Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leur influence/Chapitre VIII

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Librairie Armand Colin (p. 172-195).



CHAPITRE VIII

LA PÉRIODE ALBIGEOISE : PEIRE CARDENAL

Débuts de la décadence. — Les causes. — La croisade contre les Albigeois. — Raimon de Miraval. — La Chanson de la Croisade. — Bernard Sicard de Marvejols. — Peire Cardenal. — Ses attaques contre les femmes et l’amour. — La satire morale et sociale. — Satires contre les croisés et contre le clergé. — L’anticléricalisme de Peire Cardenal. — Satire contre la papauté : Guillem Figueira. — Défense de la papauté : Dame Gormonde, de Montpellier.


Diez place aux environs de 1250 le début de la dernière période de la poésie provençale, de la période de décadence. Cette date est trop tardive ; la décadence a commencé plus tôt et les germes en sont de plus en plus visibles pendant la première moitié du xiiie siècle.

La période la plus brillante pour la noblesse méridionale paraît avoir été le xiie siècle : c’est aussi — du moins dans sa deuxième partie — la période de splendeur de la poésie des troubadours. Mais dès la fin du xiie siècle plusieurs d’entre eux se plaignent — déjà ! — de la transformation qui s’opère dans les mœurs. Le siècle est devenu grossier, les grands seigneurs, si larges et si généreux d’ordinaire, deviennent durs et avares ; ils ne sont plus si accueillants au talent, à la poésie, point si disposés aux fêtes et amusements ; leurs passe-temps sont la guerre et le pillage : telles sont les plaintes que fait entendre, un des premiers, Giraut de Bornelh. Supposerons-nous qu’il y a quelque exagération dans ces plaintes, qu’elles lui sont inspirées par les désordres dont il fut le témoin et même la victime ? Non, il semble plutôt qu’elles soient fondées et qu’elles ne soient qu’un écho de la réalité. Les successeurs immédiats de Giraut de Bornelh les expriment à leur tour, elles se multiplient bientôt au point de devenir un thème conventionnel.

Un changement s’était produit en effet d’assez bonne heure dans la haute société méridionale. La noblesse y avait atteint un degré de culture que celle du Nord ne connaissait pas ; l’histoire des troubadours en témoigne à tout instant. Mais la vie brillante et facile n’a qu’un temps, même dans les sociétés, et bientôt la décadence se faisait sentir : cette société s’en allait gaîment à sa ruine.

Elle s’appauvrit assez vite par ses goûts de luxe et ses prodigalités. On a vu plus haut quelles folies, suivant un chroniqueur, marquèrent la réunion des seigneurs méridionaux à Beaucaire. L’or y aurait été semé — et non pas au figuré — à pleines mains. Admettons la fausseté du récit, si l’on veut, au point de vue historique ; mais on connaît par des documents de tout genre les goûts et les mœurs du temps, les uns et les autres rendent possibles des folies de ce genre.

Une autre cause contribua à l’appauvrissement de la noblesse : ce fut l’érection des consulats dans les grandes communes du Midi. Les premiers — importés sans doute d’Italie — datent de la fin du xiie siècle. Leur institution marque l’avènement de la bourgeoisie à la vie politique ; les bourgeois et les marchands, gens actifs et hardis au travail, s’enrichissent et se taillent une assez belle part d’influence dans la société. La situation sociale de la noblesse en est diminuée d’autant ; sa puissance et son influence baissent rapidement dans les villes, surtout dans les villes marchandes comme Marseille, Arles, Avignon, Montpellier, Narbonne, Toulouse, où le xiiie siècle voit le triomphe de la bourgeoisie.

Mais à ces causes d’appauvrissement de la noblesse vint s’en joindre, dès les premières années du xiiie siècle, une autre bien plus grave. Au mois de juin 1209 une armée de croisés était concentrée à Lyon, non pas pour partir en Terre Sainte, mais pour marcher contre le Midi de la France. Il est à peine besoin de rappeler les faits qui avaient précédé ces événements. Le Midi avait vu naître depuis la fin du xiie siècle des sectes hérétiques. Le berceau de l’hérésie était dans le pays Albigeois, mais elle s’était répandue dans tout le Languedoc, de Toulouse à Beaucaire. L’hérésie nouvelle n’était qu’une transformation de la grande hérésie manichéenne qui professait que le monde est livré à deux puissances, celle du bien et celle du mal : c’était le fond du dualisme manichéen, c’était la croyance des cathares albigeois. Une autre hérésie, celle des Vaudois, était née à Lyon — mais elle avait recruté de nombreux adeptes dans le Languedoc : Vaudois et Albigeois étaient confondus par l’Église dans une réprobation commune. On sait comment elle s’y prit pour extirper l’hérésie jusqu’en ses racines[1].

Les seigneurs du Midi étaient coupables non pas d’hérésie, mais de faiblesse et d’indulgence pour les hérétiques ; ils étaient d’une tolérance rare pour le temps ; le pape Innocent III appela contre eux les barons du Nord ; ils accoururent en foule à cette nouvelle croisade, moins dangereuse en somme que les expéditions d’outre-mer et qui promettait des bénéfices plus immédiats.

