Un monde inconnu/Tome II/16

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Alexandre Cadot, éditeur (Tome IIp. 39-66).

XVI

À cinq lieues environ de Mexico se trouve une petite ville de très ordinaire apparence qui, quoique capitale de son district, n’en ressemble pas moins à un gros bourg. Elle se nomme San-Agustin ; ne se faisant remarquer par aucune industrie locale, par aucune spécialité, par rien en un mot, ne fût-ce même que par la beauté ou la laideur de ses rues, San-Agustin semblait condamnée, ainsi que tant d’autres petites villes mexicaines, à tomber insensiblement en ruines, puis à s’éteindre enfin de sa belle mort au soleil, en ne laissant pour toute épitaphe, sur sa tombe, que quelques débris sans nom et sans souvenirs.

Mais tel ne sera pas le sort de cette ville aux mille légendes, dont le nom balbutié par un enfant suffit pour éveiller l’attention des plus distraits et pour alimenter une conversation de deux heures.

J’étais, le 28 août, tranquillement occupé à achever ma correspondance, lorsque mon infatigable et charmant ami, M. L…, se fit annoncer

— Où allons-nous, mon cher cicerone ? lui demandai-je aussitôt en souriant et avant même de m’informer de l’état de sa santé.

— Parbleu, à la San-Agustin !

— À la San-Agustin ?

— Mais certes. Est-ce que vous ne connaissez pas cette fête de nom ?

— Du tout.

— Vraiment !… c’est extraordinaire. Après tout, il vaut mieux qu’où ne vous ait point défloré ce plaisir par des récits, votre curiosité ne s’en trouvera que plus vive et vos émotions plus entières. Passez vite votre calzonera, et dépêchez-vous ; mon domestique attend en bas avec deux chevaux.

En cinq minutes je fus prêt, et comme je me dirigeais vers la porte :

— Vous oubliez l’essentiel, me dit M. L…

— Quoi donc ?

— De l’argent.

— J’ai sur moi plus que je ne dépenserai.

— Cela n’est pas certain, me dit M. L… ; tenez, regardez ce que j’emporte.

C’était une grosse bourse bien rebondie et dont les mailles s’élargissaient forcément sous la pression d’une centaine d’onces d’or.

— Du reste, continua-t-il en riant de ma stupéfaction, si vous n’avez chez vous que des piastres, ne vous en chargez pas, car elles ne vous serviraient de rien, et puis nous trouverons à San-Agustin autant d’or que nous en voudrons.

Il pouvait être environ midi lorsque nous montâmes à cheval, et je remarquai avec un étonnement réel que les larges rues de Mexico, d’ordinaire si désertes quand le soleil les inonde, semblaient prêtes à crouler[1] en ce moment sous l’impatiente pression de la foule.

— D’où provient ce changement ? demandai-je à M. L…, et pourquoi partout ces cavaliers joyeux et couverts de broderies, eux et les selles de leurs magnifiques coursiers, et cette foule de femmes parées qui sourient et qui passent, les unes à pied, le plus grand nombre en voiture, et le plus petit à cheval ?

— Mon cher monsieur, me répondit M. L…, vous êtes le seul de tout Mexico qui ne sachiez rien de la fête d’aujourd’hui, et si je ne réponds à aucune de vos questions, c’est pour vous laisser dans cette position originale.

— Mais enfin, dites-moi…

— Rien…

— Je vous en prie !…

— Eh bien ! mon cher, nous allons jouer.

— Comment, jouer ?… à quoi ?

— Aux cartes.

— Et c’est la seule passion du jeu qui met ainsi sens dessus dessous une ville de cent mille âmes ?…

