Un Mensonge allemand - L’utilisation militaire de la cathédrale de Reims

La bibliothèque libre.
Un Mensonge allemand - L’utilisation militaire de la cathédrale de Reims
Revue des Deux Mondes6e période, tome 49 (p. 241-269).
UN MENSONGE ALLEMAND

L’ « UTILISATION MILITAIRE »
DE LA
CATHÉDRALE DE REIMS

Mgr Landrieux, évêque de Dijon, était en 1914 curé de la cathédrale de Reims, qu’il n’a pas quittée, aux instants les plus tragiques, jusqu’en 1916. Témoin, heure par heure, de tout ce qui s’est passé dans son église, il nous envoie ces pages qui réduisent à néant tous les arguments par lesquels l’Allemagne a prétendu justifier le « Crime de Reims. » Il n’est personne à qui puisse échapper l’importance de ce témoignage, qui constitue un document d’une valeur unique.


L’ALLEMAGNE a vécu, depuis un demi-siècle, d’un double orgueil, l’ambition militaire et le pédantisme intellectuel, l’un engendrant l’autre ; l’estime, l’admiration de soi-même poussées au degré le plus aigu, jusqu’à se croire et se dire la nation hors de pair, le peuple-type dont la place est marquée à la tête de l’humanité et qui se fait soldat pour réaliser son rêve : le militarisme au service de la Pensée allemande ! Devenir, être « la plus grande Allemagne, » s’étendre toujours plus loin, monter toujours plus haut, par la force des armes, par le rayonnement de sa culture : Deutschland über Alles ! l’Allemagne avant tout, au-dessus de tout, pour dominer partout et régir le monde !

Et voilà que ces deux orgueils s’effondrent, tout à coup, dans la même catastrophe : l’orgueil militaire est brisé en des combats tels que l’humanité n’en avait point vu encore ; l’orgueil intellectuel a sombré misérablement en des orgies de cruauté, de vilenie, de malfaisance qui. s’en vont rejoindre, dans les temps les plus ingrats de l’histoire, les pires excès des hordes barbares.

On n’oubliera jamais les dévastations sans excuse de Malines et de Louvain, d’Ypres, d’Arras, de Sentis et de Soissons, de la Somme. Jamais on n’oubliera le bombardement et l’incendie de la cathédrale de Reims.

C’est « le Crime allemand, » le forfait qui se détache en relief sur tous leurs forfaits ; non pas le pire, peut-être, — ils en ont tant commis et de tels ! — mais le plus impardonnable parce qu’il est à la fois sacrilège et stupide et qu’il révèle, par son inutilité, le fond le plus noir de la malfaisance allemande.

Que cette idée ait germé dans l’esprit du maître responsable ou qu’on la lui ait suggérée ; qu’elle ait pu être formulée tout haut et discutée dans des conseils ; qu’elle ait pu cheminer ainsi, à travers des cerveaux allemands, jusqu’à la main, qui ne raisonne plus, des artilleurs prussiens, jusqu’à la gueule des canons de Berru, sans que des protestations indignées lui barrent la route ; qu’elle ait été réalisée froidement, méthodiquement, avec persistance ; qu’elle n’ait pas ensuite révolté l’opinion de l’autre côté du Rhin ; que pas une voix, sur les cimes du savoir germanique, n’ait osé crier sa réprobation, pour l’honneur au moins d’une élite, c’est plus qu’il n’en faut pour attester la faillite de cette culture et mettre ce peuple au ban de la civilisation.

Les Allemands ont fait du mensonge une arme de guerre, un élément de la défense nationale. Ils pourraient redire avec les potentats païens que fustige Isaïe, au chapitre des Malédictions :


Nous avons compté, spéculé sur le mensonge, Posuimus mendacium spem nostram ![1].


Ils ont menti comme jamais on n’avait menti encore. Ils ont menti partout, à propos de tout, avec un aplomb, une désinvolture qui en imposaient au monde entier. Ils s’en font gloire.

On dit que nous mentons. Oui, nous mentons. Nous mentirons encore, et, quand les temps seront meilleurs, nous ne mentirons plus ![2].


Où et quand n’ont-ils pas menti ?

Ils ont menti à leurs populations, à leurs propres soldats. Ils ont égaré l’opinion dans les pays neutres. Ils ont trompé le Pape. Ils auraient trompé Dieu, s’ils l’avaient pu, en accouplant leur Gott mit uns ! à leurs iniquités.

À Louvain, à Malines, ailleurs encore, vingt fois, quand l’envie leur a pris de saccager une ville, ils ont dit que des civils avaient tiré sur eux ! À Reims, ils ont prétendu qu’on avait fait de la Cathédrale une forteresse : des troupes dedans, des canons dessus, des mitrailleuses, postes militaires, parc à munitions, signaux lumineux, que sais-je encore ?


I

Ce mensonge de Reims serait particulièrement cynique et vil, si la destruction de la Cathédrale avait été résolue d’avance.

Y a-t-il eu préméditation ?

Si les preuves péremptoires nous manquent pour l’établir, nous avons du moins, pour le penser, des présomptions.

À quel moment, dans quelles circonstances l’ont-ils condamnée ? Quel mobile les y a poussés ? Ceux-là seuls qui ont décidé ce forfait pourraient nous l’apprendre. Ils ne s’en sont point vantés encore. Le prétexte, ils l’ont dit ; mais la raison ?

À qui fera-t-on croire pourtant, qu’un obscur commandant de batterie, ou même un officier supérieur, ait pu prendre l’initiative d’un acte pareil, sans être publiquement brisé et désavoué le lendemain, si son geste avait contredit la pensée du Maître ? Plutôt que d’endosser devant le monde, devant l’Histoire, cette responsabilité, le gouvernement allemand n’aurait pas hésité à sacrifier un homme.

Or, ni la diplomatie, ni la presse, qui ont fait tapage avec le mensonge, n’ont jamais parlé de blâme et de désaveu.

L’idée a-t-elle germé tout à coup dans le cerveau allemand ?

On a cité un texte de J. Görres, en 1814, qui réclamait la destruction « de cette basilique de Reims où fut sacré Klodovig. » Ils en contestent l’authenticité[3].

On a rappelé cette phrase de Henri Heine, prévision, si l’on veut, plutôt que menace, dans son livre sur l’Allemagne, en 1834 :

« La civilisation chrétienne disparaîtra d’Allemagne et la férocité des anciens Germains débordera de nouveau… Alors, — et ce jour, hélas ! viendra, — les vieilles divinités guerrières se lèveront de leurs tombeaux fabuleux ; elles essuieront de leurs yeux la poussière des siècles. Thor se dressera avec son marteau gigantesque et détruira les cathédrales gothiques. »

Ils ont prétendu que cette citation ne porte pas parce qu’il s’agissait de leurs cathédrales et non des nôtres.

Qu’ils n’aient pas incendié la cathédrale de Reims en 1814, faut-il leur en savoir gré ? N’est-ce pas plutôt que les Russes et les Anglais les en ont empêchés ? N’ont-ils pas bombardé, en 1870, la cathédrale de Strasbourg, comme Frédéric -II, en 1757, avait bombardé celle de Prague ?

N’ont-ils pas décerné au triste héros de Strasbourg, Werder, ce même titre de membre d’honneur[4] de l’Université, dont Kœnigsmark, en son temps, avait déjà été gratifié après avoir détruit le Parthénon ?

Mais, sans aller exhumer, dans la poussière des bibliothèques, ces provocations lointaines, nous avons des échos plus récents de la pensée allemande.

À la date du 5 septembre 1914, un journal de Berlin, le Berliner Tageblatt, revenait sur la même idée :


Le groupe occidental de nos armées de France a déjà dépassé la seconde ligne des forts d’arrêt, sauf Reims dont la splendeur royale, qui remonte au temps des lis blancs, ne manquera pas de crouler en poussière bientôt, sous les coups de nos obusiers de 420[5].


Il est vrai qu’à la même époque, la Gazette de Francfort donnait une autre note :


Respectons les cathédrales françaises, celle de Reims notamment qui est une des plus belles basiliques du monde. Depuis le moyen âge, elle est particulièrement chère aux Allemands, puisque le maître de Bamberg s’inspira des statues de ses portiques pour dessiner plusieurs de ses figures.

Les cathédrales de Laon, Rouen, Amiens et Beauvais sont aussi des chefs-d’œuvre de l’art gothique. Toutes ces villes sont, à cette heure, occupées par les Allemands. Nous regarderons avec vénération ces églises grandioses et nous les respecterons, comme nos pères le firent en 1871[6].