L’armée des croisés marqua son passage par le siège et le pillage de Béziers et de Carcassonne. À Béziers sept mille personnes périrent dans la seule église de la Madeleine[2]. Toulouse fut d’abord épargnée, parce que Raimon VI et la bourgeoisie se soumirent en quelque manière aux croisés ; mais les exigences de ces derniers devenant trop fortes, bourgeois et comte prirent les armes.

La guerre fut menée avec vigueur et unité du côté des croisés, avec mollesse, et avec peu d’entente du côté des seigneurs méridionaux. Simon de Montfort, comte de Leicester, ravagea le Languedoc sans trêve ni cesse ; les principales forteresses tombèrent en son pouvoir et s’il éprouva quelques légers échecs, ils furent vite réparés. Les excès furent innombrables. L’historien officiel de la croisade, le moine de Vaux-Cernay, s’exprime en ces termes : « C’est avec une allégresse extrême que nos pèlerins brûlèrent encore une grande quantité d’hérétiques » ; l’historien moderne auquel nous empruntons cette citation, M. Luchaire, dit à son tour : « Chaque pas en avant de l’armée d’invasion est marqué par une boucherie[3]. » Les principaux événements de cette triste période furent le siège de Béziers et de Carcassonne (juillet 1209), l’excommunication de Raimon VI, comte de Toulouse (1211), la bataille de Muret où Raimon fut vaincu et où le roi Pierre d’Aragon, qui était venu à son secours, fut tué (1213), le concile de Latran (1215), le siège de Toulouse et la mort de Simon de Montfort (1218). Ajoutons-y l’établissement de l’Inquisition et la fondation de l’ordre des Frères-Prêcheurs par saint Dominique.

On devine sans peine ce que devenait la poésie courtoise au milieu du tumulte des armes. La plupart des protecteurs des troubadours, Raimon VI, comte de Toulouse, les comtes de Foix, de Comminges, de Béarn étaient en pleine lutte ; les seigneurs de moindre importance y étaient entraînés de gré ou de force ; les envahisseurs, suivant l’exemple de leur chef Simon de Montfort, étaient encore plus sensibles aux biens temporels qu’aux indulgences qu’ils gagnaient à la croisade. Il n’y avait plus de place dans cette société nouvelle pour la poésie, ou du moins pour la poésie courtoise. Un troubadour toulousain, Aimeric de Péguillan, exilé dans la Haute-Italie, exprime ainsi le contraste entre l’ancien temps et le nouveau : « Voici ce que je voyais avant mon exil : si par amour on vous donnait un ruban, aussitôt naissaient joyeuses réunions et invitations ; il me semble qu’un mois dure deux fois plus que ne durait un an, au temps où la galanterie régnait ; quel chagrin de voir la différence entre la société d’hier et celle d’aujourd’hui[4] ! »

Cependant un autre troubadour d’origine languedocienne, Raimon de Miraval, petit chevalier de la région de l’Albigeois, ne paraît pas s’être aperçu qu’un changement profond s’opérait autour de lui. La plupart de ses chansons amoureuses semblent avoir été écrites pendant la période la plus tragique de la croisade contre les Albigeois. Marié avec une poétesse, Raimon de Miraval, qui avait des relations avec les principaux seigneurs du pays, de Narbonne à Toulouse, aurait mené une vie fort insouciante et fort joyeuse et la société pour laquelle il écrivait n’aurait pas vécu différemment. Bien plus, ce troubadour au calme olympien aurait écrit ses chansons les plus gaies en pleine vieillesse : double motif d’étonnement et belle occasion de dépeindre l’insouciance et la frivolité de cette société méridionale qui ne songeait qu’à s’amuser et à « s’esbaudir » au moment où la guerre faisait rage autour d’elle.

Ne la calomnions pas trop ; elle a fort à se faire pardonner sans doute. Si elle a eu l’intention de défendre son indépendance, elle n’a pas eu la volonté nécessaire ; les efforts désordonnés, le manque d’union devant le danger, l’absence d’un chef capable et énergique ont rendu ses sacrifices inutiles ; mais elle a su faire des sacrifices ; et si, au siège de Toulouse, les femmes et les enfants portaient en chantant des pierres pour réparer les brèches, cela prouve qu’on y faisait gaîment son devoir.

Raimon de Miraval n’est pas une exception. Et d’abord il semble bien que l’on confonde sous le même nom deux personnes de la même famille, le fils et le père ; et ce fils lui-même, qui n’aurait pas été un vieillard au moment où il composait ses poésies amoureuses, serait mort avant la croisade contre les Albigeois. Il resterait donc simplement qu’à la veille de la catastrophe la société méridionale, et principalement languedocienne, n’aurait rien perçu des signes avant-coureurs de l’orage et n’aurait rien fait pour le conjurer. Cette observation est plus juste et correspond mieux à la réalité[5].

Quant aux troubadours, ils ont témoigné assez souvent et avec éloquence les sentiments d’indignation ou de pitié que faisaient naître les massacres inutiles qui avaient marqué l’expédition des croisés. Si ces études ne portaient pas surtout sur la poésie lyrique, il y aurait lieu d’analyser et de commenter ici la Chanson de la Croisade, poème épique de plus de neuf mille vers (9578), écrit par deux auteurs différents ; le premier était un clerc originaire de la Navarre, le second est inconnu. On y relèverait, surtout dans la partie anonyme, la grandeur épique du récit, la gravité du ton dans les discours et le souffle héroïque qui l’anime d’un bout à l’autre.