— Certes, sans compter les populations de l’intérieur. N’allez pas croire au moins que le jeu à San-Agustin ressemble à ces honteuses parties qui ont lieu le soir, dans l’ombre, à ces tripots où tout homme qui se respecte, et que pousse pourtant une passion plus forte que sa volonté, n’entre qu’en rabattant son chapeau sur ses yeux, de peur d’être reconnu, ni à ces trompeuses et adroites combinaisons qui, lorsque la fortune vous prend par la main, ne vous permettent de gagner que quelques poignées d’or ; illusions funestes auxquelles on sacrifie peu à peu ses ressources, jusqu’à ce que l’on y laisse son honneur ; non ! à la San-Agustin le jeu est beau et grand : sur des tapis verts qu’éclaire le soleil, que loyalement et comme en un champ-clos il vous livre la bataille. Pour spectateurs, on a les plus jolis et les plus grands yeux du monde qui vous contemplent, pour encouragements les mains les plus petites et les plus potelées qu’on puisse imaginer qui vous applaudissent d’enthousiasme. Enfin, vous verrez là toutes les jolies femmes de Mexico, en un mot, dont le cœur se laisse prendre par celui qui gagne le plus d’or, non pas parce qu’il pourra être le plus généreux, mais bien parce qu’il aura été le plus audacieux.

— Pour un simple cicerone, mon bon monsieur L…, vous me semblez un peu trop poète. S’il vous plaisait d’être, je ne dirais pas plus clair, mais plus précis dans vos explications, je ne vous en trouverais pas moins aimable pour cela, et je saurais du moins à quoi m’en tenir.

— Je vous dirai alors, tout comme pourrait le faire un guide ou manuel du voyageur, que chaque année la société de Mexico ou, pour être plus juste, Mexico entier, se donne rendez-vous pour jouer au monte à la San-Agustin, que ces jeux durent trois jours et que pendant ces fêtes les auberges sont d’un prix fou.

Tout en causant et en fumant, deux heures passèrent rapidement, et nous arrivâmes à San-Agustin.

Les rues étaient tellement encombrées par la foule, que nous eûmes beaucoup de peine à conduire nos chevaux jusqu’à une petite auberge française, établie pour la circonstance.

— Nous coucherons ici, si vous le voulez bien, me dit M. L…, et je vais retenir deux lits à l’avance ; car autrement il pourrait bien nous arriver de passer la nuit à la belle étoile.

Une fois nos chevaux en sûreté, M. L… me prit par le bras et nous nous acheminâmes vers la Calle Mayor, ou la Grande-Rue.

Presque toutes les maisons avaient été converties en montes, et à peine en restait-il quelques-unes de vacantes que le jeu avait bien voulu laisser louer. Dans ces maisons dont le prix de la location pour trois jours équivalait certes à celui d’une année, se trouvaient réunies toutes les femmes les plus comme il faut et toutes les courtisanes les plus en vogue de Mexico.

M. L… prétendait que le jeu, en laissant ainsi disposer de ces maisons, n’avait pas fait preuve, le moins du monde, de galanterie, mais bien de sagacité, car le voisinage et la présence de toutes ces femmes lui tenaient lieu d’enseigne et lui procuraient des joueurs.

Toujours est-il qu’un son argentin continuel, qui provenait des montes se faisait entendre dans toutes les rues, et que pas un seul lepero, quelque misérable qu’il fut, ne marchait sans serrer, autant par amour que par mesure de précaution, une bourse d’argent contre sa poitrine ou contre son cœur.

J’avais l’intention, en arrivant à San-Agustin, de rester constamment spectateur, et je m’étais bien promis, regardant la chose comme facile, de ne point risquer un seul réal sur le tapis vert ; mais je sentis en écoutant ce bruissement d’onces et de piastres, qu’il me serait plus difficile de suivre ma première résolution que je ne l’avais pensé d’abord.

M. L…, à qui j’avais confié mon plan de sagesse, après en avoir beaucoup ri, me regardait alors avec un certain air goguenard et moqueur qui ne prouvait pas de sa part une grande confiance en mes bonnes résolutions.

— Je pourrais m’amuser un peu à vos dépens, me dit-il enfin avec bonté, mais si ce n’est point dans ma manière d’agir, croyez moi, ne luttez pas, car après les fatigues du combat, vous n’obtiendriez que le déshonneur d’une défaite. Je sais que vous ne pourriez passer une journée ici sans jouer, car non-seulement l’influence de la contagion est trop forte, mais il s’exhale en outre de ces monceaux d’onces sans cesse agitées, des miasmes d’or qui éblouissent et font succomber les plus fermes. Il existe, d’après moi, à la San-Agustin, une maladie aussi réelle que véritable, quoique peu dangereuse, cependant, pour le physique… C’est la rage du jeu.

