilégié de la Provence qu’était le comté d’Orange en étudiant un autre troubadour, Raimbaut de Vaquières, dont la vie se passa en Italie et en Terre Sainte, à la suite du marquis de Montferrat. Mais il en sera question ailleurs. Quittons un moment la Provence pour une autre région, Raimbaut d’Orange et la comtesse de Die pour Pierre d’Auvergne[7].

Pierre d’Auvergne est à peu près contemporain de Bernard de Ventadour et aussi de Giraut de Bornelh et d’Arnaut de Mareuil ; car son activité poétique s’étend de 1158 à 1180 environ. L’auteur anonyme de sa biographie nous a donné sur sa vie quelques renseignements qu’il tenait du Dauphin d’Auvergne, troubadour qui fut en relations avec Pierre ; mais ces renseignements sont peu nombreux. Ils nous apprennent que Pierre d’Auvergne était le fils d’un bourgeois de Clermont-Ferrand.

Il était savant et très lettré. Il était beau et avenant de sa personne… Il fut bon poète et le premier troubadour qui vécut au delà des montagnes[8].

Il fut très honoré et fêté par les vaillants barons et les nobles dames du temps… Il fut regardé comme le meilleur troubadour jusqu’au moment où parut Giraut de Bornelh… Il était très fier de son talent et méprisait les autres troubadours… Il vécut longtemps dans le monde, puis il fit pénitence avant de mourir.

Suivant d’autres témoignages il se destina d’abord à la carrière ecclésiastique et fut pourvu d’un canonicat. Un troubadour de son temps le lui rappelle en lui disant : « Quand Pierre d’Auvergne se fit chanoine, pourquoi se promettait-il à Dieu tout entier, puisqu’il ne devait pas tenir son serment ? Car il se fit jongleur fou et perdit ainsi tout son mérite. »

Pendant son stage parmi les chanoines, qui parait avoir été assez bref, ce troubadour ne prit pas le goût de l’humilité. « Jamais avant moi, dit-il, ne furent écrits de vers parfaits. » Par cette vantardise il appartient bien à la grande famille des troubadours, qui ressemblent sur ce point à la plupart des autres poètes comme des frères. « Pierre d’Auvergne, dit-il ailleurs, a une telle voix qu’il chante dans tous les tons et ses mélodies sont douces et agréables ; il est maître de tout, pour peu qu’il mette un peu de clarté dans sa poésie, qu’on n’entend pas sans peine. » Remarquons cette réflexion ; Pierre est lui aussi un des représentants du style obscur ; mais il semble reconnaître ici qu’il y a quelque excès dans l’emploi de ce genre et en effet toute une partie de ses poésies est composée d’après cette nouvelle conception.

Le sentiment de sa valeur et de sa supériorité poétique se montre avec éclat dans une curieuse composition[9] qui est le premier essai de satire littéraire dans la poésie des troubadours. Pierre d’Auvergne y cite une bonne douzaine de poètes contemporains et il les gratifie à mesure de quelques épithètes peu flatteuses, mordantes en général, quelquefois cyniques et grossières, On retrouve dans cette satire un écho vivant des sentiments qu’un grand poète du temps pouvait avoir pour ses confrères en poésie ; ces sentiments ne sont nullement charitables.

La vie de Pierre d’Auvergne ressemble à celle de la plupart des troubadours. Une de leurs habitudes — presque une nécessité — était de courir le monde, le monde un peu étroit où s’exerçait leur activité. Pierre d’Auvergne séjourna quelque temps en Espagne. Il y visita la cour de Sanche III de Castille ; c’était un roi chevaleresque ; on l’appelait, dit un chroniqueur du temps, « le père des pauvres, le protecteur des veuves et des orphelins, le justicier des peuples[10] Mais ce n’étaient pas ces qualités qui attiraient les troubadours : Sanche n’aurait pas été un prince parfait s’il n’avait connu l’art de donner largement, royalement, à tous les quémandeurs, grands seigneurs castillans ou troubadours, qui venaient à lui : cela aussi était une vertu chevaleresque.

