Un nouveau volume d’Ada Negri : Maternité

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Un nouveau volume d’Ada Negri : Maternité
Revue des Deux Mondes5e période, tome 23 (p. 686-694).
UN NOUVEAU VOLUME D’ADA NEGRI

MATERNITÉ[1]

Dans le dernier morceau des Rime nuove, qui est un des plus magnifiques qu’il ait écrits, M. Giosuè Carducci a exprimé sa conception du poète. Un puissant ouvrier, qui travaille gaîment à sa forge dès le lever du jour. Il jette dans la flamme ardente « les élémens — de l’amour et de la pensée, —… et les souvenirs — et les gloires — de ses pères et de sa race. » Il frappe, sous le soleil qui lui chauffe le front, et de son marteau jaillissent des épées et des boucliers, des vases et des autels, des guirlandes et des diadèmes. « Pour soi, le pauvre travailleur — fait un trait — d’or, et le lance contre le soleil : — il le regarde monter — et resplendir, — il le regarde et jouit, et ne veut rien de plus. » Cette image définit à merveille la poésie du grand artiste des Odes barbares, presque toujours impersonnelle, tirée de l’âme collective d’un pays au très long passé, aux lointains souvenirs, et qui est, si l’on peut dire, une poésie civile, une poésie nationale, une poésie publique. Si l’on voulait se représenter ce qu’est la poésie de Mme Ada Negri, il faudrait prendre l’exacte contre-partie de celle-ci. Pas d’enclume ni de marteau ; pas d’ « élémens » dont le feu prépare l’amalgame et qui sortent de l’atelier en ouvrages solides et parfaits. C’est la flamme elle-même, simplement. Et, comme la flamme que déchire le vent de l’incendie, elle est irrégulière, capricieuse, inégale : tantôt elle vacille, paraît s’éteindre dans des flots de fumée, tantôt elle s’élève en triomphe et remplit l’espace de sa large nappe pure. La critique peut discuter cette poésie, où il n’est pas difficile de relever des imperfections ; le lecteur ne résistera guère à son entraînant ascendant. On trouvera qu’elle manque d’art, si l’on pense à la splendeur des rythmes, à l’impeccable ordonnance d’un Carducci, ou bien à la richesse verbale, métaphorique et décorative d’un d’Annunzio. Elle ne plonge pas, comme celle de ces deux grands maîtres, dans un fonds séculaire de littérature dont elle s’est assimilé toutes les sèves, dans une tradition dont elle possède toutes les ressources et qu’elle continue en l’enrichissant. Elle existe en soi, avec ses défauts, elle tire tous ses moyens d’elle-même, elle vaut par l’intensité des sentimens extrêmes qu’elle revêt de formes souvent frustes, par l’ardeur directe de sa sincérité, par sa fougue populaire qui ne mesure pas ses effets.

Il faut rappeler qu’Ada Negri était, il y a une dizaine d’années, maîtresse d’école dans un bourg de la Lombardie, Motta Visconti ; elle y contemplait le monde à travers les journaux que lui envoyait un admirateur milanais[2], car déjà quelques-uns de ses vers, publiés dans une petite feuille, avaient attiré l’attention. L’éclatant succès de son premier recueil, Fatalité (1893), l’amena à Milan, où un prix de poésie et une situation meilleure dans l’enseignement lui assurèrent l’existence. Un second recueil, publié en 1896 sous le titre de Tempeste, reçut un accueil presque aussi enthousiaste. Ces deux volumes la rangèrent parmi les poètes de la révolte, — ou plutôt de la souffrance sociale. Et voici que, peu de temps après la publication de Tempeste, on apprit qu’elle épousait un riche industriel, M. Garlanda, — c’est-à-dire qu’elle passait du « peuple » à la « bourgeoisie. » L’événement fit quelque bruit : on se demanda ce qu’il en allait advenir de ce talent si franchement populaire, qui jusqu’alors avait trouvé dans les frissons de la misère ses inspirations les plus émouvantes ; on supposa que la flamme s’éteindrait dans la maison prospère. Huit années se passèrent. Les soucis de la famille, une longue maladie, la perte d’un enfant, arrêtèrent, ou du moins ralentirent l’œuvre si vaillamment entreprise. Mais le nouveau volume, qui vient de paraître, nous montre que les circonstances n’ont pas sensiblement modifié l’âme d’Ada Negri : elle ne s’est point « embourgeoisée ; » elle a gardé sa ferveur, ses aspirations, son ardeur, son extraordinaire puissance d’émotion. Nous la retrouvons telle que nous l’avons connue. Et de même sa poésie, dont la saveur reste aussi forte, a — heureusement ! — conservé jusqu’à ses défauts : elle est résolument imparfaite ; elle ne sacrifie pas sa verte spontanéité au désir de rendre des points aux plus habiles ; elle dérange sans scrupule les habitudes de l’Art (avec une majuscule) : en sorte qu’inégale, livrée aux hasards de l’inspiration, étroitement dépendante du sentiment qu’elle exprime, elle nous donne tantôt des morceaux dont l’émotion est irrésistiblement communicative, tantôt des pièces, dont le souffle moins ardent nous laisse le loisir de reconnaître des traces évidentes de ce qu’on appelle le « mauvais goût. » J’avouerai, pour ma part, que j’en suis peu gêné : le « mauvais goût » (quand il est accidentel, bien entendu) est presque inséparable des qualités les plus rares, de celles qui ne s’acquièrent pas : comme Ada Negri les possède, qui lui reprocherait de manquer parfois de celles qui s’acquièrent ?

