Une Correspondance inédite de Prosper Mérimée/05

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Une Correspondance inédite de Prosper Mérimée
Revue des Deux Mondes5e période, tome 11 (p. 721-752).
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UNE CORRESPONDANCE INEDITE
DE
PROSPER MÉRIMÉE

Présenter Prosper Mérimée aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes me paraît superflu. D’autres l’ont fait ici même mieux que je ne le saurais faire[1]. Le correspondant et l’ami auquel il adressait les trente-quatre lettres que nous publions aujourd’hui est, au contraire, beaucoup plus oublié et peut-être n’a-t-il jamais obtenu en France toute la célébrité que méritaient son savoir, son talent, et l’originalité de ses théories.

Joseph-Arthur de Gobineau, né à Ville-d’Avray le 14 juillet 1816, était le dernier rejeton mâle d’une très ancienne famille normande dont il devait lui-même écrire l’histoire[2]. Il amassa de très bonne heure les matériaux de sa vaste érudition, et, de 1835 à 1849, publia une grande quantité de travaux littéraires dans plusieurs recueils, entre autres une étude sur Capodistrias, parue dans la Revue des Deux Mondes, du 15 avril 1841. Parmi les amis du jeune homme, le plus éminent était Alexis de Tocqueville, qui lui garda jusqu’à la fin de sa vie une affection presque paternelle et qui, devenu ministre des Affaires étrangères en 1849, en fit son chef de cabinet. En 1850, il fut envoyé comme secrétaire d’ambassade à Berne, puis à Hanovre, à Francfort : c’est alors qu’il composa son œuvre capitale sur les Races humaines[3], dans laquelle il essaya de prouver, avec infiniment d’éloquence, et en s’appuyant sur de nombreux matériaux scientifiques, la thèse que la race, le sang des peuples, était l’agent dominant de leur histoire. En 1854, il fut nommé premier secrétaire en Perse, et il vécut dans ce pays de 1855 à 1858 et une seconde fois, comme ministre plénipotentiaire, de 1862 à 1864. Ces deux séjours en Iran furent pour M. de Gobineau l’occasion de travaux auxquels l’avaient admirablement préparé les études de sa laborieuse jeunesse. Si la science contemporaine a démontré l’erreur dans laquelle il était tombé en publiant ses deux livres sur les cunéiformes[4], si elle fait peut-être trop bon marché de son Histoire des Perses[5], tous les orientalistes s’accordent encore à reconnaître la haute valeur de son ouvrage sur les Religions et les Philosophies dans l’Asie centrale dont une troisième édition vient d’être publiée (Paris, 1900, Leroux). Ses Trois ans en Asie (Paris, 1859) et ses charmantes Nouvelles Asiatiques (Paris, 1876) se rattachent également à cette époque de sa carrière.

Ministre à Athènes, 1864-1868, à Rio de Janeiro, 1869-1870, à Stockholm, 1872-1877, le comte de Gobineau fut mis à la retraite en 1877. Il passa le reste de sa vie à Rome. Pendant des années, de dures épreuves de toute espèce combattues par lui, avec tout l’héroïsme d’une grande âme, par un excès continuel de travail, avaient irréparablement ruiné sa santé jadis si solide. Le 13 octobre 1882, il succomba à une attaque d’apoplexie qui le frappa à Turin comme il retournait à Rome après un voyage en Auvergne.

Avant de clore cette trop brève esquisse biographique, il convient de rappeler les services rendus par M. de Gobineau pendant la guerre de 1870, qui le surprit au château de Trye en Beauvoisis, qu’il avait acheté en 1857. Maire de Trye et conseiller général de l’Oise, il déploya, pendant cette triste époque, une activité infatigable, d’abord pour organiser la résistance, puis, l’invasion accomplie, pour faire soigner les blessés, approvisionner les troupes, améliorer les rapports avec les vainqueurs, etc. Il réussit même à faire réduire d’un chiffre considérable la contribution imposée à son département, et après l’armistice, la ville de Beauvais reconnaissante lui vota des remerciemens publics.

En relatant les principaux événemens de cette vie si noblement remplie, je n’ai point mentionné nombre d’autres œuvres du comte de Gobineau telles que la Renaissance, Scènes historiques (Paris, 1877). Ce tableau grandiose de toute une époque de l’humanité, d’une pénétration merveilleuse, qu’on a appelé avec justesse une épopée en forme de drame, et qui réunit les qualités de l’historien et du philosophe avec celles du poète et de l’artiste ; l’Aphroïssa (Recueil de poésies), l’Abbaye de Typhaines, le roman les Pléiades, etc. Plusieurs de ces ouvrages sont cités dans les lettres de Mérimée, bien que celui-ci n’ait malheureusement pas vécu assez longtemps pour voir l’expansion entière du puissant génie de son ami, dont pourtant il admirait déjà assez l’étonnante diversité, cette étendue d’esprit et de connaissances qui l’a mis à même de créer des œuvres d’une rare valeur dans les domaines les plus différens.

On serait en effet tenté quelquefois, comme l’a écrit à deux reprises Mérimée lui-même, de lui attribuer plusieurs natures, plusieurs individualités, plusieurs nationalités, quand on le voit d’un côté historien et poète profondément tragique, impitoyablement pessimiste, et de l’autre romancier et nouvelliste, humoriste et causeur, touriste et « épistolier » des plus joyeux et des plus spirituels. Et pourtant, en y regardant de près, on retrouvera l’unité des qualités, en apparence si disparates, au fond même de la personnalité de notre auteur, qui, tout en se rappelant, à chaque moment de sa vie, la lourde gravité de sa tâche, n’oublie pas non plus, surtout quand il parle en poète et en artiste, qu’on l’accomplit plus facilement par un chemin qui ouvre des vues sereines et ravissantes, offrant des récréations au cœur et des amusemens à l’esprit. C’est ce qui lui donne, à côté de la grandeur des vues, de la verve de conviction et d’expression qui lui est propre comme qualité fondamentale, ce quelque chose d’éternellement jeune, cette fraîcheur inépuisable, cette gaieté et cette aménité qui ne font pas le moindre de ses charmes.

Presque toujours absent de sa patrie à cause des obligations de sa carrière diplomatique, s’étant écarté par ses vues politiques et sociales et surtout par l’idée mère de son grand livre sur les races, qui a fondé sa gloire à l’étranger, des idées en faveur dans la France actuelle, c’est-à-dire des idées démocratiques et égalitaires, M. de Gobineau y était tombé dans un oubli presque complot, au moment même où il allait faire son entrée triomphale en Allemagne. Ici, au contraire, l’idée de la race, et celle de la supériorité des races aryennes en particulier, eut un retentissement considérable. Telle était l’impression provoquée par la traduction de l’Inégalité des Races (Stuttgart, 1897-1901, 4 vol.), qu’une seconde édition a dû être publiée presque en même temps que le quatrième volume de la première. Mais les succès de M. de Gobineau en Allemagne ne se sont pas bornés là. Les Nouvelles asiatiques y sont presque devenues populaires, et, avant tout, la traduction de la Renaissance, répandue en des milliers et des milliers d’exemplaires dans la collection Reclam, la plus populaire de l’Allemagne, a excité un vrai enthousiasme. Elle a même fait l’objet de lectures publiques dans nombre de villes de l’Allemagne du Nord.

Déjà, du vivant de notre auteur, Richard Wagner l’avait pris en amitié et lui avait fait, à Bayreuth, à plusieurs reprises, un accueil admirateur et de frère d’armes. D’autres Allemands éminens ont suivi son exemple ; de sorte qu’en 1894 on a pu fonder une Société Gobineau (Gobineau Vereinigung), ayant pour objet de publier, outre les traductions des œuvres principales de Gobineau, ses œuvres posthumes et ses correspondances, de r ééditer ses livres épuisés, de préparer sa biographie, etc.[6]. Cette société, qui compte actuellement 200 membres, s’est recrutée dans toutes les élites des pays de langue allemande et parmi quelques esprits distingués des pays voisins. Dans les listes des noms, on trouve des savans comme Ernst Curtius et Max Müller, des artistes comme Arrigo Boito et Bruno Schmitz, des poètes comme Ernst von Wildenbruch, des écrivains comme Edouard Schuré et Paul Bourget, pour ne citer que les plus célèbres.

Le fait que, dans cette société, nous rencontrons aussi des noms français, peut servir de preuve qu’au moins une minorité est restée en France fidèle au comte de Gobineau, et permet d’espérer, à ses admirateurs étrangers, qu’un jour peut-être son heure viendra dans sa propre patrie.

Et, en effet, si seulement on voulait s’occuper sérieusement de lui, il semble presque impossible que la France, représentée par ses meilleurs esprits, ne se souvienne un jour de son glorieux fils, lequel, quoi qu’on ait pu dire de ses côtés hétérogènes, de son manque de forme et de je ne sais quoi encore, en tout cas a réuni en lui-même une abondance de grandes qualités suffisante pour lui attirer l’admiration de deux publics aussi différens que le sont les publics français et allemand. Espérons donc que la publication actuelle contribuera à ramener vers lui l’attention de ses compatriotes[7].

Nous aurions vivement désiré pouvoir y joindre les lettres adressées par M. de Gobineau à Mérimée, mais par malheur elles ont probablement été détruites avec la maison qu’habitait celui-ci lors de l’incendie de la rue de Lille en 1871.