— Je tâcherai de n’en être qu’incommodé.

— En ressentiriez-vous déjà les premiers symptômes ? vous ne répondez pas ? c’est signe que j’ai deviné… Alors entrons dans cet hôpital.

L’hôpital dont parlait M. L… n’était autre chose qu’un monte. Les joueurs étaient assis autour d’une table longue d’environ trente-cinq à quarante pieds et assez étroite. Au centre trônait le montero, ou croupier en chef ; à chaque extrémité de la table se trouvait un de ses acolytes. L’aspect général des joueurs n’avait absolument rien d’affairé ou d’inquiet. Je ne remarquai pas un seul nuage sur leurs visages, tous les sourcils étaient détendus, les fronts calmes, les bouches souriantes. Tout ce monde, à coup sûr, ne ressentait que le plaisir du jeu, sans en subir aucune des poignantes émotions. La combinaison du monte est des plus simples, et cinq minutes me suffirent pour me mettre au fait.

Le montero, après avoir taillé les cartes avec une adresse qui semblait tenir de celle du singe, fit couper par un de ses voisins, puis, retirant adroitement les deux dernières cartes de dessous, il les plaça sur le tapis, séparé en deux par une raie, la plus forte sur le côté portant le numéro 2 et la plus faible sur le numéro 1.

Chacun s’empressa aussitôt d’apporter son enjeu et de le mettre à côté de sa carte de préférence.

Les hésitations furent tellement courtes, qu’une minute s’écoula à peine avant que la voix monotone du montero fit entendre le mot corre (allez).

Les cartes, suivies par tous les regards, furent passées, à tour de rôle, à un des joueurs qui, les ayant retournées, se mit à les retirer une par une, selon qu’elles se présentaient, et cela avec une grande lenteur.

La première carte, semblable à l’une des deux sorties d’abord, qui se montra, fit gagner d’abord tous ceux qui avaient parié pour elle.

Après avoir considéré pendant quelques moments les alternatives diverses de la partie, je dis à mon compagnon :

— Savez-vous, mon cher monsieur L…, que je ne veux plus lutter.

— Fi donc, me répondit-il en souriant, remettez votre argent dans votre poche, et allons-nous-en ailleurs. Je ne suis entré ici qu’afin que vous puissiez prendre une idée des règles du monte, et non pas pour jouer. Cette partie n’est qu’une charge, et ne convient pas à des caballeros.

— Pourquoi donc ?

— Parce que c’est un monte de plata.

— Ce qui signifie ?…

— Qu’il y a trois sortes de monte à la San-Agustin, ceux de Oro, de Plata et de Cobre. Dans les premiers, les mieux composés comme cela va sans dire, on ne reçoit sur le tapis que de l’or. Un joueur mettrait cent mille francs en piastres qu’on le refuserait. Il faut, je vous le répète, que l’enjeu soit en or. Dans les seconds, des Plata, on accepte de l’argent et de l’or : la mise ne peut être toutefois de moins de trois piastres ou quinze francs. Ces montes sont fréquentés par les officiers en demi-solde, les filous en détresse, les petits négociants et les commis de magasin. Dans les troisièmes, ceux de Cobre, on sent une odeur de vert de gris des moins agréable, qui prouve que les plus petites monnaies, celles de cuivre, y ont cours. Ces montes qui se tiennent d’ordinaire en plein vent sont les plus orageux : ils attirent les aquadores et les leperos[2].

— Je comprends à présent pourquoi vous m’avez empêché de me charger de piastres. Va donc pour le monte de Oro, mais je vais devenir votre débiteur.

— J’y comptais bien, du reste, songez qu’à la San-Agustin, il suffit de connaître une personne par son nom pour lui emprunter de l’argent. Il règne, pendant ces trois jours de jeu ou de délire un laisser aller des plus complets ; et tel individu qui ne vous aborderait à Mexico que le chapeau à la main, vous traite ici de camarade et vous offre sa bourse ou puise dans la vôtre sans aucune cérémonie. Cela vient sans doute de ce que tous les hommes sont égaux devant le hasard.