Ce fut sans doute le même motif qui attira Pierre d’Auvergne à la cour d’Ermengarde, vicomtesse de Narbonne, et à celle de Raimon V de Toulouse. C’étaient les plus brillantes qui fussent alors dans le Sud de la France ; elles furent deux foyers vivants de poésie pendant la seconde moitié du xiie siècle.

Parmi les poésies de Pierre d’Auvergne quelques-unes sont des poésies religieuses : elles seront étudiées dans un des chapitres suivants. Une dizaine ont trait à l’amour. Elles ne se distinguent guère de la plupart des poésies consacrées par les troubadours à leur thème favori. Ce sont les mêmes plaintes sur la cruauté et l’orgueil de sa dame qui ne daigne lui témoigner aucune pitié. « La dame chantée par le poète, dit son éditeur, n’est qu’une ombre sans nom, sans individualité, sans personnalité. » Ceci est d’autant plus grave que nous sommes à peine dans la période classique, encore près des origines.

Mais Pierre d’Auvergne était capable, le cas échéant, de sincérité et ce fut au moins une fois un gracieux poète. Il trouva une manière originale d’envoyer un message d’amour ; le poétique messager fut un rossignol. Et voici la charmante composition où l’oiseau du printemps joue le principal rôle. Le poète s’adresse en ces termes à son messager ailé.

« Rossignol, en sa retraite tu iras voir ma dame, dis-lui mes sentiments et qu’elle te dise sincèrement les siens ; qu’elle me les fasse connaître ici…, et que d’aucune manière elle ne te garde auprès d’elle… »

L’oiseau gracieux s’en va aussitôt, droit vers le pays où elle règne ; il part de bon cœur et sans crainte jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée.

Quand l’oiseau de noble naissance vit paraître sa beauté, il se mit à chanter doucement, comme il fait d’ordinaire vers le soir. Puis il se tait et cherche ingénieusement comment il pourra lui faire entendre, sans la surprendre, des paroles qu’elle daigne ouïr.

« Celui qui vous est amant fidèle voulut que je vienne en votre pouvoir pour chanter selon votre plaisir…

« Et si je lui porte un message joyeux, vous devez en avoir aussi grande joie, car jamais ne naquit de mère un homme qui ait pour vous tant d’amour ; je partirai et volerai avec joie où que j’aille ; mais non, car je n’ai pas dit encore mon plaidoyer.

« Et voici ce que je veux plaider : qui met son espoir en amour ne devrait guère tarder, tant qu’amour a des loisirs ; car bientôt les cheveux blonds se changent en cheveux blancs, comme la fleur change de couleur sur la branche… »

Telle est la première partie du récit, la première scène de la petite comédie imaginée par le poète. En voici la seconde.

L’oiseau a bien volé tout droit vers le pays où je l’ai envoyé ; et il m’a fait tenir un message, suivant la promesse qu’il m’a faite : « Sachez, dit la dame, que votre discours me plaît ; or écoutez — pour le lui dire — ce que j’ai au cœur…

« J’ai bien sujet d’être triste, car mon ami est loin de moi… la séparation fut trop rapide, et, si j’avais su, je lui aurais témoigné plus de bonté ; c’est ce remords qui m’attriste.

« Je l’aime de si bon cœur qu’aussitôt que je pense à lui me viennent en abondance jeux et joie, rires et plaisirs ; et la joie dont je jouis secrètement aucune créature ne la connaît…

« Même avant de le voir il m’a toujours plu ; je ne voudrais pas en avoir conquis qui fût de plus haute naissance.

« Le bon amour est semblable à l’or, quand il est épuré ; il s’affine de bonté pour celui qui le sert avec bonté ; et croyez que l’amitié chaque jour s’améliore…

« Doux oiseau, quand viendra le matin, vous irez vers sa demeure et vous lui direz en clair langage de quelle manière je lui obéis. » Et l’oiseau est revenu très vite, bien renseigné et parlant volontiers de son heureuse aventure[11].