La poésie lyrique a également gardé l’écho des rancunes et des haines que la croisade a fait naître. On doit à un obscur troubadour, Bernard Sicard de Marvejols, une éloquente satire contre la croisade et surtout contre les pieux auxiliaires des croisés.

Je ne puis décrire ma tristesse et ma peine ; je vois le monde confondu, les lois et les serments violés. Tout le long du jour je m’irrite, la nuit je soupire veillant ou dormant ; de quelque côté que je me tourne, j’entends la gent courtoise qui crie humblement aux Français : « Sire » ; les Français accordent leur pitié pourvu qu’ils voient le butin. Ah ! Toulouse et Provence, terre d’Argence, Béziers et Carcassonne, comme je vous ai vues et comme je vous vois !

Les chevaliers de l’Hôpital ou de tout ordre que ce soit me sont odieux ; je trouve en eux l’orgueil joint à la simonie et à l’amour des grands biens ; pour être admis dans leurs rangs, il faut de grandes richesses, de bons héritages ; ils ont l’abondance et le bien-être ; la fourberie et la ruse, c’est là leur religion.

Ô noble clergé, quel grand bien je dois dire de vous ! Si je le pouvais, je doublerais mes éloges. Vous tenez bien la droite route et vous nous l’enseignez ; mais les bons guides auront de belles récompenses ; vous êtes larges en aumônes, vous ne connaissez point la convoitise et vous menez une vie bien malheureuse… Mais que Dieu soit plutôt avec nous, car tout ce que je dis est mensonge[6].

C’est surtout chez un troubadour né à l’extrémité du Languedoc, chez Peire Cardenal, que ces sentiments se retrouvent, exprimés avec une éloquence âpre et rude. Peire Cardenal est le grand troubadour de cette période du début de la décadence. C’est un de ceux qui, par la noblesse et la sincérité des sentiments et surtout par ces « haines vigoureuses » que le spectacle du vice ou de l’injustice donne aux « âmes généreuses », mérite d’avoir une place à part, et par certains côtés, une place unique parmi les troubadours. Avec lui c’en est fait des chansons joyeuses ou légères ; sa lyre est accordée sur un autre ton.

Il n’existe sur Peire Cardenal qu’une courte notice biographique du temps, écrite par un notaire de Nîmes, Michel de la Tour. Cardenal était du Puy-en-Velay ; il était de bonne naissance, fils de chevalier ; ceci est confirmé par des documents concernant la ville du Puy. Comme son compatriote Pierre d’Auvergne, il était destiné à l’état ecclésiastique. « Quand il était jeune, son père l’établit chanoine au chapitre du Puy ; il y apprit ses lettres et sut bien réciter et bien chanter. » Et le biographe ajoute : « Quand il fut arrivé à l’âge d’homme, il s’éprit de la joie de ce monde, car il se sentait gai, beau et jeune » : trois qualités de tout premier ordre pour réussir dans la carrière de troubadour. « Il composa des chansons, mais peu ; mais il écrivit maints sirventés beaux et bons… il y châtiait rudement les mauvais prêtres… » C’était un troubadour de haut étage, il se faisait accompagner d’un jongleur qui chantait ses compositions. « Il fut très honoré par le bon roi Jacme d’Aragon et autres barons. » Enfin le biographe certifie, foi de notaire, que Peire Cardenal atteignit presque l’âge de cent ans.

Plusieurs points sont dignes de remarque dans cette courte biographie ; il y est dit en particulier que Peire Cardenal composa peu de chansons : elles sont rares en effet dans son œuvre et le peu qu’il en reste nous laisse voir que Peire Cardenal n’avait aucun goût pour la poésie amoureuse.

Peire Cardenal est en effet un « misogyne » ; il continue dans la poésie provençale la tradition inaugurée par Marcabrun. Comme lui, il s’attaque à l’amour vénal et, avec son tempérament satirique, ne lui ménage pas ses traits, comme au début de la chanson suivante.

Les amoureuses, quand on les accuse, répondent gentiment. L’une a un amant parce qu’elle est de grande naissance, et l’autre parce que la pauvreté la tue ; l’autre a un vieillard et dit qu’elle est jeune fille, l’autre est vieille et a pour amant un jeune homme ; l’une se livre à l’amour parce qu’elle n’a pas de manteau d’étoffe brune, l’autre en a deux et s’y livre tout autant.

Celui-là a la guerre bien près qui l’a au milieu de sa terre ; mais il l’a bien plus près encore quand elle est près de son coussin ; quand la femme n’aime pas son mari, cette guerre est la pire de toutes. Si tel que je connais était au delà de Tolède, il n’y a sœur, femme, ni cousin qui ne s’écriât : « Que Dieu me le rende ! » ; mais quand il part, le plus triste est forcé de rire[7].