A. SCHEMANN.


PREMIÈRE PARTIE

Monsieur[8],

Voici une description du camp de Péran et une notice sur le monument de Gavr’Innis[9]. Je regrette de ne pouvoir vous offrir ni l’un ni l’autre. Le premier appartient à un de mes amis ; l’autre est le seul exemplaire qui me reste d’un ouvrage épuisé et que je suis obligé de consulter souvent pour mes rapports sur les monumens historiques. Il vous suffira, au reste, d’un quart d’heure pour trouver dans ces descriptions les faits qui peuvent vous intéresser.

Je lis avec un très grand plaisir votre premier volume[10]. Je crois que vous avez grandement raison au fond. Sur quelques détails, il y aurait peut-être des objections à vous faire ; mais je suis trop peu avancé encore pour vous adresser mes critiques. En attendant, permettez-moi de vous féliciter du courage qu’en ce temps d’hypocrisie vous avez eu de dire que, ni la superstition, ni l’athéisme, ni l’immoralité ne tuent les sociétés[11].

Veuillez agréer, monsieur, l’expression de tous mes sentimens de la plus haute considération,


Mercredi soir.

Paris, s’avril 1854, 52, rue de Lille.

Monsieur,

Je remets aujourd’hui à M. de Lesseps les lithographies que vous désirez voir. Je n’ai pu vous les envoyer plus tôt parce qu’elles étaient entre les mains d’un de mes amis qui prépare, je crois, un mémoire sur le monument qu’elles représentent. Je vous serais obligé de me les renvoyer lorsque vous les aurez examinées à loisir.

J’ai marqué au crayon les dessins dont les originaux sont au musée de l’Académie de l’histoire à Madrid, où je les ai vus. Je crois ceux-là authentiques. C’est aussi l’opinion de M. de Longpérier qui les a examinés avec toutes les préventions possibles. Quant aux fragmens demeurés à Tarragone, mon ami M. Delgado, anticuario de l’Académie de l’histoire, les croit également authentiques. Il a été envoyé à Tarragone l’année passée pour y faire une espèce d’enquête. C’est un homme très loyal, très consciencieux et habitué aux antiquités. Je ne sais si je vous ai déjà parlé des circonstances de la découverte. En voici l’abrégé en deux mots. Des galériens, qui travaillent à tirer de la pierre pour les travaux du port de Tarragone, ont découvert un tombeau en marbre sur les côtés duquel à l’intérieur, et à l’extérieur, il y avait des dessins[12]. Le marbre a été creusé à une certaine profondeur et les creux remplis d’un mastic noir. Quelques-unes des compositions sont en outre rehaussées de couleur. Les galériens ont cassé le tombeau dans l’espoir d’y trouver des objets précieux, mais il n’y avait dedans qu’un squelette emmailloté ayant une idole sur la poitrine et quelques petits vases. Tout cela fut jeté à la mer. Ils se partagèrent les débris du marbre et les vendirent à différentes personnes. Un apothicaire de Tarragone en a recueilli la plus grande partie. Vous noterez que, quelque absurdes que soient les inscriptions égyptiennes, elles ne laissent pas de démontrer l’existence à Tarragone d’une tradition d’origine égyptienne. Des fouilles faites il y a déjà longtemps, d’autres entreprises l’année dernière par Delgado ont fait découvrir un certain nombre d’objets qui sont des imitations plus ou moins grossières de l’art égyptien. J’oubliais de vous dire que le sarcophage se trouvait, au rapport des galériens, à une assez grande profondeur dans le tuf, et au-dessous de deux couches de mosaïques romaines. Dans la couche inférieure au sol romain de Tarragone, on trouva beaucoup de médailles celtibériennes et d’objets de fabrique barbare. C’est, dit-on, à cette profondeur qu’ont été découverts et le tombeau et les objets dont je parlais tout à l’heure, qui indiquent une imitation maladroite de l’art égyptien. Ces circonstances font croire à M. Delgado que le sarcophage est antérieur à la conquête romaine. Pour moi, je ne puis reconnaître dans les dessins (très exactement calqués) les caractères d’un art ancien. Ils me semblent manquer tout à fait de naïveté, et je les crois du IIIe ou IVe siècle de notre ère. Les monumens gnostiques et les idoles sardes me paraissent avoir beaucoup de rapport avec les magots que je vous envoie. Au surplus, vous jugerez. Je n’ai encore fait qu’examiner les inscriptions que vous m’avez envoyées. Je suis fort ennuyé de besogne arriérée et je n’ai pas voulu me mettre à lire le mémoire de M. Mommsen de peur de m’y arrêter trop longtemps. J’espère que vous n’en êtes pas pressé et que vous me permettrez de le garder jusqu’à ce que j’aie un peu de loisir.

J’ai écrit à Mantes au sous-préfet. Il ne connaît personne dans la ville qui possède des têtes de l’ossuaire en face d’Épône. Rien ne se conserve en province, et la barbarie commence aux portes de Paris.

J’espère, monsieur, que vous trouverez le temps à Francfort de travailler à votre grand ouvrage. J’en attends la suite avec beaucoup d’impatience.

Veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens de la plus haute considération.


Paris, 9 février 1855, 52, rue de Lille.

Monsieur,

Je désespère de pouvoir vous serrer la main avant votre départ, et je me vois forcé très à regret de vous dire adieu par lettre.

Voici les inscriptions de M. Mommsen ; je suis bien honteux de les avoir gardées si longtemps.

Je vous envoie ci-joints quelques mots bohémiens qui sont, en Europe, d’un usage général parmi les tribus errantes des calis[13], depuis la Russie jusqu’à l’Espagne. Peut-être vos Laoties de la Perse les entendront-ils.


Couteau tchouri Pied pinro
Pain manro Bouche moui, müi
Viande mâs Yeux acoï
Eau pani Feu yake
Vin mâl 1 yek
Sel lon 2 doui, düi
Homme manou-rom 3 trin
Femme romi 4 chtar, phtar
Garçon tchavo 5 pantch
Père batou 6 tchof
Mère daï 7 efta
Fille tchaï 8 ohhto, ochto
Ane hliel, gul 9 enia
Cheval gras, graste, graï 10 dech, daph
Main baste

Je m’arrête, car je commence à être fort rouillé sur la chipe calli, que j’ai baragouinée autrefois avec quelque succès à Madrid.

Quand vous reviendrez de Perse, si un petit kalioun[14] très simple et très bon marché ne vous embarrassait pas trop, vous seriez bien aimable d’en faire l’acquisition à mon compte.

Veuillez agréer, monsieur, tous mes souhaits pour votre heureux voyage et l’expression de mes sentimens de haute considération.


Paris, 20 novembre 1855, rue de Lille, 52. Monsieur,

J’ai reçu avant-hier votre aimable lettre de Téhéran, en date du 15 septembre. Je me réjouis d’apprendre que vous vous portez bien et que vous vous plaisez aux choses et aux gens que vous voyez. Il me semble que vous employez votre temps à autre chose qu’à faire le kief[15], et je ne doute pas que vous ne nous rapportiez un livre intéressant. Je vous remercie beaucoup des détails que vous me donnez sur les Kourbats et les Ghadjars. Je crois avec vous que les premiers n’ont rien de commun avec nos Bohémiens d’Europe. Dans le petit vocabulaire que vous avez recueilli en Égypte, je ne vois qu’un mot qui offre quelque analogie avec un mot bohémien, c’est zouël, âne. Les Gitanos espagnols disent gel. Il n’y a rien d’extraordinaire dans le changement du z en g guttural. Au contraire, la liste de mots des Ghadjars offre la plus grande analogie avec leurs correspondans dans le dialecte espagnol. Le nom de la nation Ghadjar est remarquable. Je crois que c’est le même mot que Gatche, les gens. Vous observerez que les Bohémiens d’Espagne s’appellent entre eux Romé, les hommes. Nos Bohémiens français désignent leur tribu par cette expression : le petit ménage. Dyavirr, femme, m’a d’abord un peu embarrassé. Je crois que c’est le même mot que tchaborri, fille. Kohrân, cheval, me paraît avoir la même racine que G’ra (nos voleurs disent gré, gris). Quant aux formes de la conjugaison, je n’y comprends rien du tout. Il paraît qu’ils se servent d’un auxiliaire qui m’est inconnu. Avez-vous recherché si les mots des Korbats d’Égypte ne seraient pas un argot arabe, ou s’ils appartiennent à une langue particulière qui va disparaître ?

Vous êtes bien aimable de vous être souvenu de mon goût pour le kalioun[16], mais vous m’embarrassez beaucoup par la riche nomenclature kaliounique toute nouvelle pour moi. Cependant, comme je ne prétends pas fumer au bois de Boulogne, il ne peut être question de l’appareil équestre. J’ignore ce que c’est qu’un kalioundar ; je suppose que c’est un trépied ou quelque chose de semblable, qui sert à fixer le récipient à eau. Sartiges avait rapporté de Perse un homme qui tenait le kalioun ù la main tout le temps que je fumais, mais cela m’ôtait tout le plaisir et me semblait une exploitation trop forte de l’homme par l’homme. J’ai vu un kalioun modeste dont le récipient était, je crois, en cuir ; cela me semble très commode et plus facile à manœuvrer. Enfin, monsieur, veuillez choisir vous-même quelque chose de simple et d’usuel. Le prix de cent francs dont vous me parlez me semble très convenable pour un fumeur qui n’est ni Khan ni Mirza.