Ce récit — ou plutôt cette petite comédie — est des plus poétiques. D’autres troubadours ont employé les oiseaux comme messagers d’amour : les hirondelles, les perroquets et les étourneaux ont eu tour à tour cet honneur. Mais le rossignol que Pierre d’Auvergne charge de son message tient une place à part parmi ces personnages ailés. C’est un avocat habile, discret et disert, sachant choisir son temps pour ne pas surprendre ni étonner ; procédant sans brusquerie, par allusions voilées, par réflexions générales ; tâchant, suivant une formule chère aux rhétoriqueurs, de persuader plutôt que de convaincre. Et avec quelle joie et quelle rapidité ce messager ailé s’acquitte de sa mission ! C’est ce modeste personnage qui fait l’unité de cette poésie.

Il y a dans le cadre de cette petite composition, dans le récit, dans le plaidoyer de l’habile avocat, dans la réponse un peu mélancolique qu’il provoque un charme poétique tout particulier qu’on ne trouve pas souvent dans l’œuvre poétique de Pierre d’Auvergne. Restons-en, à son sujet, sur cette impression. Et quittant l’Auvergne pour le Languedoc, passons à un troubadour un peu postérieur, mais dont la vie et l’œuvre sont empreintes d’une vivante originalité

Peire Vidal était le fils d’un marchand de Toulouse. La biographie provençale nous dit qu’il fut bon troubadour, qu’il chantait à merveille, et qu’il avait une facilité étonnante à inventer et à composer ; mais il ajoute qu’il fut l’homme le plus fou du monde. L’histoire de sa vie et la lecture de ses poésies justifie bien ces deux observations du biographe.

L’œuvre de Peire Vidal — qui comprend une cinquantaine de pièces — témoigne d’une remarquable facilité ; l’inspiration n’en est pas profonde, mais le développement est clair et abondant, rien n’y trahit l’embarras ni l’effort. Il aurait réussi sans peine dans le genre du style obscur ; mais il parait avoir eu plus de goût pour la clarté ; aussi est-il encore aujourd’hui d’une lecture facile et le lecteur connaît rarement avec lui l’amer plaisir de trouver sous une forme recherchée et obscure une pensée banale. La seconde observation que fait le biographe, « il fut l’homme le plus fou du monde » est justifiée par l’histoire de sa vie. On ne prête qu’aux riches, sans doute, et la plupart des anecdotes qui ont trait à sa vie ne sont que des légendes ; mais Peire Vidal fut, à ce point de vue, prodigieusement riche.

Et d’abord il semble que, par une première folie, il se soit fait une ennemie de la comtesse Barral de Baux, femme du seigneur de Marseille. On se souvient peut-être qu’il fut un peu trop entreprenant avec elle et que la comtesse, malgré son mari qui prenait très bien la chose et qui riait des folies du troubadour, exigea son départ. Peire Vidal se réfugia en Italie, à Gênes ; c’est là qu’il composa la jolie chanson suivante.

J’aspire avec mon haleine la brise que je sens venir de Provence ; tout ce qui vient de là-bas me plaît, et quand j’entends qu’on en dit du bien, j’écoute en souriant. Pour un mot j’en demande cent, tant me plaît tout ce que j’en entends dire.

Car, des bords du Rhône jusqu’à Vence, entre la mer et la Durance, je ne sais si doux séjour ni où brille de joie plus parfaite ; c’est dans cette noble contrée que j’ai laissé mon cœur joyeux, auprès de celle qui donne la gaîté aux malheureux.

Qui a souvenance d’elle ne connaît point l’ennui ; car elle est la source de la joie ; quelque éloge qu’on en fasse, quelque bien qu’on en dise, il n’y a point d’exagération ; elle est, sans conteste, la plus belle et la plus aimable qui se voie au monde.

Je lui dois la gloire que me valent mes beaux vers et mes belles actions ; car c’est d’elle que je tiens le talent et la connaissance ; c’est elle qui m’a rendu gai et qui m’a fait poète ; tout ce que je fais de bien me vient d’elle[12].

Son séjour à Gênes fut l’occasion de nombreuses chansons. Mais Barral de Baux, qui l’aimait beaucoup, le regrettait ; il fit si bien que sa femme pardonna Peire Vidal ; il revint à Marseille où il fut fort bien accueilli. Et il paya son pardon en poète, par une chanson.

