Un mari à la porte
FLORESTAN-DUCROQUET[illisible], Compositeur |
M. Paul Geoffroy. |
MARTEL[illisible], Huissier |
M. Guyot. |
SUZANNE[illisible], Jeune Mariée |
Mme Geoffroy. |
ROSITA[illisible], Demoiselle d’Honneur |
Mlle Lise Tautin. |
Un boudoir à pans[illisible] coupés. Aux pans coupés, deux fenêtres, celle de[illisible] gauche donne sur la rue, celle de droite[illisible] sur un jardin. Porte au fond. À droite, premier[illisible] plan, la porte d’un placard ; à gauche, premier[illisible] plan, une cheminée. Pendule, chaises, une[illisible] table servie pour un souper.
Scène PREMIÈRE.
(Au lever du rideau l’obscurité est complète.)
FLORESTAN.[illisible] (Tombant[illisible] par la cheminée. Costume de fantaisie[illisible] mais en désordre). Ouf ! je touche enfin la[illisible] terre ferme… Ce n’était pas une lucarne[illisible], mais une cheminée… Une affreuse cheminée[illisible]… Espérons qu’un ramoneur lui aura[illisible] fait sa toilette… Où diable suis-je ?[illisible] (Cherchant à s’orienter.) Un parfum de boudoir[illisible] chatouille agréablement mon odorat[illisible]. (Promenant ses doigts sur la cheminée et se piquant[illisible] à une pelotte.) Aïe ! une aiguille ![illisible] je suis chez une femme… une jolie femme[illisible], peut-être ? (Minuit sonne.) Minuit ! Elle est[illisible] sans doute dans les bras de Morphée !…[illisible] heureux Morphée !… les jolies femmes se[illisible] jettent dans ses bras !… (Marchant à tâtons.) Il est vrai que les laides s’y jettent aussi. (Valse à l’orchestre.) Tiens ! il y a un bal en ce logis… parfait ! en me glissant au milieu des danseurs, je pourrai disparaître sans qu’on me remarque. (Il se dirige vers le fond ; bruit de voix au dehors.) Ah ! diable… on vient de ce côté… On va me prendre pour un voleur, c’est sûr… Et pas un trou, pas un placard ! (En marchant toujours à tâtons, il est arrivé devant le placard et a mis la main sur le bouton de la serrure.) Si !… j’en tiens un ! Sauvé, mon Dieu ! sauvé ! (Il disparaît.)
Scène II.
(Suzanne et Rosita, en costumes de noces, entrent par le fond ; Rosita porte une bougie. La scène s’éclaire.)
C’est ton mari, cependant.
Ça m’est égal ! je ne le recevrai pas, te dis-je !
Pauvre garçon ! tu vas déranger ses projets.
Je l’espère bien.
Et ce souper qu’il a fait servir ?
Je ne souperai pas !
Ah ! ça, qu’est-ce que ça signifie ? Ce matin encore tu étais enchantée de ton mariage.
C’est que ce matin je ne connaissais pas le caractère têtu et contrariant de monsieur Martel.
Il a l’air doux comme un mérinos.
Lui ! Croirais-tu qu’il a eu l’audace de me soutenir que j’ai les yeux bleus, quand je lui soutenais, moi, qu’ils sont noirs.
Mais j’approuve son audace.
Par exemple !
Tu as les yeux bleus, ma bonne.
Vraiment ! N’importe ! il ne devait pas me tenir tête… un jour de noces surtout.
C’est vrai ; ce jour là, une femme doit avoir les yeux de la couleur qui lui plaît.
Tu plaisantes… mais ce n’est pas tout ; à peine cette discussion était elle terminée, que tout à l’heure, pendant le bal, on lui remet une lettre sous mes yeux ; monsieur la prend, la lit et la serre tranquillement dans sa poche, sans me la communiquer.
C’est inouï !
Blessée de ce manque de confiance, je demande à lire cette lettre ; monsieur me répond qu’il s’agit d’affaires et que cela serait sans intérêt pour moi ; j’insiste, il refuse et finit par se mettre à causer avec un de ses amis, un garde du commerce.
C’est monstrueux !
N’est-ce pas ? Ah ! je suis bien à plaindre. (Elle pleure.)
Pauvre victime !… (Éclatant de rire.) Ah ! ah ! ah ! tu es bien amusante !