Faut-il voir là deux écoles, un double courant de l’opinion, ou bien deux états successifs, le second mouvement d’un adversaire qui se ravise : « Nous occupons ; nous sommes vainqueurs ; elles sont à nous, ces cathédrales : gardons-les. »

Mais, après leur défaite de la Marne, la déception venue, tout espoir perdu de se maintenir en Champagne, quand la proie leur échappe, furieux, ils la broyent : « Ni nous, ni personne ! »

À ce moment-là, au lendemain de la bataille, huit ou dix jours avant l’événement, les soldats prussiens en parlaient entre eux sur le Parvis ; on a vu, aux mains de plusieurs, des cartes postales représentant déjà la catastrophe : la Cathédrale en feu. Et un des grands chefs devant qui les officiers s’inclinaient très bas, y fit une allusion transparente, d’un ton qui semblait plutôt déplorer et compatir. Comme il reconduisait, jusqu’à la porte de l’hôtel, une infirmière de la Croix-Rouge[7], qui lui demandait de l’aide pour son ambulance, il lui dit, en montrant de la main la Cathédrale : « Elle est belle, n’est-ce pas… nous ne la garderons pas… »

Le vendredi 11, rue du Cloître, le bras tendu vers la Cathédrale, un capitaine fit tout haut, en allemand, cette réflexion à ses hommes : « Les Français en sont fiers ! Nous la détruirons ! »

Un autre officier, qui logeait à l’ombre même de Notre-Dame, dit, en guise d’adieu à son hôte, sur le pas de la porte, avec un geste aussi de commisération : « Superbe Cathédrale !…. Pauvre Cathédrale ! »

Deux sous-officiers ont dit, dans un café de la rue Saint-Jacques : « Si nous sommes obligés de reculer et d’évacuer Reims, nous détruirons la Cathédrale ![8] »

Sans doute ce ne sont là que propos recueillis en passant, dans la rue, et il ne faut pas leur donner une importance que peut-être ils n’ont point : mais il n’y a pas de fumée sans feu. Comment expliquer ces sons de cloche, ces menaces formulées dans la presse, ces réflexions, ces demi-mots, s’il n’y avait pas eu quelque chose dans l’air ?

Le prince Auguste Wilhelm n’a-t-il pas fait à la municipalité cette réflexion : « Détruire votre Cathédrale, ce serait un crime que je ne veux pas commettre et j’y fais mettre mes blessés pour la préserver ? »

La préserver, de quoi ?

Il la croyait donc menacée : par qui ?


On a tenté d’expliquer tous ces excès, toutes ces dévastations inutiles par un réveil brutal, sous la culture germanique, des passions ancestrales. C’est peut-être chercher bien loin.

Tous les Allemands ne sont pas redevenus, tout à coup, des barbares ; mais tous marchent, de gré ou de force, pour l’exécution automatique d’un plan de campagne raisonné, méthodique, conçu dans les hautes sphères du commandement et dont leurs écrivains militaires ont toujours parlé très librement : guerre d’extermination, de ravages et de massacres, où la terreur a son rôle, où l’épouvante déblaie des régions entières, à l’approche des armées ! Et, comme ils se complaisent au paradoxe, ils disent que d’être féroce, c’est encore une façon d’être humain, parce que cela dure moins longtemps, et, que, tout compte fait, il n’y a pas tant de victimes. Que la guerre fatalement entraîne des excès, c’est indéniable, aucune armée ne peut se garer de cette tare. Où est le peuple qui ne compte pas, de ce chef, des pages sombres dans son histoire ? Nous avons les nôtres que nous n’oublions pas.

Mais, chez eux, ces crimes ne sont plus des accidents, c’est un procédé. Cette conception sauvage de la guerre n’est pas le fait de quelques exaltés, c’est la mentalité des milieux militaires, politiques et intellectuels : elle est la conséquence de l’Impérialisme germanique, ce rêve fou de domination universelle qui hante tous les cerveaux allemands ; elle est raisonnée, réfléchie ; elle se présente sous le couvert, et mieux vaudrait dire encore, sous le pavillon d’une doctrine qui l’engendre et qui a la prétention de la justifier.

De cela ils ne se laveront pas.

Ils se disent, ils se croient la Race Supérieure et ils en concluent qu’ils ont droit à la suprématie, et tous les moyens leur sont bons, même les pires, pour l’imposer à qui la leur conteste.

Voilà le principe.

Tous leurs écrivains militaires, Reimer, Bernhardi, Frymann, von der Goltz, Glausewitz, von Hartmann et vingt autres, préconisent sans vergogne ces doctrines sauvages.

On pensait tout de même qu’en face de Notre-Dame de Reims, au moment de pointer leurs canons sur cette merveille de grâce et de puissance, dont chaque ciselure était une prière et chaque détail une œuvre d’art, la main des artilleurs prussiens tremblerait ; que les chefs sentiraient au fond d’eux-mêmes un sursaut de l’être humain ; qu’ils hésiteraient, qu’ils n’oseraient pas. L’âme farouche d’un sauvage tel qu’Attila eût été impressionnée.

Lorsque de Moltke, des hauteurs qui avoisinent Paris, vit, un beau matin, sous les rayons du soleil levant, s’éveiller la grande ville, il contempla, pensif, l’immense cité, des tours de Notre-Dame à l’Arc de triomphe, et on l’entendit murmurer : On ne peut pas détruire cela !

De Moltke, sur la colline de Berru, en face de la Cathédrale de Reims, en aurait dit autant : il n’aurait pas osé[9] !

Josias von Heeringen, en 1914, a osé !

Après Louvain, l’atroce récidive de Reims ! Et ils savaient ce qu’ils faisaient. Car « il n’y a pas que des brutes dans cette armée de Germains ; le peuple tout entier y passe avec ses savants, ses artistes, ses compilateurs, ses analystes, ses annotateurs minutieux, dont la patience, la précision, la méthode, font de l’Allemagne le pays de l’érudition par excellence. Ils savaient et ils ont pu quand même[10]. »

Les barbares d’autrefois avaient du moins une excuse, leur ignorance. Les Turcs, en 1453, n’ont pas détruit Sainte-Sophie. Et, si le Parthénon n’est plus qu’une ruine, depuis 1687, ce fut l’œuvre déjà d’un reitre allemand, à la solde de Venise, Wilhelm Otto von Kœnigsmark, qui l’a bombardé.

Encore une fois, ils ne désavouent rien :


Nos troupes et nous-mêmes, écrit le général von Ditfurth, dans le Tag, de Berlin, nous ne devons d’explications à personne ; nous n’avons rien à justifier, rien à excuser. Tout ce que feront nos soldats pour faire du mal à l’ennemi, tout cela sera bien fait et tout est justifié d’avance. Nous n’avons pas du tout à nous occuper de l’opinion des autres pays, même neutres. Et si tous les monuments, tous les chefs-d’œuvre d’architecture qui sont placés entre nos canons et ceux de l’ennemi, allaient au diable, cela nous serait parfaitement égal. Le plus modeste tertre qui s’élève au-dessus du corps d’un de nos guerriers est plus vénérable que toutes les cathédrales, tous les trésors d’art du monde[11]. On nous traite de barbares, qu’importe ! Nous en rions.

Que l’on nous épargne enfin et définitivement ce bavardage oiseux ; que l’on ne nous parle plus de la Cathédrale de Reims ni des églises, des monuments qui partageront son sort. Nous ne voulons plus rien entendre. Que de Reims nous vienne la nouvelle d’une deuxième et victorieuse entrée de nos troupes ! Tout le reste nous est égal[12] !


Un autre qui n’a pas ce tempérament de fauve, de bête de proie, mais qui fait preuve d’une singulière inconscience, écrit au général Humbel :


J’étais bien loin de penser, et mes compatriotes avec moi, que la destruction de la Cathédrale de Reims serait, de la part des Français, l’objet d’une réprobation aussi unanime.

Luthérien, en réalité libre penseur, je me suis réjoui, dans ma haine du catholicisme, de la ruine des églises de France, par suite de la loi de séparation et de la persécution religieuse.

Qu’avons-nous fait, en abattant à coups de canon la cathédrale de Reims, sinon travailler dans le même sens ? Et voilà que les Français nous accusent de vandalisme !…

Je sais bien que le monument, outre son caractère religieux avait sa valeur historique et artistique, mais il me semble que ce sont là des considérations de second plan[13].


Un autre encore, qui ne cherche pas de faux-fuyant, déclare que :


Quand on a la force de créer, on a le droit de détruire. Nous la rebâtirons plus belle, leur cathédrale, sur des plans nouveaux, des plans allemands[14].


Qu’il ne faille pas donner à ces impudences plus de poids qu’elles n’en ont, c’est évident ; leur outrance même nous défendrait plutôt d’y chercher l’expression moyenne de l’opinion allemande[15]. Elles sont curieuses à noter tout de même, comme cette poésie, où l’ironie renforce encore l’impudence ; elle a été publiée par un journal de Berlin qui n’est pas des moindres[16] :


Les cloches ne sonnent plus.
Dans le dôme aux deux tours.
Finie la bénédiction » !…
Nous avons fermé, ô Reims,
Avec du plomb, ta maison d’idolâtrie !