Puisque je suis revenu en Provence et que ma dame m’a pardonné, je dois faire une bonne chanson, au moins par reconnaissance…

Comme je n’ai jamais commis de faute, j’ai bon espoir que mon malheur se change en bien… et tous les autres amants pourront se réconforter en apprenant mon bonheur ; car avec un labeur surhumain je tire un feu clair de la froide neige et de l’eau douce de la mer.

Je m’abandonne tout entier en son pouvoir et elle ne me refusera pas ; car elle peut me vendre ou me donner à son gré.

Ceux qui blâment une longue attente ont grand tort ; car les Bretons ont maintenant leur Arthur en qui ils avaient mis leur espoir ; et moi, pour avoir longuement espéré, j’ai conquis une bien grande douceur, un baiser que la force d’amour me fit prendre à une dame, mais maintenant elle doit me le donner.

Sans avoir péché j’ai fait pénitence, j’ai demandé pardon sans avoir fait de tort… de la colère je fais sortir la bienveillance et des pleurs une joie parfaite ; je suis hardi par peur, je sais gagner en perdant et vaincre tout en étant vaincu[13]

Sa folie se manifestait de diverses manières. Quand son seigneur, le comte Raimon V de Toulouse, qui avait été si sympathique à la poésie, mourut, Peire Vidal n’exprima pas sa tristesse comme le commun des troubadours. Ceux-ci se contentaient d’ordinaire de composer en l’honneur de leurs protecteurs une plainte funèbre plus ou moins bien sentie. Peire Vidal, si nous en croyons la biographie, aurait fait couper la queue et les oreilles à tous ses chevaux ; il fit raser la tête à ses domestiques et leur ordonna de laisser pousser la barbe et les ongles. Tout ceci est-il bien authentique ? et Peire Vidal avait-il un tel train de maison qu’il pût se permettre ces folies ? On ne saurait l’affirmer ; mais il semble qu’il en fût bien capable.

Il aurait gardé longtemps ce deuil, jusqu’au jour où le roi d’Aragon, Alphonse II, vint en Provence. Il était accompagné de barons de haut parage, tous joyeux compagnons et amoureux de poésie ; Peire Vidal n’aurait pas su résister à leur amicale insistance et pour leur plaire il aurait écrit la chanson suivante.

J’avais quitté la poésie, de tristesse et de douleur ; mais puisque je vois que cela plaît au roi, je ferai une chanson nouvelle, que (mes amis) porteront en Aragon…

Je me suis donné à une telle dame que je vis de gloire et d’amour ; car en elle la beauté s’épure, comme l’or sur les charbons ardents. Comme elle agrée mes prières, il me semble que le monde est à moi et que le roi tient de moi ses fiefs.

Je suis couronné de joie parfaite plus que tout empereur, car je me suis enamouré d’une noble dame ; et je suis plus riche pour un ruban que dame Raimbaude me donne que le roi Richard avec Poitiers, Tours et Angers.

Je n’éprouve aucun déshonneur de m’entendre appeler loup, de m’entendre insulter par les bergers ni de me voir chassé par leurs chiens ; j’aime mieux les buissons et les bois qu’un palais ou une maison ; (pour elle) je vis avec joie dans la neige, dans la glace et le vent[14].

On a reconnu ici l’allusion à la fantastique anecdote rapportée dans sa biographie, et d’après laquelle, pour pouvoir approcher une dame appelée Louve, il se serait habillé en loup, aurait été poursuivi par des chiens et porté en piteux était au château de la Louve. Cette anecdote comme on voit n’est pas sortie tout entière de l’imagination du biographe ; Peire Vidal a contribué de son mieux à faire naître la légende.

Mais il eut bientôt l’occasion de satisfaire des goûts un peu différents de ceux qui animent d’ordinaire le cœur des poètes. Ce troubadour se sentait l’âme d’un héros ; et pour que nul ne l’ignorât, il ne manquait aucune occasion de s’en vanter. On croirait entendre souvent Bertran de Born, le grand baron poète, farouche et violent dans ses poésies guerrières.