Ainsi, les années passaient, sa vie se transformait : elle demeurait pareille à elle-même. Un jour, pendant la lente maladie qui faillit l’emporter, elle voulut revoir les lieux où sa jeunesse s’était écoulée[3]. Elle retrouva « la sauvage et étrange terre, » qu’elle avait quittée : la nature ne change pas, un autre poète l’a dit, elle est


… L’impassible théâtre
Que ne peut émouvoir le pied de ses acteurs.


Dans le cadre immuable, Ada Negri put se reconnaître elle-même. Sa petite fille l’accompagnait. N’importe ! avec les accens d’autrefois, elle salua son passé ribelle e splendido, elle respira le vent de liberté qui enivrait sa jeunesse, elle se retrouva, comme hier et comme demain, ce qu’elle était hier, ce qu’elle sera toujours, ce qu’elle est dans l’âme : une révoltée.

A vrai dire, cette révoltée paraît fort différente de ses congénères actuels : elle n’ordonne pas en système ses colères sociales ; il n’y a pas, derrière ses généreux éclats, un plan de « Réformes » dont la mise en œuvre suppose le bouleversement du monde et la transformation de la nature humaine ; il ne semble pas qu’elle ait « bûché » les économistes allemands ni leurs succédanés ; ou, si elle les a lus, ils n’ont rien ajouté à sa façon personnelle de vibrer au spectacle de l’injustice et de l’esclavage. Par plus d’un trait, elle rappellerait au contraire les révoltés de la période romantique ; et on les reconnaît, comme on la reconnaît elle-même, dans les vers étranges et saisissans qu’elle met dans la bouche d’une bohémienne, qui chante pour endormir son enfant, pendant une halte de la troupe errante :


Mieux vaut s’en aller libres avec le froid et la faim,
Que se briser aux barrières de la loi.
Celle-ci, qui saisit et gouverne toutes choses,
Pesant comme une coupole de bronze
Sur les riches esclaves dont elle est le bouclier et la prison,
Se nomme civilisation.
Petits esclaves de la belle vie,
Vous nous faites pitié !


Il n’est pas difficile de reconnaître, d’une génération à l’autre, sous des formes qui changent, les caractères permanens de notre espèce : le petit bohémien d’Ada Negri, « né sur le bord du chemin,… un jour d’ouragan, » avec « des vertèbres de fauve, des yeux de femme et une âme de soleil, » aura beaucoup de chances de prendre rang, quand il aura grandi, parmi les irréconciliables que célébrait Musset :


… Si Dieu nous a tirés tous de la même fange,
Certe il a dû pétrir dans une argile étrange
Et sécher aux rayons d’un soleil irrité,
Cet être, quel qu’il soit, ou l’aigle, ou l’hirondelle,
Qui ne saurait plier, ni son cou, ni son aile,
Et qui n’a pour tout bien qu’un mot : la liberté.