C’est là sans doute de la satire un peu facile ; elle nous paraît telle du moins ; mais elle est originale dans cette poésie idéaliste des troubadours. Il en est peu, très peu, au moins chez les plus grands, où l’on remarque un pareil sens de la vie. La plupart de leurs satires morales ne renferment que des généralités ; elles portent peu de traces d’observation ; c’est ce don d’observation que paraît avoir eu, plus que tout autre troubadour, Peire Cardenal. Aussi sa sincérité ne pouvait-elle s’accommoder des formules ordinaires, déjà vides de sens, de la poésie amoureuse. Il en a fait une piquante critique dans une de ses chansons. Il les a reprises à peu près toutes en une assez longue énumération ; aucune partie importante du vocabulaire amoureux, aucune formule consacrée n’y est oubliée ; et le tout forme la satire la plus juste qu’aucun troubadour ait jamais faite de la phraséologie amoureuse des troubadours.

Maintenant je puis me louer d’amour, car il ne m’enlève ni le manger, ni le dormir, je ne sens ni la froidure, ni la chaleur ; il ne me fait pas soupirer, ni errer la nuit à l’aventure ; je ne me déclare pas conquis ni vaincu ; il ne me rend pas triste et affligé ; je ne suis trahi ni trompé, je suis parti avec mes dés.

J’ai un plaisir meilleur, je ne trahis pas et je ne fais pas trahir — je ne crains ni traîtresse ni traître, ni féroce jaloux, je ne fais point de folie héroïque, je ne suis point frappé, je ne suis pris ni volé, je ne connais pas les longues attentes, je ne prétends pas être vaincu par amour.

Je ne dis pas que je meurs pour la plus belle, ni que la plus belle me fait languir, je ne la prie ni ne l’adore, je ne la demande ni la désire, je ne lui rends pas hommage. Je ne me donne pas, je ne me mets pas en son pouvoir, je ne lui suis point soumis, elle n’a pas mon cœur en gage, je ne suis pas son prisonnier. Mais je dis que je me suis échappé (de ses liens).

À dire vrai, on doit mieux aimer le vainqueur que le vaincu ; car le vainqueur remporte le prix, tandis qu’on va ensevelir le vaincu ; et qui purifie son cœur des mauvais désirs, cette victoire l’honore plus que la conquête de cent cités[8].

Voici, sous une forme différente, une autre attaque contre l’amour.

Je tiens pour fou l’homme qui fait alliance avec Amour ; car plus on s’y fie, plus on est malheureux. On pense se chauffer, on se brûle ; les biens d’amour viennent tard, les maux tous les jours. Les fous, les traîtres, les trompeurs, ceux-là, oui, sont bien en sa compagnie ; aussi n’y vais-je pas…

Pour moi je traiterai ma mie comme elle me traitera ; si elle me trompe, elle me trouvera infidèle ; et si elle va son droit chemin, je marcherai droit.

Jamais je n’ai tant gagné comme quand je perdis ma mie ; car en la perdant je me gagnai moi-même que j’avais perdu. On gagne peu quand on se perd soi-même ; mais quand on perd ce qui vous cause du dommage, c’est bien un gain, n’est-ce pas ?… Ah ! la douceur pleine de venin ! comme l’amour aveugle et dévoie l’homme qui place mal son amour et qui néglige ce qu’il devrait aimer[9] !

De cette chanson on pourrait rapprocher une autre où il nous livre peut-être le secret de ses sentiments hostiles à l’amour. « Si j’étais aimé ou si j’aimais, je chanterais quelquefois ; mais comme ce n’est pas le cas, je ne sais sur quel sujet chanter. Cependant je voudrais essayer une fois de voir comment je pourrais chanter mon amie, si j’en avais une. Je serais l’amant le plus parfait qui soit jamais né. J’ai aimé une fois et je sais comment vont les choses d’amour et comment j’aimerais encore[10]. » C’est la même évocation rapide et un peu mélancolique du passé qui fait dire à La Fontaine dans un mouvement semblable : « J’ai quelquefois aimé. »

Mais n’accordons pas aux chansons de Peire Cardenal plus d’attention qu’elles ne méritent ; c’est dans la satire morale et politique qu’il est vraiment supérieur. La satire n’était pas inconnue dans la poésie des troubadours et Giraut de Bornelh avait un des premiers cultivé ce genre. Mais elle prend chez Peire Cardenal plus de variété et plus d’ampleur.

Il juge avec une grande élévation de pensée, mais avec une sévérité extrême, la société de son temps ; il n’est point de vice, si grave soit-il, qu’il n’y reconnaisse. L’amour des richesses, la soif des jouissances, le triomphe de l’injustice, de la convoitise, de la fausseté, du mensonge, le relâchement des mœurs, sont ses thèmes favoris. Il les développe avec vigueur, souvent avec passion. Les grands seigneurs méridionaux qui se volaient et se pillaient mutuellement avec entrain au temps de Bertran de Born et de Giraut de Bornelh avaient par certains côtés des âmes de voleurs de grand chemin, de « routiers » ; mais ceux qui arrivèrent d’un peu partout, à la suite de Simon de Montfort, et qui prirent part à la curée finale valaient encore moins. On pense bien qu’ils n’ont pas échappé aux satires vengeresses de Peire Cardenal. La suivante donnera une idée du ton de ces satires.

