Une Correspondance inédite de Lamennais - Lettres à Vuarin/01

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Une Correspondance inédite de Lamennais - Lettres à Vuarin
Revue des Deux Mondes5e période, tome 29 (p. 765-799).
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UNE CORRESPONDANCE INÉDITE
DE
LAMENNAIS

LETTRES Á M. VUARIN[1]
PREMIÈRE PARTIE

L’existence de cette correspondance de Lamennais avec M. Vuarin, le principal ouvrier de la restauration du catholicisme à Genève au siècle dernier, a été, croyons-nous, signalée pour la première fois au public par les deux biographes du prêtre genevois, MM. Martin et Fleury[2]. « La correspondance, écrivaient-ils, la correspondance qui fut le lien de l’amitié (de Lamennais et de M. Vuarin), s’étend depuis 1819 jusqu’en 1834. Il ne reste plus dans les papiers du curé de Genève[3] que quarante-sept lettres du grand écrivain, lettres intimes, et par là même très précieuses, qui reflètent comme un miroir toutes les phases de son effrayante carrière. » Mais les deux historiens n’en ont à peu près rien publié. Et non seulement, ainsi qu’ils le disent, cette correspondance nous présente comme en raccourci, sinon toute, au moins la plus importante partie de la carrière de Lamennais, puisque, commencée au lendemain de la publication du premier volume de l’Essai sur l’Indifférence, elle s’achève exactement en 1837, après la rupture complète avec Rome ; mais encore, sur un certain nombre de points, elle complète et elle précise l’idée que nous pouvions nous former du fougueux tribun, de sa prodigieuse activité, de son ardeur inlassable. Le moraliste et l’historien des idées religieuses ne connaîtront jamais de trop près cette personnalité si complexe et si mobile, l’une des plus attirantes, des plus énigmatiques peut-être aussi, de toutes celles que le XIXe siècle a léguées à la méditation du XXe.

Ce n’est pas non plus une personnalité banale que celle de M. Vuarin. Ce fut lui qui, en 1824, accompagna Lamennais dans son premier voyage à Rome. Il s’y fit remarquer par la fermeté et la hauteur de son caractère, par la netteté de ses vues, par son tact et son habileté diplomatiques. Léon XII se plaisait à louer « son génie, la pénétration de son esprit, le zèle avec lequel il gouvernait sa paroisse. » Grégoire XVI l’appelait « son cher curé de Genève. » « Sa vie est une vie sublime, » disait-il encore de lui. « Il est, écrivait à son tour celui qui devait être un jour Pie IX, il est de tous les curés ayant charge d’âmes le plus zélé, le plus dévoué, le plus attaché à l’Église que je connaisse dans l’univers catholique. » La vie de M. Vuarin est d’ailleurs si intimement mêlée à l’histoire assez peu connue du catholicisme genevois au XIXe siècle que, n’y eût-il que cette seule raison, il ne serait pas superflu d’en esquisser ici les principaux traits.

La Réforme n’avait pas, comme on le croit d’ordinaire, entièrement détruit le catholicisme à Genève. En dépit des persécutions de toute sorte dont le « papisme » a été l’objet dans la cité de Calvin, en dépit de l’active et rigoureuse surveillance exercée par le Consistoire, et du régime véritablement inquisitorial qu’il a fait peser sur la vie genevoise, des convictions, ou tout au moins des sympathies catholiques subsistaient chez beaucoup d’âmes, en particulier dans la partie vraiment autochtone de la population. Par mille moyens détournés, ces sympathies ou ces convictions secrètes s’entretenaient, se fortifiaient, se transmettaient dans les familles. Malgré les précautions prises, les influences du dehors pénétraient aussi dans la place, et agissaient dans le même sens. Quand en 1679, au grand scandale des autorités protestantes, le résident français, M. de Chauvigny, ouvrit une chapelle et y fit célébrer publiquement la messe, bien des Genevois s’y rendirent. A la veille de la Révolution, on évalue de onze à douze cents le nombre des catholiques de la ville de Genève. Treize ans après, en 1802, ils étaient environ deux mille huit cents.