En vérité, avec la poétesse populaire comme avec l’élégant poète de Rolla, nous sommes également loin des sentimens de la démocratie moderne, qui s’organise, élargit chaque jour le cercle de ses conquêtes, et dirige, à son tour, contre ses antiques ennemis, avec une singulière et implacable habileté, cette arme de la loi dont Ada Negri ne paraît pas attendre un grand secours. Nous sommes très loin aussi de cette passion égalitaire, qui cherche moins à augmenter le bien-être de tous qu’à supprimer les prérogatives de quelques-uns. Ce n’est pas ici du socialisme d’école ou de tribune : c’est l’aspiration éperdue et vaine d’un de ces êtres qui, pour avoir subi, comme chante encore la Zingara, « l’immortelle fascination de la complète liberté[4], » ne pourront jamais entrer tout à fait dans les cadres du monde social. On les a appelés jadis des « réfractaires ; » on les nomme parfois aujourd’hui des « inadaptés[5]. » Leur révolte peut être dangereuse ; mais quand elle trouve, pour s’exprimer et s’apaiser, les ressources de la poésie, on ne pense qu’à sa beauté : les poésies d’Ada Negri sont dans toutes les mains, et il y a des gens fort paisibles et résignés, qui les admirent.

Le titre de son nouveau volume en indique le thème principal : ce sera la maternité.

Dans l’esprit d’Ada Negri, ce mot prend un sens très large : il ne s’agit pas seulement des sentimens qu’une mère peut traverser, dès avant la naissance du petit être qu’elle sent tressaillir, ni même, d’une façon déjà plus générale, de ceux qui sont communs à toutes les femmes et dont tous les enfans sont les objets. Il s’agit du « grand mystère, qui ouvre les sources de la vie[6], » du rapport indissoluble qui unit les choses créées à la force créatrice, de tout ce qu’il y a de maternel dans le monde et dans l’espace. Tantôt, c’est la Terre qui se plaint d’être abandonnée, rappelle ses fils, leur promet ses joies, invite le poète à recevoir la révélation de ses secrets :


Inclinés sur mon cœur
Au rythme innombrable, ils sauront
La vérité que Dieu, sur le bas mensonge
Des hommes et (sur) l’erreur
A posée. — Et de mon puissant
Sein gonflé de germes et de douleur
Jaillira par ces bouches en fleurs
Le courant magique
De vie[7]


Tantôt c’est le chœur lamentable des mères malheureuses, dont les voix lointaines, inconnues, confuses, apportent à la poétesse des plaintes qu’elle recueille et note avec une sombre éloquence, d’autant plus saisissante qu’elle est directe et n’emprunte sa force qu’aux faits :


… Nous avons conçu sans joie le fils
Qui brille dans les rêves comme brille un lys.
Nous avons porté dans notre sein la créature
Avec fatigue, avec faim et avec peur.
Dans les mansardes où l’air manque,
Dans les régions infectées de malaria,
Dans les champs où passe, horrible déesse,
La pellagre aux yeux de folie,
Dans les lieux de misère et d’esclavage,
Nous avons demandé à Dieu force et courage
En le priant, quand le courage défaillait :
— Prends ce fils, ô Dieu, avant qu’il ne vive[8].


Ou bien encore, elle devine le cœur d’une Niobé moderne, — et les trois strophes qu’elle adresse à la malheureuse reine de Serbie, au lendemain du massacre dont l’horreur a frappé toutes les imaginations, ne sont peut-être point inférieures à l’ode tragique qu’écrivit Carducci « Pour la mort d’Eugène Napoléon. »

