Le Bec en l’air/Un mode d’éclairage relativement peu connu

La bibliothèque libre.

UN MODE D’ÉCLAIRAGE
RELATIVEMENT PEU CONNU


Je viens de feuilleter avec délices les magnifiques ouvrages que ne manque jamais de m’envoyer, aux approches du premier de l’An, la somptueuse maison Quantin.

Celui de ces livres qui subjugua le plus mon attention, c’est l’Éclairage à travers les âges.

Rien de plus intéressant que l’historique de la lumière dans l’humanité.

Le premier flambeau qui éclaira le monde fut, au dire des savants, le soleil pour le jour, et la lune pour la nuit.

Ce procédé, assurément économique, avait le désavantage d’illuminer fort insuffisamment l’intérieur des cavernes en lesquelles gitaient nos pères.

Les soirées du 14 Juillet y perdaient, en outre, beaucoup de leur éclat.

Nos aïeux se mirent à l’œuvre, en vue d’obtenir un éclairage plus pratique.

Avant d’arriver au bec Auer, beaucoup d’essais intéressants furent tentés.

Le plus ancien est celui qui remonte à l’âge de pierre.

Il consistait en un choc sec de deux silex, l’un contre l’autre.

Les ainsi jaillissantes étincelles produisaient une lumière vive, mais, hélas ! trop intermittente et mal appropriée aux travaux tant soit peu minutieux, comme par exemple l’expertise en écritures publiques ou privées.

L’âge de pierre aboli, nous arrivons à l’âge de sapin : apparaît la torche de résine…

… Mais le cadre exigu dont je dispose m’interdit de m’étaler longuement sur ces annales.

Aussi bien, l’Éclairage à travers les âges vous racontera mieux que moi les passionnantes luttes de l’être humain contre les ténèbres.

J’ai constaté avec peine, cependant, que ce si complet et si consciencieux ouvrage avait oublié un mode d’éclairage assez peu connu, à la vérité, mais bien digne, tout de même, d’être révélé aux masses.

J’espère qu’en sa prochaine édition, l’auteur de l’Éclairage à travers les âges ajoutera à son beau livre un léger appendice relatif à mon histoire.

Un vieux homme, que je connaissais pour l’avoir rencontré dans les pires endroits de Paris, eut un jour une idée (que je serais bien bête d’hésiter à qualifier de géniale) :

Les terrains qui circonvoisinent les dépôts et raffineries de pétrole sont, en général, fort mal cotés pour la culture du petit pois auquel ils (les terrains) communiquent un sale goût d’essence tout à fait inacceptable.

Pour ce qui est des asperges, même inconvénient.

Et, aussi, même inconvénient pour tout légume destiné à l’alimentation.

À quoi attribuer ce phénomène ?

Condensation, sur lesdits terrains, des vapeurs de pétrole ?

Simple infiltration, peut-être ?

Qu’importe !

Mon bonhomme passa avec toutes les usines et tous les entrepôts de pétrole de la banlieue de Paris des marchés à long terme qui lui assuraient, à des prix véritablement dérisoires, la jouissance de ces terrains.

Il y planta des poireaux.

Les poireaux poussèrent superbes et saturés d’éblouissants carbures.

Il les vendit pour des chandelles perfectionnées.

Ce nouveau mode d’éclairage conquit rapidement une vogue immense.

Et notre ingénieux bonhomme gagna des sommes énormes qu’il consacra uniquement à la satisfaction de ses plus bas appétits.