Ah ! ah ! ah ! quelle mine piteuse !
Ah ! ah ! ah ! que je suis malheureuse !
Suzanne, je ris de bon cœur.
Comment ! tu ris de ma douleur !
Ah ! ah ! ah !
Finis, cela me blesse.
A ton mari je m’intéresse.
Fort bien ! fort bien !
Son crime est si léger,
Qu’à l’indulgence je t’exhorte.
Et moi, je prétends me venger
En le laissant cette nuit à la porte.
Je n’ouvrirai pas,
J’ai du caractère.
Tu te calmeras,
C’est certain, ma chère.
En vain tu prieras,
Tu le défendras.
Tu t’attendriras,
Tu pardonneras.
Je sens que l’amour
A fui sans retour.
Dans un pareil jour
Tout cède à l’amour.
ENSEMBLE
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SUZANNE.
Je n’ouvrirai pas, | |||
ROSITA.
Tu te calmeras, |
Tu ne saurais me réduire au silence,
De ton mari je me fais l’avocat.
La cause est bonne et j’en ai l’espérance,
Je sortirai vainqueur de ce débat.
Plus de colère !
Entre nous sois sincère,
Il t’aime éperdûment,
Il est charmant.
Oh oui, charmant !
C’est un mérite,
Il t’épouse petite
Sans dot, évidemment
Il est charmant.
Oh oui, charmant !
Tu dois l’aimer assurément,
Il est charmant.
Il est charmant.
Eh oui, vraiment,
On ne peut pas dire autrement.
Il est charmant.
Il est charmant !
La magnifique plaidoirie !
Je triomphe, elle est attendrie.
Une femme avocat, c’est fort original,
Oui, j’en conviens, mais c’est égal,
Je n’ouvrirai pas,
J’ai du caractère.
Tu te calmeras,
C’est certain, ma chère.
En vain tu prieras,
Tu le défendras.
Tu t’attendriras,
Tu pardonneras.
Je sens que l’amour
A fui sans retour.
Dans un pareil jour,
Tout cède à l’amour.
Je n’ouvrirai pas,
J’ai du caractère.
Tu pardonneras,
C’est certain, ma chère.
Veux-tu que je te dise ?… Tu regrettes peut-être ton quart d’agent de change, ce beau Narcisse qui t’offrait le titre de sultane favorite.
Monsieur Ludovic ! Oh ! si tu savais ce qu’il a osé m’écrire hier soir ! Rien que d’y penser…
Tu me fais peur.
Tiens, lis !
Papier rose ! Mazette ! (Après avoir lu.) Ah ! le kabyle ! Il jure de se venger de tes dédains, de troubler la noce, de faire du scandale !… Ah ! le petit gueux !
Aussi, toute la journée j’ai été dans des transes… Je croyais constamment le voir apparaître à l’église, au dîner, dans le bal, ici même.
Pauvre petite ! Heureusement que pendant que la timide colombe tremblait au pied des autels, le vautour tripotait à la Bourse. Il a bien fait de rester calme, c’est à moi qu’il aurait eu affaire… et tu me connais… (Faisant le geste de souffleter.) Vli ! vlan ! je tape d’abord, on s’explique après. Je ne l’ai jamais vu ce petit monsieur, mais je gage qu’il ne vaut pas ton mari.
Non, certes.
Et cependant sans moi, sans mes conseils, tu te serais peut-être laissée séduire par ses favoris côtelettes, ses gants blancs et ses bottes vernies.
Jamais !
À la bonne heure ! (Elle brûle la lettre à la bougie. On entend la ritournelle d’une valse.) N’y pense plus, et rentrons dans le bal.
Un instant ! J’ai encore les yeux rouges.
J’entends ma belle,
La ritournelle
Aux sons si doux.
La, la, la,
La valse est reine ;
Son rhythme entraîne
Sages et fous.
La, la, la.
Ah ! cache bien la trace de tes larmes,
Que ton bonheur brille dans tes beaux yeux ;
De ton époux, en voyant tant de charmes,
Qui n’envierait les droits si précieux ?
Ah ah ah !
J’entends ma belle,
La ritournelle
Aux sons si doux.
La, la, la !
La valse est reine,
Son rhythme entraîne
Sages et fous.
La la la !