Da schlossen mit Blei wir
Dein Gœtzenhaus, Rheims !


Un document qui pèse davantage, où se reflète sans conteste l’Ame allemande, c’est l’Appel aux nations civilisées, le manifeste des 93, adressé par les plus éminentes personnalités des Lettres, des Sciences et des Arts, aux journaux du monde entier ; c’est encore la protestation des vingt-deux Universités[17], celles des Professeurs des Ecoles supérieures et des Chrétiens protestants d’Allemagne aux chrétiens protestants de l’étranger, où l’élite intellectuelle de la nation se solidarise avec le parti militaire.

Ils s’insurgent avec indignation contre les calomnies dont la Grande Allemagne est victime. Mais ils affirment que « l’armée allemande et le peuple allemand ne font qu’un ; » que « leur militarisme est inséparable de leur civilisation ; » qu’il n’y a pas « d’opposition entre l’esprit de la science allemande et ce qu’on nomme le militarisme prussien ; » que « l’esprit qui règne dans l’armée allemande est le même qui règne dans le peuple allemand. »

Ils ne désavouent donc rien. Ils expliquent ; et leurs explications ne sont que de piètres raisons. Elles viennent après coup. Elles varient sans cesse. Elles se contredisent.


II

Donc le 20 septembre, M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, protestait, auprès des gouvernements des États neutres, en ces termes :


Sans pouvoir invoquer l’apparence d’une nécessité militaire, et pour le seul plaisir de détruire, les troupes allemandes ont soumis la Cathédrale de Reims à un bombardement systématique et furieux !… Le gouvernement de la République a le devoir de dénoncer à l’indignation universelle cet acte révoltant de vandalisme qui, en livrant aux flammes un sanctuaire de notre Histoire, dérobe à l’humanité une parcelle incomparable de son patrimoine artistique.


Les Allemands ont beau dire, leurs allégations intéressées et embarrassées ne prévaudront pas contre les faits : ni le samedi 19 septembre, ni les jours précédents, rien ne justifiait le bombardement et l’incendie de la Cathédrale. On n’y avait jamais installé de mitrailleuses contre les avions, ni, à plus forte raison, des canons, comme a voulu le faire croire un communiqué fantastique de l’Agence Wolff. Il n’y eut jamais dans son voisinage, encore moins à l’intérieur, de stationnement d’hommes ou de matériel de guerre. Elle ne servait pas de poste militaire d’observation.

Nous sommes en mesure, semaine par semaine, d’entrer dans les détails. Au mois d’août, alors que les Allemands étaient encore en Belgique, on fit quelques essais de télégraphie sans fil : l’installation fut tout de suite transportée ailleurs. Au lendemain de l’accident dont fut victime le dirigeable Dupuy de Lome, au mois d’août toujours, le Parc d’aérostation tenta d’installer sur la tour Nord un projecteur, pour éviter une seconde méprise. L’appareil beaucoup trop faible ne fonctionna, — et péniblement, — qu’une nuit ou deux. On dut y renoncer. Il n’y eut d’ailleurs, même à ce moment-là, ni fusils, ni mitrailleuses, ni armes quelconques sur les tours. Les veilleurs ne disposaient que de simples pétards d’artificiers pour annoncer la rentrée de nos dirigeables ou pour donner l’alarme. Et on attacha si peu d’importance à cette expérience sans lendemain qu’on n’essaya même pas d’en effacer les traces. La façon même dont fut bâtie cette estrade, qui offusqua les Allemands, est une preuve qu’on ne songea jamais à en faire un poste d’observation.

On masque le mieux qu’on peut un poste d’observation ; le guetteur se dissimule dans son abri, comme un chasseur à l’affût. Or, là, rien n’était masqué, ni l’estrade ni les hommes. L’estrade dépassait la tour, et, sur l’estrade, les hommes émergeaient de tout le buste. C’est dire que, si l’on avait voulu utiliser, en septembre, pour faire de l’observation, cet échafaudage construit au mois d’août pour un tout autre but, il aurait fallu, de toute nécessité, en modifier la disposition. Les fils qui aboutissaient là et dont on a pu voir longtemps les débris n’étaient pas des fils de téléphone, mais les fils du projecteur pour la lumière.

Il semble bien qu’au lendemain de la réoccupation de la ville par les troupes françaises, on ait songé à faire de l’observation du haut des tours, le 14 et le 15 septembre : en fait, dans la crainte précisément de compromettre, le monument, on y renonça ; et il est rigoureusement vrai qu’à partir du mardi 15 septembre, du soir, rien, absolument rien ne pouvait fournir l’ombre même d’un prétexte au tir des batteries allemandes[18].

Or, la Cathédrale n’a été sérieusement bombardée qu’à partir du 18 : car on peut dire que les trois obus qu’elle a reçus, le jeudi 17, ne constituent pas un bombardement intentionnel et systématique.

Néanmoins, ils vont s’accrocher désespérément à ce mensonge : un poste d’observation ! Non pas cet embryon du 14 et du 15, dont ils ne parlent même pas ; encore moins ces tentatives avortées du mois d’août auxquelles ils ne font aucune allusion, mais un poste en activité qui les menace, qui les gêne hic et mine, le 18 et le 19, à l’heure même où ils tirent dessus et contre lequel, malgré eux, ils sont contraints de se défendre.

Le 20 septembre, c’est l’Agence officielle de la Presse, de Berlin, qui annonce l’événement de la veille :


… Nous tirâmes quelques coups isolés sur la Cathédrale pour faire comprendre aux Français que nous la réduirions en cendres, s’ils persistaient à nous bombarder de cette position. Comme l’ennemi continuait, la grosse artillerie reçut l’ordre de détruire la Cathédrale. Après quelques coups, l’édifice fut incendié.


Le 21, du Grand Quartier général allemand, on affirme qu’il y avait sur les tours un poste d’observation, couvert frauduleusement par le drapeau blanc[19].


Nous avons été obligés de supprimer ce poste au moyen de shrapnells lancés par l’artillerie de campagne. L’artillerie lourde n’est pas entrée en action, et le feu de nos canons fut arrêté, lorsque ce poste eut été détruit[20].


Ils ont en effet fortement écorné la tour Nord, le 19. Leurs coups ont porté juste ; mais il n’y avait, derrière ces blocs de pierre, rien, ni personne…, si ce n’est le drapeau de la Croix-Rouge, qu’ils prennent décidément pour une cible.

Quant au drapeau blanc, il était enlevé depuis le dimanche 13, au matin[21].

Et, si la grosse artillerie, « qui avait reçu l’ordre de détruire la Cathédrale, » n’a pas donné, d’où peuvent donc bien venir ces énormes éclats d’obus de marine, ces gros obus de rupture, de 210, que nous avons ramassés sur place ?

Le 22, l’agence Wolff rejette toute la faute sur les Français « qui avaient posté leurs canons aux a abords de la Cathédrale et commencé le feu[22]. »

Le 26, ému, gêné plutôt par le cri de stupeur et de colère qui monta, de tous les points du globe, vers l’Allemagne, comme une malédiction, le chancelier de l’Empire tentait d’atténuer l’impression par une note de son ambassadeur au gouvernement espagnol :


À cause de la bonne observation qui se faisait du haut de la cathédrale, notre infanterie eut de telles pertes que le bombardement devint inévitable. Comme le bombardement de ce point d’observation par l’artillerie légère ne produisit pas l’effet désiré, l’État-major allemand se vit obligé, à son grand regret, de tirer un coup de mortier après lequel le feu fut arrêté !


Le communiqué allemand du 14 octobre est agressif. Il prépare l’opinion, par le mensonge toujours, aux bombardements successifs de la seconde quinzaine d’octobre :


Les Français ont installé deux batteries d’artillerie lourde tout près de la cathédrale de Reims. On a constaté en outre que, sur une des tours de cet édifice, on faisait des signaux lumineux. Il est bien entendu que nos troupes devront prendre les mesures nécessaires pour assurer leur défense, sans se préoccuper de la cathédrale… Les Français seront donc responsables, aujourd’hui comme avant, d’un nouveau bombardement de la cathédrale.


C’est le mensonge à jet continu.

Les Rémois pourraient dire qu’ils ne savent ce qui se passe au sommet des tours, surtout la nuit ; mais il est de notoriété publique, et toute la population en témoignerait, que jamais batterie d’artillerie quelconque ne fut installée dans les entours de la Cathédrale.,


III

Le 30 octobre, le ministre de Prusse, à Rome, reçut l’ordre d’aller porter le mensonge au Pape.