Si j’avais un bon destrier, dit comme lui Peire Vidal, mes ennemis seraient bientôt à ma merci ; car ils me craignent plus qu’une caille ne fait un épervier ; ils ne donnent plus un denier de leur vie, tant ils me savent fier, courageux et vaillant…

J’ai fait les prouesses de Gauvain et de bien d’autres ; et quand je suis sur un cheval armé, je brise tout ce que je rencontre ; j’ai fait tout seul cent chevaliers prisonniers et à cent autres j’ai enlevé le harnais — j’ai fait pleurer cent femmes, j’en ai fait rire et amuser cent autres.

Quand j’ai revêtu ma double cuirasse, quand j’ai ceint l’épée, la terre tremble partout où je passe ; il n’y a pas d’ennemi si orgueilleux qui ne me laisse aussitôt sentiers et chemins ; tellement ils me craignent quand ils entendent mes pas.

En vaillance j’égale Roland et Olivier, et pour les femmes Bernard de Montdidier ; ma vaillance me donne la gloire ; souvent viennent vers moi des messagers avec un anneau d’or, avec des rubans blancs ou noirs, et avec de tels messages dont tout mon cœur se réjouit[15].

À cette époque les âmes héroïques ne restaient pas longtemps sans emploi. Et Peire Vidal s’embarqua avec Richard Cœur de Lion pour la Terre Sainte. Mais, en route, un séjour qu’il fit à Chypre lui fut fatal. Il s’y maria avec une Grecque ; son goût pour les armes et pour les beaux coups d’épée paraît s’être éteint, mais la folie des grandeurs reparut. On lui fit croire que sa femme était de sang impérial. Il prit le titre d’empereur, exigea que sa femme fût appelée impératrice, eut des armoiries et fit suivre un trône dans ses déplacements. Il aurait même eu l’intention d’armer une flotte pour aller conquérir l’empire. Combien de temps dura cette folie ? Dans quelle mesure sa femme la partageait-elle ? Et quelle part de vérité renferme encore cette anecdote ? C’est ce que nous ignorons ; on sait seulement que Peire Vidal passa une partie de sa vie, pendant la dernière période, en Lombardie et en Hongrie[16].

Ce serait une erreur de croire qu’il n’eut que des folies à son actif. Ce troubadour à l’humeur vagabonde et à la fantaisie déréglée était capable, à l’occasion, de poésie sincère et éloquente. Dans ses poésies politiques en particulier il montre un sens des réalités et des nécessités qui fait un singulier contraste avec ses chansons amoureuses. Ce fut en somme une nature de poète bien doué.

L’imagination et la fantaisie paraissent primer chez lui tous les autres dons ; mais ce sont là dons de poète et si même notre troubadour a fait passer un peu de cette fantaisie dans la réalité de la vie, c’est un charme de plus, du moins pour ceux qui ont à l’étudier.

Il ne semble pas que Peire Vidal ait passé la dernière partie de sa vie dans sa ville natale, Toulouse. On suppose qu’il vécut jusqu’aux environs de 1215 ; à cette époque les chansons joyeuses commençaient à ne plus être de mode dans le Midi de la France ; depuis plusieurs années la croisade contre les Albigeois y accumulait les ruines et les deuils. On va voir par l’étude du troubadour Folquet de Marseille la transformation qui se produisit dans le Midi.

Le troubadour Folquet de Marseille était d’origine italienne ; il était fils d’un marchand de Gênes et il paraît avoir exercé pendant quelque temps le métier paternel[17]. Puis la vocation poétique l’emporta ; il abandonna le commerce où son-père s’était enrichi et s’adonna à la poésie. Dante l’a placé au Paradis et lui prête la déclaration suivante : « Je suis né dans cette vallée qui sépare la terre de Gênes et celle de la Toscane ; presque sur la même ligne où se lève et se couche le soleil (c’est-à-dire sur le même méridien) se trouve Buggia (Bougie en Afrique) et la ville où je vécus, qui jadis réchauffa de son sang les eaux de son port »[18]

Pétrarque cite à son tour notre poète dans ses Triomphes d’Amour : « Folquet, dit-il, a enlevé son nom à Gênes pour le donner à Marseille ; et à la fin il changea pour une meilleure patrie son habit et son état. »

Le milieu où vivait Folquet était loin d’être défavorable à la poésie. Gênes a fourni — un peu plus tard il est vrai — toute une pléiade de troubadours, et Marseille était le siège de la seigneurie de Barral de Baux, un des grands seigneurs qui protégèrent avec le plus de sympathie la poésie provençale. C’est à la femme du vicomte de Marseille, Azalaïs, que ce fou de Peire Vidal dédiait ses chansons ; c’est elle aussi que chanta Folquet.