J’ai à vous remercier de votre quatrième volume, que j’ai lu il y a trois mois. J’aurais bien quelques objections à vous faire sur l’histoire de notre Gaule et celle des races germaniques. Il m’a semblé que vous attachiez trop d’importance aux observations encore bien incomplètes de mon ami M. Worsaae. Il y a dans son système un côté très séduisant, mais je ne puis m’empêcher de croire que la plupart des monumens qu’il considère comme très anciens, appartiennent à une époque beaucoup plus rapprochée de nous. Les blocs de granit travaillés de Gavr’Innis, ceux qu’on a transportés du continent dans les îles de la Bretagne, ne remontent pas à l’âge de pierre. Les premiers n’ont pu être arrangés que par des gens en possession d’instrumens de fer ou même d’acier bien trempé. Le tableau que vous faites de l’ancienne société germanique me paraît excellent de tout point. Je suis malheureusement si ignorant que je ne puis pas contrôler les autorités sur lesquelles vous vous appuyez. Mais cela doit être vrai, et vous portez la conviction dans l’esprit de votre lecteur. Je suis bien plus ignorant des choses de l’Amérique que de celles de la Germanie. Permettez-moi cependant de vous contester les conclusions que vous tirez du style des sculptures mexicaines. Je crois que vous ne tenez pas assez compte dans les créations architecturales des besoins et de la nature des matériaux. La nature des matériaux a toujours exercé la plus grande influence sur l’art d’un peuple, et je crois que le granit, le grès et le porphyre n’ont pas peu contribué à rendre la sculpture et l’architecture stationnaire, en Égypte, tandis que la pierre calcaire et le marbre ont puissamment contribué à son développement en Grèce. Nous observons en France quelque chose de semblable, et, en considérant une carte géologique, on peut dire a priori que dans telle nature de terrain on trouvera de beaux monumens. Je crois en outre que, chez les Américains, l’art de la sculpture monumentale avait un but utile, et c’est peut-être par la tendance exagérée à l’utilité que leurs bas-reliefs ne sont pas meilleurs. Il faut les considérer, à mon avis, comme une sorte d’écriture, beaucoup plus que comme des représentations de la nature. Le besoin de se faire comprendre a conduit à adopter des formes conventionnelles qui ont dû arrêter les artistes dans leurs essais d’une imitation plus exacte de la nature. Je connais un abbé qui explore en ce moment le pays de Guatemala et qui trouve des villes immenses. Malheureusement il ne sait pas dessiner et n’a pas de chambre claire, ni d’appareil photographique. Il croit, contrairement à l’opinion commune, que la civilisation est venue au Mexique par le Sud et qu’il y aurait eu autrefois communication entre les populations du haut Pérou et celles de l’Amérique septentrionale. Cela aurait eu lieu avant la venue des Incas au Pérou ; peut-être avant celle des Toltèques. Il a l’espoir de pénétrer au-delà de la chaîne des Lacandons et d’arriver à cette ville indienne possédant encore la civilisation américaine dont plusieurs voyageurs ont parlé, mais que personne n’a vue. Malheureusement ces gens-là coupent le cou aux voyageurs dès qu’ils ont passé la frontière, et je crains fort que mon abbé ne revienne pas de son aventureux voyage.

A propos de têtes coupées, prenez garde à la vôtre. Les gens bien pensans se proposent, dès que l’inquisition sera rétablie, de vous brûler à petit feu en expiation de plusieurs énormités, et singulièrement pour vos prédictions sinistres. Plaisanterie à part, je crois que l’abaissement de l’intelligence actuel, qui semble vous donner gain de cause, en ce moment, ne tient pas tant au mélange des races qu’à la direction donnée à l’éducation en Europe. A n’examiner les mélanges de races qu’au point de vue purement physique, ne peut-on pas dire qu’en général les métis sont supérieurs à leurs auteurs ? Je sais que si lord Byron avait fait un enfant à une Hottentote, cet enfant aurait été probablement assez laid. Mais les mulâtres sont souvent, presque toujours même, plus forts, plus agiles, plus adroits que le blanc et la négresse qui les ont produits. Lorsque le sang noir n’entre que pour une faible partie dans la composition d’un homme, il a autant d’esprit qu’un Européen et ordinairement il est plus fort et plus beau. Un certain nombre d’individus d’une espèce bien choisie suffisent à relever toute une race. Vous en verriez la preuve en visitant les villes où il y a des cuirassiers en garnison. Connaissez-vous ce fait très curieux : un chat noir et une chatte blanche, dégoûtés de la civilisation, vont s’établir dans les bois et y travaillent à la propagation de leur espèce. Après deux ou trois générations il n’y a plus que des chats à raies noires et grises, semblables de tout point aux chats sauvages. M. Dureau de La Malle prétend qu’il en est de même pour tous les animaux et que la nature tend sans cesse à reproduire ses types primitifs. Je vous garantis l’observation relative aux chats, mais non le reste. Il serait curieux. d’observer les trappeurs et les gens des Montagnes Rocheuses, qui vivent toujours en plein air, ne mangent pas de pain, et ne boivent pas de whisky. J’ai entendu dire qu’ils sont très robustes et très intelligens. À mon avis, une des grandes causes de la dégradation moderne de l’espèce européenne, c’est notre éducation. On excite les passions des mâles, on leur apprend toutes sortes de mauvaises pratiques, tandis qu’on serre la taille des femelles et qu’on en fait des guêpes poitrinaires. D’un autre côté, on apprend de bonne heure aux deux sexes qu’il n’y a rien de bon que la richesse et qu’on doit éviter toute espèce de peine. Malgré ces préceptes, nos gens, comme vous voyez, se battent encore assez bien, et je vous avoue que cela m’étonne. Dans ma jeunesse, nous étions assez bêtes pour croire à la gloire, aux lauriers, et autres fadaises ; mais que des gens à qui l’on a prêché les intérêts matériels, et le respect de leur peau, la ménagent si peu, voilà ce que j’admire ! Vous pouvez d’ailleurs en tirer un argument pour la transmission des instincts et des qualités.

Je voudrais bien vous mander quelque chose de ce pays-ci qui valût la peine d’aller en Perse. Nous avons eu une exposition très belle, mais fort ennuyante pour les gens qui avaient comme votre serviteur le malheur de faire partir du jury. J’avais toujours cru que les hommes de lettres étaient les animaux les plus méchans de la création, et je commence à croire que les artistes méritent la première place. Pendant deux mois, j’ai vu toutes les vilenies du cœur humain au grand jour. Triste spectacle ! Adieu, monsieur, je vois par votre lettre que vous pensez à nous revenir. J’avais toujours espéré que votre voyage en Orient n’était qu’une étude, et que vous n’aviez nullement l’intention de vous y fixer pour longtemps. Je ne doute pas que vous n’en rapportiez une bonne et riche moisson, profitable à nous comme à vous-même. Veuillez agréer, monsieur, l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Paris, 7 septembre 1856.

Monsieur,

Je trouve, à mon retour d’un voyage de deux mois en Écosse, votre aimable lettre du 10. juin, et je me sens saisi de mille remords en songeant que je ne vous ai pas encore remercié de la précédente. Vous savez comme le temps se passe à ne rien faire dans cette bonne ville de Paris, toutes les choses pressées, sans importance, qui vous accablent chaque jour, et vous excuserez, j’espère, mon inexactitude à vous répondre. Vos lettres m’ont intéressé extrêmement. Je les ai communiquées à plusieurs de nos académiciens, notamment à M. Mohl, secrétaire de la Société asiatique, qui me les a demandées pour son journal. J’ai pris la liberté d’en disposer en sa faveur, considérant qu’il était injuste que tant de science et d’érudition et ; de recherches curieuses demeurassent stériles entre les mains d’un ignorant comme moi. Vous me pardonnez, j’espère, cette indiscrétion qui m’a valu des remerciemens nombreux que je m’empresse de vous transmettre.

J’ai lu et relu votre petit vocabulaire des Bohémiens de la Perse, et par la peine que j’ai eue à recueillir quelques mots de leurs frères d’Espagne, je conçois toute celle que vous a coûté la liste que vous avez bien voulu transcrire pour moi. Il y a certainement un rapport assez frappant entre la plupart des mots de vos Bohémiens et ceux des nôtres, et il est surprenant qu’une langue non écrite ne s’altère pas bien davantage parmi des individus placés à une si grande distance les uns des autres. Un mot ma frappé, c’est , vin. Le correspondant du dialecte espagnol est mol, et dans le même dialecte lon signifie du sel. Je vois par votre vocabulaire que vos gens n’ont pas d’expression pour dire sel. Ils disent l’âcre, ce qui pique, etc. Peut-être le mot qui s’applique au vin, , a-t-il quelque signification semblable, laquelle pourrait convenir également au sel. Vous vous rappelez que Homère donne l’épithète de divine à des choses fort différentes, et il serait possible que, dans leur pauvreté, vos Bohémiens par un procédé analogue eussent fait des substantifs avec des adjectifs. Nos voleurs en usent de même : la toquante pour la montre, le luisant pour le soleil, etc.

Vous ne me parlez pas des traits physiques de cette race[17]. Se distingue-t-elle des autres par une couleur plus foncée, par l’obliquité des yeux, la saillie des pommettes, etc. ? Je conviens que la couleur n’est pas aisée à distinguer chez des gens qui, ne Se débarbouillent que rarement.

Je viens de faire un voyage assez amusant. J’ai passé deux mois dans les Highlands de l’Ecosse à flâner à droite et à gauche. C’est un pays curieux et qui mérite d’être vu. Les montagnes qui, pour vous autres grands voyageurs, ne sont que des taupinières, ont des formes nobles. On dirait à voir leurs profils qu’on les a faites avec les sommets des Alpes posés sur une plaine. L’effet que produisent les montagnes dépend surtout de leurs angles. Plus ils sont aigus et plus elles sont pittoresques. Cela ne veut pas dire qu’elles sont hautes. Les Highlands sont très abrupts. Les lacs, tortillés de cent façons bizarres, sont très profonds. Tout cela, sans grandeur réelle, a un grand air.

