Un Factum contre André Chénier

La bibliothèque libre.

UN FACTUM


CONTRE


ANDRÉ CHÉNIER.




…………… Offendet solido.
(HORACE.)


C’est la première attaque qui vienne depuis long-temps s’essayer contre cette pure et charmante gloire. Faut-il la laisser passer sans y prendre garde ? Il n’y aurait guère d’inconvénient au premier abord ; car l’article de M. Arnould Fremy, intitulé : André Chénier et les poètes grecs, qui a paru dans la Revue indépendante du 10 mai, ne semble pas destiné, quel qu’en puisse être le mérite, à exercer une vive séduction ni à obtenir un grand retentissement. La forme en est enveloppée et comme empêchée, la pensée en reste souvent obscure ; le critique a bonne envie d’attaquer, et il ne veut pas avoir l’air d’être hostile ; il proteste de son respect, et il multiplie les restrictions à mesure qu’il aggrave les offenses ; on dirait que, dans ce duel littéraire qu’il entreprend, il n’ose enfoncer sa pointe ni casser tout-à-fait le bouton de son fleuret. Nous le ferons pour lui ; nous chercherons à dégager nettement toute sa conclusion et à découvrir ce qu’elle vaut. Le critique se figurerait peut-être qu’on lui donne gain de cause, si on ne le réfutait pas ; et puis, l’appareil scientifique qu’il affecte pourrait faire illusion à quelques-uns.

M. Arnould Fremy, qui se porte aujourd’hui pour juge absolu du véritable esprit de la poésie grecque et de la simplicité antique, a commencé, il y a une quinzaine d’années, sous des auspices bien différens. Il serait peu généreux en toute autre circonstance de s’en souvenir, et de venir rappeler des ouvrages de lui appartenant par leur nuance à la littérature la plus moderne, et qu’il semble avoir si parfaitement oubliés ; mais tout se tient, et il est des contre-coups bizarres à de longues distances. M. Fremy qui, jeune, ne trouva pas à ouvrir sa voie dans les tentatives d’alors, et qui dissipa ses premiers efforts dans les conceptions les plus hasardées, fit preuve, à un certain moment, d’une volonté forte et d’un bien rare courage : il rompit brusquement avec cette imagination qui ne lui répondait pas, avec ce passé qu’il avait fini par réprouver ; il aborda les études sévères, les hautes sources du savoir et du goût, et il en sortit après plusieurs années comme régénéré. Une thèse de lui sur les variations de la langue française au XVIe siècle vint attester à la fois la précision des connaissances et l’orthodoxie des principes. Cette orthodoxie, il est vrai, pouvait bien sembler un peu étroite et se ressentir de ces excès de rigueur qui sont ordinaires aux grands convertis ; mais il y avait lieu aussi de penser qu’une fois hors du cercle des thèses universitaires et en possession des gloires du doctorat, rentré dès-lors dans le champ libre de la littérature, l’auteur trouverait un juste tempérament, et que l’ami, et un peu le disciple de Stendhal, saurait échapper aux formules du dogme. Nous croyons encore M. Fremy très digne de ce rôle mixte, à la fois sérieux et point pédant ; il a eu pourtant au début une inspiration malheureuse, selon nous : il y avait peut-être à faire un meilleur usage de ses acquisitions classiques que de commencer par les tourner contre André Chénier, et de venir déclarer en suspicion une muse en qui le parfum antique est universellement reconnu.

Je m’étais toujours figuré, je l’avoue, un rôle tout autre pour un homme de l’école moderne, de cette jeune école un peu vieillie, qui se serait mis sur le retour à étudier de près les anciens, et à déguster dans les textes originaux les poètes : c’eût été bien plutôt de noter les emprunts, de retrouver la trace de tous ces gracieux larcins et de nous initier à l’art charmant de celui qui se plaisait souvent à signer : André ; le Français-Byzantin. Sans doute, en considérant avec détail les maîtres, on aurait pu trouver plus d’une fois que l’imitateur n’avait pas tout rendu, qu’il était resté au-dessous ou pour la concision ou pour une certaine simplicité qui ne se refait pas ; c’est l’inconvénient de tous ceux qui imitent, et Horace, mis en regard des Grecs, aurait à répondre sur ces points non moins que Chénier ; mais tout à côté on aurait retrouvé chez celui-ci les avantages, là où il ne traduit plus à proprement parler, et où seulement il s’inspire ; on aurait rendu surtout justice en pleine connaissance de cause à cet esprit vivant qui respirait en lui, à ce souffle qu’on a pu dire maternel, à cette fleur de gâteau sacré et de miel dont son style est comme pétri, et dont on suivrait presque à la trace, dont on nommerait par leur nom les diverses saveurs originelles ; car, à de certains endroits aussi, ne l’oublions pas, l’aimable butin nous a été livré avant la fusion complète et l’entier achèvement. En un mot, il y aurait eu, il y aurait pour un esprit qui, dans sa jeunesse, aurait aimé de passion Chénier, et qui arriverait ensuite aux anciens, à démontrer de plus en plus en ce rejeton imprévu le dernier et non pas le moins désirable des Alexandrins, ou encore, si l’on veut, un délicieux poète qui a su marier le XVIIIe siècle de la Grèce au XVIIIe siècle de notre France, et qui a trouvé en cette greffe savante de singuliers et d’heureux effets de rajeunissement.