Il la désignait sous le nom d’Aimant, pseudonyme dont se servirent aussi quelques autres troubadours. Mais il ne semble pas que la force d’attraction de cet aimant fût très forte ; bien plus, Folquet de Marseille semble avoir été plus souvent repoussé qu’attiré. Ses chansons sont pleines de plaintes sur son amour malheureux. Il accuse amour d’inconséquence : « Il lui plut, dit-il, de descendre en moi sans amener comme compagne la pitié qui pourrait adoucir ma douleur. » L’amour qui n’est pas accompagné de la pitié, continue Folquet, est un « désamour ». Folquet développe ce thème avec subtilité, mais aussi avec préciosité. « Cela ne peut durer ainsi, dit-il, dans une apostrophe à l’amour, il faut qu’amour et pitié aillent ensemble. » Mais sa dame est moins cruelle qu’Amour ; son visage est blanc et coloré, comme la neige et le feu ; le mélange des couleurs est pour notre troubadour l’indice des sentiments du cœur : pitié et amour s’unissent en elle.

Ailleurs il s’en prend à ses yeux : « Ils ont bien mérité de pleurer, dit-il ; ils ont causé leur mort et la mienne ; pourquoi se sont-ils trompés dans leur choix ? »

Ce n’est pas par cette préciosité un peu puérile qu’il faudrait juger uniquement Folquet de Marseille. Il sait s’exprimer avec plus de simplicité et aussi avec plus de sincérité et de profondeur, par exemple dans le début de la chanson suivante.

Si j’avais le cœur à chanter, ce serait bien le moment de faire des chansons pour maintenir la joie ; mais quand je considère ma part de bonheur et de malheur, je suis bien affligé de mon lot ; on me dit riche et heureux, mais ceux qui le disent ignorent la vérité ; il n’y a de bonheur que quand tous nos vœux sont accomplis ; un pauvre joyeux est plus riche qu’un grand riche sans joie…

Si je fus gai et amoureux, je n’ai plus de joie d’amour et je n’en espère aucune ; nul autre bien ne peut plaire à mon cœur ; les autres joies me semblent des tristesses ; sur mon amour je vous dirai la vérité ; je n’ose le quitter et je n’ose bouger ; je n’ose m’élever et je n’ose rester en place ; je suis comme un homme qui, arrivé au milieu d’un arbre, est monté si haut qu’il n’ose ni redescendre ni aller plus loin, tellement cela lui paraît dangereux…

La chanson se termine par un intéressant aveu

Je pensais mentir (entendez : plaisanter) mais malgré moi je dis la vérité… je pensais faire croire ce qui n’est pas, mais malgré moi ma chanson devient vraie[19].

Sans doute il ne faut pas attribuer trop d’importance à cette déclaration ; mais plus d’un troubadour pouvait la faire. Les plaintes de Folquet de Marseille ne sont peut-être qu’un jeu poétique où l’esprit seul a sa part ; cependant il ne serait pas étonnant en cette matière que le cœur ait été souvent la dupe de l’esprit.

Folquet dut quitter Marseille pour une imprudence. Le vicomte Barral de Baux avait deux sœurs à sa cour, Laure de Saint-Jorlan et Mabille de Pontevès. La vicomtesse, jalouse de sa belle-sœur Laure, aurait exigé le départ du troubadour.