Ce large sentiment, qui se répand ainsi sur des êtres divers et permet à notre poète de prêter l’émotion de son langage à tant de souffrances muettes, en produit un autre, trop souvent factice, mais qui n’éveille ici d’autre idée que celle de la sincérité la plus absolue : la fraternité. Ce mot, dont la fortune a été si grande pendant près d’un siècle, et qui s’est prêté à tant de déclamations fallacieuses, tend aujourd’hui à disparaître du vocabulaire politique où le remplace un autre terme, à peu près aussi creux et en tout cas aussi propice aux promesses vides des démagogues. Nous savons bien qu’il n’a jamais exprimé qu’un rêve. Nous savons que la fraternité, magnifique idéal, parait inconciliable avec les exigences, ou plutôt avec les lois mêmes de la vie. Entre l’affirmation si souvent proclamée avec tous les dehors de la générosité : Tous les hommes sont frères, et l’adage sec et brutal, qu’il faut plus de courage pour oser rappeler : Homo homini lupus, — le choix est nécessaire. Si l’on ne se paye pas de mots, surtout si l’on n’en veut pas leurrer les autres, on reconnaîtra que ce choix n’est pas douteux. L’histoire du passé, et l’expérience quotidienne le montrent jusqu’à l’évidence : il n’y a pas de fraternité entre les hommes. C’est à peine si les meilleurs d’entre eux, à force de bonne volonté, de patience, d’abnégation, parviennent à corriger, dans une assez faible mesure, les haines qu’entretiennent dans leur race la divergence des intérêts et la similitude des besoins ou des passions ; c’est à peine si tout l’effort de la civilisation réussit à réprimer les instincts qui jettent les uns contre les autres tantôt les individus, tantôt les nations, tantôt les races, soit qu’il s’agisse de se partager les richesses de la terre, ou de se disputer une suprématie qui n’est jamais que momentanée, ou même de s’imposer réciproquement quelque explication de l’énigme universelle. J’imagine qu’Ada Negri connaît aussi bien que nous cette triste vérité. Mais la fraternité qu’elle chante n’est point celle dont des sophistes ou des tribuns excellent à se servir à l’occasion, comme d’un miroir aux alouettes : pour elle, tous les hommes sont frères parce qu’ils sont tous les fruits des mêmes souffrances ; et ce lien peut les unir ou les rapprocher, parce que, seuls de tous les êtres, ils en ont conscience. — Je ne sais si cette conception de la fraternité pourra, dans l’avenir, contribuer à l’atténuation des maux dont ils se tourmentent, éternels bourreaux qu’ils sont d’eux-mêmes et de leurs races ; j’en doute ; du moins a-t-elle permis à un poète dont les intuitions, souvent profondes, dépassent les étroites limites du temps présent, de pressentir ce qu’il y a de mystérieusement collectif dans les destinées humaines et de l’annoncer.

C’est là ce qu’on pourrait appeler la partie impersonnelle ou objective de ce beau recueil. Malgré son intérêt, elle n’en est ni la plus belle, ni la plus émouvante : elle supporte, elle exige presque une certaine part de rhétorique, — et la rhétorique d’Ada Negri n’est pas toujours très heureuse, pour les raisons que j’ai dites. Aussi, préféré-je les poèmes où elle a exprimé ses propres sentimens de souffrance ou d’espoir, d’angoisse ou d’amour, ceux qui sont consacrés au petit drame éternel de la « maternité » prise, non plus dans une acception universelle et symbolique, mais dans son sens le plus individuel. Je le répète, le charme de sa poésie n’est point dans ses qualités d’art ; il est dans l’intensité même du sentiment qu’elle exprime. L’harmonie s’établit spontanément entre le fond et la forme, comme un heureux amalgame de métaux précieux auquel un certain degré de chaleur est nécessaire. On est pris aux entrailles, lorsque, avec une sincérité qui dépasse la perfection même, elle nous dit ses impressions profondes aux premiers tressaillemens dans ses flancs du petit inconnu qu’elle appelle à l’existence, son angoisse devant l’énigme de la vie nouvelle qu’elle a créée, ses doutes quand elle se demande ce que la destinée réserve à l’être qui n’avait point souhaité de naître, la réponse si féminine qu’elle fait à cette question : Je l’aime ![9], et plus tard, d’autres souffrances, d’autres soucis, d’autres tourmens, ceux que connaissent les plus humbles des mères, les plus ignorantes, celles qui ne trouveront jamais de verbes ni de rythmes, mais seulement des larmes ou des cris pour les exprimer.