M. Arnould Fremy n’a pas voulu entrer dans l’examen de l’auteur par ce côté qui, selon nous, était le plus indiqué, et qui laissait d’ailleurs tout son jeu à la critique et à l’érudition ; il semble, en vérité, qu’il se soit dit, avant tout, qu’il y avait quelque chose à faire contre André Chénier, sauf à fixer ensuite les points ; l’historique assez inexact qu’il trace des vicissitudes et du succès des œuvres est empreint à chaque ligne d’un accent de dépréciation qui a peine à se déguiser. Il essaie de décomposer et d’expliquer la fortune d’André Chénier par toutes les raisons les plus étrangères au talent même et au charme de ses vers ; il côtoie complaisamment les suppositions les plus gratuites en finissant par les rejeter, sans doute, mais avec un regret mal dissimulé de ne les pouvoir adopter : « On se demanda, écrit-il, (lorsque ces poésies parurent), si on n’admirait pas sous la garantie d’une muse posthume l’effort d’un esprit moderne ; si, sous la main d’un éditeur célèbre et poète lui-même, telle épître ou telle élégie n’avait pas pu s’envoler d’un champ dans un autre, et sans qu’il lui fût bientôt permis de revenir à la voix de son premier maître. Puis de nouveaux fragmens furent publiés, le recueil se grossit par degrés, et l’on put craindre de voir s’étendre indéfiniment l’héritage d’une destinée poétique dont le fil avait été si tôt tranché. Mais bientôt ces doutes, que d’ailleurs la modestie et la bonne foi du premier éditeur ne pouvaient laisser subsister long-temps, s’évanouirent d’eux-mêmes. On crut à André Chénier comme à un poète authentique et réel.... »

Tout cela veut dire, en style embarrassé, que, lorsque M. de Latouche publia en 1819 les poésies d’André Chénier, quelques personnes n’auraient pas été fâchées de croire ou de donner à entendre que ces poésies étaient, au moins en partie, du fait du célèbre éditeur ; il est dommage que M. Fremy n’ait pas été à cette époque en âge de se former un avis, on peut conjecturer, au ton dont il en parle, que cette supposition ne lui aurait pas déplu ; ce qui est bien certain, c’est que M. Fremy a depuis éprouvé moins de joie que de regret chaque fois qu’un zèle curieux est venu ajouter au premier recueil du poète quelques pièces nouvelles : on a pu craindre, dit-il, d’en voir le nombre s’accroître indéfiniment ; il trouvait qu’il y en avait bien assez sans cela. Le fond du cœur commence à percer : ce n’est pas un ami, ce n’est pas même un indiffèrent qui écrit ici sur André Chénier. D’où vient cette dent première ? Je l’ignore. Anacréon dit qu’il y a un petit signe auquel on reconnaît les amans ; il y a aussi un petit signe, un je ne sais quoi auquel se reconnaissent d’abord ceux qui ont un parti pris de ne pas aimer.

M. Fremy entre en matière par se poser sur André Chénier la question solennelle et formidable que voici : « Doit-il être, dès à présent, considéré comme le souverain représentant de la littérature poétique de notre siècle ? » Et il part de là pour réfuter ; c’est se faire beau jeu en commençant. J’avoue que, malgré ma prédilection pour l’excellent poète, je n’avais jamais songé jusqu’ici, ni personne non plus, je pense, à lui déférer cette représentation universelle et souveraine. André Chénier, en effet, à le prendre comme un de nos contemporains, selon la Action qu’on aime, serait du groupe de Béranger, Victor Hugo et Lamartine ; c’est un des quatre, si l’on veut, et à ce titre il ne représenterait qu’un des côtés de la poésie de notre époque, ce qui est tout différent.