Valse chérie, ô mes amours,
Que ne puis-je valser toujours !
Vertu sévère
Faite pour plaire,
Dix-huit printemps,
Regards vifs et piquants,
Grâce divine
Et taille fine,
Sont un trésor
Qui vaut mieux que de l’or.
Allons, voyons, sois raisonnable et sage !
Tout te promet un amour éternel ;
Il ne faut pas, chère enfant, qu’un nuage
De ce beau jour vienne obscurcir le ciel.
Entends ma belle,
La ritournelle !
Ah !
La, la, la.
La valse est reine,
Son rhythme entraîne
Sages et fous.
La, la, la.
Ah ! cache bien vite tes larmes,
Que ton bonheur brille en tes yeux !
(Rosita et Suzanne font ensemble quelques tours de valse après lesquels Rosita sort par le fond.)
Scène III.
Bonne Rosita ! elle a raison… Martel est la perle des maris et j’étais in sensée. C’est égal, j’aurais voulu lire cette lettre qu’on lui a remise. (A ce moment des gémissements se font entendre. Avec une surprise mêlée de crainte.) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Pitié ! pitié ! de l’air !
Mais il y a quelqu’un dans ce placard ! Ciel ! Si c’était lui… Ludovic !… (Les gémissements continuent.) Plus de doutes, il aura mis à exécution son affreux projet.
De l’air ! de l’air !
Que devenir !… Je ne peux pourtant pas le laisser étouffer. Mon Dieu ! mon Dieu !… (Elle ouvre le placard.)
Pas de cris, Madame !
N’approchez pas ! je vous le défends !
Merci ! ange ! merci !
Si l’on venait !… Me compromettre ainsi !… Mais c’est horrible, Monsieur, ce que vous faites-là !
Une seconde de plus, et j’étouffais.
Oh ! je ne vous pardonnerai jam… (En voyant sa figure, elle recule avec frayeur, chancelle et tombe sur une chaise.) Mais ce n’est pas lui !… ah !
Comment ! elle s’évanouit !… (Lui frappant dans les mains.) Madame ! me voilà bien… Si j’avais une plume pour lui chatouiller le nez ?… Que vois-je ? Ce bouquet d’oranger ! Cette robe blanche ! Quelle aventure ! Ah ! elle revient à elle… (Suzanne rouvre les yeux, repousse Florestan et essaie en vain de se lever.)
Au secours… au…
Ah ! ne me perdez pas, Madame !… Grâce pour un malheureux jeune homme !
Pas un mot de plus !… Fuyez, Monsieur si mon mari…
Oui, oui, Madame ! (Il se dirige vers le fond.)
Pas par là ! Si l’on vous voyait sortir, c’est moi qui serais perdue. (Avec désespoir.) Mais par où êtes-vous donc entré, Monsieur ?
Par la cheminée, Madame…
Par la cheminée ? Eh bien, retournez par où vous êtes venu !
Par la cheminée !… Ah ! permettez, Madame, je ne suis pas un savoyard.
Ah ! (Elle court ouvrir la fenêtre de gauche.) Par ici !
Oui, oui, Madame. (Regargardant à la fenêtre.) Mais c’est la mort que vous me proposez !
Partez vite !
Mais il y a trois étages, Madame… et la rue !
Ah ! (Elle court ouvrir le placard.) Ce placard…
Merci ! je sors d’en prendre.
Ah ! (Ouvrant la fenêtre de droite). Par ici ! Il n’y a aucun danger !
Aucun danger, dites-vous ?
Cette fenêtre donne sur un jardin… Il y a une pelouse, au-dessous, et un treillage contre le mur. Mais partez donc, monsieur ! Vous voulez donc me rendre folle ?
Non, madame, non… Je pars… Je comprends votre situation. Mieux vaut mourir. (Il passe une jambe en dehors de la fenêtre.) Et cependant madame, je suis plein de jeunesse et d’avenir.
Tenez-vous bien au treillage !
Oui, Madame
Mais partez donc, Monsieur !
Adieu, Madame, adieu… Priez pour moi ! (Il disparaît.)
Scène IV.
Ah ! il était temps !
J’en étais sûre ! Une vraie poule mouillée !
Qui ça ?
Mon danseur… Un petit blond frisé… Au troisième tour de valse, poussif ! J’ai été obligée de le déposer sur sa banquette.