Ce qui ajoute beaucoup au mérite des paysages, c’est que dans les lieux les plus sauvages il y a d’excellentes routes, et des auberges munies de tout le confortable anglais. D’un autre côté on n’est pas dérangé dans ses contemplations par les mendians ou les gamins. Dans ce pays étrange il n’y a d’autres habitans que des lords ou des gentlemen ayant 10 000 livres sterling de revenu et leurs domestiques. On me dit que les Highlanders ont été remplacés par des moutons qui sont d’un meilleur rapport. Les descendans de Rob Roy et de Fergus Mac-Ivor sont allés au Canada ou à tous les diables. Cette solitude complète où l’on ne manque de rien a son mérite, surtout lorsqu’on est reçu dans un château par d’aimables aristocrates qui vous font les honneurs de leur désert. J’ai cependant trouvé des restes de population celtique à Inverness et, le long de la côte orientale, et j’ai été frappé de leur ressemblance avec nos Bas-Bretons. Bien différens des Écossais des Low-lands, ils crient en parlant, rient, chantent et discutent pendant des heures pour acheter un chou. J’ai vu plusieurs forts vitrifiés. Ils sont tout à fait semblables de construction au camp de Péran près de Saint-Brieuc, dont je vous ai parlé autrefois. Un archéologue d’Edimbourg m’a dit qu’on avait fait des expériences d’où il résultait qu’il n’était pas si difficile qu’on le croyait d’abord d’obtenir la fusion d’une masse de feldspath suffisante pour cimenter ensemble les pierres composant ces étranges murailles. On prétend qu’en mêlant de la paille hachée au bois, la matière fondante se liquéfie très promptement. A Péran l’enceinte a tout l’air d’un camp et pourrait recevoir plusieurs milliers d’hommes ; les enceintes que j’ai vues en Écosse ne sont pas si grandes et leur destination me paraît moins certaine, bien qu’elles soient presque toujours établies, sur de hautes collines. Plusieurs ont pu être des temples, ou, bien[18]… On a fait des fouilles dans quelques-unes de ces enceintes, mais l’on n’a rien trouvé, pas même des haches en silex, ce qui est bien contrariant pour les pauvres antiquaires. Il est vrai que cela gêne moins pour faire des hypothèses et des théories. J’ai assisté à Londres au déballage d’un nouvel envoi de Ninive. Il y a des bas-reliefs d’un style tout différent des premiers et qui montre une autre époque de l’art. J’ai remarqué aussi des figures monstrueuses, d’un caractère tout nouveau. Bronzes, statues, instrumens de toute espèce ont été découverts en même temps. Le colonel Rawlinson en explique toutes les inscriptions avec un aplomb magnifique, mais il ne veut pas donner de mot à mot. Il se contente d’indiquer le sens de l’inscription ; je suis prêt à en faire autant si on l’exige. Adieu, monsieur. J’aime à croire que vous n’avez pas l’intention de vous fixer en Perse. En quelque partie du monde qu’on vous envoie, j’espère que vous passerez par Paris pour vous y rendre et je me fais une fête des bonnes causeries que nous aurons à votre retour. Je ne vous mande point de nouvelles de ce pays-ci. Tranquillité complète. Paris est vide et les eaux sont pleines. Veuillez agréer, monsieur, avec tous mes remerciemens, l’expression de mes sentimens dévoués.


Londres, 28 août 1858.

Monsieur,

Depuis avoir eu l’honneur de recevoir vos commissions, j’ai tellement couru par terre et par lacs, que je n’ai pas trouvé un moment pour vous écrire. Le colonel Rawlinson n’était pas à Londres lors de mon arrivée. Au British Muséum on m’a dit qu’il allait venir et que sans lui on ne pouvait rien faire. Puis ce grand contemporain est arrivé et aussitôt que je lui ai fait la demande (sans vous nommer), il m’a dit très gracieusement qu’il n’y voyait aucun inconvénient, qu’il était enchanté, etc. mais qu’il fallait attendre son Index qui allait paraître, sans quoi il était impossible de tirer le moindre parti de ses planches. Cela m’a paru une défaite polie et orientale.

Je viens de passer quinze jours dans les Highlands à disputer ma peau aux « midges » qui sont des insectes microscopiques, mais venimeux comme des vipères. Il n’y a presque pas de grouse cette année. Il fait un temps de chien. Tous les lapins en sont morts, les cerfs ne vont pas très bien ; nous en avons mangé deux pourtant très gras. Voilà les nouvelles de l’Invernesshire.

Quant au reste de l’empire britannique, on y est toujours belliqueux en diable, et on ne voit que volontaires. Il n’y a pas une boutique où l’on ne voie le portrait de M. Henri Rays qui a gagné le prix de tir, et il est aussi commun de rencontrer des figures paisibles, en gris ou en vert, tenant des fusils que cela l’était chez nous en 1848. Il me semble impossible que ce volunteer movement, comme on l’appelle ici, n’amène quelque chose de nouveau. Ce n’est pas notre garde nationale, en ce que personne n’est tenu d’en faire partie, mais cela est composé aussi démocratiquement que chez nous dans le bon temps. La grande masse des volontaires s’est recrutée parmi les commis de magasin. Je parle des villes. Dans les campagnes, les grands seigneurs ont habillé leurs tenans et formé des compagnies, voire des régimens, dont ils ont été nommés commandans, comme de juste. Le marquis de Bradalbane a défilé à Edimbourg devant la reine à la tête de 500 hommes sans culottes, qu’il avait enfermés la veille avec de la petite bière pour toute boisson, de peur qu’ils ne fussent pas solides, s’il leur eût laissé la clef des champs. Lord Elcho et autres bonnes têtes poussent à armer les ouvriers. Dans les grandes villes manufacturières, il y en a déjà un certain nombre. Vous savez que l’usage d’une arme à feu avait toujours été un mystère pour le populaire anglais. J’attends quelque chose de drôle de la révélation de ce mystère. Les vivres seront très chers cet hiver et on verra. Ou les volontaires obéiront au sentiment aristocratique si puissant chez les Anglais, et alors ils seront fort utiles ; ou bien ils se serviront du rifle comme M. Prudhomme de son sabre qu’il lirait pour défendre nos institutions ou les renverser. En somme, cela produira quelque chose, mais cela n’est point dangereux pour nous. Il me semble que vous êtes en train de guérir les jambes cassées du grand Turc avec du taffetas d’Angleterre. Cette affaire d’Orient et celle d’Italie à la fois sont bien lourdes. Adieu, cher monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Château de Compiègne, 23 novembre 1858.

Cher Monsieur,

On me garde ici jusqu’à la fin de la campagne, c’est-à-dire jusqu’aux premiers jours de décembre. Serez-vous encore à Trye[19] ?

J’ai lu avec beaucoup d’attention votre mémoire[20]. Malheureusement, il faut être trop savant pour oser le juger. Il me semble que vos explications ont un grand caractère de vérité. Je me suis rappelé que dans l’écriture archaïque des Grecs l’alpha, le delta, le rho, le lambda et le gamma sont faits à peu près de même ; que, dans les caractères d’impression russes en usage il y a moins de vingt ans, il fallait avoir des yeux de lynx pour distinguer le III T, du III CH, etc. Toutefois les lettres grecques et russes, qui n’admettent qu’un très petit nombre de traits expliquent mieux cette confusion que les caractères cunéiformes, dont les combinaisons sont variées à l’infini. Il est vrai que c’est fort tard qu’on s’est avisé d’être clair, et on n’y est pas encore parvenu. J’ai été très frappé de ce que vous dites de l’écriture coufique, laquelle aurait été un progrès, bien que pour un ignorant comme moi toutes les lettres se ressemblent. Si c’est un perfectionnement, quel grimoire que l’écriture primitive ! Je n’ai rien à répondre à ce que vous dites sur la persistance des langues dans les populations asservies, mais non exterminées. Qui pourrait croire qu’il existe encore en France tant de langues et de dialectes ? Je vous ai fait, monsieur, ma seule objection que vous détruirez sans doute. L’écriture grecque a deux élémens, le trait et une ligne courbe : avec un fond si pauvre on conçoit qu’un lapicide qui a un mauvais outil, trace un P et un A à peu près de la même façon, A A, mais lorsqu’on a la permission de tracer jusqu’à neuf traits, chacun dans trois positions pour former une lettre, pourquoi se donne-t-on tant de licence ? surtout lorsqu’on a l’art de sculpter ces clous avec tant de finesse et même d’élégance. C’est pour ne pas manquer à mes devoirs d’académicien que je me montre si entêté…

Adieu, monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Paris, 6 juillet 1859.

Cher Monsieur,

Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre. Elle m’a fort intéressé. Vous ne me faites pas regretter cependant de n’avoir pas visité le Nouveau Monde. Il paraît qu’il ne vaut pas mieux que l’ancien. Mais quelle est donc cette puissance extraordinaire d’assimilation dont jouissent les Yankees, pour convertir toutes les races ? Je pensais que leur charmant caractère ne pouvait se greffer que sur la race anglo-saxonne, et je vois que le vieux sang gaulois prend le virus avec non moins de facilité. Pourriez-vous me dire où va une grande nation ainsi dépourvue de toute espèce de préjugés : bonne foi, enthousiasme, honneur, morale ? Les gens pieux se consolent en pensant que le diable, qui n’a pas une sinécure, est chargé de mettre ordre à ce scandale. Pour moi, je me rappelle que les principes politiques en usage aux Etats-Unis ont été pratiqués avec succès par les Romains pendant plus de sept siècles, et je crains que l’Amérique ne soit pas engloutie par le feu céleste, de mon temps.