L’État-major français ayant de nouveau placé une batterie devant la cathédrale de Reims[23] et installé, sur une des deux tours, un poste d’observation, le ministre de Prusse près le Saint-Siège a été chargé par M. de Bethmann-Hollweg de présenter une protestation formelle au Saint-Siège contre une telle façon d’abuser des bâtiments consacrés au culte[24].


L’imposture montait officiellement au Vatican.

Le cardinal-archevêque de Reims estima qu’une réplique s’imposait, d’autant plus que le chancelier impérial avait donné à cette note diplomatique une conclusion comminatoire :


Tout dommage qui pourrait à l’avenir être apporté à la cathédrale de Reims retombera sur les Français, car il serait d’une hypocrisie indigne d’en attribuer la responsabilité aux Allemands.


Son Eminence adressa un Mémoire rectificatif au Saint-Père, avec documents à l’appui, et me chargea de faire passer dans la presse, par la même voie de l’Agence Havas, un démenti à cet invraisemblable communiqué allemand.

Il parut dans les journaux du 6 novembre :

Toute la presse a reproduit ce passage au moins d’une dépêche Havas, du 31 octobre : L’État-major français ayant, de nouveau, placé une batterie devant la cathédrale, etc.

L’auteur de cette note a été trompé par ses informateurs, et l’erreur est trop grosse de conséquences pour n’être pas relevée ; étant donné surtout qu’on laisse entendre que la cathédrale déjà dévastée pourrait en pâtir encore.

Témoin heure par heure de ce qui se passe dans mon église, je suis en mesure de rétablir les faits en connaissance de cause et j’ai le devoir de le faire.

La note affirme que, de nouveau, c’est-à-dire depuis l’incendie du 19 septembre, on a placé une batterie devant la cathédrale et installé, sur une des tours, un poste d’observation : au nom de S. Ém. le cardinal-archevêque de Reims et au mien, j’atteste qu’il n’a pas été établi de batterie sur le parvis, ni de poste d’observation sur les tours ; et qu’il n’y a jamais eu ni cantonnement, ni stationnement quelconque de troupes, à aucun moment, à proximité de la cathédrale.

Mce LANDRIEUX,
Vic. gén., archiprêtre de Notre-Dame.


L’Agence Wolff a maintenu le mensonge mordicus, et, par ordre :


L’Agence Wolff est chargée de déclarer officiellement que, contrairement au démenti de M. Landrieux, archiprêtre, parlant en son nom et au nom du cardinal, la présence d’artillerie près de la cathédrale, et de poste d’observation sur les tours a été constatée à plusieurs reprises et que les faits subsistent, en dépit de toutes les dénégations[25].


Quant aux Neueste Nachrichten, de Munich, elles vont plus loin, elles sont plus… pratiques encore. Elles informent leurs lecteurs, le 10 novembre, que « d’après une dépêche de Berlin, M. Landrieux, vicaire général de Reims, a avoué que, sur les tours de la cathédrale, un poste d’observation a été placé par l’autorité militaire et que le chancelier de l’Empire a immédiatement avisé le Pape de ces aveux[26]. »

Ces menaces d’un nouveau bombardement n’ont pas été vaines : la Cathédrale a reçu, dans les semaines qui suivirent, dix-sept obus repérés, dont quelques-uns ont fait des ravages considérables, celui entre autres qui a descellé la haute galerie du chevet, sur une longueur de 8 mètres, avec une brèche de 4 mètres, celui qui a crevé une voûte, etc.

Et cela continue. Les communiqués alternent avec les bombes.

Il semblerait, tant ils s’essoufflent autour de ce poste d’observation, que tout le nœud de l’affaire soit là et que, si l’armée française n’en avait pas fait une citadelle, jamais l’idée ne leur serait venue de détruire la cathédrale de Reims. C’est nous qui les y avons forcés !

Mais alors, pourquoi ont-ils bombardé et détruit la cathédrale de Soissons ? Car enfin, à Soissons, il n’y eut rien de ce qu’ils reprochent à Reims[27], et ils n’ont même pas essayé de le faire croire, si ce n’est sur le tard. Ils n’ont cherché ni excuse ni prétexte.

Et le 12 octobre, était-ce aussi pour supprimer un poste d’observation, qu’ils ont tenté de mettre à mal Notre-Dame de Paris ?

Sur la fin de novembre, les journaux d’Outre-Rhin ont publié une note explicative, avec un plan, pour établir qu’en définitive, c’est nous autres Français qui sommes responsables : 1o parce que la position malencontreuse de deux batteries mettait la Cathédrale dans la ligne de tir du fort de Nogent et que ce n’est pas la faute des artilleurs, « si quelques-uns de leurs obus se sont égarés. C’eût été bien pis, si leur tir n’était pas merveilleusement précis ; » 2o parce que « les aéroplanes ont découvert, non seulement le poste d’observation, mais, de plus, un parc à munitions sur le parvis. »

Ils ne l’avaient pas aperçu, encore, ce parc à munitions, aussi fantomatique que les gros canons devant le portail !

Chez nous donc, ils disent que c’est notre faute. Chez eux, n’avaient-ils pas essayé de faire croire que c’était notre ouvrage ?

La Gazette de Lausanne, du 30 septembre, rapporte qu’un de ses correspondants passant à Berlin, le 23 septembre, « a vu, placardées sur les murs, d’immenses affiches représentant les ruines de la Cathédrale, avec cette inscription : « Voilà comment les Français détruisent leurs monuments ! »

On est désarmé devant cette ténacité d’Allemands dans le mensonge[28].

Le conservateur de la bibliothèque royale de Bavière, le docteur Pfeiffer, s’enfonce plus lourdement encore dans l’impudence : « Cet admirable monument de Reims, dit-il, a été négligé, endommagé d’une manière incroyable par l’incurie absolue et l’inintelligence des autorités françaises et de l’État… Ceux qui ont vu la Cathédrale de Reims le savent : on cachait les trous des murs sous des Gobelins ; et, à propos des statues de l’extérieur, Vœges écrivait, il n’y a pas longtemps, ces paroles qui devraient faire rougir nos accusateurs : Quelle pitié de laisser périr ainsi par l’humidité et le vent ces témoins précieux de l’Histoire et de l’Art français !

« Il ne faut pas être prophète pour prévoir que la réparation des dégâts causés par le bombardement sera l’occasion d’un renouvellement complet de la Cathédrale, qui lui permettra de paraître dans sa splendeur première et effacera les traces de l’incurie de ses gardiens français[29]. »

L’Internationale Monatschrift (n° de décembre 1914) nous apporte une perle qu’il faut recueillir, au risque d’allonger ce fastidieux étalage de duplicité et d’audace.

Dans un article sensationnel, sur « la protection des monuments de l’art, en temps de guerre, » dont on a inondé les pays neutres, il nous fait part de la sollicitude du Kaiser et de son gouvernement pour nos églises et nos cathédrales, qu’il faut protéger contre l’inconcevable négligence de notre gouvernement, à l’endroit de nos merveilleux trésors d’art et de nos vieilles églises, témoin le livre de M. Maurice Barrès : La grande pitié des Églises de France !

L’auteur, le conseiller P. Clemen, président de la section des monuments historiques des provinces rhénanes, commissaire de l’administration civile, est chargé d’inspecter les monuments artistiques des territoires envahis, en Belgique et en France.

La Cathédrale de Reims n’est pas dans la zone d’occupation, mais il avait mission tout de même d’émettre un jugement et de donner son avis, et il a confié au Lokal Anzeiger, de Berlin, les conclusions de son rapport que j’ai sous les yeux. « L’armée de von Heerigen, dit-il, a bien été forcée de se défendre, puisqu’on avait installé des batteries lourdes devant la Cathédrale avec un drapeau blanc sur les tours, — le fait, dit-il, a été établi sans conteste.

« Sur notre front de bataille, il y avait peut-être, dans les tranchées, un jeune Goethe, un jeune Beethoven. Est-ce que, franchement, le monde et la civilisation n’auraient pas perdu davantage encore à la mort de ce jeune Goethe, qu’à la destruction d’une cathédrale[30] ? »

Après avoir laissé entendre qu’on en a assez en Allemagne « des hurlements des Français et des jérémiades des Neutres, à propos de cette Cathédrale, » M. Clemen déclare qu’en somme cet accident de cathédrale, dont on fait tant de bruit, se réduit à peu de chose.


J’ai pu, dit-il, avec une suffisance déconcertante, examiner le monument par une claire matinée de décembre à l’aide du télémètre, à une distance de 5 km 500[31].


Qu’on vienne donc encore nous vanter la rigoureuse précision des méthodes scientifiques allemandes ! Une expertise à 5 kilomètres[32] !

Il faut noter que si, des positions allemandes, au Nord et au Nord-Est de Reims, on peut apercevoir le chevet de la Cathédrale, le transept et une partie des bas côtes, il est matériellement impossible, où qu’on se place, depuis Brimont jusqu’à Nogent, de découvrir, même de biais, la façade qui regarde l’Ouest.