C’est que tu es forte, toi.
Mais oui… Ah ! çà, dis-moi, il est plus de minuit.
Tu crois ?
Ton mari ne va pas tarder à venir… Ah ! mon Dieu, comme tu es troublée ! (Lui prenant la main.) Ta main est froide… Serais-tu malade ?
Non.
Je vois ce que c’est. Comment ! Tu laisses la fenêtre ouverte ? Quelle imprudence !… Il y a de quoi attraper une fluxion de poitrine. (Elle s’approche de la fenêtre pour la fermer, au même instant, Florestan paraît, la figure pâle, les cheveux en désordre. Elle pousse un cri, Suzanne se retourne et pousse également un cri. Elles s’éloignent et se pressent l’une sur l’autre, pendant que Florestan enjambe à grand peine la fenêtre.)
Scène V.
Ah !
Juste ciel ! Que vois-je ? Un étranger !
D’où peut-il donc tomber à pareille heure ?
C’est encor moi qui viens vous déranger,
Pardon, Madame, une raison majeure…
Il était pourtant convenu…
Le Treillage, hélas ! s’est rompu
Sous mes pieds chancelants ; j’étais pauvre victime,
Comme Claude Frollo suspendu sur l’abîme,
Rien que d’y penser… Ah ! (Il tombe sur une chaise.)
Bon ! il se trouve mal.
C’est lui, ton quart d’agent de change !
Je sens la main qui me démange.
Je ne le connais pas.
Quoi !… cet original ?
Pendant que nous étions au bal,
C’est, dit-il, par la cheminée,
Qu’il a fait ici son entrée.
Voyant mon trouble et ma frayeur,
Il s’était décidé, pour sauver mon honneur,
A s’en aller par la fenêtre.
Mais, qui diable ça peut-il être ?
Si c’était un voleur !
Un voleur !
Un voleur !
Ah ! malgré moi je tremble.
Ah ! malgré moi je tremble.
Crions, crions ensemble
Au secours ! Au secours !
Quoi ! toutes deux ensemble
Appeler au secours !
Comment nous faire entendre ?
Qui viendra nous défendre ?
Je tiens à me défendre.
Crions, crions toujours
Au secours ! Au secours !
Pourquoi crier toujours :
Au secours ! Au secours !
Ne me perdez pas, hélas !
Ai-je donc l’air si terrible ?
Par pitié n’appelez pas !
Si votre cœur est sensible,
Je vous en prie à genoux.
Expliquez-vous !
Expliquez-vous !
Voyons, Monsieur, expliquez-vous !
Florestan Ducroquet, voilà,
Mesdames, comment on me nomme.
Je suis de plus un galant homme,
J’habite le quartier Bréda. (Bis.)
Vingt-cinq étés forment mon âge,
J’ai vu le jour à Besançon,
Et chacun lit sur mon visage
Que je suis un brave garçon.
Pour plus ample renseignement
On peut consulter ma portière,
Je suis encore célibataire,
Ce qui n’est pas sans agrément.
Florestan Ducroquet !
Florestan Ducroquet, voilà
Le joli nom dont on le nomme.
Je suis de plus un galant homme,
J’habite le quartier Bréda.
Chez moi j’ai peu d’argenterie,
Mes meubles sont en acajou ;
Je mets à chaque loterie
Et n’y gagne jamais un sou.
J’aime à flâner sur mon chemin,
Un gentil minois me fascine,
Et pour une jambe divine
Je filerais jusqu’à Pékin.
Passionné pour la musique,
Je compose matin et soir,
Et plus d’un orgue barbarique
M’exécute sur le trottoir.
Je réussis également
Les polkas et la chansonnette,
Mais c’est surtout dans l’opérette
Que se montre tout mon talent.
Florestan Ducroquet, voilà
Le joli nom dont on le nomme ;
Oui, ce doit être un galant homme
Puisqu’il est du quartier Bréda.
Ah ! l’étrange aventure
Que voilà !
Personne, je le jure,
N’y croira.
Florestan Ducroquet, voilà,
Mesdames, comment on me nomme,
Je suis de plus un galant homme,
J’habite le quartier Bréda.
Ah ! l’étrange aventure
Que voilà !
Personne, je le jure,
N’y croira.