On plaint son fils, son père ou son ami, quand la mort vous l’a enlevé ; mais moi je regrette les vivants qui restent en ce monde… quand ils sont menteurs, misérables, voleurs, larrons, parjures, traîtres que le diable mène et qu’il enseigne comme on ferait un enfant…

Je regrette qu’un homme soit voleur, mais je regrette bien plus qu’il jouisse trop longtemps de ses vols et qu’on ne l’ait pas pendu… je ne regrette pas que ces gens-là meurent, mais je regrette qu’ils vivent et qu’ils aient des héritiers pires qu’eux…

Je plains le monde, où il y a tant de fripons ; les hommes y sont dans une telle erreur et perversité qu’ils regardent les vices comme des vertus et les maux comme des biens ; les preux sont blâmés, les lâches estimés, les mauvais deviennent bons, les torts sont des bienfaits et la honte est un honneur…

Il semble que mon chant ne vaut rien, car je l’ai ourdi et tissu de satires ; mais d’un méchant arbre on ne cueille pas facilement de bons fruits — et je ne sais pas faire un beau discours sur de mauvaises actions[11].

Jusqu’à quel point cette satire et tant d’autres du même genre correspondent-elles à la réalité ? Il est difficile de le dire. L’exagération, la violence, et un fonds inguérissable de pessimisme caractérisent les satiriques dans toutes les littératures. Mais d’autre part on sait comment les périodes de troubles et de violences déchaînent vite la bête humaine et Peire Cardenal, comme Agrippa d’Aubigné, par exemple, auquel il ressemble par certains côtés, a vécu dans un temps et dans un milieu où les mauvais instincts ont eu de belles occasions de se donner libre carrière.

Ce qui le choque le plus, dans cette société, c’est l’orgueil et la méchanceté des parvenus ; c’est encore là un de ses thèmes favoris ; le voici simplement indiqué, mais sous une forme imagée. « Quand un homme puissant est en chemin, il a comme compagnon — devant, à côté, derrière lui — le Crime ; la Convoitise est du cortège, le Tort porte la bannière et l’Orgueil le guidon[12]. »

La sympathie du satirique est acquise aux victimes de ces grands criminels, aux pauvres gens qui ont si souvent pâti, au moyen âge, des crimes des grands. Il les console, comme le ferait un prédicateur : « Comme l’argent s’affine dans le feu ardent, ainsi s’affine et s’améliore le bon pauvre qui garde sa patience au milieu des durs travaux ; quant au mauvais riche, plus il cherche son bien-être, plus il gagne de douleur, de peine et de chagrin[13]. »

Notre troubadour a exposé une fois sous une forme originale sa conception du monde ; voici le récit qu’il a imaginé.

Il existait une cité, je ne sais où ; il y tomba une pluie de telle nature que tous ceux qui en furent atteints devinrent fous : tous, à l’exception d’un seul… il se trouvait dans sa maison et dormait quand la pluie tombait. Quand la pluie eut cessé, il se leva et vint parmi le public ; il vit faire toutes sortes de folies : l’un lançait des pierres, l’autre des bâtons, l’autre déchirait son manteau ; celui-ci frappe son voisin, celui-là pense être roi, l’autre saute à travers les bancs… Celui qui avait son bon sens fut fort étonné de ce spectacle, mais les autres manifestaient encore plus d’étonnement ; ils pensent qu’il a perdu son bon sens, car ils ne lui voient pas faire ce qu’ils font ; il leur semble que ce sont eux qui sont sage et sensés et que c’est lui le fou[14].

Bref ils lui tombent dessus à bras raccourcis et il s’enfuit à demi mort. C’est l’image du monde, dit Peire Cardenal ; les hommes sont les fous, mais ils regardent comme fou celui qui ne leur ressemble pas, parce qu’il a le « sens de Dieu » et non celui du « monde ». C’est en somme un véritable sermon que cette fable, mais sous une forme imagée et en quelque sorte populaire. Peire Cardenal a un tempérament de sermonnaire et de prêcheur ; ce côté de son talent sera étudié ailleurs, dans le chapitre suivant consacré à la poésie religieuse.

Quittons la satire générale pour étudier un autre côté important de l’œuvre de Peire Cardenal : ce sont ses satires contre les croisés et contre le clergé. Les premières — contre les Français — sont les moins développées ; Cardenal reproche aux croisés leur intempérance (reproche ordinaire adressé aux hommes du Nord) et leur cruauté. « Les Italiens (Apuliens), les Lombards et les Allemands sont fous, dit-il, s’ils veulent avoir les Français et les Picards pour maîtres et alliés ; car leur plaisir consiste à tuer des innocents[15]. » « Les Français buveurs ne vous font pas plus peur, dit-il ailleurs au comte de Toulouse, Raimon VI, que la perdrix à l’autour[16]. »

Tels sont à peu près les seuls traits de satire contre les hommes du Nord ; une allusion à Simon de Montfort est un éloge de sa vaillance.