La Révolution, en effet, bien loin de nuire au développement du catholicisme genevois, y contribua singulièrement au contraire. D’abord, bien des prêtres fugitifs passèrent par Genève, y furent d’ailleurs très bien accueillis des protestans eux-mêmes, et y laissèrent sans doute plus d’une trace de leur passage. D’autre part, Genève tomba sous la domination française, et, avec l’administration nouvelle, ce fut encore un peu de catholicisme qui s’introduisit dans la « Rome protestante. » Le moment parut opportun à l’autorité diocésaine pour essayer de reconquérir les positions perdues. Un jeune prêtre, l’abbé Vuarin, s’était signalé pendant la Révolution par son courage et son audace à braver les dangers, par la générosité de son zèle, par l’ingéniosité hardie de ses initiatives ; il s’était fait l’aide de camp secret et attitré des prêtres proscrits de la Savoie et du diocèse de Genève ; et ce fut grâce à lui que prêtres et fidèles ne perdirent jamais entièrement contact les uns avec les autres. Il était né en 1769, à Collonges, en Savoie, petit village des environs de Genève, d’une famille de paysans. Destiné de bonne heure au sacerdoce, après de bonnes études à Nantua, à La Roche, à Annecy, il entra au séminaire de Saint-Sulpice et prit la licence de théologie en Sorbonne. Rentré au grand séminaire d’Annecy, il y reçut les ordres mineurs en 1792, le jour même de l’invasion française. Ce fut lui que les vicaires généraux du diocèse de Genève, vers la fin de 1799, désignèrent pour rendre au catholicisme droit de cité dans la vieille ville calviniste. Il n’était prêtre que depuis deux ans ; il était jeune, actif, plein de résolution et d’ardeur ; il avait fait ses preuves de décision et même d’héroïsme au fort de la tourmente ; de plus, il connaissait admirablement Genève qui avait été son quartier général pendant les journées révolutionnaires. On l’y envoya rejoindre un autre prêtre plus âgé, M. Neyre, qui avait reçu la même mission.

Trois ans durant, les deux « missionnaires, » émigrant de quartier en quartier et de demeure en demeure, contraints à des déménagemens précipités aussitôt que leurs projets étaient découverts, exposés à mille tracasseries, voire à des émeutes populaires, une fois même obligés de quitter Genève par mesure de prudence, mais patiens, obstinés, ne perdant jamais pied, n’eurent qu’une seule pensée : fonder une chapelle et établir un culte régulier et public. Ils y parvinrent enfin. En 1803, M. Vuarin obtint même, non sans peine, un coin de cimetière pour ses coreligionnaires. Mais il fallut, la même année, et en dépit du Concordat, d’interminables démarches, et les manœuvres de la plus savante stratégie, et finalement l’intervention personnelle de Portalis, pour faire concéder aux catholiques la location du temple inutilisé de Saint-Germain, la première des églises genevoises qui, en 1535, avait été livrée au culte réformé. Quelques mois auparavant, un curé de Genève avait été nommé par le nouvel évêque de Chambéry, Mgr de Mérinville, dans la personne de l’abbé Lacoste. M. Vuarin était rappelé à Chambéry. Le catholicisme avait désormais une existence légale dans la ville sainte de la Réforme calviniste.

Le choix de M. Lacoste n’était pas très heureux. Il était étranger au pays, et il n’avait pas toute l’énergie nécessaire pour triompher des difficultés sans cesse renaissantes d’une situation particulièrement complexe et délicate. En 1806, il donna sa démission, et il fut remplacé par, M. Vuarin qui, depuis trois ans, remplissait excellemment les importantes fonctions de secrétaire à l’évêché de Chambéry. Cette fois, l’on n’aurait pu mieux choisir.