Vous m’étonnez en trouvant le type mongol dans vos sauvages. Je croyais que le nez proéminent des aborigènes américains les distinguait toujours des Kalmoucks. Est-il vrai que les Indiens aient les oreilles plantées plus haut que les Européens ? Dans les belles proportions grecques, le bout inférieur de l’oreille atteint une ligne horizontale passant par-dessous le nez. J’ai vu des dessins qui mettaient le bas des oreilles presque à la hauteur des yeux. Vous remarquerez que les Grecs, lorsqu’ils ont voulu donner un caractère bestial à leurs figures de barbares, ont représenté ainsi les oreilles attachées très haut.

Quelle langue parlent vos sauvages ? Je viens de lire, en ma qualité de membre de la commission pour le prix Volney, un volume épais d’un M. Buschmann, Berlinois, qui s’est appliqué à rechercher les traces de la langue aztèque chez toutes les peuplades de l’Amérique septentrionale. C’est un livre assez curieux, très mal fait, ce qui ne vous étonnera pas, étant d’un Allemand, mais pourtant l’auteur paraît raisonner assez juste et ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Il a trouvé des traces non douteuses de l’aztèque dans toutes les langues de la Sonora, mais toujours l’aztèque mêlé à une langue particulière. Nulle part il n’a trouvé l’aztèque pur, ou primitif, et cependant, il est présentement à peu près démontré que les Aztèques de Mexico sont venus de la Sonora.

Je suis allé porter vos plaintes à messeigneurs du Journal Asiatique, et voici ce que j’en ai pu tirer après un long colloque :

1o Vous vous êtes rendu coupable d’une hérésie notable, ou du moins d’une témérité qui ferait hérisser les perruques académiques en mettant à néant les travaux de vos devanciers, particulièrement ceux de Burnouf sur les inscriptions perses. On tient ce travail de Burnouf pour la base de toutes les recherches faites et à faire ;

2o On vous reproche de ne pas donner une base nouvelle, et de ne pas expliquer la méthode par laquelle vous arrivez à une nouvelle lecture. Votre mémoire n’a pour objet que de constater les règles de la transmutation des sons, mais il ne fait pas connaître le procédé par lequel s’opère cette transmutation.

On n’a pas du tout de prévention, d’ailleurs, pour le système d’Oppert. Vous avez pu voir, dans le Journal des Savans, que Renan l’arrange assez mal. Mohl m’a dit que dans son opinion, votre hypothèse que les inscriptions assyriennes sont du chaldéen et du pehlvi, est raisonnable ; mais si, quant au chaldéen, vous êtes d’accord avec vos adversaires, quant au pehlvi, vous devez le prouver. « Je désire bien ardemment qu’il le prouve et nous délivre du scythique, mais qu’il le prouve en donnant sa méthode, sans cela personne ne prendra la peine d’examiner sérieusement des résultats qui ont l’air d’être fondés sur une inspiration ! » Voilà ce que disent ces grands hommes, et je ne sais si je traduis bien de baragouin en français les objections qu’ils m’ont faites, et que je n’ai pu lever et pour cause. Ne feriez-vous pas bien d’écrire à Mohl et de lui expliquer la nécessité de faire précéder votre méthode, par une théorie de la transmutation des sons ? Il me semble que c’est ce que vous voulez faire, mais peut-être suis-je loin de compte.

Nos affaires ne vont pas mal. Le gouvernement est décidément plus populaire qu’il n’a jamais été. Les salons sont assez mauvais, mais la masse est avec l’Empereur. Les républicains disparaissent et deviennent de loyaux sujets. Nos soldats se battent admirablement, notre artillerie fait des merveilles. Nous en sommes presque honteux, car l’Empereur n’a pas voulu qu’on publiât les résultats qu’on en obtient. Que dites-vous de trente chevaux percés du même projectile ? et cela à une distance de 1500 mètres. Notre manière de travailler paraît refroidir un peuple peu habitué aux additions et ayant peut-être du goût pour d’autres opérations d’arithmétique. Quant aux concessions libérales, vous me demandez ce que j’en pense. Ma foi, je n’en pense rien. Je me demande si le goût de l’éloquence subsiste encore dans ce pays-ci, et si l’on trouvera beaucoup d’intérêt à la reprise au théâtre des vieilles décorations si goûtées dans ma jeunesse. Je crois, et même j’espère que la génération qui s’est élevée a moins de goût pour ces vieilleries que nous n’en avions de mon temps ; non pas que je croie qu’elle ait autant d’esprit que nous, au contraire ! et c’est précisément ce qui me donne un peu d’espoir que la recrudescence de l’éloquence n’aura pas les mêmes effets. Ce qui me paraît probable, c’est que le maître, qui a une parfaite connaissance de la grande nation, sait qu’elle a besoin d’occupation et qu’il lui donne celle-là, en attendant mieux. D’un autre côté, on ne peut se dissimuler que tous les gens comme il faut, vous et moi exceptés, sont pour le Pape et contre Victor-Emmanuel. Les épiciers qui prétendent aux belles manières les imitent dans leurs opinions. Le reste du public, c’est-à-dire trente et quelques millions de bipèdes français se soucient peu des Italiens. Le Corps législatif mis en demeure d’avoir une opinion, malgré son embarras, dira probablement qu’il est pour la non-intervention, parce que dès qu’il s’agit de choisir entre payer et ne pas payer, le dernier parti est toujours le meilleur. Ce sera une raison valable pour retirer de Rome le général Goyon qui est à bout d’ordres du jour, et pour regarder, les bras croisés, le gâchis d’au-delà des monts, qui promet d’être intéressant. Je ne me représente pas trop clairement la solution. Ou Garibaldi attaquera la Vénétie et recevra une raclée, ou Cavour l’emportera et laissera la banqueroute démolir l’Empire d’Autriche. Je crois la première solution plus probable, et alors notre rôle passif pourrait bien, malgré nous et malgré la reprise parlementaire, n’avoir pas une longue durée.

Ce qui me console des affaires d’Europe ce sont celles de la Chine. Je regrette bien de n’avoir pas été à Pékin pour y piller quelque chose, casser beaucoup de porcelaines, et essayer de violer l’Impératrice de la Chine. Ensuite je suis enchanté que les Chinois aient pris le correspondant du Times. Mais ce que je crains c’est le retour. Premièrement, il me paraît difficile d’obtenir le remboursement de nos frais, car il n’y a plus en Chine de gouvernement et par conséquent personne ne paye plus. En second lieu, les Allemands. Cependant le danger est toujours de ce côté. Le socialisme et la révolution mêlés au patriotisme teutonique peuvent pousser les Allemands à bien des bêtises. Les moins belliqueux sont les Autrichiens eux-mêmes qui se refusent à faire de nouveaux sacrifices. Vous avez pu remarquer qu’à chaque défaite les métalliques sont en hausse, parce que ce n’est que d’une défaite qu’on attend la paix. L’Angleterre veut très sincèrement rester neutre, et on commence à se moquer des gens qui parlent d’une invasion franco-russe. Les Russes n’ont pas le sou, pas beaucoup de soldats, mais crient bravo quand les Autrichiens sont battus. Je ne sais ce qu’ils diront ou feront si la Hongrie s’insurge. Cela ferait, je le crains, plus de mal que de bien. Adieu, cher monsieur, j’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé et sur le point de revenir. Je pense être à Paris jusqu’à la fin d’août. Je n’ose m’éloigner des dépêches télégraphiques tant que cette terrible crise durera.


Cannes, 13 décembre 1860.

Cher Monsieur,

Vous avez été bien aimable de m’envoyer votre nouveau volume[21] dans mon désert, et moi bien coupable de ne pas vous en avoir remercié plus tôt. Je ne sais comment la vie se passe dans ce pays-ci. C’est quelque chose comme l’Orient où le kief prend tant de temps qu’on n’a jamais celui décrire. En revanche on lit beaucoup et je vous ai lu avec grand plaisir. Je ne puis vous dire que vous m’avez donné autant d’envie de voyager sur vos traces au Croc à Saint-Pierre, qu’après votre Voyage en Asie[22]. Vous avez tiré de vous-même tout, l’intérêt de votre expédition. Vous m’avez appris une chose, c’est que vous étiez très gai et que vous aviez la bosse de l’observation comique. Après votre grand ouvrage sur les races humaines, et même vos trois ans en Asie, je vous croyais un grand philosophe et un politique. Maintenant vous me paraissez un humouriste charmant. Etes-vous donc ce que dit de Cerbère Mrs Malaprop : three gentlemen at once ? Tout ce tintouin politique m’a fort occupé. Vous savez combien je suis lié avec M. T… Il n’a pas pris la chose, me dit-on, aussi philosophiquement que je l’eusse prise ù sa place. Il paraît qu’on n’a pas eu tous les procédés possibles. Ensuite, bien qu’on dise que las blancas manos ne ofenden, cependant il est assez triste de les voir intervenir dans les affaires. Je crains le grugeage et le désordre avec tout ce beau m onde. On s’explique difficilement comment 10 000 hommes passeront un hiver en conquérans dans une ville de 3 000 000 d’âmes. Si nous étions plus logiciens que philanthropes, le parti le plus sage serait de cirer au vernis un grand nombre de Chinois et de les vendre à tant la pièce aux Yankees en qualité de nègres. Les Yankees m’amusent aussi beaucoup. M. Childe[23] m’écrit que la séparation n’aura pas lieu, que tout se bornera à du bluster. Il paraît qu’il ne fait pas bon voyager en chemin de fer. On y assassine très agréablement tous les jours. Que devient l’affaire Poinsot[24] et celle de ce monsieur russe couvert de sang, qui n’a pas une égratignure ; sont-ce des canards que vous nous fabriquez en attendant l’éloquence ? Mlle Lagden et Mrs Ewer vous remercient beaucoup de votre aimable souvenir et me chargent de tous leurs complimens. Elles espèrent que vous serez chargé de fixer les limites de la France et du Piémont, et que vous voudrez bien vous arrêter à Cannes en allant à Menton. Adieu, cher monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens bien dévoués.