Oui, Mesdames, je suis compositeur… auteur d’une opérette refusée avec enthousiasme au théâtre des Bouffes Parisiens. Et pourtant quel titre : les Mystères d’Udolphe !
Ah ! vous faites des notes ?…
Oui, Mademoiselle, je fais des notes du matin au soir. Par malheur, j’en ai fait aussi quelques unes chez Bolivard.
Bolivard ?
C’est un nom de chapeau, ça ?
C’est aussi celui d’un affreux tailleur, Mademoiselle, d’un homme qui déteste la musique… Comme un caniche… Mais sa femme l’adore… la musique. Parfois même, elle se plaît à roucouler mes plaintives romances.
Pauvre femme !
Comment pauvre femme ! mes romances sont plaintives, mais elles sont agréables.
Passons, Monsieur, passons !
Passons ! passons ! Mademoiselle froisse mon amour-propre d’artiste… Enfin ! Il faut vous dire que ce Bolivard est jaloux comme un tigre ; je ne vais donc chez lui… me faire prendre mesure, que quand je sais qu’il n’y est pas ; or ayant appris ce soir son départ pour Elbeuf, j’étais allé, vers onze heures et demie, me faire prendre mesure d’un gilet… dont je n’ai pas besoin, quand tout à coup, le tigre fond sur moi, armé d’un mètre de fort calibre. Le voyage n’était qu’un guet-à-pens !… je veux fuir… Il se met à ma poursuite ; je parviens enfin à me réfugier dans la cuisine, je m’empare d’une broche, décidé à vendre chèrement ma vie, le lâche ! Il m’enferme à double tour et me crie d’une voix de stentor : Bonne nuit Florestan ! demain tu coucheras à Clichy !… Me souciant peu d’une pareille hospitalité, je me suis esquivé par une lucarne donnant sur les toits, et c’est en cherchant une issue que je me suis engouffré dans cette cheminée. Notez mesdames que le confectionneur a mis à mes trousses l’huissier le plus féroce, un nommé… Martel…
Mon mari !
Votre mari ? Miséricorde ! je me suis fourré dans la gueule du loup ! (Il s’élance vers la porte du fond). Mais je veux m’en aller ventre, de biche !
Ciel !… un bruit de pas !…
C’est lui !
Enfer !
Et la clé qui est sur la porte !…
Suzanne !
On n’entre pas !
C’est moi !…
N’entrez pas, monsieur !… je vous le défends…
Attendez… plus tard.
Ah ! oui… je comprends… je reviendrai tout à l’heure.
Je respire.
Il s’éloigne.
Oui, mais comme il n’aurait qu’à changer d’idée… (Elle retire la clé du dehors et ferme à double tour, en dedans.)
Sauvés ! nous sommes sauvés !
Silence, malheureux !
Qu’y-a-t-il ?
Il est encore là… Il se promène dans le corridor, (on entend le mari qui fredonne au clair de la lune). Il fredonne au clair de la lune.
Alors impossible de sortir !
Il faut pourtant prendre un parti.
Mais lequel ?
J’y suis. (A Suzanne.) Ouvre la fenêtre ! je vais jeter monsieur dans le jardin.
Un crime !… avec effraction de bras et de jambes… ah ! j’y suis !… (Il va prendre le flambeau qui est sur la cheminée, et se dirige vers la fenêtre de gauche.)
Qu’allez-vous faire ?
Je vais mettre le feu à la maison et je profiterai du désordre pour me sauver.
Du tout… du tout !… mieux que ça !… j’ouvre la porte, Suzanne et moi nous nous mettons à crier au voleur !
Très-bien[15] !
C’est une idée !
Comment ! au voleur !
On accourt, on vous prend au collet…
Et on me conduit à la préfecture de police.
C’est ça.
J’attends trois mois en prison… puis la correctionnelle… ah ! non ah ! non !
Ma foi, tant pis ! Il n’y a que ce moyen. (Elle court à la porte du fond.)
Permettez mademoiselle (Il enlève vivement la clé de la serrure.)
Voulez-vous bien me rendre cette clé ? (Elle lutte avec lui, et le pousse contre la fenêtre de gauche qui est ouverte.) Ou je vous lance par la fenêtre… (Florestan qui tourne le dos à la fenêtre perd l’équilibre ; il étend les bras pour se rattraper, et dans ce mouvement laisse tomber la clé dans le jardin.)