Je ne suivrai pas M. Fremy dans ses préambules assez tortueux ; il ne manque pas de décocher au passage bon nombre d’épigrammes sourdes contre les inventeurs de rhythmes nouveaux, qui, en ce temps-là, se prévalurent de l’autorité d’André Chénier ; ce sont déjà de bien vieilles querelles dans lesquelles les épigrammes elles-mêmes ont le tort d’être devenues fort surannées. Qu’il sache de plus que même dans leur nouveauté elles ont été impuissantes, et que les points essentiels, les seuls auxquels on tenait, demeurent désormais gagnés. M. Fremy a l’air de penser à un endroit que le rapprochement qu’on faisait d’André Chénier et des poètes du XVIe siècle était forcé, et il va tout à l’heure adresser à Chénier des reproches qui tendraient précisément à le confondre en mauvaise part avec ces mêmes poètes. En général, tout ce début n’est pas net ; l’auteur voudrait dire et ne dit pas ; mais j’arrive à l’opinion fondamentale, et je la résume ainsi :

André Chénier, en regard de l’antiquité, n’est qu’un copiste, un disciple qui s’attache à la superficie et aux couleurs plutôt qu’à l’esprit ; il abonde en emprunts forcés, il pille au hasard et fait de ces larcins grecs et latins un pêle-mêle avec les fausses couleurs de son siècle. Il ne mérite en rien, selon M. Fremy, une place dans le groupe sublime des anciens, si large et si varié qu’on veuille faire ce groupe. Homère est le roi et presque le dieu des anciens, mais il y a bien des rangs au-dessous : Euripide, après Sophocle, y figure ; Théocrite, un des derniers, n’y messied pas ; et chez les Latins, Horace, Tibulle, Properce, même Ovide. Eh bien ! André Chénier n’en est, lui, à aucun degré ; car, en étudiant beaucoup et en ayant une connaissance plus que suffisante de l’antiquité, il n’a pas su dans ses imitations observer la mesure ni maintenir sa propre originalité. Tous les critiques français jusqu’ici, ceux même qui ne sont pas des critiques de parti (c’est sous ce dernier titre que M. Fremy veut bien nous désigner sans nous nommer) ont, il est vrai, reconnu dans André Chénier le parfum exquis de l’Hymète : eh bien ! tous se sont trompés et ont jugé à la légère : M. de Chateaubriand, qui a publié le premier la Jeune Captive ; M. Villemain, qui a consacré une leçon à ce poète d’étude et de passion, à cet ingénieux passionné, comme il le qualifiait ; M. Patin, qui, tous les jours, dans son cours de poésie latine, éclaire le rôle de Catulle ou d’Horace chez les Latins par celui de Chénier parmi nous, tous ces esprits supérieurs et délicats ont fait fausse route à cet endroit. M. Fremy arrive tout exprès, il descend du Cythéron pour leur révéler le vrai sens de l’antique, pour définir le point précis et mesurer les doses.

Et remarquez que, tout en contestant à Chénier cette part essentielle qui fait la clé de son talent, M. Fremy proteste qu’il ne veut en rien rabaisser sa gloire ; il a l’air de vouloir le louer de ses odes, de ses ïambes et de ses élégies, comme si dans toutes ces parties de son œuvre le poète faisait autre chose qu’appliquer le même procédé en le dégageant de plus en plus.

André Chénier a imité dans les idylles attribuées à Théocrite celle qui a pour titre et pour sujet l’Oaristys, c’est-à-dire la conversation familière d’un pasteur et d’une bergère au fond des bois ; c’est une des pièces dont on trouverait le plus d’imitations chez nos vieux poètes, qui d’ordinaire l’ont plutôt paraphrasée et légèrement parodiée en y substituant quelque chasseur moderne qui rencontre une villageoise. Mais pourquoi Chénier a-t-il été choisir dans le recueil de Théocrite cette idylle-là plutôt qu’une autre ? se demande d’abord M. Fremy ; et il voit déjà dans ce choix l’indice d’un goût peu sûr : « car, ajoute-t-il en style étrange, l’Oaristys s’éloigne sous plus d’un point de ces sujets naturels et simples où l’on sent à peine l’effort de l’art. » J’avoue que, lorsque je vois un critique aborder sur ce ton des œuvres toutes de grâce et d’élégance, j’entre aussitôt en une méfiance extrême, et je me demande si l’écrivain de cette prose est bien un maître-juré en telle expertise de poésie (arbiter elegantiarum). M. Fremy, qui préconise uniquement chez les anciens une certaine ingénuité et simplicité qu’on ne conteste pas, mais qu’il exagère, oublie tout-à-fait une autre qualité qu’ils n’ont pas moins, le tenuem spiritum, comme l’appelle Horace ; ce qui faisait dire encore à Properce dans une élégie que tout à l’heure nous rappellerons :

Exactus tenui pumice versus eat.

En un mot, M. Fremy paraît ne tenir aucun compte chez les anciens de la grâce, de la légèreté et de la finesse.

L’Oaristys, qui n’est qu’une imitation directe, une traduction un peu libre, ne suffit pas à M. Fremy pour déployer toute sa théorie contradictoire, et il s’attaque courageusement à cette belle idylle intitulée l’Aveugle. Il voudrait avant tout que le poète eût débuté autrement ; car les anciens commencent d’ordinaire par définir leur sujet, par dire : Je chante tel homme ou telle chose. Hors de là, il n’y a pas de bon début à l’antique. Et c’est là le critique qui accusera tout à l’heure Chénier d’un peu de pédanterie ! Notez bien, s’il vous plaît, qu’il l’aurait immanquablement accusé de pastiche, s’il y avait surpris le début commandé. Mais je redirai moi-même ici comment j’entends la composition de l’Aveugle.