Folquet en quittant Marseille vint auprès du seigneur de Montpellier et il adressa ses hommages poétiques à l’impératrice. Montpellier avait en effet alors une impératrice[20]. C’était la fille de l’empereur de Constantinople, Manuel Comnène, à qui il était arrivé une étrange aventure, bien digne des mœurs du temps. Elle avait été demandée en mariage par le roi Alphonse II d’Aragon et elle lui avait été accordée. Elle se mit en route pour Barcelone, mais quand elle arriva, il était trop tard ; le roi d’Aragon impatient s’était marié avec la fille du roi de Castille. La pauvre princesse retourna à Montpellier, où elle avait sans doute débarqué ; le seigneur de cette ville vint au secours de la fiancée errante en l’épousant. Elle garda son titre d’impératrice et c’est sous ce titre que les troubadours la chantèrent. Folquet resta sans doute peu de temps à Montpellier et revint bientôt à Marseille. À la mort du vicomte Barral de Baux, en 1192, il écrivit une touchante plainte funèbre en son honneur.

Semblable au malade qui est si déprimé par le mal qu’il ne sent plus sa douleur, je ne sens pas ma tristesse… et nul homme ne peut savoir le deuil que me cause la mort de mon bon seigneur Barrai…

Vous étiez élevé, mais vous êtes tombé comme une fleur qui se fane d’autant plus vite qu’on la voit plus belle ; Dieu nous montre que c’est lui seul que nous devons aimer et qu’il faut mépriser le misérable monde où nous passons comme des voyageurs…

Seigneur, c’est grande merveille que je puisse chanter de vous, quand je devrais tant pleurer ; mais je pleure abondamment en pensant que les gentils troubadours diront de vous plus de louanges que je n’en saurais dire[21].

La tristesse qui s’empara de Folquet à la mort de son ami fut sincère ; et elle ne contribua pas peu à l’éloigner du monde et de la poésie. « Quand il eut perdu, dit sa biographie, ses amis, il en eut tant de tristesse qu’il se rendit à l’ordre de Citeaux avec sa femme et les deux enfants qu’il avait. Il devint abbé d’une riche abbaye de Provence, puis fut évêque de Toulouse et mourut dans cette ville. »

Il fut mêlé, comme évêque de Toulouse, aux événements les plus tristes de la croisade albigeoise et il se comporta, en cette aventure, comme on ne l’aurait guère attendu de ce gracieux troubadour.

Et d’abord, par esprit de mortification, il brûla ce qu’il avait adoré ; il rougissait de ses poésies profanes : ceci était dans l’ordre. Ce qui l’était peut-être moins, ce fut la part qu’il eut aux mesures les plus draconiennes prises contre les Albigeois. Il se signala par une telle vigueur dans la répression de l’hérésie qu’il fut plus tard sanctifié par l’Église. L’auteur anonyme de la Chanson de la Croisade le juge d’une façon plus profane, mais sans doute aussi plus humaine et plus juste. Dans un passage célèbre de cette épopée, le comte de Toulouse se défend devant le pape des accusations portées contre lui. Voici ce qu’il dit de l’évêque Folquet auquel il répondait.

Quand il fut nommé moine et abbé, le feu s’éteignit dans l’abbaye et ne se ralluma pas avant son départ ; quand il fut élu évêque de Toulouse, il se répandit sur notre terre un tel feu qu’aucune eau ne pourra jamais l’éteindre ; car il fit perdre la vie à plus de cinq cent mille personnes, grands et petits ; par la foi que je vous dois, en faits et en paroles, il ressemble plutôt à l’antéchrist qu’à un messager de Rome.[22]

Nous n’avons pas à rechercher ici quelle est la qualification qui lui convient le mieux. Mais la scène qui vient d’être citée nous rappelle qu’il y a quelque chose de changé dans le Midi de la France. Des événements importants s’y sont produits au début du xiiie siècle. La croisade contre les Albigeois, avec ses conséquences politiques et religieuses, y a transformé bien des choses. Pour la poésie, c’est la décadence qui commence et qui arrive à grands pas.