— D’où provient l’affluence de monde que je vois arrêté devant cette grande porte ? demandai-je, après quelques instants de marche, à M. L…

— C’est là un des premiers montes de Oro. Entrons.

L’aspect des joueurs qui encombraient ce monte ne ressemblait plus du tout à ce que j’avais vu dans celui de Plata. Les contenances étaient bien tout aussi graves, tout aussi placides ; mais il régnait, en outre, un calme presque imposant. L’intérêt puissant de la partie, en absorbant l’attention entière des personnes présentes, soit acteurs, soit spectateurs, imprimait sur les visages un air de recueillement et de réflexion, et donnait à la foule un maintien digne et de bon goût ; au beau milieu d’une table démesurément grande, s’élevaient de séduisantes pyramides et de redoutables bastions, formés d’onces. La banque étalait plus de trente mille piastres (cent cinquante mille francs) en monnaie — une seule mise — et tenait tous les enjeux.

— Jamais, jusqu’à ce jour, je n’avais bien compris la beauté de l’or, et je suis intimement convaincu que pas une seule personne, quelque flegmatique ou quelque insouciante qu’eût été sa nature, n’eût pu impunément jeter un coup d’œil sur ce tapis, Toutes ces onces espagnoles d’un or aux teintes jaunes et éclatantes, s’épanouissaient sur le fond vert du tapis, comme des oranges mûries au soleil, et causaient d’invincibles désirs. On se sentait altéré d’ambition, on avait soif d’or.

Un joueur placé près de moi s’étant levé, je pris aussitôt sa chaise ; deux minutes après, j’avais gagné trois onces, et j’étais intimement persuade qu’avant une heure la banque entière m’appartiendrait. Dix fois de suite le sort me fut favorable sans interruption, et vint un moment où je regrettai qu’il n’y eût que cent cinquante mille francs sur la table.

Au onzième coup je perdis, et ce léger échec me fît abandonner le jeu : j’avais trois jours encore devant moi, et je tenais à ne point fatiguer le sort.

— Me serait-il permis de vous demander, senor, à combien s’élève votre gain ? me demanda poliment un Mexicain placé derrière ma chaise.

Je regardai l’individu qui m’adressait cette question, et l’examen que je fis de sa personne ne me donna pas une haute idée de sa position dans le monde. Sa mise, des plus modestes, consistait en une vieille jaquette jaune, une pantalon jadis blanc, des souliers rapiécés et un chapeau de paille grossière.

Je comptai néanmoins mon argent et je lui répondis :

— À quinze onces, senor.

— À quinze onces ! reprit-il avec étonnement et vous avez passé dix fois !

— C’est vrai, mais j’ai perdu à la onzième.

— Ah ! senor !… vous devriez avoir desmontado el monte.

Desmontar el monte signifie tout bonnement décaver la banque.

— Passer dix fois et n’en retirer que quinze onces ! répéta le pauvre diable ; mais savez-vous bien que si je n’avais l’espoir de rencontrer un jour une pareille veine, la vie me serait à charge et que je ne pourrais la supporter.

— Cela prouve que votre philosophie repose sur une martingale… Mais vous trouvez, à ce qu’il paraît, que j’ai mal conduit ma barque.

— Si, senor.

— Qu’auriez-vous donc fait à ma place ?

— J’aurais joué deux onces à la doble, et au dixième coup, mon gain eût été de deux mille quarante-huit onces.

La manière dont mon Mexicain me fit cette réponse me prouva que depuis longtemps il avait fait ses calculs.

— C’eût été un joli denier en vérité… Mais pour gagner au dizième coup deux mille quarante-huit onces, il eût fallu en exposer mille vingt-quatre au neuvième… et c’est là un enjeu trop considérable pour la hardiesse de l’homme, du moins d’après ma manière de voir.

— De l’homme, si, senor, mais du joueur, non… Tel que vous voyez, j’ai déjà perdu trois fois une semblable partie.

— Vraiment… et que vous est-il resté chaque fois ?