Chénier est plein de la lecture d’Homère ; il voudrait en reproduire en français l’accent et quelques-unes des grandes images, en offrir un échantillon proportionné ; il a l’idée de ramener l’épopée au cadre de l’idylle, et l’histoire qu’il imagine pour cela n’a rien que de très autorisé par la tradition. Chénier en effet avait lu (ce que M. Fremy ne paraît pas avoir fait) la Vie d’Homère, faussement attribuée à Hérodote, mais qui, si fabuleuse qu’elle soit, exprime très bien le fonds des légendes populaires qui circulaient sur le poète. Chénier se ressouvient donc de l’arrivée de l’aveugle à Chio chez Glaucus ; il se ressouvient de l’injure des habitans de Cymé, et de là l’imprécation éloquente :

Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne, etc.


Dès le début, les aboiemens des molosses nous ont reporté à l’arrivée, d’Ulysse chez Eumée ; tous ces souvenirs s’entrelacent heureusement et se combinent. « Ne devait-on pas s’attendre au moins, s’écrie M. Fremy, à retrouver, dans un sujet où le poète a entrepris de faire chanter Homère, quelques-unes des beautés empruntées aux poèmes, de son héros ? » Aussi les images empruntées et les libres réminiscences se succèdent enchâssées avec art ; le palmier de Latone, auquel le vieillard compare les gracieux enfans, ne nous ramène-t-il pas vers. Ulysse naufragé s’adressant en paroles de miel à Nausicaa ? — Mais, est-il vrai, demande M. Fremy, que « jamais, chez les anciens, les devoirs de l’hospitalité aient pu dépendre d’un effet de poétique ? » Et il ne veut voir dans cette manière de présenter l’aveugle harmonieux qu’une perspective romanesque au service du commentateur moderne. Heureusement, dans le bel hymne à Apollon attribué à Homère, on lit ce passage dans lequel le divin aveugle n’est pas présenté autrement que ne l’a fait Chénier, si abreuvé de ces sources habituelles : « … Elles (les jeunes filles de Délos), elles savent imiter les chants et les sons de voix de tous les hommes ; et chacun, à les écouter, se croirait entendre lui-même, tant leurs voix s’adaptent mélodieusement ! Mais allons, qu’Apollon avec Diane nous soit propice, et adieu, vous toutes ! Et souvenez-vous de moi dorénavant lorsqu’ici viendra, après bien des traverses, quelqu’un des hôtes mortels, et qu’il vous demandera : « O jeunes filles ! quel est pour vous le plus doux des chantres qui fréquentent ce lieu, et auquel de tous prenez-vous le plus de plaisir ? » Et vous toutes ensemble, répondez avec un doux respect : « C’est un homme aveugle, et il habite dans Chio la pierreuse ; c’est lui dont les chants l’emportent à présent et à jamais ! » — Toute la fin de l’idylle correspond à cet endroit de l’hymne, et au besoin s’y appuie.

Après avoir méconnu les sources où Chénier a puisé, M. Fremy ne se lasse pas d’admirer et de préférer l’Aristonoüs de Fénelon. Fénelon est un de ces beaux noms dont on use volontiers : bien des gens qui n’ont guère de christianisme sont toujours prêts à dire qu’ils sont de la religion de Fénelon ; dans ce cas-ci, nous laisserons donc M. Fremy nous assurer qu’il est classique comme l’auteur du Télémaque. Dans le chant que met André Chénier sur les lèvres d’Homère, il assemble toute une série de grands sujets, et tandis que se déploie devant nous ce riche canevas, ce tissu des saintes mélodies, on y reconnaît et on se rappelle successivement, tantôt le chant de Silène dans l’églogue VIe de Virgile, tantôt le bouclier d’Achille et les diverses scènes qui y sont représentées, puis encore des allusions à diverses circonstances de l’Odyssée ; mais, vers la fin du chant, le combat des Centaures et des Lapithes prend le dessus, et tout d’un coup on y assiste. Ovide, au chant XII des Métamorphoses, avait déjà mis un récit de cette mêlée dans la bouche de Nestor ; Chénier n’a pas à redouter ici la confrontation, et dans ce tableau qu’il résume, pour la vivacité, pour la vigueur concise, il garde bien ses avantages. M. Fremy élève à ce propos une singulière chicane qui a tout l’air d’une méprise ; il reproche au poète d’avoir, dans la peinture du Riphée, employé ce vers :

L’héréditaire éclat des nuages dorés.