C’est au clergé[17] qu’il réserve ses satires les plus hardies et les plus vigoureuses. Ce troubadour est un anticlérical enragé. Peire Cardenal est un croyant sincère, comme on le verra plus loin ; mais il a contre le clergé séculier ou régulier de son temps une haine profonde. Il n’est pas de vice qu’il ne lui reconnaisse : la simonie, la débauche, la soif des richesses sont les plus communs. Quelques extraits de ses satires — et il en est de si violentes qu’on ne peut les citer — donneront une idée de cette haine et des motifs qui paraissent l’avoir provoquée chez Peire Cardenal.

Les clercs se font bergers et semblent des saints, mais ce sont des criminels ; quand je les vois habiller, il me souvient d’Isengrin qui, un jour, voulut venir dans l’enclos des brebis ; mais par peur des chiens il se vêtit d’une peau de mouton, puis mangea tous ceux qu’il voulut.

Rois, empereurs, ducs, comtes et chevaliers gouvernent d’ordinaire le monde ; maintenant ce sont les clercs qui ont le pouvoir, ils l’ont gagné en volant ou en trahissant, par l’hypocrisie, les sermons ou la force… je parle des faux prêtres qui ont toujours été les plus grands ennemis de Dieu[18].

Les rois, comtes, baillis ou sénéchaux, est-il dit dans une autre satire, s’emparent des villes et des châteaux ; l’Église imite leur exemple.

Ses hauts prélats accroissent leurs dettes sans mesure ; si vous tenez d’eux un beau fief, ils le convoiteront et ne vous le rendront pas facilement, à moins que vous ne leur donniez de l’argent et que vous ne fassiez avec eux une convention plus dure.

Si Dieu veut que les moines noirs (bénédictins) se sauvent par la bonne chère, les moines blancs par leur refus de payer, les chevaliers du Temple et de l’Hôpital par leur orgueil, et les chanoines par leurs prêts à usure, je tiens pour fous saint Pierre et saint Andrien qui souffrirent pour Dieu grand tourment, si ces gens-là parviennent à leur salut[19].

Voici d’autres traits satiriques du même genre : « Un seigneur avide n’aime pas voir son pareil ; les clercs ont la même convoitise ; ils ne voudraient voir dans le monde aucune autre classe d’hommes qui détienne le pouvoir ; ils ont fait des lois pour obtenir des terres, pour les accroître, non pour les diminuer, car un peu de puissance ne gêne pas.

« Je vois les clercs essayer de toutes leurs forces de mettre le monde en leur puissance… et ils y arrivent en prenant ou en donnant, par hypocrisie ou pardon, par le boire ou le manger, avec l’aide de Dieu ou avec l’aide du diable[20]. »

Moines blancs ou moines noirs, prêtres de toute robe et de tout ordre sont compris dans ces satires. Mais parmi les ordres nouveaux un paraît exciter plus que tout autre la verve satirique de Peire Cardenal, ce sont les Jacobins ; si le portrait qu’il en trace est exact — et d’autres documents nous renseignent sur l’état des ordres religieux fondés après la croisade — on peut voir quels étranges serviteurs soutenaient au milieu des populations méridionales la cause de la religion pour laquelle ces populations avaient été frappées.

Avec une voix angélique, d’une langue déliée, avec des mots subtils, avec de purs sanglots, ils montrent la voie du Christ que chacun devrait suivre, comme il la suivit pour nous… La religion fut d’abord honorée par des hommes ennemis du bruit ; mais les Jacobins ne se taisent pas après leur repas ; ils discutent sur les vins pour savoir quels sont les meilleurs ; querelles et procès sont leur vie ordinaire et ils traitent de Vaudois qui les en détourne ; ils cherchent à connaître les secrets pour mieux se faire craindre…

Leur pauvreté n’est pas une pauvreté spirituelle ; tout en gardant leurs biens ils prennent celui des autres ; ils laissent pour de belles robes tissées en laine anglaise le cilice qui leur est trop rude ; ils ne partagent pas leur manteau comme faisait saint Martin — ils convoitent les aumônes destinées aux pauvres[21].

Voici dans la même satire le portrait en pied du jacobin.

Vêtus de vêtements fins et souples, amples, légers en été, épais en hiver, avec de bonnes chaussures, semelles à la française, et quand il fait grand froid en bon cuir de Marseille bien cousu, ils vont prêchant et disent qu’au service de Dieu ils mettent leur cœur et leur avoir…

Cette vie inspire à notre troubadour une réflexion toute rabelaisienne : vivons gaîment, dit-il, plus de jeûne ni de pénitence, bons « coulis et bonne sauces bien grasses », des vins de choix, suivons le bon exemple : « si les bons vins, la bonne chère et la bonne vie mènent à Dieu, nous irons sûrement », aussi sûrement qu’eux.

Cette dernière réflexion ne doit pas nous cacher ce qu’il y a de grave et de hardi dans ces satires. On y trouve en raccourci les arguments les plus redoutables qu’on ait invoqués sinon contre l’Église et contre la religion, du moins contre ses serviteurs. La recherche de la puissance politique, la mainmise sur les cœurs, dans un ordre moins relevé l’amour des richesses en désaccord si parfait avec la pauvreté de l’Église primitive, ce sont là des attaques qui ne lui ont pas été ménagées dans la polémique moderne ; elles datent de loin ; parmi les ordres qui se forment pendant le xiiie siècle celui des Frères Mineurs, rival de celui des Dominicains, a pour règle et pour principes le mépris des richesses et ce principe engendrera avec Bernard Délicieux des querelles et des hérésies.