Cannes, 24 janvier 1861.

Cher Monsieur,

La description que vous me faites des plaisirs de Paris, — ils doivent vous rappeler ceux de Terre-Neuve, — et une petite reprise de mes crampes d’estomac, m’engagent à ne pas quitter encore mon soleil. Je pense que tandis que je vous écris vous avez la satisfaction d’entendre le P. Lacordaire, et je ne vous envie pas. Bien que tous les chapeaux roses et gris de Paris soient réunis dans notre vilaine salle, cela ne vaut pas la vue de notre golfe et de nos montagnes. On m’écrit que les deux discours sont longs, entortillés et qu’ils font toujours espérer quelque scandale énorme qui n’aboutit pas. Le monde est plein de ces envies de mal faire et de ces peurs qui en empêchent. J’espère que cela nous sauvera de la guerre cette année. Un de mes amis italiens m’écrit de Pise qu’on fait entendre raison à l’héroïque niais de Caprera, qu’il se tiendra tranquille, qu’au besoin, on le tiendra. Il n’y compte que jusqu’à un certain point. Je compte un peu plus sur la mine imposante des Croates qui bordent le Mincio. Messieurs les volontaires en chemises rouges ont moins d’appétit pour les Croates que pour les Napolitains, et il y a encore de l’ouvrage à faire dans le royaume de Naples, et c’est là qu’ils iront de préférence. Avez-vous remarqué que les chefs du mouvement contre-révolutionnaire dans les Abruzzes sont tous des étrangers ? Je voudrais bien vous demander, à vous qui êtes diplomate, si c’est un casus belli, quand une bombe tombe sur la tête d’un ministre étranger en résidence auprès d’un roi à qui cette bombe était destinée. Il me semble que c’est là un des mauvais côtés de la carrière

Je reviens de Nice qui abonde de Russes. J’en ai trouvé un qui m’a paru assez instruit des choses et des hommes, et qui, à propos de la tartine de M. Guizot sur les picoteries entre Louis-Philippe et Nicolas, m’a dit que la véritable raison de la mauvaise humeur de l’Empereur contre Casimir Perier était que Perier portait toute sa barbe, ce que S. M. ne pouvait souffrir.


J’ai encore vu à Nice, qui est notre capitale à nous autres, la fille de Mrs X…, en cuisinière ou approchant, héritière de quatre-vingt mille livres sterling. Elle va épouser lord N…, fils du duc de L…, ruiné comme son père. Elle est petite, pas trop laide, et a de très beaux cheveux.

Que dites-vous des discours belliqueux de Sa Majesté prussienne ? Parmi tous les poltrons braillards et belliqueux, les Prussiens tiennent un rang distingué. Je désire bien vivement que les Danois leur donnent une bonne raclée et je ne crois pas la chose impossible.

Mais ce après quoi je soupire le plus, c’est pour voir de bien plus grands braillards, les citoyens des États jadis Unis, se donner des taloches. On dit que corsaires attaquant corsaires ne font pas leurs affaires, mais la vanité des méridionaux aidée par celle des septentrionaux parviendra, je crois, à faire parler la poudre et nous aurons de beaux bulletins. En somme, je suis de l’avis de Tacite, que vos philanthropes ont tant calomnié. Je trouve que c’est un très beau spectacle de voir la canaille s’entre-battre. Le mal, c’est cette affaire d’Italie, où, si la canaille se bat trop, il faudra peut-être lui donner un coup de main.

Je reçois de bien mauvaises nouvelles de M. Childe et qui me laissent peu d’espérance de le retrouver à Paris. Son fils m’écrit qu’il a eu l’honneur de vous voir dernièrement. Au milieu de tout ce fracas politique, que deviennent les inscriptions cunéiformes, dont vous ne me parlez plus ?

Adieu, cher monsieur, je pense être à Paris vers le milieu du mois prochain. Mrs Ewer et miss Lagden me chargent de vous remercier de votre aimable souvenir. Veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens bien dévoués.


Cannes, 3 janvier 1862.

Cher Monsieur,

Si je ne vous ai pas répondu plus tôt, c’est que, à peine revenu des fêtes de Compiègne, j’ai été reconnu pour être un grand financier et l’on m’a mis dans une commission chargée de mettre ordre à la crise monétaire. Vous comprenez sans doute pourquoi j’ai accepté, mais vous ne vous figurez pas le peu de divertissemens que j’en ai retiré. Cela n’a pas duré moins de vingt jours avec grande effusion d’encre et de paroles et m’a empêché d’aller à Cannes aussi tôt que je l’avais projeté et que mes poumons le voulaient. Me voici enfin libre de ces tracas et installé ici dans mon ancien logement, en face d’une mer immobile, fort différente de celle dont vous me racontez les noirceurs. Je déjeune les fenêtres ouvertes, je me promène beaucoup, et je tire de l’arc par ordonnance du médecin, attendu que cela dilate les muscles intercostaux et autres dont j’ai à me plaindre. Mais ce qui m’irrite beaucoup c’est que je ne fais pas beaucoup de progrès dans l’art d’Apollon et que je ne respire guère mieux.

On a profité de votre absence pour donner une forte entorse à la paix du monde. Il est très probable que lorsque cette lettre arrivera dans ce poétique port du Trébizonde, les Yankees et les Anglais seront aux prises. Ici la colonie britannique, lord Brougham en tête, prétend qu’il n’y aura pas de guerre. M. William Brougham, qui a laissé pousser ses moustaches depuis qu’il est colonel de volontaires, se fonde sur ce que depuis cette Mémorable institution, l’Angleterre a acquis une telle puissance militaire, que personne n’oserait lui tenir tête. Je crois que les moustaches et la garde nationale ont en effet donné aux Anglais un sentiment belliqueux qui leur était étranger autrefois, et qui doit singulièrement modifier leur manière de voir en politique. Les Américains sont exactement dans la même situation, et c’est pour moi une raison de croire à la guerre. Donnez un uniforme et des moustaches à deux paysans qui se seraient bornés à se dire des injures s’ils avaient gardé leurs sabots, et vous les ferez battre très facilement par un appel à ces nobles appendices. Les Anglais qui croient à la guerre disent et espèrent qu’elle sera courte. J’en doute ! Il y a tant d’orgueil et tant d’énergie dans ces natures américaines que je les crois capables de s’entêter. S’ils s’entêtent, ils prendront le Canada et feront mille misères aux Anglais. Ce qui me plaît dans l’affaire c’est que notre gouvernement semble bien résolu à observer la plus exacte neutralité. C’est un spectacle nouveau pour la France de voir les gens se battre sans s’en mêler. Je voudrais qu’elle prît goût à la chose.


Je lis ici, lorsque je n’ai rien de mieux à faire, un livre de Max Müller, professeur à Oxford, sur la linguistique. Cela me semble assez intéressant, comme les choses qu’on ne comprend pas trop. On dit que depuis Burnouf c’est le plus fort sanscritisant qu’il y ait en Europe. Je suppose que vous connaissez bien le livre et l’homme. Dites-moi ce que je dois en penser.

Je crois que Vitet a un peu beaucoup vanté le bas-relief de Triptolème, à bonne intention….. Au fond, je suis assez de votre avis sur le mérite de la sculpture, mérite mince, assurément, mais je n’admets pas avec vous que cela date du temps des Antonins. Il y a dans la même composition deux manières, une archaïque, une autre qui rappelle de très loin celle de Phidias, et il me semble que la combinaison de Vitet est assez probable, c’est-à-dire que cela aura été fait par quelque vieil académicien, soit M. Blondel, qui aura voulu faire preuve de la souplesse de son talent en imitant les novateurs. On voit de ces gens-là à toutes les époques.

Nos politiques sont très préoccupés d’un bâtiment arrivé des Indes mystérieusement et dont on a consigné l’équipage à son arrivée à Alexandrie. On a bâti là-dessus une nouvelle insurrection indienne à laquelle je ne crois pas. Vous êtes aux premières loges pour savoir ce qui se passe là-bas.

Adieu, cher monsieur, je vous souhaite, en commençant cette année 1862, santé et prospérité, la force des lions et la prudence des serpens, un nez bien gros, etc. Je vous envie le kalioun et le kief, et si je n’étais pas si vieux, je serais homme à aller vous serrer la main à Téhéran. Permettez que ce ne soit que mentalement que je fasse le voyage. Adieu encore et mille amitiés.


16 mai 1864, 52, rue de Lille.