— À cette question le Mexicain laissa tomber un stoïque regard sur ses pauvres vêtements, puis il me répondit :

— Ces habits de plus en plus usés. Du reste, senor, amusez-vous un instant à suivre la marche du jeu, et vous verrez que pas un seul Mexicain ne retire sa mise avant de l’avoir exposée au moins six fois en entier… Tenez… remarquez cet homme qui se lève… là, à votre droite… et ce râteau qui balaie une pile d’or… En voilà un exemple… Je parie qu’il ne reste pas à ce joueur un seul réal pour acheter un paquet de cigarettes… Voilà ce que j’appelle savoir jouer !…

— Il n’aurait pourtant pas eu tort de garder une once en réserve…

— Une once en réserve, senor, vous en fait perdre mille vingt-quatre, si vous passez dix fois de suite… Ne l’oubliez donc pas… Non, cet homme a bien agi, et il doit être heureux, car il a sa conscience pour lui… Il a fait son devoir… Me serait-il permis, senor, de vous demander une cigarette ?

— Très volontiers ; prenez ce paquet.

— N’oubliez pas, senor, ajouta le Mexicain en s’en allant, que vous serez continuellement la dupe du jeu… si vous n’adoptez la méthode de jouer à la doble… Je vous salue.

Et mon interlocuteur s’éloigna en gardant mon paquet de cigarettes ; d’où je conclus qu’il avait dû trop bien faire son devoir dans la matinée, et que sa conscience ne lui reprochait certes rien.

Un peu calmé par mes premiers essais, je cherchai M. L…, que je ne tardai guère à trouver. Il était assis devant la table et faisait manœuvrer ses onces avec une grande vivacité.

— Dans cinq minutes je serai à vos ordres, me dit-il tout en posant une poignée sur une carte.

— Très bien.

L’idée me vint alors d’étudier un peu en détail ce que je n’avais d’abord observé qu’en bloc, et mon attention se concentra exclusivement sur les joueurs les plus hardis. C’était vraiment un beau spectacle que de voir l’empire qu’exerçaient tous ces Mexicains sur leurs passions. Quelque énormes que fussent leurs gains ou leurs pertes, le même sourire de contentement restait sur leurs lèvres. Le fatal rateau enlevait-il de devant eux un monceau d’onces, qu’ils ne daignaient seulement pas le suivre d’un regard de regret ; le montero leur payait-il un coup heureux, qu’ils attendaient patiemment et les mains immobiles qu’il eût fini de compter avant de prendre ce qui leur revenait ; pas un d’entre eux ne cédait à l’invincible et si puissante attraction de l’or.

D’un autre côté, je dois avouer que l’agitation toute fébrile de nos compatriotes, contrastait d’une étrange manière avec le calme et le stoïcisme des indigènes. Abattues par le moindre revers, exaltées par le plus mince triomphe, leurs émotions s’épanchaient bruyantes, et leur joie comme leur désespoir prenaient la salle entière pour confidente.

Une foule d’ouvriers et de commis français, que l’espoir de réaliser subitement, à vue, comme dans un rêve, une fortune raisonnable et indépendante, avait attiré à ce monte de Oro, se faisaient part de la position dans laquelle ils se trouvaient d’un bout de la salle à l’autre, en s’inquiétant fort peu que chacun se trouvât au courant de leur situation.

Les Anglais, ces joueurs renommés, de notre Europe, péchaient par un défaut tout contraire et tombaient dans un extrême opposé. Désireux de rivaliser de sangfroid avec les Mexicains, ils s’enveloppaient d’un air froidement hautain, ennuyé, et affectaient de perdre trop gaîment ou de gagner avec trop d’indifférence. Celle opiniâtreté nationale devant laquelle ils se figurent que tout doit céder ou fléchir les poussait aussi souvent à combattre une veine malheureuse, et c’était alors pitié de voir le jeu s’emparer, inexorable, de leurs riches dépouilles.

En un mot, le Mexicain intéressait, le Français divertissait et l’Anglais faisait souffrir ; car on comprenait que tout son étalage de courage factice n’avait pour base qu’une lâcheté… le refuge du suicide.

  1. Les rues de Mexico, bâties sur pilotis, sont creuses en dessous.
  2. Porteurs d’eau et portefaix.