Les attaques suivantes ne sont pas moins graves.

Les moines sont si cupides, si pleins d’orgueil et de mauvais désirs, qu’ils connaissent cent fois plus de ruses que voleurs et malfaiteurs ; s’ils peuvent causer avec vous de vos secrets vous ne pourrez pas plus vous en défaire que s’ils étaient vos frères.

Voilà comment ils bâtissent leurs maisons et créent leurs beaux vergers ; mais ce ne sont pas leurs sermons qui convertiront Turcs ou Persans, car ils ont trop peur de passer la mer et d’y mourir ; ils aiment mieux bâtir ici que se battre là-bas (en Terre Sainte).

Pour de l’argent vous obtiendrez d’eux votre pardon, quelque mal que vous ayez fait ; pour de l’argent ils sont tellement ingénieux qu’ils donnent la sépulture aux usuriers ; mais ils ne visitent, ni n’accueillent ni n’ensevelissent le pauvre.

Ils ne font que quêter toute l’année ; puis ils s’achètent de bons poissons, beau pain blanc, bons vins savoureux, bons vêtements chauds contre le froid ; plût à Dieu que je fusse de tel ordre, si je pouvais être sauvé[22] !

Et voici enfin contre les ordres religieux un dernier trait plus violent que les autres.

Les vautours ne sentent pas plus vite la chair puante que les clercs et les frères Prêcheurs ne sentent où est la richesse ; aussitôt ils deviennent l’ami du riche et si la maladie l’accable, ils se font faire des donations… Mais savez-vous que devient la richesse mal acquise ? il viendra un fort voleur qui ne leur laissera rien ; c’est la Mort qui les abat et, avec quatre aunes de drap, les envoie dans une demeure où les maux ne leur manqueront pas[23]

Cependant l’homme qui a écrit ces violentes satires et bien d’autres que nous ne pouvons citer fut un croyant sincère. Cela ressort de l’ensemble de son œuvre et aussi d’un bel acte de foi qui forme la première partie d’une de ses satires, et dont voici la traduction.

Avec des mots nouveaux, avec art et sur un sujet divin, je ferai un poème magistralement composé : car je crois que Dieu naquit d’une mère sainte par qui le monde fut sauvé ; il est Père, Fils et Sainte Trinité et il est un en trois personnes.

Je crois qu’il entr’ouvrit le ciel et qu’il en fit choir les anges quand il vit qu’ils étaient damnés. Je crois que saint Jean le tint entre ses bras et le baptisa dans l’eau du fleuve…

Je crois à Rome et à saint Pierre, à qui il fut ordonné d’être juge de pénitence, de sens et de folie[24].

Il n’est pas sans intérêt de comparer à cet acte de foi le « credo » que Dante exprime au chant XXIV du Paradis.

Je crois en un seul Dieu, seul et éternel, qui fait mouvoir le Ciel et qui n’est agité ni par l’amour ni par le désir… je crois en trois personnes éternelles et je crois qu’elles sont d’une seule et d’une triple essence… Pour cette croyance je n’ai pas les seules preuves physiques et métaphysiques, mais j’ai encore comme preuve la vérité qui s’est manifestée sur terre par Moïse, par les Prophètes, par les Psaumes et par l’Évangile…

Sans doute ce sont là des formules bien connues des catholiques, mais chez ces deux poètes, Peire Cardenal et Dante, elles prennent un éclat nouveau par la place qui leur est donnée. Dante, en plaçant sa déclaration presque à la fin de son grand poème, a voulu donner la preuve, la marque de son orthodoxie et il l’a fait en vers magnifiques. Peire Cardenal a eu aussi la même intention. Un acte de foi de ce genre n’était pas chose inutile en ce temps-là ; mais celui-ci prend encore plus de valeur par le contraste qu’il forme avec la fin de la composition ; le tempérament satirique du poète reparaît ; voilà ce que je crois, dit Peire Cardenal, mais voilà ce que ne croient pas les mauvais prêtres, « larges en convoitises mais chiches de bonté ; ils sont beaux de visage, mais leur âme criminelle fait horreur ; Caïphe et Pilate obtiendront grâce plutôt qu’eux ».

On a remarqué sans doute le passage où Peire Cardenal affirme sa croyance à Rome et à saint Pierre[25]. Il s’en prend en effet aux faux prêtres, aux ordres religieux nouvellement institués, mais ne s’attaque pas à la papauté, seule responsable cependant des malheurs et des misères dont il est le témoin. Est-ce par prudence ou plus probablement par scrupule de croyant ? Quoi qu’il en soit, ces scrupules n’ont pas arrêté un de ses contemporains, le troubadour Guillem Figueira[26]. Il était originaire de Toulouse et paraît avoir séjourné dans la Haute-Italie, à la cour de l’empereur Frédéric II. Le milieu où il était né et celui où il vécut n’étaient pas faits pour développer ses sentiments de respect envers la papauté. On lui doit en effet la satire la plus violente et la plus hardie que le moyen âge se soit permise contre cette puissance. On en jugera par les extraits suivants.