Jamais homme, en effet, ne fut plus pleinement l’homme d’une fonction et d’une œuvre. Durant trente-sept années, il a été curé de Genève, et il n’a voulu être que cela. « Quand on est nommé curé de Genève, disait-il en quittant Chambéry, on y reste et on y meurt. » Il n’eût tenu qu’à lui, pour peu qu’il s’y fût prêté, d’être évêque, cardinal même. A toutes les sollicitations dont il fut l’objet à cet égard, il opposait un refus formel. « J’ai épousé l’Église de Genève, disait-il ; je ne divorce pas. » « Vous faites parfaitement bien, monsieur l’abbé, lui écrivait Joseph de Maistre[4], de ne pas quitter votre place ; elle est trop importante pour qu’il vous soit permis de renâcler. Genève seule occuperait un homme d’État. » C’était la vérité même. Pour assurer à la petite Eglise genevoise la sécurité et la vie même du lendemain, il fallait une activité toujours en éveil, une résolution, une patience, une habileté et une fécondité d’expédiens peu communes, bref, les qualités qui font par excellence l’homme d’action et le diplomate. Il fallait tout conquérir et ne rien céder. Il fallait, jour par jour et heure par heure, lutter contre les préjugés, l’ignorance, le mauvais vouloir d’un parti organisé, nombreux et puissant, peu disposé d’ailleurs à capituler devant l’ennemi traditionnel. Ce qui rend les divergences confessionnelles souvent irréductibles, c’est qu’elles reposent au fond sur des divergences de mentalité. Les oppositions dogmatiques, aggravées par l’histoire, par le jeu plusieurs fois séculaire des intérêts et des passions, transmises et comme totalisées par l’hérédité, finissent par aboutir à de véritables oppositions d’âmes. M. Vuarin l’éprouva au cours de sa longue carrière. Pour obtenir non pas certes des privilèges, mais un peu du droit commun, et le minimum de libertés nécessaires à l’existence de son Eglise, il eut à surmonter des obstacles qui auraient promptement usé une volonté moins énergique, une foi moins robuste, et une moins riche variété d’aptitudes. Que si, parfois, dans ses justes revendications, il a mis plus d’âpreté et de violence verbale que n’en eût sans doute comporté la charité évangélique, il faut, pour en bien juger, tenir compte des mille nécessités d’une lutte de tous les instans, et qui, de part et d’autre, fut extraordinairement ardente. « Celui-là a bien servi son maître, » disaient de lui à ses funérailles des protestans eux-mêmes. C’est là un témoignage qui se passe de commentaire.

Tant que dura la domination française, les difficultés furent grandes assurément ; elles ne furent pourtant pas insurmontables. A force d’obstination et de savoir-faire, de démarches tentées en tous sens, de refus patiemment essuyés, M. Vuarin obtint successivement l’agrandissement du cimetière catholique, l’établissement de trois sœurs de Saint-Vincent de Paul, une subvention pour leur nouvelle école, et, pour lui-même, l’entrée du Bureau de bienfaisance. Il faillit même obtenir une école de Frères de la doctrine chrétienne ; mais, cette fois, le scandale fut à son comble : on menaça le préfet d’une insurrection populaire, et les Frères, arrivés à Genève, durent en repartir.

L’Empire écroulé, M. Vuarin pouvait tout craindre pour son Eglise et pour son œuvre. Il se révèle alors le plus actif et le plus consommé des diplomates. A Vesoul, auprès du prince de Schwartzenberg, généralissime des alliés, à Bâle, auprès de Metternich, à Paris, à Turin, à Gênes, partout où il y a une influence à neutraliser, un appui à conquérir, on le retrouve en personne, et toujours agissant par la parole ou par la plume, habile, éloquent, persuasif. Voyages, lettres, notes ou mémoires, rien ne lui coûte pour défendre ses droits, pour renseigner les puissans, pour mettre en œuvre les bonnes volontés. Il frappe hardiment aux portes les plus hautes. Il sait intéresser à sa cause « les personnages les plus divers, le Pape, le roi Louis XVIII, le roi Victor-Emmanuel, l’empereur d’Autriche, le tsar Alexandre lui-même. Au terme de ce persévérant effort, en 1816, le traité de Turin, bien loin de ruiner les positions acquises du catholicisme genevois, les consolide au contraire : la vieille république, reconstituée et agrandie, consent enfin à « loger et doter convenablement » le curé de Genève ; elle s’engage à respecter les droits politiques et religieux des 16 000 catholiques qui lui sont cédés par la Savoie et par la France. La cité de Calvin devenait la capitale d’un pays mixte : en renonçant à son isolement, elle avait dû, au moins momentanément, renoncer à son exclusivisme.

Aussi bien, M. Vuarin veillait. L’Etat vraiment neutre est peut-être partout et en tout temps une chimère, mais dans la Genève d’alors, plus que partout ailleurs. Sur la question des écoles, à propos du chômage des fêtes, de la loi sur le mariage, des nominations ecclésiastiques, du serment et du changement de diocèse, de graves conflits ne tardèrent pas à s’élever. Tous ces empiétemens du pouvoir civil rencontrèrent en M. Vuarin un infatigable adversaire. Il était si gênant qu’on s’avisa, pour paralyser son action, d’un ingénieux stratagème. Genève, depuis la Révolution, relevait de l’évêque de Chambéry : sous divers prétextes fort spécieux, des négociations furent entamées à Rome pour obtenir qu’on rattachât à un évêque suisse, à celui de Fribourg, le clergé catholique du canton de Genève. M. Vuarin multiplia les lettres et mémoires pour montrer les dangers de cette substitution ; et la combinaison aurait probablement échoué, si le gouvernement de Genève n’avait pas sollicité l’appui du roi de Prusse. Celui-ci agit si vigoureusement auprès du Saint-Siège, par l’intermédiaire de son représentant, l’historien Niebuhr[5], que Pie VII finit par céder, et, au mois de septembre 1819, un bref intervenait qui transférait à l’évêque de Lausanne, résidant à Fribourg, la juridiction des paroisses catholiques du canton de Genève.