Il a donc vu la Cathédrale par derrière et il ose parler du portail !

Il sait et il proclame que « la Cathédrale n’a été touchée que par deux projectiles, l’un de 15 centimètres, l’autre de 21[33]. »

Or, il y avait justement, sur les voûtes, à cette date, un obus de 150 non éclaté : ce serait l’autre par conséquent, à lui tout seul, qui aurait causé tous les dégâts.

Il est très catégorique enfin sur la question du poste d’observation.

Ils n’en démordront pas.

Mais on a lieu de s’étonner tout de même qu’après les déclarations formelles du cardinal-archevêque de Reims, le chapitre de Cologne reprenne à son compte cet obstiné mensonge.

Dans une note de la Gazette de Cologne, communiquée à la presse des pays neutres, en déclarant, comme c’était son droit, que la Cathédrale de Cologne n’a jamais servi de poste d’observation, il ajoute :


Le dôme de Cologne, à la différence de celui de Reims, n’a rien à voir avec les opérations militaires. Il ne sert qu’au service divin. Peut-être veut-on seulement, par ces accusations sans fondement, Excuser l’utilisation effective de la Cathédrale de Reims à des fins militaires[34].

C’est décidément une obsession, une hantise. Dans leurs interrogatoires, leurs blessés reproduisent la mensongère légende. En juin 1919, un albatros allemand fut abattu par les nôtres, dans la montagne de Reims. Le lieutenant observateur Kurt Tzollhorn, blessé, affirma à M. B…, prêtre brancardier au 38e corps, qui lui reprochait leur acharnement à bombarder sans raison la Cathédrale qu’il savait à quoi s’en tenir, qu’il avait « vu de ses yeux, lui, en survolant Reims, non seulement le poste sur les tours, mais les batteries encadrant la Cathédrale ! » Et rien ne put l’en faire démordre. Mais celui-là est Allemand. En mai 1918, l’agence Wolff exhiba un témoignage qui paraissait moins suspect et « ne pouvait être récusé, » disait-elle : « Un officier français, Édouard-Albert de Bondelli, avouait que, jusqu’en avril 1917, il avait dirigé le poste d’observation sur la Cathédrale. » Or, après enquête, le Journal de Genève retrouva en effet les traces de cet officier, Édouard-Albert de Bondelli, mais il était mort en 1910, à l’âge de quarante-neuf ans, laissant deux fils dont l’un, à l’armée, n’avait pas encore été sur le front en avril 1917 et dont l’autre n’est pas en âge de servir.

L’enquête du colonel Feyler, dont le même journal a donné le procès-verbal, le 3 août 1918, a un autre poids. Le communiqué allemand du 11 mars affirmait qu’un poste d’optique a plusieurs fois fonctionné sur la Cathédrale. Le lendemain, deux parlementaires, MM. Abel Ferry et Renaudel, étaient venus à Reims pour se rendre compte de visu : ils constatèrent l’inanité de l’accusation. Le cardinal, de concert avec l’autorité militaire, avait encore opposé une dénégation formelle, expliquant, très loyalement, que l’architecte avait dû faire quelques travaux de préservation à mi-hauteur du transept Nord, assez visibles pour que les Allemands n’aient pu s’y méprendre. Un radio allemand du 19 mars avait répliqué « que le cardinal ne passe pas la nuit sur les tours et qu’on a pu supprimer le poste pendant sa visite et le rétablir après. » C’est alors que le colonel Feyler, qui se trouvait en France, a voulu en avoir le cœur net. Arrivé à Reims à l’improviste, le 20, sans prévenir personne, il a demandé, sur place, à faire immédiatement cette inspection. Le gardien civil qui l’accompagna avait ordre de le conduire partout. Or, il a déclaré n’avoir pu découvrir, malgré ses investigations d’inquisiteur militaire averti, rien qui, de près ou de loin, ressemblât à imposte d’observation, ni la moindre trace de quoi que ce soit, pas même un débris de carte ou de registre, rien qui pût déceler qu’aucune installation de ce genre ait jamais existé. Il ajoutait que l’aspect d’abandon et de délaissement de la tour du Nord l’a particulièrement frappé.

Mais les Allemands, même après cette constatation d’un neutre, persisteront dans leurs allégations inexactes, cent fois contredites, cent fois réfutées : la cathédrale de Reims est utilisée par l’armée ! Il est vrai que s’ils lâchaient cette accusation à laquelle ils se cramponnent, il n’auraient plus rien à dire ; ils ne feraient plus figure de soldats et se retrouveraient tout uniment en posture de bandits, en face de Notre-Dame.

Et pourtant, ils ne peuvent tromper personne.

Pour le 17, le 18, le 19 septembre, ils ont des témoins qu’ils ne récuseront pas, leurs propres blessés qui encombraient les abords de la tour, — même des deux tours, — et qui en obstruaient l’escalier. Ils déclareraient, j’en suis sûr, que pas un militaire n’a essayé d’y monter, et que d’ailleurs il n’y avait ni soldats ni officiers français à la Cathédrale ce jour-là, si ce n’est les quelques hommes du poste, qui se tenaient à l’extérieur.

Et tout le monde sait bien que jamais, depuis l’incendie, pas un seul jour, la Cathédrale ne fut rouverte au public ; que les Rémois n’y ont pas remis les pieds ; qu’elle est fermée depuis ce temps-là ; que les étrangers n’y entrent qu’en passant, et toujours accompagnés ; que l’accès des tours est rigoureusement interdit par l’autorité militaire, à n’importe qui, même et surtout aux officiers ; que les portes des escaliers sont closes ; et que, plutôt que d’autoriser quelques ouvriers à monter sur les combles, où des travaux urgents de préservation auraient dû être faits, l’État s’est résigné à voir le désastre s’aggraver par la pluie, le vent, le gel, en laissant les voûtes à nu pendant quatre hivers, précisément pour ne pas fournir à la mauvaise foi des Allemands, l’ombre même d’un prétexte et les obliger à mentir encore, et à mentir sans cesse, en disant ce qu’ils s’obstinent à dire.


IV

Il est un document officiel, le fameux « Rapport du Ministère de la Guerre[35] » publié à Berlin en 1915, que son origine et son caractère ne permettent pas de négliger.

L’erreur y foisonne.

Il reprend à son compte toutes ces histoires : parc d’artillerie (p. 6), batteries lourdes en pleine ville (p. 15) ; en arrière, à droite de la Cathédrale (p. 8) ; sur la Place qui l’avoisine (p. 7) ; dans ses entours immédiats (p. 6, 9, 16) ; rassemblement d’infanterie sur le Parvis (p. 14) ; projecteur sur les tours, le 13 septembre (p. 5), et encore après l’incendie (p. 19) ; signaux avec des pavillons, le 19 (p. 14, 15, 18)[36] ; enfin et toujours un poste d’observation militaire, le 18 et le 19, sur la tour Nord (p. 6, 7, 12, 14, 18).

Ces mensonges ne s’additionnent pas ; ils s’étouffent et se neutralisent : il y en a trop. Et ce n’est pas cette réédition des communiqués de 1914 que je songe à relever ici ; mais certaines affirmations, certaines réflexions en face desquelles, à la lecture, l’esprit effaré sursaute.

Je n’en retiendrai que trois.


I. Ils déclarent donc « qu’il était expressément défendu de bombarder la Cathédrale (p. 8), — que le 19 septembre, un seul coup de mortier fut tiré sur l’édifice, à 12 h. 20 (7, 14, 18)[37], — que c’est l’unique fois où elle ait été directement visée (p. 8), — que le 22. ou le 23, des batteries ayant été repérées par avions, tout près de la Cathédrale, on tira un coup sans viser le monument, et que, par conséquent, s’il a été atteint, c’est involontairement, parce que l’objectif était dans son voisinage immédiat (p. 8, 16), — que jamais, dans la suite, ils n’ont tiré sur la Cathédrale, mais uniquement sur les positions ennemies[38] (p. 8).


La réponse à ces dires audacieux est inscrite par leurs canons, sur notre plan du bombardement de la Cathédrale ; elle est incrustée, burinée par l’acier des obus, dans la pierre du monument ; et, en photographiant ces plaies une à une, nous avons compté les coups[39].

Leurs dénégations ne prévaudront pas contre ces documents.


II. Le feu, disent ils encore, dut être mis aux échafaudages par les maisons du voisinage qui brûlaient (p. 8, 9, M)… Toute la responsabilité des dommages retombe sur les Français… Ce n’est pas le bombardement, mais les échafaudages qui ont mis le feu à la cathédrale. Pendant des heures, on les a laissés brûler, sans rien faire pour éteindre l’incendie !… On avait même eu l’inconcevable négligence de ne pas mettre à l’abri le merveilleux trésor de la cathédrale (p. 9).