Cher Monsieur,

J’ai vu M. de Circourt, en effet, mais il ne m’a pas laissé parler de votre ouvrage ; il en était tout plein et en parlait très bien tout seul,

A mon avis, il vaut mieux attendre à Fontainebleau pour donner vos cunéiformes à César. Il vous demandera ce que c’est et vous lui pourrez donner une explication, d’où il retiendra que vous êtes un linguiste, et vous offrira de vous envoyer en Cochinchine. Ce sera une occasion de lui dire que vous savez le français, langue un peu négligée en ce temps-ci, et de lui parler de la direction politique. Si vous lui envoyez vos deux volumes à présent, ils risquent la concurrence des dépêches danoises et de la discussion du budget. Je voulais lui offrir une table de brèche osseuse, où des ossemens de renne sont mêlés à des pointes de flèche en silex, mais on m’a dit que c’était peine perdue et que l’épée de Vercingétorix, si on la retrouvait, n’aurait pas même le pouvoir de le tirer de ses préoccupations politiques.

Adieu, cher monsieur, vous êtes heureux de vivre à la campagne par le temps qu’il fait et de n’être pas asthmatique. Mille complimens et amitiés.


27 mai au soir, 1864.

Cher Monsieur,

J’ai été si dolent depuis quelques jours que le courage me manquait pour vous écrire. Pourquoi ne vous êtes-vous pas appliqué à la médecine au lieu des cunéiformes ? Peut-être auriez-vous trouvé quelque bon remède contre l’asthme nerveux. On me parle d’un acide nouveau, qu’on appelle phœnique (ou fénique ? ) et qui se tire du coaltar. On m’assure que cela guérit instantanément un rhume et promptement une maladie du poumon. Il est vrai qu’il ne faut pas se tromper de dose, car c’est aussi mauvais que la digitaline. Je cherche à faire une expérience in anima vili


Je me réjouis beaucoup de vous voir publier un livre pour les pauvres mortels[25]. Il me plaît rien que par le titre. Nous nous étonnons toujours qu’on ne pense pas partout comme à Paris, pays où personne ne se ruine en dépense d’idées, et nous ne comprenons rien aux Orientaux. Vous m’avez déjà résolu un grand problème, en m’expliquant pourquoi les Anglais étaient haïs par les Asiatiques : c’est parce qu’ils ne sont pas polis, quoique plus honnêtes, et qu’ils humilient les natifs. Je me promets d’apprendre beaucoup dans votre nouveau volume. A mon avis on ne comprendra bien l’histoire ancienne et l’histoire moderne étrangère que lorsqu’on aura étudié l’état des idées dans une époque et dans un pays. Publiez donc et donnez-moi quelques bonnes heures en me faisant connaître l’Asie.

Je suis hésitant entre l’envie que j’ai d’aller à Londres et la peur d’y être plus malade qu’ici. Si le temps consent à devenir chaud, il est probable que je m’embarquerai pour le British Museum, sinon je resterai rue de Lille. J’ai encore un autre projet de voyage plus long. Je suis un peu inquiet de la santé de la comtesse de Montijo. Elle ne vient pas en France cette année, et je pense à lui faire une visite. Pourquoi n’iriez-vous pas à Madrid ; je vous y servirais de cicérone, et vous feriez mon oraison funèbre si j’y crevais.

Adieu, cher monsieur, je vous souhaite santé et prospérité et surtout point d’asthme nerveux.


Fontainebleau, 21 juin 1864.

Cher Monsieur,

Je vous envie votre calme asiatique. Je me rapproche chaque jour du monument. Demain, partie de forêt qui m’achèvera.

Ne pensez pas à Bruxelles.

Si je n’étais pas obligé de faire une version pour Mr, je vous dirais ma scène de ce matin avec Mde. Je crois que je serai jeudi à Paris, mais ici on ne sait rien d’avance.

Je crains qu’Oppert et Rawlinson ne puissent se rencontrer sans rire. Mais cette inscription de Syrie est-elle assyrienne ?

Ici on paraît assez content des élections. Il y a pourtant bon nombre de brebis noires. Vous avez pris un bien sage parti, mais si vous en aviez pris un autre, vous auriez été sans doute nommé. Adieu, cher monsieur, vous devriez bien venir à Londres pendant le mois de juillet.

Tout à vous,


British Museum, 9 juillet 1864.

Cher Monsieur,

Vous savez le résultat. La victoire est fidèle au vieux premier[26]. Ce n’est pas cependant sans quelques bosses qu’il va élever son trophée. Je ne crois pas qu’il tarde beaucoup à dissoudre la Chambre, mais du moins il pourra choisir son moment pour le faire. Hier, rien n’était plus amusant que la physionomie de Londres. Les whigs avaient une peur horrible. Vers dix heures du soir ils commençaient à désespérer. Lord Palmerston a été très habile à détourner la botte de l’opposition, à mettre de côté le Danemark, et à établir qu’il ne s’agissait que d’un vote de non-confiance. De part et d’autre on a été aussi vulgaire et trivial que possible, et il y a eu contre lord Russell un concert de sifflets tel que peu de ministres en ont eu. Il dit probablement : Quid refert, clitellas dum portem meas ? Ce qui me frappe surtout dans ce pays, c’est le violent amour de la paix de tout le monde. On voit bien que le pouvoir n’est plus à l’aristocratie territoriale, mais à l’industrie et au commerce. N’y a pas plus c…, comme on dit à Marseille. Reste à savoir si les Prussiens ne parviendront pas à être plus outrecuidans que les Anglais ne sont pacifiques. On avale bien une couleuvre, deux couleuvres, mais il y a a : couleuvres qu’on n’avalera pas. M. de Bismarck offrira peut-être ce plat de son métier. Je trouve que les Danois ne se battent pas trop bien. Ils ont perdu un peu trop facilement l’île d’Alsen. Il eût été à propos de tuer plus de Prussiens.

Panizzi a reçu votre livre et vous a écrit pour vous remercier, mais sa lettre lui a été retournée par la poste, faute d’avoir pu vous joindre. S’il n’était pas en ce moment en séance avec les trustees, je vous expliquerais cette énigme. Je ne sais si je vous complimenterais dans le cas où vous iriez en Grèce. Oui, si j’étais plus jeune ; car j’irais vous y faire visite, et je reverrais avec grand plaisir ce beau pays où il ne pleut pas. En ce qui vous concerne, je crains que ce moment-ci ne soit pas un des meilleurs pour faire de la politique. La Turquie en a encore pour quelques années dans le ventre, et je ne crois pas que son indigestion finale lui vienne par la Grèce. Vous auriez d’ailleurs le temps de travailler, de faire des fouilles et des mémoires sur l’origine des Pélasges et l’histoire de la Grèce avant l’arrivée des Doriens. Je n’ai pas encore rencontré sir H. Rawlinson, et il eût été impossible de parler cunéiforme à des gens qui n’avaient d’oreilles que pour la question danoise. Il me semble que personne ici d’ailleurs ne s’occupe de l’Assyrie, ce qui n’est pas un médiocre avantage pour le savant et galant colonel. En passant devant les bas-reliefs qui représentent des batailles et des sièges, je voudrais vous demander si les inscriptions qui les accompagnent ont été traduites. Il me semble vraisemblable que, s’il y a quelque part des renseignemens historiques, ce doit être là, car par les détails on voit très clairement que les artistes ont représenté des événemens particuliers. Mais alors les inscriptions sont rares et courtes. Adieu, cher monsieur, veuillez agréer l’expression de tous mes sentimens dévoués.


Je vais aller ce soir faire mes complimens au vainqueur. Savez-vous qu’il est très beau à quatre-vingt-un ans de rester cinq quarts d’heure sur ses jambes à eng… un corps politique de six cent dix personnes, dont un assez grand nombre très malintentionnées.


Paris, 25 août 1864.

Cher Monsieur,

Je suis arrivé ici il y a peu de jours avec le remords de n’avoir pas répondu à une lettre que vous m’avez adressée à Londres, remords que votre dernière vient d’aggraver encore. Vous savez tous les tracas qu’on trouve en revenant chez soi, c’est ce qui m’a empêché de vous écrire. Ajoutez-y la visite d’un M. Mutu Coomara Swami, brahme[27] et admirateur de M. Cousin avec qui j’avais à le faire dîner[28] sans jambon ni bœuf. (Ma cuisinière proposait du veau.) Enfin il a mangé du poulet et bu de l’eau et a parlé beaucoup du Nirvana à M. Cousin, sans le prendre aux cheveux. C’était une paire de philosophes très doux, mais je ne sais pas mieux ce qu’il faut entendre par Nirvana : les uns prétendent que c’est anéantissement sans conscience, d’autres avec conscience, d’autres conscience sans souvenir, quelques-uns absorption complète, d’autres etc. Cela paraît fort bien imaginé pour exercer les beaux esprits.

Vous avez lu le discours de lord Palmerston. Ce chant du cygne ressemble fort à celui d’une oie. Il prend pour devise la paix à tout prix. Cela me rappelle Brid’oison qui dit : « On ne se dit ces choses-là qu’à soi-même. » Je vois d’ici l’exultation des Allemands.

Il me semble qu’ici on commence à se moins féliciter de n’avoir pas pris part à la querelle. On a quelque peur qu’on ne nom soupçonne de prudence, comme si nous n’avions pas fait nos preuves du contraire. Je crains une colère rentrée faisant explosion tout d’un coup à propos de bottes.