Ah !
Qu’est-ce qu’il y a ?
La clé est tombée dans le jardin !
Maladroit ! mais que faire ? que devenir ?
Une idée !… le bal vient de finir… laissons partir tous les invités… et dans une heure, quand l’escalier sera désert, nous dévissons la serrure…
C’est ça.
Et vous partez.
Je vous le jure, Madame, je vous le jure sur les cendres… (Regardant la cheminée.) de ce foyer… (On frappe encore.)
Chut ! c’est lui !
Suzanne, ma petite Suzanne, ouvrez-moi la porte !…
Non Monsieur, non, c’est impossible.
Ah ! je devine… Vous m’en voulez encore de ne pas vous avoir montré cette lettre.
Oui, Monsieur, précisément.
Je vous la montrerais bien, mais je l’ai déchirée.
Ah ! vous l’avez déchirée ?… Eh bien, tant pis ! je n’ouvrirai pas.
Comment !
Je veux que vous me montriez cette lettre.
Mais puisque je ne l’ai plus.
Eh ! prétexte !
Vous allez passer la nuit toute seule ?…
D’abord, Monsieur, je ne suis pas seule. Rosita est avec moi.
Oui, oui, je sais bien.
Nous sommes même trois… car nous avons ici un jeune homme charmant…
Sapristi ! Madame…
Malheureux !
Bravo Rosita ! vous imitez admirablement sa voix. Un jeune homme ! (Riant.) ah ! ah ! ah !… vous dites ça pour me rendre jaloux… ah ! ah ! ah !
Il se moque de toi.
C’est un nouvel outrage.
Au fond du cœur j’enrage…
Riez, Monsieur, vous allez voir,
Sans vous, nous souperons ce soir
(Elle va chercher la table et la dispose avec Rosita.)
Nous avons un convive aimable,
Gentil garçon,
Qui sans façon,
Avec nous va se mettre à table.
Comment souper !
Certainement.
Ah ! c’est charmant !
Ah ! ah ! ah !
(Les deux jeunes femmes ont porté la table, et y font asseoir Florestan avec elles.)
Il rit ! Il rit !
Ah ! par dépit
Mangeons !
Buvons !
Chantons !
A nos côtés il a pris place…
Avec lui, je trinque et je bois.
Auprès de nous il vous remplace…
Vous allez entendre sa voix.
Vous allez entendre sa voix.
Ah ! c’est charmant !
Ah ! ah ! ah ! ah !
Nous allons chanter tous les trois.
Nous allons chanter tous les trois.
Ah ! tous les trois !
Ah ! ah ! ah ! ah !
Il rit ! il rit !
Écoutez bien notre chanson.
Puisse-t-elle, Monsieur, vous servir de leçon.
Buvons !
Chantons !
Ne croire à rien c’est la devise
Des époux.
Des époux.
Faut-il toujours qu’on vous dise :
Garde à vous !
Garde à vous !
Quand votre malheur est certain,
Vous vous fâchez un beau matin,
Et le monde,
A la ronde,
Vous répète d’un air malin
Ah !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu Georges Dandin !
Tin, tin, tin, tin, tin, tin, tin, tin.
Trop de confiance nous lasse
En amour.
En amour.
Du mari, l’amant prend la place,
Un beau jour.
Un beau jour.
Et quand de son malheur certain,
Monsieur se fâche un beau matin.
Tout le monde,
A la ronde,
Lui répète d’un air malin :
Ah !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tin, tin, tin, tin, tin, tin, tin !
Comment, vous chantez avec nous !
Eh oui, vraiment, ma chère,
Car vous aurez beau faire,
Vous ne me rendrez pas jaloux ;
Et dans ma chambre solitaire
Puisque vous l’exigez, je vais rentrer sans bruit.
Bonne nuit !
Bonne nuit !
Bonne nuit !
Il s’éloigne et nous laisse ensemble.
Ah ! malgré moi je tremble.
Pourquoi trembler ainsi ?
Bientôt je vais partir aussi.
Bonne nuit !
Bonne nuit !
(La musique s’éteint peu à peu ; Les deux jeunes filles, qui s’étaient assises, se sont endormies.)
Comment !… elles se sont endormies. (On frappe à la porte du fond.)