« Une expression d’un goût aussi moderne que celle de l’héréditaire éclat suffit, sans doute, ajoute-t-il, pour détruire toute l’harmonie de la couleur antique. » Et il continue de raisonner en ce sens. Il n’y a qu’un petit malheur, c’est que Chénier ne parle pas du Riphée montagne, mais de Riphée, l’un des Centaures, ce qui est un peu différent. M. Fremy aura pris, de réminiscence, ce Centaure pour la montagne. Les Centaures, notez-le bien, étaient fils de la nue, et le poète dit de Riphée, l’un des plus superbes, qu’il rappelait les couleurs de sa mère, en d’autres termes, qu’il

... portait sur ses crins, de taches colorés,
L’héréditaire éclat des nuages dorés.

Ce vers est exprès tourné au faste, à l’ampleur, et il exprime à merveille l’orgueil du monstre, fier à la fois de sa naissance et de sa crinière.

Les élégies de Chénier, malgré quelques réserves qui sont là pour la forme, n’échappent pas au puritanisme classique de M. Fremy : « Souvent, dit-il, André Chénier étale une sorte d’érudition de commande qui achève de donner à ses poésies un air d’emprunt et de placage ; il commence ainsi une de ses élégies :

Mânes de Callimaque, ombre de Philétas,
Dans vos saintes forêts daignez guider mes pas... »

C’est M. Fremy qui souligne le mot daignez, et il poursuit durant une demi-page en notant, dans le premier de ces deux vers, un peu de pédanterie, car Philétas, dit-il, n’est plus qu’un nom, et on ne possède aucun de ses ouvrages. J’abrège le raisonnement plus fastidieux encore qu’il ne veut être piquant : peu s’en faut que M. Fremy ne trouve Chénier ridicule. Mais lui, qui se donne comme si expert dans le siècle de Périclès, devrait, ce semble, se rappeler un peu mieux son siècle d’Auguste. Pour nous qui ne faisons que balbutier en ces matières, nous avons pourtant gravé au fond du cœur, et nous nous surprenons quelquefois à réciter avec émotion ce début de l’admirable élégie de Properce, dont M. Fremy ne paraît pas se douter :

Callimachi manes et Coi sacra Philetæ,
In vestrum, quæo, me sinite ire nemus !

[1].

Qu’on relise la pièce originale, qu’on relise ensuite l’élégie XXXII de Chénier, et l’on verra, dans un excellent exemple, comment l’aimable moderne prend naturellement racine chez les anciens, et par quel art libre il s’en détache.

Cet art libre, ce procédé vivant, André Chénier l’a lui-même trop poétiquement exprimé en sa seconde épitre pour que nous n’opposions pas ici cette réponse directe et triomphante à l’attaque qui n’en tient nul compte. Si ce que nous allons transcrire était de Boileau, il y a long-temps peut-être que l’accusateur l’aurait admiré :

Ami, Phœbus ainsi me verse ses largesses.
Souvent des vieux auteurs j’envahis les richesses ;
Plus souvent leurs écrits, aiguillons généreux,
M’embrasent de leur flamme, et je crée avec eux.
……..
Je m’abreuve surtout des flots que le Permesse,
Plus féconds et plus purs, fit couler dans la Grèce ;
Là, Prométhée ardent, je dérobe les feux
Dont j’anime l’argile et dont je fais des dieux.
Tantôt chez un auteur j’adopte une pensée,
Mais qui revêt, chez moi, souvent entrelacée,
Mes images, mes tours, jeune et frais ornement ;
Tantôt je ne retiens que les mots seulement ;
J’en détourne le sens, et l’art sait les contraindre

Vers des objets nouveaux qu’ils s’étonnent de peindre.
La prose plus souvent vient subir d’autres lois,
Et se transforme, et fuit mes poétiques doigts :
De rimes couronnée, et légère et dansante,
En nombres mesurés elle s’agite et chante.
Des antiques vergers ces rameaux empruntés
Croissent sur mon terrein, mollement transplantés ;
Aux troncs de mon verger ma main avec adresse
Les attache, et bientôt même écorce les presse.
De ce mélange heureux l’insensible douceur
Donne à mes fruits nouveaux une antique saveur.
Dévot adorateur de ces maîtres antiques,
Je veux m’envelopper de leurs saintes reliques ;
Dans leur triomphe admis, je veux le partager.
Ou bien de ma défense eux-mêmes les charger.
Le critique imprudent, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile :
Et ceci (tu peux voir si j’observe ma loi),
Montaigne, il t’en souvient, l’avait dit avant moi.

Cette fois, c’est un soufflet à Properce que le critique imprudent a donné, et ce n’est pas notre faute si Chénier d’avance l’a rendu.

M. Fremy est si en peine de trouver et de poursuivre partout le madrigal, qu’il n’a pas craint d’en dénoncer un dans les vers qui terminent cette adorable pièce de la Jeune Captive :

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :
La grâce décorait son front et ses discours,
Et comme elle craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d’elle !