Voilà ce qu’ils ont trouvé… après un an de réflexion ! L’incendie de la Cathédrale ne serait qu’un accident ! Ils n’y sont pour rien. Le feu aurait pris, on ne sait comment, par des maisons voisines qui brûlaient[40]. Est-ce leur faute, à eux, si les Rémois ne l’ont pas éteint ? Ces Rémois négligents qui ne s’étaient même pas donné la peine de mettre à l’abri leur merveilleux trésor !…

C’est l’incendiaire qui accuse les pompiers.

Thèse piteuse que démentent les faits et que l’Histoire n’admettra pas.


III. Ils ont osé écrire ceci : Ce fut un plan diabolique de lâcheté et de bassesse que de mettre les blessés allemands dans la cathédrale, afin de pouvoir abriter un poste d’observation sous le pavillon de la Croix-Rouge, jusque-là pieusement respecté par toutes les nations (p. 10).


L’âme allemande se révèle tout entière, effrontée, dans cette phrase stupéfiante, dont peut-être ils n’ont pas senti l’indécence. Car, outre qu’ils ne peuvent pas ignorer, que cette idée de rassembler leurs blessés dans la Cathédrale vient d’eux, que la paille y a été apportée pour cela, sur leur injonction formelle, par réquisition, et que, s’ils n’y ont pas installé eux-mêmes leurs blessés, c’est que la déroute du 12 septembre ne leur en a pas laissé le temps, c’est un défi à la conscience publique, ou une aberration du sens moral que de se compter, après ce qu’ils ont fait, au nombre des nations « qui pieusement respectent le Pavillon de la Croix-Rouge. »

J’affirme une fois de plus que jamais, à aucun moment, la Cathédrale-Ambulance n’a servi de couverture à un poste d’observation.

Cette accusation est plus qu’un mensonge : c’est un outrage, une infamie !

Cet entassement de mensonges, ces plaidoyers cauteleux finissent par alourdir cette discussion ; mais il nous faut la suivre jusqu’au bout et dire un mot encore d’un autre ouvrage volumineux de près de 500 pages, écrit avec plus de passion que de critique : La Culture allemande, le Catholicisme et la guerre[41], qui a été répandu à profusion dans les pays neutres.

Le chapitre IX, sous ce titre, La Guerre, l’Art et les Sanctuaires , discute la question des villes saccagées, particulièrement Reims et Louvain.

L’auteur, un théologien, le docteur J. Sauer, y reprend toute l’affaire de la Cathédrale. C’est une réédition du fameux Rapport ministériel. Il en reproduit toutes les faussetés, il en adopte toutes les conclusions, mais il y mêle des commentaires et des raisonnements dont je veux souligner les plus osés.

Il se perd d’abord en considérations sans fin, il accumule des textes pour établir que les édifices religieux, en temps de guerre, n’ont droit à la protection, selon le paragraphe 27 du Règlement de la Haye, « qu’à la condition de n’être point employés à des buts militaires ; » et il nous accuse « d’avoir escompté froidement leur sentimentalité romantique à l’égard des Arts » en abritant dans nos églises, et, dans le cas présent, à la Cathédrale, postes d’observation, projecteurs et mitrailleuses.


Ils espéraient sans doute, dit-il, que nous chargerions nos canons avec des boulets en laine et nos fusils avec des balles en coton (p. 185).


Ces longues dissertations sont inutiles. Personne ne discute le principe. Nous ne contestons pas le principe, mais le fait. Et, quoi qu’ils en disent, en dépit de leurs dénégations, ils ont bombardé et incendié la Cathédrale, alors « qu’elle n’était pas employée à des buts militaires. »

Tout est là. Il n’y a pas d’autre question.


L’histoire du bombardement s’écrit ainsi : « Déjà, lors du bombardement général de la ville, le 18 septembre, le projectile égaré d’un obusier de 15 centimètres avait atteint la toiture de la Cathédrale et causé des dégâts à quelques frontons » (p. 217).


Dans la matinée du 19, les alentours immédiats de la basilique, où de grands rassemblements de troupes avaient été constatés, furent bombardés par notre artillerie. Le tir par shrapnells contre le poste d’observation de la tour Nord n’ayant pas donné de résultats suffisants, un mortier y lança, à midi, un projectile qui atteignit la tour de droite. C’est le seul cas où la Cathédrale elle-même a été prise pour objectif n (p. 218).

Dans l’après-midi, l’échafaudage commença à brûler, par l’incendie des maisons voisines, suppose notre commandement en chef, par l’éclatement direct d’un obus incendiaire, prétend la narration française. En admettant cette dernière hypothèse, le projectile en question était destiné à un autre but, puisqu’il est constaté que, ce jour-là, aucun coup, autre que le coup de mortier, ne fut tiré contre la Cathédrale.

Enfin, « après le premier bombardement (celui du 19), le 22 ou le 23 septembre (p. 218), un obus destiné à une batterie établie en arrière de la Cathédrale, atteignit, non intentionnellement, la toiture brûlée de celle-ci, sans qu’il y eût faute de pointages. Le ministère de la Guerre conteste avec énergie, tout autre bombardement direct et volontaire de la Cathédrale. Si d’autres projectiles atteignirent encore l’édifice, ce fut un pur effet du hasard. » (p. 220.)


Et c’est tout. Il n’est plus question du bombardement.

Donc, tout compte fait, pour ceux qui lisent ce gros livre de 490 pages, publié fin novembre 1915, et destiné à rectifier l’histoire chez les Neutres, la Cathédrale a reçu tout au plus quatre obus ; le 18 septembre, un obus égaré ; le 19, le vrai, l’officiel, l’unique qui lui fut envoyé délibérément avec affectation spéciale ; un troisième peut-être, dans la soirée, très hypothétique, qui visait en tout cas un autre but ; et enfin, le 22 ou le 23, un quatrième qui se serait encore trompé de chemin.

Que si, depuis, d’autres avaient pris la même voie, « le ministère de la Guerre en donne sa parole, c’est pur effet du hasard. »

Or, le vendredi 18, — après les trois de la veille, — ce n’est pas un, mais treize qui ont frappé la Cathédrale ; le lendemain, alors que les alentours immédiats étaient absolument déserts, sans le moindre rassemblement de troupes, nous en notons vingt-cinq au moins ; et le 24 il y en eut trois. Quant à ceux qui suivirent, « par un pur effet du hasard, » ils sont exactement, 5 la fin de novembre 191o, au nombre de 48.

Et pourtant, ils nous l’ont assez répété, « le tir de leurs batteries est merveilleusement précis. »

Il faut qu’ils sentent bien vivement le besoin de plaider les circonstances atténuantes, pour descendre à d’aussi misérables excuses !

Le professeur Sauer adopte la thèse de l’incendie par les maisons voisines, avec une sage réserve, toutefois : « l’échafaudage commença à brûler, enflammé par l’incendie des maisons voisines, suppose notre commandement en chef. »

Mais, s’il n’apporte aucun élément nouveau dans la discussion des faits, il établit du moins, avec une sereine ingénuité, avec un aplomb sans pareil, les responsabilités.

Je cite, sans commentaires.

Après avoir parlé des « irréparables dommages » causés par le feu, il déclare que la faute doit être exclusivement imputée à l’incroyable négligence des autorités responsables de la ville de Reims.


Il aurait été pourtant bien facile, du 12 au 18 septembre, de protéger, au moyen de sacs de sable, les portails et la façade… Aucune mesure n’avait été prise en vue d’un incendie, pas même les mesures les plus primitives. Quand l’incendie éclata, aucune pompe ne fut mise en action. Le poste de pompiers voisin avait été détruit par un obus, intentionnellement, bien entendu au dire de la version française… Quant aux autres postes de pompiers, ils ne se sont pas donné, paraît-il, beaucoup de mal ; ou bien dans cette ville de 120 000 habitants, n’y avait-il que ce seul poste ? En tout cas, une pareille insouciance est absolument inexcusable… (p. 219.)


Ils ne sentent donc pas que leur étonnement se retourne contre eux et que la faute qu’ils nous reprochent est de ne les avoir pas pris pour ce qu’ils sont, d’avoir cru qu’à défaut de la Foi, l’Art et l’Histoire suffiraient à protéger Notre-Dame de Reims et de n’avoir pas su parer le coup.


V

Enfin, il faut enregistrer une note récente (5 juin 1918) du Grand Quartier général allemand au cardinal Gaspari, dénonçant au Saint-Siège, sous la signature de von Hindenburg, des faits d’utilisation de la Cathédrale pour des fins de guerre, de juin 1917 à mars 1918.

Tantôt c’est un poste d’observation, tantôt ce sont des signaux lumineux ; d’autres fois des ombres qui vont et viennent, delle ombre che si muovevano sulla torre posta a sud[42] ; mais, le plus souvent, c’est une installation de T. S. F.