On frappe !
Suzanne ! C’est moi. Ma bonne petite Suzanne !
Il n’a donc pas été se coucher ?
Chut !… ne disons rien. Il croira qu’elle dort.
Vous ne répondez pas ? Si vous dormez, dites-le !
Attendez !… je vais le convaincre… (Il fait avec le nez un ronflement sonore ; Suzanne effrayée se réveille en sur saut.)
Hein ? Qu’est-ce que c’est ?…
Imbécile !
Suzanne, ouvrez-moi !
Non, Monsieur… je n’ouvrirai pas !
LE MARI (furieux). Ah ! c’est comme ça ? Eh bien ! je vous déclare que je vais chercher de quoi enfoncer la porte.
Il va enfoncer la porte !
Ah ! mais ça se complique.
La situation d’Antony au cinquième acte, quand le colonel d’Hervey surprend sa femme. (Prenant une résolution subite.)
Je suis perdue !
Voulez-vous que je sauve votre honneur ?
Sans doute…
Je vais vous tuer !
Hein ?
Et quand il entrera, je lui dirai : Elle me résistait…
Et moi ?…
Vous aussi… (Tragiquement.) Elles me résistaient… Au pluriel… je les ai assassinées, au pluriel… (On frappe.)
Voulez-vous m’ouvrir oui ou non ? (Moment de silence.) Suzanne, ah ! je vois bien que vous ne m’avez jamais aimé… (Il pleure.)
Il pleure !
Pauvre homme !
Des larmes d’huissier ! ça doit être drôle.
Suzanne, vous allez être cause d’un grand malheur. Si vous n’ouvrez pas, je me tue devant la porte de votre chambre.
Comment !… il va se tuer !
Laissez-le faire !
Mais, Monsieur…
Ça nous sauve.
C’est vous qui l’aurez voulu ! Une fois ! deux fois ! trois fois ! (Une détonation se fait entendre.)
Ah ! (Elles tombent évanouies dans les bras de Florestan.)
Je dois avoir des cheveux gris…
Rosita !
Suzanne !
Il s’est tué !…
Il s’est tué !
Ah ! je ne lui survivrai pas…
Et c’est vous qui êtes cause… Assassin assassin !…
Je dois avoir des cheveux blancs !
Henri !… mon Henri !…
Suzanne !… ma Suzanne !
Mais il n’est pas mort !
Ni blessé !… C’était une plaisanterie pour vous forcer d’ouvrir.
Comme ça plaisante spirituellement un huissier !… Et ça met des écussons à sa porte !… Crétin, va !
Ouvre-moi, maintenant !
Je ne peux pas ; la clé est tombée dans le jardin…
Je cours la chercher. (Il s’éloigne.)
Ah ! mais, ah ! mais, ça se complique de plus en plus.
Tant pis pour vous, Monsieur… Il va vous trouver ici… Mais je lui expliquerai tout… et comme il a ses pistolets…
Permettez… permettez ! du moment où monsieur votre mari porte avec lui des armes à feu… et mes lettres de change à Bolivard… Je n’ai plus qu’à me retirer.
Mais comment ?
Adieu, Madame… Adieu, Mademoiselle !… Vous ne maudirez pas ma mémoire… Que ma destinée s’accomplisse ! (Il va à la fenêtre de la rue.)
Qu’allez-vous faire ?
Le saut périlleux.
Trois étages !…
Et le pavé pour me recevoir !
Pour votre honneur, oui je m’immole,
Et je m’en vais sauter le pas…
Cette dernière cabriole
A pour moi, de maigres appas.
Hélas ! au banquet de la vie
Où j’entrevoyais le dessert,
On va, Dieu ! quelle barbarie !
Brusquement ôter mon couvert.
Pauvre jeune homme ! il me fait peine.
Pour lui, c’est une mort certaine.
Pour moi, c’est une mort certaine.
Hélas ! s’il faut que je succombe,
A mon sort donnez quelques pleurs,
Et venez souvent sur ma tombe
Tristement effeuiller des fleurs.
Parfois, mon ombre fugitive,
A l’heure où sonnera minuit,
Viendra soupirante et plaintive
Autour de vous errer sans bruit.
auvre jeune homme, il me fait peine.
Pour lui, c’est une mort certaine.
Pour moi, c’est une mort certaine[27].