M. Fremy veut voir dans cette fin un trait de badinage galant qui semble démentir le caractère de tendre tristesse répandu dans la pièce ; d’autres y auraient vu simplement un trait gracieux et de sensibilité encore. Cette sensibilité se retrouve dans l’harmonie même des mots comme elle et près d’elle répétés à dessein. Celui qui demain va mourir sent un regret à quitter la vie que consolait sous les barreaux une vue si charmante, mais il exprime ce regret à peine, et son émotion prend encore la forme d’une pensée légère, de peur de jeter une ombre sur le jeune front souriant.

Le châtiment d’un jugement si faux et surtout si maussade ne s’est pas fait attendre, car, après avoir transcrit pour les blâmer les deux vers touchans, voici la phrase un peu étrange d’allure, que M. Fremy trouve sous sa plume, et qu’à notre tour nous nous permettrons de souligner : « C’est en notant de pareils traits, dit-il, et beaucoup d’autres du même genre, qu’une lecture nouvelle et attentive des poésies d’André Chénier indiquera d’elle-même que nous avons été porté à combattre ce sentiment, qui a fait placer par certaines personnes les productions de ce poète parmi les grands monumens de l’antiquité littéraire. » Quel style, et au moment où l’on se fait juge de la grâce elle-même ! Le critique veut absolument imiter ici ce personnage d’une pierre antique qui pèse une lyre dans une balance ; je ne doute pas que sa balance ne puisse être, ne puisse devenir un jour très délicate et très sensible, mais il faut convenir que, pour le quart d’heure, les branches et les plateaux en sont encore bien lourds et bien massifs, pas assez dégrossis.

Nous connaissons de M. Fremy de meilleures pages, de plus dignes des études si méritoires auxquelles il s’est livré ; l’autre jour, par exemple, il défendait avec esprit et goût la mémoire de Charles Nodier insultée par un pamphlétaire ; sa plume devenait excellente. Dans une moins bonne cause, il a rencontré ici un moins bon style : cela porte malheur de médire de la grâce.

Le critique, en voulant rapprocher sans justice André Chénier de Roucher, de Delille et des descriptifs du temps, recherche et accumule les métaphores d’ivoire, d’albâtre et de rose qu’il extrait de ses vers, pour les confondre dans un blâme commun. Il y a sur ce point quelques remarques à lui opposer. Parmi les exemples qu’il cite, on en verrait d’abord qui ne sont pas si répréhensibles qu’il paraît croire : ainsi

De la jeunesse en fleur la première étamine

me semble très bien rendre le prima lanugine malas des latins. Mais, quelle que soit la valeur de tel ou tel vers, il faut bien se dire que ce n’est pas d’employer l’or, l’ivoire, la neige ou l’albâtre, qui est chose interdite en poésie (car tous les poètes, plus ou moins, vivent de ces images), mais de les employer pêle-mêle et de les prodiguer sans discernement. De plus, lorsqu’un poète, un peintre a un style à lui et une manière reconnue, on lui passe d’ordinaire quelque mélange : ainsi La Fontaine se laisse souvent aller dans ses plus franches peintures à je ne sais quelles teintes du goût Mazarin. Ce ne sont pas des beautés assurément ; le reste aidant et sous le reflet des années, ce sont peut-être des charmes. Si M. Fremy s’était borné à faire remarquer qu’André Chénier, malgré tout, était de son temps, à indiquer en quoi il composait avec le goût d’alentour, comment dans tel sujet transposé, dans tel cadre de couleur grecque il se glisse un coin, un arrière-fond peut-être de mœurs et d’intérêt moderne, on n’aurait eu qu’à le suivre dans ses analyses. Nous avons nous-même remarqué autrefois que certaine ébauche d’élégie, la Belle de Scio, a l’air exactement d’avoir été composée au sortir de Nina, l’opéra-comique de Dalayrac et Marsollier. Mais, au lieu d’une appréciation modérée et qui pénètre dans son auteur, M. Fremy a prétendu biffer d’un trait de plume toute une moitié de l’œuvre, toute une première moitié d’où la seconde est sortie. Il a même trouvé moyen, en passant, de comprendre les Martyrs de M. de Chateaubriand dans la proscription rigoureuse. Idylles et Martyrs, c’est tout un pour lui ; fi de cette antiquité artificielle et restaurée ! il en parle à son aise et comme enivré des sources. Il n’a pas voulu reconnaître que du Fénelon tout pur, venant à la fin du XVIIIe siècle ou au commencement de celui-ci, n’aurait produit qu’un effet un peu lent ; qu’il y avait lieu, quand la peinture gagnait de toutes parts et allait s’appliquer à tous les âges, de ne pas laisser l’antiquité seule pâlir. Je me le suis dit depuis bien long-temps, André Chénier, non pas quant à l’action, mais quant à la couleur, a été pour nous une espèce de Walter Scott antique et poétique : il a donné le ton.