Ceci est nouveau : ils n’avaient pas formulé encore cette accusation.

Ils ont donc constaté, sur la tour Sud[43], — jusqu’alors c’est à la tour Nord qu’ils s’en prenaient, — « des tiges, delle stanghe qui faisaient songer à des antennes, che facevano sospettare un antenna, » ou bien, « un grand appareil qui pouvait être un instrument pour la T. S. F., forse attrezi per radiotelegrafia. » En novembre, ils ont repéré « des antennes sur la tour Sud, la presenza, « dell’ antenna della torre, » puis encore en décembre ; Le 7, le 11, et le 17, ils ont vu… « le fil de fer (filo di ferro[44], qui rattachait d’une tour à l’autre, deux tiges qui avaient l’apparence d’antennes, all’ apparenza antenne ; » le 9, le 13, et le 18, leurs observateurs ont surpris de la radiographie, dans l’air, « fu scoperta la radiografia, qui, à leur sens, che a loro gindizio, ne pouvait venir que de la Cathédrale ; non poteva che venire da una torrc della Cathédrale. »

Les témoins « son pronti a giurare la loro deposizione. » Mais que peuvent-ils jurer, sinon qu’à leur sens, cela ne pouvait venir que de la Cathédrale ?

Et il y en a ainsi deux grandes pages, avec les dates, avec les heures.

Vraiment, s’ils n’avaient pas tant menti, si l’on ne savait que chez eux, en ces matières, la moralité des actes se réfère, comme tout le reste, au Deutschland über Alles, que tout ce qui sert l’Allemagne est bien et que cela seul est immoral qui serait de nature à lui nuire, on serait troublé par de telles précisions et on leur accorderait au moins une certaine bonne foi.

Mais, qu’il y ait ou non, au fond de leur conscience, de la bonne foi, il est avéré que sur les tours de Notre-Dame, il n’y avait rien, que la réalité ne répond point à leurs dires et que tout ce qu’ils affirment est objectivement faux.

Le 8 septembre 1918, le général commandant la Ve armée, à qui le cardinal avait communiqué une note analogue du Grand Quartier allemand, datée du 9 juillet, où l’accusation était de nouveau formulée, fondée sur cette hypothèse, que certains tirs de nos batteries n’avaient pu être réglés que de la Cathédrale, répondait :


Votre Eminence sait comme moi qu’aucun poste d’observation, soit permanent, soit temporaire, n’existe sur la cathédrale de Reims.

L’emploi de l’aviation et des ballons pour le réglage et l’observation du tir de l’artillerie, rend bien inutile l’organisation d’un observatoire sur la Cathédrale, pas plus d’ailleurs que sur l’église Saint-Remi qui a subi le même sort, et la preuve de certitude invoquée par la note allemande n’a aucune valeur au point de vue militaire. C’est tout simplement une raison donnée pour essayer de Justifier un acte injustifiable.

BERTHELOT.


Au lendemain de la catastrophe, leurs arguties et « leurs mensonges » pouvaient impressionner l’opinion, surtout à l’étranger : aujourd’hui, ils ne trouvent plus d’oreilles pour les entendre.

Ce que vaut leur parole et le cas qu’ils en l’ont, le discours du Chancelier, le 4 août, au Reichstag, nous le révèle en deux mots : « Nécessité n’a pas de loi. » — « On se tire d’affaire comme on peut. »

Tant qu’ils ont escompté la victoire, ils n’ont guère songé à excuser leurs méfaits : « La gloire lavera tout, » disaient-ils. Depuis que le vent a tourné et que l’horizon s’assombrit, ils se voient dans la nécessité d’alléger à tout prix leur responsabilité et ils se tirent d’affaire, « comme ils peuvent. » Ils contestent, ils nient, ils expliquent, ils accusent : tout leur est bon pour donner le change.

Mais ils ont trop menti, « leurs mensonges » ne portent plus.

L’heure vient, si elle n’a déjà sonné, où l’on se refusera à toute discussion avec eux : ils sont à jamais disqualifiés !


MAURICE LANDRIEUX.

Évêque de Dijon.