Mlle X… a-t-elle reçu sa démission ? On le disait plus hautement de l’autre côté du canal qu’on ne le dit à présent. Il paraît certain qu’on n’ira pas à Biarritz le mois prochain. On en conclut un plus long voyage. Les devins disent en Palestine. Je n’en sais absolument rien. Mais s’il y avait ombre de vérité, vous feriez bien de vous munir de bonnes jambes pour escalader l’Acropole et le Lycabète, car on ne manquerait pas de vous faire visite en passant.

Les sénateurs meurent comme des mouches. On ne les remplace pas, parce qu’en octobre il y aura de grands changemens. Jusque-là on a ajourné toutes les disputes intestines et autres. Le Sénat sera un hôpital pour les blessés ; mais je ne serais pas surpris qu’on attendît plus longtemps encore.

La grande nouvelle, pas plus ou encore moins vraie que toutes celles que je vous donne, est que le prince Humbert vient épouser la princesse Anna, par quoi finit en Italie le parti des Muratistes, et le Saint-Père paiera la dot. C’est ce qui a rendu malade Mgr de Mérode.


Aujourd’hui nous nous sommes trouvés cinq à l’Académie, ce qui ne nous a pas empêchés de faire le verbe Amasser. Et il y a des insolens qui soutiennent que nous ne travaillons pas. Je ne crois pas que l’Académie des Inscriptions soit beaucoup plus nombreuse demain. Le duc de Luynes, qui a soixante-douze ans, avait donné son cabinet à la Bibliothèque Impériale, à la condition que, dans le délai de deux ans, ledit cabinet serait installé convenablement dans une salle qui porterait son nom. Il est actuellement dans une sorte de masure, mal soutenue avec des échafauds. On dit que le duc en est irrité et de plus, poussé par ses parens, qu’il va réclamer son bien et demander la nullité de la donation pour inexécution de la clause. Ce serait assez drôle. Je compte passer à Paris, ou aux environs, le mois de septembre. En octobre, si je ne suis pas plus soutirant que de raison, j’irai en Espagne[29]. S’il n’y avait pas cette diable de mer, je serais homme à passer l’hiver à Athènes, mais je crois que j’irai tout bonnement à Cannes. Adieu, cher monsieur, j’espère que lorsque vous irez au ministère des Affaires étrangères vous viendrez fumer un cigare chez moi et causer de rebus omnibus et quibusdam aliis. Mille amitiés et complimens.


Cannes, 4 décembre 1864.

Ἐξοχώτατε

Je reçois votre lettre d’Athènes et je me réjouis de vous voir prendre les choses philosophiquement et gaîment. Que faire de ce diable de peuple ? Où va-t-il avec les institutions constitutionnelles qu’on lui a données ? Il me semble que tout aurait été pour le mieux si on les avait fait précéder par trente années d’administration patriarcale, pendant lesquelles on aurait pendu six cents héros, et employé les députés actuels à faire des routes, avec la précaution de leur mettre quelque chose aux pieds, pour les empêcher de s’occuper de leurs affaires particulières. Lorsque j’étais à Athènes, les dames s’occupaient comme à présent de l’amélioration de la race. La femme du président du conseil d’Etat, M. X…, fut poursuivie par son mari pour criminal conversation avec un de ses conseillers, qui, non content de s’établir dans le lit conjugal, s’y faisait apporter le matin la pipe du mari. Le domestique du président, qui était un natif de Sparte, interrogé par le juge pourquoi il ne dénonçait pas le fait à son maître, répondit laconiquement : « Je croyais que Monsieur voulait avoir des enfans.      .      .      .      .      .      .      .      .      .      .

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Vous avez pour consul à Corfou un vieil ami à moi, M. Grasset, que je vous recommanderai toto corde. Il connaît le pays où vous êtes, mieux que personne, pour y avoir été d’abord comme philhellène, puis comme consul d’abord à Janina, puis à Thessalonique, finalement à Corfou. C’est un très galant homme et un excellent garçon qui sera charmé d’entrer en relation avec un ministre comme vous. Il faisait si froid en Espagne que je n’y ai pu attendre la fin de novembre. On y était fort en émoi à cause des élections et du nouveau ministère. Les Progressistes faisaient des revues tous les jours, mais la mauvaise réputation de Narvaez les empêchait de faire du train dans la rue. J’ai trouvé à Madrid M. Bourée allant en Portugal, médiocrement content, et M. Barrot s’en retournant en France très vexé. Je n’ai pas vu l’entrée de Mercier, qui doit être, lui, très content. Je suis à Cannes, qui est un peu désert cette année. À force d’écorcher les Anglais, les Cannais les ont effarouchés. Cependant nous ne sommes pas tout à fait abandonnés et nous avons retrouvé là nos vieilles habitudes. M. Cousin nous est revenu et avec lui nombre de nos connaissances. Si votre diable de mer ne m’effrayait, j’irais revoir votre Parthénon et assister à une discussion de la Chambre des députés dans le genre de celle que vous me décrivez.

Adieu, cher monsieur, portez-vous bien et ne vous acoquinez pas trop à la Grèce. Mlle Lagden et sa sœur me chargent de leurs complimens.

Mille amitiés bien vraies.


P. Mérimée.
  1. Voyez, entre autres : Prosper Mérimée à propos des lettres inédites, par M. le comte d’Haussonville. Revue des Deux Mondes du 15 août 1879. — Prosper Mérimée d’après des Souvenirs personnels et des documens inédits, par M. Aug. Filon, dans la Revue des Deux Mondes des 1er avril, 1er mai, 1er et 15 juin 1893. — Les Lettres de Mérimée, par M. René Doumic, Revue du 15 octobre 1897.
  2. Histoire d’Ottar Jarl et de sa descendance. Paris, 1879, Perrin.
  3. Essai sur l’inégalité des races humaines, 4 vol. Paris, 1853-55. Firmin Didot ; 2e édition, 1884.
  4. Gobineau avait émis l’hypothèse que les inscriptions cunéiformes contenaient des talismans, des prières et des formules sacrées, tandis que la science les a reconnues avec une certitude absolue pour des documens profanes, historiques et politiques.
  5. 2 vol. in-8o, Paris, 1869.
  6. Entre autres, la troisième édition des Religions et Philosophies de l’Asie centrale. Paris, Leroux, 1900 et les éditions française et allemande de la tragédie posthume Alexandre le Macédonien (Strasbourg, 1901-1902, Trübner), ont été publiées aux frais de cette société.
  7. Je crois devoir signaler ici deux excellentes esquisses biographiques sur le comte de Gobineau : l’une en tête de la 2e édition de l’Essai sur l’Inégalité des races humaines (Paris. Didot, 1884) ; l’autre qui sert de préface au poème d’Amadis, œuvre posthume (Paris, Plon, 1887).
  8. Il est toujours difficile d’imprimer une correspondance de P. Mérimée dans la pureté du scandale de son texte, et il n’y a pas moyen de n’y pas faire quelques suppressions. Nous en avons donc fait quelques-unes dans ces trente-quatre lettres, en ayant toujours soin de suppléer par des lignes de points à celles que nous supprimions. A quoi, si nous ajoutons que presque toutes ces suppressions ne portent que sur des passages où le cynisme de Mérimée s’aggravait de l’indiscrétion avec laquelle il nomme en toutes lettres les héros ou les victimes des aventures qu’il conte, et dont personne aujourd’hui n’est plus là pour garantir ou discuter l’authenticité, nous espérons que les philologues ne nous accuseront pas de manquer « à toutes les obligations d’une saine méthode, » et les lecteurs nous sauront gré de notre « infidélité. » (N. D. L. R.
  9. Note sur un monument de l’ile de Gavr’Innis, broch. in-4o, 1536.
  10. De l’Essai sur l’inégalité des Races humaines.
  11. Cette lettre accusant réception du premier volume de l’ouvrage de Gobineau sur l’Inégalité des Races humaines doit remonter à la fin de 1853 ou au commencement de 1854.
  12. Mérimée a publié dans ses Mélanges historiques (Paris, 1855), une notice sur ce tombeau.
  13. Les fripons : Chipe calli, la langue des fripons.
  14. Kalian (callioun), une pipe à eau, le nom persan du narguilé.
  15. Le kief, état d’enivrement produit par le haschich.
  16. Mérimée collectionnait les pipes et y tenait. Un article de son testament (inédit) leur est consacré. Dans ses lettres inédites à Grasset, il est continuellement question de narguilés ou de pipes de tous genres.
  17. Mérimée s’intéressait beaucoup aux Bohémiens et à leur langage, et réclamait à tous ses amis des renseignemens sur eux.
  18. Ces points se trouvent dans l’original de la lettre.
  19. En Beauvoisis, où se trouvait le château de M. de Gobineau.
  20. Lecture des textes cunéiformes.
  21. Voyage à Terre-Neuve. Paris, 1861, Hachette.
  22. Trois ans en Asie (1855-1858). Paris, 1859, Hachette.
  23. Un des amis de Mérimée dont il est souvent question dans les lettres à Mme de La Rochejaquelein.
  24. L’assassinat du président Poinsot, dont l’auteur ne fut jamais retrouvé.
  25. C’était le livre sur les Religions et les Philosophies dans l’Asie centrale, paru en 1865.
  26. Lord Palmerston. Cf. Lettre à Victor Cousin, du 14 juillet 1864, dans Lettres inédites de Prosper Mérimée (Paris), 1900, p. 140.
  27. Cf. Lettre à Victor Cousin, du 14 juillet 1864.
  28. Cf. Lettre à la princesse Julie Bonaparte, du 22 août.
  29. Il y alla en effet. Le 22 octobre, il écrivit à Cousin une longue lettre politique.