Depuis La Fontaine, et en laissant de côté les chefs-d’œuvre dramatiques, la poésie lyrique digne de ce nom, la poésie d’odes, d’idylles, d’élégies, où en était-elle, je vous prie, en France ? Le XVIIIe siècle comptait sans doute, ou plutôt ne se donnait plus la peine de compter une foule de pièces galantes, satiriques, badines, étincelantes d’esprit ; Voltaire y excelle ; les Saint-Lambert, les Rulhière, les Bouflers l’y suivaient à l’envi ; mais dans l’art sérieux, dans cet idéal qui s’applique aussi à ces formes légères, dans ce tour sévère et accompli qui achève la couronne de la grâce elle-même, qu’avait-on, depuis long-temps, à citer ? Au moment où André Chénier commença, j’aperçois dans l’air une multitude de papillons plus ou moins brillans : on eut une abeille.

Lorsqu’il parut en lumière pour la première fois, non pas moins de vingt-cinq ans après sa mort (redoutable épreuve !), il était jeune encore, il était plus jeune que jamais ; la source long-temps recelée jaillit de terre dans toute sa fraîcheur. M. Fremy veut bien nous demander si nous croyons que ces poésies, publiées aujourd’hui pour la première fois, occuperaient dans l’attention publique le rang qu’elles obtinrent il y a vingt-cinq ans. Mais voilà vraiment des exigences bien singulières ! Quoi ? il ne vous suffit pas qu’un poète ait déjà subi ce premier retard, cette quarantaine obscure de vingt-cinq années de laquelle il est sorti jeune et encore très contemporain ; vous voulez encore lui en supposer, lui en imposer une seconde. Que diriez-vous si on vous adressait les mêmes questions pour l’Aristonoüs et le Télémaque, que nous admirons d’ailleurs autant que vous ? Croyez-vous donc que l’Aristonoüs, publié vers 1788 ou vers 1819, eût produit de grands miracles de goût ? Laissons ces questions oiseuses. Chénier a eu d’abord et il n’a pas du tout perdu une qualité que les Grecs prisaient fort et qu’ils ne cessent d’exprimer, de varier, d’appliquer à toutes choses, je veux dire la jeunesse, la fraîcheur et la fleur, le θαλερὸν (thaleron), si l’on me permet de l’appeler par son nom, le novitas florida de Lucrèce.

Nous avons joui sans doute de Chénier, plutôt que nous ne l’avons jugé. A quel rang littéraire convient-il de le classer enfin ? de quel ordre précisément est-il, et à quel degré sur la colline ? D’autres mieux que nous, mieux que M. Fremy peut-être, le diront. S’il a trop peu fait dans l’idylle proprement dite pour lutter avec Théocrite, il ne semble pas dans l’élégie devoir le céder si aisément à Properce. Par la variété et l’assortiment de son recueil, il me représente bien quelque chose comme l’Anthologie, non pas celle qui nous est parvenue et qui n’est pas à beaucoup près la première ni la vraie, mais l’Anthologie de Philippe, ou plutôt encore celle de Méléagre tant regrettée de Brunck. Méléagre était un attique né en Syrie, à peu près contemporain de Cicéron ; il a laissé, entre autres petites pièces, une jolie idylle sur le printemps, dont Chénier s’est souvenu dans son élégie première. Mais il s’était appliqué surtout à recueillir les trésors poétiques de ceux des Grecs qui allaient déjà être des anciens, à en faire un bouquet et, comme on disait, une guirlande. On a le charmant morceau qui servait de préface, et dans lequel il énumère à plaisir les divers poètes de son choix en les désignant chacun par une fleur appropriée. Que de regrets I que de noms, alors brillans, qui ne représentent plus rien désormais, et aussi vagues à définir pour nous que les nuances de ces fleurs dont ils empruntaient l’emblème !

« Muse chérie (je traduis en abrégeant), à qui apportes-tu ce chant cueilli de toutes parts, et aussi quelle main a tressé cette couronne de poésie ? C’est Méléagre qui la donne, et c’est pour l’illustre Dioclés qu’il s’est appliqué à ce souvenir de grâce. Il y a entrelacé beaucoup de lis d’Anyté et beaucoup de Myro ; peu de Sapho, mais ce sont des roses. Le narcisse fécond des hymnes de Mélanippide s’y marie à la fleur de vigne du sarment naissant de Simonide. Tout au milieu, il y a mêlé l’iris odorant de Nossis, sur les tablettes de laquelle Amour lui-même enduisit la cire ; il y a mis la marjolaine de Rhianus qui exhale l’agrément, et le jaune safran d’Érinne aux couleurs virginales..., et Damagète, cette violette noire, et le doux myrte de Callimaque, toujours plein d’un miel épais... Il a cueilli, pour y ajouter, la grappe enivrante d’Hégésippe..., et la pomme mûre des rameaux de Diotime, et la grenade à peine en fleurs de Ménécrate… La ronce d’Archiloque aux dards sanglans et quelques gouttes de son amertume y relèvent la chanson de nectar et les mille brins d’élégie d’Anacréon... Le bluet foncé de Polyclète... et le jeune troëne d’Antipater n’y manquent pas..., ni surtout la branche d’or du toujours divin Platon où tous les fruits de vertu resplendissent. Il n’a pas oublié non plus les bourgeons du sublime palmier d’Aratus qui embrasse les cieux..., et le frais serpolet de Théodoridas dont on couronne les amphores..., et beaucoup d’autres rejetons nés d’hier, parmi lesquels il a semé aussi çà et là les premières violettes matinales de sa propre muse. C’est un présent que j’offre surtout à mes amis, mais tous les initiés ont part commune à cette gracieuse couronne des Muses. »