Voudra-t-on me permettre ici un dernier rapprochement ? J’ai invoqué plusieurs fois déjà, au cours de cette étude, le nom glorieux de M. Giosué Carducci : et cela, parce qu’il m’a paru suggestif de mettre en face l’un de l’autre le poète le plus cultivé, le plus artiste, le plus savant, et le poète le plus spontané de cette admirable race italienne, dont le passé est si riche en littérature et dont l’âme est si pleine de poésie naturelle, où les qualités du génie et celles du talent se sont toujours mêlées avec tant de bonheur, où le jaillissement de la création la plus abondante n’a jamais exclu, d’autre part, le « fini » le plus minutieux. Eh bien ! voici que nous trouvons les deux poètes aux prises avec une douleur pareille, — avec la plus cruelle de toutes les douleurs, — la perte de l’enfant. Tous deux cherchent à l’exprimer par leurs moyens d’artistes. Tous deux, guidés par le même sentiment, s’en vont puiser aux mêmes sources. Tous deux trouvent, dans les spectacles les plus habituels de la nature, les mêmes images qui, depuis que les hommes souffrent, leur servent par les mêmes contrastes à représenter leurs souffrances. Et tous deux les développent avec la même simplicité dédaigneuse des ornemens, qui chez l’homme se fait plus sévère, tandis qu’elle devient plus abondante ou plus abandonnée chez la femme, — comme si celle-ci laissait couler les larmes que celui-ci retient[10].

Elle commence :


N’entends-tu pas ?… Le jardin touffu
N’est qu’un chant de passereaux,
N’est qu’un murmure de feuilles
Dans le frais matin…


Et lui :


L’arbre auquel tu tendais
Ta petite main,
Le grenadier vert
Aux belles fleurs vermeilles,
Dans le muet jardin solitaire
Reverdit tout maintenant,
Et juin le restaure
De lumière et de chaleur…


Elle poursuit :


… Ma petite fleur sauvage,
Pourquoi as-tu refusé de vivre ?
C’est vrai, novembre a de tristes jours,
Mais ensuite, mai revient…

Et lui :


… Toi, fleur de ma plante
Frappée et desséchée,
Toi, de l’inutile vie,
Extrême, unique fleur,
Tu es dans la terre froide,
Tu es dans la terre noire ;
Le soleil ne te réjouit plus,
L’amour ne te réveille pas.


M. Carducci s’arrête là, ayant dit tout ce qu’il voulait dire lorsqu’il a achevé de développer son image, ayant coulé sa plainte dans une forme admirable. Mme Ada Negri poursuit la sienne, jusqu’à l’insoluble question que beaucoup d’hommes ne se posent plus, que presque toutes les femmes se posent encore :


…… Entre les bras
Maternels, pourquoi, fillette, la vie
T’a-t-elle paru inutile ?…


Ainsi, ces deux grands poètes, si différens, se rencontrent pourtant. Ils représentent deux formes presque opposées de la poésie, et les voici réunis dans la même image éternelle, parce qu’ils éprouvent la même douleur. En les voyant — pour un instant — si près l’un de l’autre, elle qui semble une force de la nature, lui qui possède tous les secrets de son art, en les trouvant également simples, également émouvans, eux dont les moyens, d’ordinaire, se ressemblent si peu, on se rappelle l’aphorisme immortel qu’on peut leur appliquer à tous deux, comme d’ailleurs à tous les autres :


L’art ne fait que des vers, le cœur seul est poète.


Quand le cœur est assez vaste, assez riche, assez frémissant, quand il a des émotions assez puissantes et des sentimens assez forts, il lui arrive de créer d’un coup les formes d’art dont il a besoin pour les exprimer : le troisième volume de Mme Ada Negri démontre, pour la troisième fois, cette vérité.


EDOUARD ROD.

  1. Milan, Fratelli Trêves, 1904. Du même auteur et chez les mêmes éditeurs : Fatalità, avec une préface de Mlle Sofia Bisi Albini, 1893, et Tempeste, 1896. — Cf. la Poésie italienne contemporaine, par Jean Dornis, 4e édit. Paris, 1900 ; et Précurseurs et révoltés, par M. Ed. Schuré. Paris, 1904.
  2. Mme S. Bisi Albini, préface de Fatalità, p. XII.
  3. Ritorno a Motta Visconti.
  4. Zingaresca.
  5. G. Le Bon, Psychologie du socialisme, 3e édit. Paris, in-8o 1902.
  6. Destino.
  7. Madre Terra.
  8. Le Dolorose.
  9. Dialogo.
  10. Dans Maternità, la pièce intitulée : In memoriam, et dans les Rime nuove, la pièce intitulée : Pianto antico, à la page 595 de la 2e édition des Poésie. (Bologne, Zanichelle, 1902.)