  1. M. W. I, 77. Non chant per auzel ni per flor.
  2. M. W. I, 70 et I, 67.
  3. Cf. l’ouvrage déjà cité de O. Schultz, Die prov. Dichterinnen, et Sernin Santy, La Comtesse de Die.
  4. M. W. I, 87. Ab joi et ab joven m’apais.
  5. M. W. I, 88.
  6. M. W. I, 86. A chantar m’er de so qu’ieu no volria.
  7. Sur Pierre d’Auvergne, cf. Zenker, Die Lieder Peires von Auvergne, Erlangen, 1900.
  8. « Au delà des montagnes », c’est-à-dire au delà des Pyrénées ; Marcabrun y avait été avant lui, cf. Zenker, p. 19.
  9. C’est la poésie célèbre Chantarai d’aquestz Trobadors, Zenker, no XII. Un troubadour postérieur, le Moine de Montaudon, a imité cette satire.
  10. Roderic de Tolède, ap. Zenker, p. 26.
  11. Éd. Zenker, no IX. Sur « les oiseaux dans la poésie et dans la légende » cf. un article de M. Savj-Lopez, dans Trovatori et Poeti, p. 245. Un troubadour postérieur, Arnaut de Carcassés, a composé une nouvelle où un perroquet joue le principal rôle ; pour faciliter un rendez-vous d’amour entre son seigneur et une châtelaine il met le feu à la tour du château : pendant le désordre et le tumulte qui s’ensuivent l’entrevue a lieu. Le « perroquet » d’Arnaut de Carcassés est d’une éloquence insinuante et surtout d’une merveilleuse activité. Cette nouvelle est d’ailleurs l’École des Maris. L’auteur l’a écrite pour « reprendre les maris qui veulent surveiller leurs femmes et pour les avertir que la meilleure précaution est de leur laisser la liberté ». Cf. Bartsch, Chr., c. 259 et suiv. Sur les oiseaux messagers d’amour dans la poésie populaire cf. Savj-Lopez, op. laud.
  12. M. W. I, 224, Rayn., Ch., III, 318. Parn. occ., 181.
  13. M. W. I, 224, Rayn., Ch., III, 321.
  14. M. W. I, 226, Rayn., III, 324. Parn. occ., 185.
  15. Parn. occ., 187. Gauvain est le neveu d’Arthur dans les légendes bretonnes. Sur les légendes épiques chez les troubadours voir Birch-Hirschfeld, Ueber die den provenzalischen Troubadours bekannten epischen Stoffe, Halle, 1878. L’ouvrage est incomplet, mais il n’a pas été remplacé.
  16. Per ma vida gandir
    M’en anei en Ongria
    Al bon rei N’ Aimeric
    On trobei bon abric.
    Raynouard, Ch., V, 342.

  17. Sur Folquet de Marseille, cf. Hugo Pratsch, Biographie des Troubadours, Folquet von Marseille, Berlin, 1878.
  18. Dante, Par., ch. IX, v. 88 et suiv. La ville dont il s’agit dans le dernier vers est Marseille ; Dante fait allusion au siège qu’elle soutint contre Brutus.
  19. M. W. I, 319.
  20. « Guillaume VIII [seigneur de Montpellier] avait épousé depuis Eudoxe, fille de Manuel Comnène. » Hist. gén. Lang., éd. Privat, VI, p. 61. La source de cette indication est dans la Chronique de Jaime Ier d’Aragon (ch. 1) qui ne donne pas d’ailleurs le nom de la princesse. Ce nom est donné par un compilateur moderne, Gariel, Series praesulum Magalonensium, 2e édit., p. 279 : et l’authenticité de la chronique est douteuse (Cf. Morel-Fatio, Grœber, Grundriss, II, 2, p. 118). Nous ajouterons qu’un de nos collègues, qui s’occupe d’histoire byzantine, ne croit pas à l’existence d’Eudoxie ou Eudoxe : la seule fille de Manuel Comnène a été mariée au marquis de Montferrat.
  21. M. W. I, 324.
  22. La Chanson de la Croisade contre les Albigeois a été éditée deux fois, d’abord par Fauriel, puis par M. Paul Meyer, 2 vol., Paris, 1875. Le passage cité commence au vers 3320. Ajoutons que l’identification de Folquet de Marseille avec Folquet, évêque de Toulouse, a été contestée ; mais il semble que ce soit à tort.