(Florestan ouvre la fenêtre, le jour est venu et l’on aperçoit une corde de badigeonneur suspendue au dehors.)
Mais voyez donc !
Dieu ! Ce n’est pas une illusion !… Non !… C’est une corde ! le ciel me tend une corde.
C’est vrai !
Une corde de badigeonneur !
Je m’y cramponne.
(En attirant la corde, il amène un paquet qui y est suspendu, composé d’un siège en bois, avec bretelles, et autour duquel sont enroulées, une blouse, une calotte et des genouillères).
Le ciel me tend aussi les accessoires.
Suzanne !
Mon ami !
Un peu de patience… je cherche…
Cette fois nous sommes sauvés (Il apporte le paquet en scène, et il commence à mettre la blouse, etc.)
Et Clichy ?
On peut en revenir… tiens ! si je n’y allais pas du tout…
Ça vaudrait mieux.
Ma tante m’a dit qu’elle s’engageait à payer mes dettes si je me mariais, Mademoiselle, les moments sont précieux.
Dépêchez-vous !…
Passez-moi la manche !… Nous n’avons pas le temps de faire du marivaudage… passez-moi l’autre !… Voulez-vous être ma femme ?…
Vous dites, jeune homme ?…
Patience… Suzanne, je cherche.
Cherche mon ami, cherche ! (A Rosita). Monsieur te demande si tu veux être sa femme, réponds vite !
Dame !… C’est que…
Dites oui, allez, vous ne vous en repentirez pas ; je suis un bon diable… Florestan Ducroquet…
Oui, oui, je sais.
Vingt-cinq ans, Breda street.
Mais nous nous connaissons à peine.
Nous aurons toute la vie pour faire connaissance… Et puis, nous avons passé la nuit ensemble… Et quand on a passé…
Mais je n’ai rien.
Je m’en contente.
Pas même de famille.
J’en ai moi… et vous savez, quand il y en a pour un, il y en a pour deux.
Ah ! je la tiens !… Suzanne ! je la tiens !
Il a la clé !
Dépêchons, mademoiselle, dépêchons !… nous n’avons pas le temps de faire du marivaudage (Il monte sur la fenêtre et accroche son siège à la corde).
Réponds donc vite !…[29]
Dame !… C’est que tant de précipitation…
Mademoiselle, avant notre mariage j’aurai besoin de causer encore une fois avec vous ; sous quelle latitude vous retrouverai-je ?
Elle habite Versailles… le magasin de modes.
Sur la place d’Armes.
Mademoiselle, demain dimanche j’irai voir jouer les grandes eaux, je ne vous dis que ça.
Tenez bien la corde !
Ce soir ici,
À son mari,
Messieurs, évitez une chute,
Et laissez-nous jusqu’à la fin.
Répéter notre gai refrain.
Ah ! ah !
Tu l’as voulu Georges Dandin !
Tu l’as voulu Georges Dandin !
(La porte du fond s’ouvre et le mari vient tomber aux genoux de sa femme.)
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tu l’as voulu, Georges Dandin !
Tin, tin, tin, tin, tin, tin, tin, tin.
(Florestan disparaît en envoyant des baisers à Rosita. Le rideau tombe.)
- ↑ Rosita, Suzanne.
- ↑ Suzanne, Rosita.
- ↑ Rosita, Suzanne.
- ↑ Suzanne, Rosita.
- ↑ Suzanne, Florestan.
- ↑ Florestan, Suzanne.
- ↑ Suzanne, Florestan.
- ↑ Rosita, Suzanne.
- ↑ Suzanne, Rosita, Florestan.
- ↑ Rosita, Suzanne, Florestan.
- ↑ Rosita, Florestan, Suzanne.
- ↑ Rosita, Florestan, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Rosita, Florestan, Suzanne.
- ↑ Florestan, Suzanne, Rosita.
- ↑ Florestan, Suzanne, Rosita.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Rosita, Florestan, Suzanne.
- ↑ Rosita, Suzanne, Florestan.
- ↑ Suzanne. Florestan, Rosita.
- ↑ Florestan, Suzanne, Rosita.
- ↑ Suzanne, Florestan, Rosita.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Rosita, Florestan, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, le Mari, Suzanne.
- ↑ Florestan, Rosita, le Mari, Suzanne.