Je ne m’étonne pas, Rome, si le monde est dans l’erreur, car c’est vous qui avez déchaîné dans le siècle les maux de la guerre… Rome trompeuse, la convoitise vous trompe aussi, car à vos brebis vous tondez trop de laine…

Rome, aux hommes simples vous rongez la chair et les os et vous menez les aveugles avec vous dans la fosse ; vous foulez aux pieds les commandements de Dieu, et votre convoitise est trop grande, car vous pardonnez les péchés pour de l’argent. Rome, vous vous chargez d’un grand fardeau de crimes. Puisse Dieu vous abattre et vous faire déchoir, car vous régnez pour l’argent… Rome, vous tenez votre griffe si serrée que ce que vous pouvez tenir vous échappe difficilement…

Et voici le trait final de cette série d’invectives :

Rome, vous avez l’allure simple de l’agneau, mais au fond vous avez la rapacité du loup ; vous êtes un serpent couronné, engendré de vipère, et le diable vous aime comme son intime ami[27].

Cette attaque ne resta pas sans réponse ; le champion de la papauté fut une poétesse, une dame de Montpellier, dame Gormonde. Elle répond strophe par strophe à la pièce de Guillem Figueira ; elle souhaite à Toulouse, la patrie du mécréant, et au comte Raimon tous les malheurs possibles. Mêmes vœux pour Frédéric II, ennemi de la papauté et protecteur du troubadour ; elle termine par la charitable prière suivante. « Rome, que le Roi glorieux qui pardonna à Madeleine fasse périr le fou enragé qui répand de telles calomnies et qu’il le fasse mourir de la mort des hérétiques. » Le souvenir du pardon accordé à Marie-Madeleine n’a pas adouci le cœur de la dévote poétesse[28].

La riposte est d’ailleurs loin d’avoir l’allure violente et par moments si éloquente de l’attaque. Le fait qu’une femme écrit une poésie religieuse pour défendre la papauté est un nouveau signe des temps. Nous voilà loin, bien loin de la comtesse de Die. Il s’est produit dans les mœurs une transformation profonde. La ruine de la noblesse méridionale, la destruction de ces foyers intellectuels et surtout poétiques que furent la plupart des petites cours du Midi a porté à la poésie des troubadours une atteinte dont elle ne se relèvera pas ; l’établissement de l’Inquisition, la création des ordres religieux, la transformation qui s’opère dans les mœurs amènent le développement d’une poésie nouvelle : c’est la poésie religieuse.


  1. Cf. Lea, Histoire de l’Inquisition, trad. fr., Paris, 3 vol.
  2. Cf. pour une partie de ce qui suit A. Luchaire, Innocent III, la croisade contre les Albigeois, Paris, 1905.
  3. Luchaire, loc. sign., p. 182.
  4. Aimeric de Pégulhan, Gr., 34, Parn. occit., p. 171.
  5. Sur Raimon de Miraval, cf. P. Andraud, La vie et l’œuvre du troubadour Raimon de Miraval, Paris, 1902.
  6. Bernard Sicard de Marvejols, Raynouard, Choix, IV, 191.
  7. Peire Cardenal, Gr., 30 ; Appel, Prov. Chr., no 78.
  8. Bartsch, Chr. Prov., col. 174.
  9. Parn. occ., p. 306.
  10. Mahn, Gedichte, no 1248.
  11. Raynouard, Lexique roman, I, 448.
  12. Parn. occit., 313.
  13. Ibid., 312.
  14. Ibid., 321.
  15. Ibid., 310.
  16. Ibid., 309. Cf. dans la même pièce la strophe suivante : « Maintenant est venue de France l’habitude de ne convier que ceux qui ont abondance de blé ou de vin ». Sur Simon de Montfort, cf. la pièce Per fols tenc… str. 2 (Parn. occ., p. 311).
  17. Clercs et Français sont attaqués ensemble dans une strophe de la pièce Tartarasso ni voutour (Parn. occ., p. 320). Mêmes attaques dans une poésie de Guillaume Anelier de Toulouse, Raynouard, L. R., 481.
  18. Appel, Prov. Chr., p. 113.
  19. Mahn, Gedichte, no 975.
  20. Raynouard, Choix, IV, 337.
  21. Mahn, Gedichte, no 1233.
  22. Ibid., no 1228.
  23. Bartsch, Chr. prov., col. 173.
  24. Parn. occit., p. 324 ; cf. aussi Appel, Prov. Chr., no 79. Cardenal appelle son poème un estribot, mot assez rare désignant un genre peu connu. Cf. encore Raimbaut d’Orange dans la pièce : Escotatz.
  25. Cf. cependant la satire de la papauté et des hauts prélats dans la Gesta de Peire Cardenal (Car motz homes fan vers), sorte de poème satirique où il s’attaque à toute la société, du pape aux paysans.
  26. Sur Guillem Figueira, cf. l’édition de ce troubadour par Emil Levy, Berlin, 1880.
  27. Crescini, Manualetto, p. 327. La pièce se compose de vingt-trois strophes.
  28. Raynouard, Choix, IV, 319.