Chénier avait lu d’abord cette pièce attrayante qui ouvre le recueil de Brunck, et qui est comme l’enseigne du jardin des Hespérides ; il semble s’être dit : « Et moi aussi, pourquoi donc ne ressaisirais-je pas quelque chose de tout cela ? Pourquoi le parfum du moins de ce butin perdu ne revivrait-il pour la France en mes vers ? »

Les critiques difficultueux peuvent se demander si, en procédant ainsi, en se livrant à ces délices de poésie qui d’ordinaire suivent les grands siècles, il se montrait rigoureusement fidèle à l’esprit de ces grands siècles eux-mêmes. M. Fremy n’hésite pas ; pour dernier mot, il conclut que « la place d’André Chénier ne sera jamais celle des écrivains classiques dignes d’être proposés comme modèles, sans restriction, aux étrangers et aux jeunes esprits dont le goût n’est pas entièrement formé. » Chénier aurait pris certainement son parti de cette sentence ; jamais poète digne de ce nom ne s’est proposé un tel but ni de pareils honneurs scholaires. Que voulez-vous ? les étrangers et les écoliers peut-être s’en passeront, si on le leur défend ; et pour ces derniers, en effet, je me garderais de le leur conseiller. Lui, comme tous les chantres de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, il forme un vœu plus doux, il rêve une gloire plus charmante, quelque Françoise de Rimini au fond :

Ut tuus in scamno jactetur sæpe libellas,
Quem legat expectans sola puella virum[2].

C’est-à-dire :

Qu’à bien aimer tous deux mes chansons les excitent,
Qu’ils s’adressent mes vers, qu’ensemble ils les récitent !


Et encore :

Nec poterunt juvenes nostro reticere sepulcro :
Ardoris nostri magne poeta, vale[3] !

Qu’un jeune homme, agité d’une flamme inconnue,
S’écrie aux doux tableaux de ma muse ingénue :
« Ce poète amoureux, qui me connaît si bien,
« Quand il a peint son cœur, avait lu dans le mien, »

Voilà le vœu d’André Chénier exprimé en toute occasion ; joignez-y celui d’être agréable et cher aux initiés des muses : il ne demandait pas plus, et le sort, après bien des injures cruelles, l’a enfin tardivement exaucé. La jeunesse l’aime, elle lui sourit ; cette vogue, qui passe si vite pour les auteurs, se renouvelle pour lui depuis déjà bien des printemps ; l’heure de réaction que vous appelez, et contre laquelle nul autre en nos jours n’est garanti, n’a pas encore sonné, ne vous en déplaise. Il a même, dans ces dernières années, obtenu un redoublement de succès, imprévu, croissant, et que ses premiers admirateurs n’auraient osé lui présager. — « Mais il a fait faire bien de mauvais vers, » dites-vous. — Tous les poètes qui réussissent en sont là ; et puis ces mauvais vers se seraient faits autrement sans lui, croyez-le bien ; sous un pavillon ou sous un autre, les mauvais vers trouvent toujours moyen de sortir. J’ai plutôt plaisir à remarquer qu’il est pour quelque chose dans les meilleurs essais de ces dernières saisons, et que son influence s’y marque sans nuire aux parties originales. Un talent lyrique très élevé, M. de Laprade, et M. Ponsard, l’auteur de Lucrèce, lui sont certainement redevables à des degrés différens. L’autre jour, à cette jolie comédie de M. Émile Augier, la Ciguë, en entendant sur les lèvres de sa décente Hippolyte le tendre soupir :

Si Clinias aimait, il ne mourrait donc pas !

il me semblait reconnaître un écho du maître aimable. Que si à tout cela vous me répondez que vous préférerez toujours Athalie et Sophocle, je n’ai certes pas un mot à opposer à tant de sagesse, et j’en ai trop dit.


SAINTE-BEUVE.

  1. Ce nom de Philétas revient plus d’une fois dans Properce comme symbole du genre :
    Talia Calliope ; lymphisque a fonte petitis
    Ora Philetea nostra rigavit aqua.

    Philétas, pour l’élégiaque classique, c’est un de ces noms comme Sapho, Linus et Orphée.
  2. Properce, liv. III, élég. 2.
  3. Properce, liv. I, élég. 7.