  1. Is. XXVIII, 15.
  2. Cité par le Strassburqer Post.
  3. Cf. Réponse allemande aux attaques françaises, par le professeur A.-J. Rosenberg, p. 107.
  4. La Gazette de Francfort, du 6 juin 1915, déclare que cette distinction n’a pas été motivée par ce fait, mais que ce fut un témoignage de reconnaissance, pour avoir préservé l’Allemagne de l’invasion.
    Il reste vrai que le crime de Strasbourg n’a pas été un obstacle.
  5. Cf. Berliner Tageblatt, du 5 septembre 1914, no 208
  6. Cf. Gazette de Francfort, du 8 septembre. Cite par Le Temps du 21 septembre.
  7. Mme Comte.
  8. Le propos a été tenu devant plusieurs personnes. M. Dramas, de l’Éclaireur de l’Est, l’a entendu de ses propres oreilles.
  9. Le maréchal de Moltke, en 1870, passa huit jours à Reims et les vieux Rémois se rappellent ses fréquentes visites à la Cathédrale. Il ne se lassait pas de l’admirer. Ils l’ont vu plus d’une fois assis dans l’arrière-chœur, silencieux, les jambes croisées, en contemplation devant la Grande Rose du Portail, oubliant « dans ce » spectacle de beauté, les secs calculs et les sanglantes visions. »
  10. Ed. Haraucourt, le Sacrilège.
  11. Au lendemain de la destruction du Lusitania, qui fit 1 145 victimes, un journal de Berlin, la Post, écrivait : « Nos adversaires vont enfin comprendre que la vie d’un seul soldat allemand est plus chère à nos yeux que le Lusitania avec tous ses passagers et la cathédrale de Reims. »
  12. Cf. le Tag de Berlin, cité par l’Écho de Paris, 28 octobre.
  13. Cf. Libre Parole, du 26 septembre 1914.
  14. Friedrich Gundolf, Tat und Wort in Krieg (Frankfurter Zeitung, 11 octobre 1914).
  15. On ne peut se résoudre à croire qu’à Berlin, ainsi que l’affirme le correspondant du Daily Mail, « la nouvelle de la destruction de la cathédrale de Reims a été accueillie par le public avec un grand enthousiasme. » (Cf. Le Temps du 23 septembre).
  16. Rudolf Herzog. Cf. Supplément artistique du Lokal Anzeiger, janvier 1915. — La « Réplique des catholiques d’Outre-Rhin aux attaques françaises » par le professeur Rosenberg, s’étonne que nous ayons pu chercher un écho de l’opinion allemande dans cette poésie, « œuvre d’un fanatique exalté honni de tout chrétien convaincu. » (p. 109).
    Il semble pourtant que si ce factum avait dii heurter à ce point la susceptibilité de ses lecteurs, ce journal plutôt modéré se serait bien gardé de le publier, dans un supplément de luxe, pour le jour de l’an.
  17. Cette protestation est signée par les recteurs des Universités de Tubingue, Berlin, Bonn, Breslau, Erlangen, Francfort, Fribourg, Giessen, Gœtingue, Greifswald, Halle, Heidelberg, Iéna, Kiel, Kœnigsberg, Leipzig, Marbourg, Munich, Munster, Rostock, Strasbourg et Würzbourg.
  18. Le rapport officiel publié, en 1915, par le ministère de la Guerre, à Berlin, sur le bombardement de la Cathédrale, « se trompe » lorsqu’il prétend que l’abbé Thinot a avoué, dans l’Illustration (n° du 10 octobre 1914), qu’il y avait un projecteur en activité, sur la Tour, dans la nuit du 13 septembre.
    M. Thinot n’a rien dit de pareil. Il fait allusion, sans qu’on puisse s’y méprendre, à cet essai du mois d’août « qui n’eut aucune suite, et, en tout cas, dit-il, bien avant l’entrée en contact avec l’ennemi. » Le Rapporteur allemand a tout simplement introduit, dans le texte de M. Thinot, cette date du 13 septembre, qui n’y figure pas. Le professeur Rosenberg, dans sa Réplique, sans plus se gêner, en a fait autant.
    Pendant l’occupation, en septembre, lorsqu’on se battait devant Reims, les Allemands n’hésitèrent pas à mettre un poste d’observation sur la Cathédrale.
  19. La Gazette de l’Allemagne du Nord, du 28 septembre, reprend l’affirmation pour son compte : « Il est prouvé officiellement, et les Français n’ont pas essayé de dire le contraire, que la Cathédrale de Reims servait, abritée par le pavillon blanc, de poste d’observation. »
  20. Berlin (officiel). Cf. Le Temps, du 16 septembre 1914.
  21. Il avait été descendu par M. l’abbé Dage et M. Guédet.
  22. Communiqué de la guerre. Note à l’ambassade d’Espagne. (Information du Handelstagges.)
  23. Pour mentir utilement, encore faudrait-il rester dans la vraisemblance.
    Le portail de la cathédrale regarde l’Ouest. Or, les positions allemandes s’étendant de Brimont à Nogent l’Abbesse, c’est-à-dire du Nord au Sud-Est, il serait matériellement impossible à une batterie, installée sur l’étroite place du parvis, de les atteindre.
    Un communiqué du Grand Quartier général allemand, en date du 21 avril 1915, a renouvelé ce mensonge. « Nous avons reconnu à une petite distance de la cathédrale (unweit der Kathedrale von Reims), une batterie ennemie et nous l’avons prise sous notre feu. »
  24. Agence Havas, 31 octobre. — II n’est pas inopportun de rappeler ici que, pendant la bataille qui se poursuivait devant Reims, les 11 et 12 septembre, les Allemands, qui occupaient la ville, ne se sont pas fait scrupule « d’abuser des bâtiments consacrés au culte, » et qu’ils ont fait placer un poste d’observation sur la tour Nord de la cathédrale.
  25. Berlin (officiel). Cf. Tribune de Genève. (17 novembre 19141. Cette même note est reproduite par une partie de la presse italienne qui la fait sienne. (La Stampa, du 18 novembre.)
  26. Cité par l’Écho de Paris, du 15 novembre.
  27. J’en ai reçu l’assurance la plus formelle, par écrit, le 4 mars 1915, de Mgr Péchenard, évêque de Soissons, et le 2 octobre 1916 de M. Laudais, archiprêtre de la cathédrale.
  28. Le 12 juillet 1916, deux ans presque après l’événement, un journal allemand écrit avec sérénité : « Les Français mettent sur le compte de la barbarie allemande les dégradations de la Cathédrale de Reims ! » Cf. Deutsche Tages Zeitung.
  29. La Suisse, 15 novembre 1914. — Un autre, le docteur Karl Frey, conseiller d’État et professeur à l’Université de Berlin, affirme, dans la Gazette de la Croix, que « la destruction même complète de la cathédrale de Reims n’aurait pas grande importance, parce que les cathédrales se reconstruisent. Et, comme nous connaissons leur structure dans les moindres détails, nous sommes sûrs d’une reconstitution réussie. » (Cité par la Grande Revue, mars 1915, p. 77.)
  30. Le docteur Clemen est relativement modéré. Le député Erzberger va plus loin quand il déclare « qu’anéantir Londres serait plus humain que de laisser un seul Allemand perdre son sang sur le champ de bataille. » (Cité par M. Prum dans sa lettre aux catholiques allemands.)
    Et pourtant, ils ne sont pas des barbares : « C’est l’esprit allemand, reprend M. Clemen, qui fait la guerre et non le militarisme allemand. Nos intellectuels, nos savants et nos poètes, nos architectes et nos statuaires, nos historiens et nos critiques d’art sont, eux aussi, à l’armée. Devant Reims, les troupes allemandes sont commandées par un général qui s’est fait un nom par ses études sur l’histoire de l’art. »
  31. Cf. Lokal Anzeiger, du 7 janvier 1915.
  32. M. C. Enlart, directeur du musée de sculpture comparée du Trocadéro, membre de la Commission des monuments historiques, a qualifié ce factum comme il le mérite. « Monument de mensonge et d’impudence dont seul un esprit allemand peut ne pas comprendre l’imbécillité odieuse et grotesque. Un homme, jusqu’ici estimé pour ses bons travaux, le docteur Paul Clemen, a été ridiculisé par l’empereur d’Allemagne du titre d’Inspecteur des monuments des pays occupés, et il s’est avili jusqu’à accepter de signer un rapport de complaisance sur la Cathédrale de Reims, qu’il avoue n’avoir vue qu’à la lorgnette, à 5 kilomètres de distance. Cela lui a suffi pour affirmer officiellement que les portails n’ont pas souffert.
    Cf. La cathédrale de Reims. L’Art et les Artistes, n° spécial, p. 10.
  33. Au mois de décembre, à la date de cette fameuse expertise, la Cathédrale avait reçu, non pas deux obus, mais, pour le moins, soixante-trois.
  34. Cf. Kœlnische Volkszeitung, cité par le journal suisse Der Bünd, du 22 février 1915.
    Il se peut que cette assertion ne soit pas plus fondée pour Cologne, qu’elle ne l’est pour Reims, mais il est, pour le moins, fâcheux, que le Nieuwe Courant, de Rotterdam, ait, pu répondre à ce hautain plaidoyer pro domo, en exhumant un article oublié de la Rheinische Weslphalische Zeitung, du 4 août 1914 (no 923) où il est dit, au sujet des mesures militaires prises pour la défense de Cologne, que « des mitrailleuses sont placées sur les tourelles des ponts et également dans les tours de la cathédrale, » et qu’un grand journal anglais ait pu recevoir et publier cette affirmation très catégorique d’un de ses reporters : » Des mitrailleuses sont en position sur les toits de plusieurs maisons et aussi sur les tours de la Cathédrale. Malgré les démentis officiels, j’en suis certain ; un de mes compatriotes qui habite Cologne, les a vus tirer, à deux reprises, sur des avions ennemis. »
    Dans un récit très documenté d’une visite à Strasbourg, en 1916, le publiciste américain Th. Curtin, correspondant du Times, a fait des constatations analogues : « La fière Cathédrale, à la somptueuse façade, avec sa flèche de dentelle, avait un pavillon de la Croix-Rouge qui flottait au-dessus de la nef ; et la télégraphie sans fil était installée au clocher. Sur la tour inachevée qui domine la région jusqu’aux Vosges, des sentinelles lentement allaient et venaient. » Cf. Le Times, 22 novembre 1916.
  35. Kriegsministerium. Die Besckiessung der Kathedrale von Reims, Berlin 1915.
  36. Ni le samedi 19, ni la veille, il n’y eut sur la tour aucune agitation de pavillons. Le jeudi matin, nous avions dû y arborer les drapeaux de la Croix-Rouge, opération qui implique nécessairement des mouvements qu’ils ont pu observer Mais ces mouvements n’étaient pas des signaux. Ils n’en avaient pas l’air. Un enfant n’aurait pu s’y méprendre. D’ailleurs, à cette date du 17, ils n’en parlent pas.
  37. La Cathédrale, qui avait été atteinte treize fois la veille et trois fois l’avant-veille, a reçu pour le moins, le samedi 19, 25 obus.
  38. Ils ont dit exactement la même chose pour la cathédrale de Soissons : méprise, erreur de tir !… Or, on a trouvé, sur le carnet d’un commandant de batterie, la Bingkanonenbatterie, au Nord de Soissons, des notes significatives : 31 janvier 1915. — « La batterie a tiré 19 obus fusants et percutants sur la cathédrale de Soissons. Le clocher et la nef ont été plusieurs fois touchés. » — 2 février 1915. — « La batterie Stenger, de 9 h. 30 à 10 h. 33, a tiré sur la cathédrale, et, en particulier, sur le clocher, 29 shrapnells, dont 16 au but. » — 25 février 1915. — « Obus existants, 190 ; consommation, 21 (cathédrale). » Havas, cf. la Croix, 15 avril 1917.
  39. On trouvera ces photographies dans l’ouvrage illustré, la Cathédrale de Reims, que nous publierons prochainement à la librairie Laurens.
  40. Sauf le poste des pompiers, rue Trudaine, qui est au delà de la place du Parvis, aucune maison ne brûlait à cette heure-là dans le voisinage de la cathédrale. L’archevêché, le couvent de l’Adoration, la maison Prieur n’ont brûlé que plus tard, après la cathédrale et incendies par elle.
    Ce n’est pas l’échafaudage qui a mis le feu à la charpente (Cf. p. 47). Le témoin Prullage (p. 27) laisse entendre que les étincelles du poste de pompiers ont mis le feu à la paille et que l’incendie s’est propagé des nefs à l’extérieur ; il est absolument certain que l’échafaudage était en flammes avant la paille.
  41. La Culture allemande, le Catholicisme et la guerre. Réponse à l’ouvrage français « La guerre allemande et le Catholicisme, « publié, en collaboration, par Georg Pfeilschifter, 30 novembre 1915.
  42. Je ne possède que la traduction italienne du document.
  43. Depuis avril 1917, je l’ai constaté de mes propres yeux, et le colonel Feyler en a fait la remarque dans le procès-verbal de son enquête, le 3 avril 1918, l’escalier supérieur, dans l’une et l’autre tour, est démoli de telle façon, dans de telles proportions, qu’on peut dire que le sommet est inaccessible.
  44. Les services de T. S. F. militaire emploient un fil d’antenne de 1 millimètre et demi et il est invraisemblable qu’une lunette puisse le percevoir à 6 ou 7 kilomètres. La photographie aérienne ne le décèle même pas à 500 mètres.