Moins optimiste que Joseph de Maistre, — « Rome va son train, écrivait ce dernier, et avance en reculant, » — et un moment découragé par cet échec, M. Vuarin ne tarda pas à se ressaisir. Très habilement circonvenu par les diplomates genevois, de caractère doux et un peu timide, son nouvel évêque, Mgr Yenni, ne fut pas, pour le curé de Genève, le soutien de tous les instans qu’avait été pour lui l’évêque de Chambéry, Mgr de Solle. Néanmoins, les intérêts du catholicisme n’eurent pas trop à souffrir de ce changement de juridiction : M. Vuarin, toujours sur la brèche, réussit même, en faisant intervenir directement le tsar Alexandre, à faire donner aux Sœurs de la Charité un traitement officiellement inscrit au budget de l’État. Il voulut faire plus encore. L’occasion s’étant présentée pour lui, en 1824, d’aller avec Lamennais à Rome où le mandait le nouveau pape Léon XII, il rêva d’une reconstitution de l’évêché de Genève, soumit cette idée au Saint-Père, qui l’approuva, la fit étudier à fond par une congrégation spéciale, et, sans l’opposition de Mgr Yenni, il est probable qu’elle eût été mise à exécution. Du moins, le gouvernement genevois qui voulait à tout prix se débarrasser de M. Vuarin, — on l’aurait vu nommer avec joie évêque ou cardinal, — ne put-il obtenir gain de cause. « Des cardinaux, j’en trouverai partout, répondit Léon XII ; mais un curé de Genève, où le trouverai-je ? » L’événement devait lui donner singulièrement raison.

La Révolution de 1830, en éclatant, modifia à Genève comme ailleurs les conditions générales d’existence du catholicisme. D’une part, en effet, elle provoqua un vaste mouvement d’irréligion et même d’hostilité à l’égard de l’Église, et, d’autre part, elle obligea cette dernière à prendre, et de plus en plus, son point d’appui non pas sur les rois, mais sur les peuples. M. Vuarin eut d’autant moins de peine à adopter cette ligne de conduite que son caractère et ses origines l’y inclinaient tout naturellement ; et d’ailleurs, l’autorité et l’exemple de Lamennais n’étaient pas faits pour l’en détourner. On le vit donc au cimetière même et à l’église haranguer ses paroissiens, leur expliquer les motifs de ses résistances aux empiétemens des autorités protestantes, les prendre en un mot pour juges entre ses contradicteurs et lui. N’ayant pu, en dépit d’efforts réitérés, réussir à fonder un journal, il y suppléa par la publication de nombreuses brochures, qui eurent souvent le don d’exaspérer ses adversaires, mais qui, du moins, les tenaient d’ordinaire en respect. Tous ces appels à l’opinion publique ne furent pas vains. Si M. Vuarin ne put empêcher bien des actes d’intolérance, bien des atteintes à la liberté individuelle, il eut du moins, avant de mourir, la joie de mener à bonne fin diverses entreprises qui lui tenaient au cœur : il réussit à établir à Genève des Frères de la doctrine chrétienne, à y fonder un hôpital et un orphelinat catholiques. Quand il mourut, le 6 septembre 1844, son œuvre était accomplie : le catholicisme à Genève était restauré sur des fondemens solides et durables. On lui fit d’imposantes funérailles. Un cortège de 12 à 15 000 personnes vint rendre hommage à son inépuisable charité[6], à son activité sacerdotale, à son zèle infatigable d’apôtre.

Tel est l’homme qui, pendant près de vingt ans, fut en relations suivies avec Lamennais. Ils se ressemblaient à beaucoup d’égards ; ils avaient bien des idées communes ; ils avaient l’un et l’autre l’horreur de l’individualisme sous toutes ses formes ; l’un et l’autre, enfin, « prêtres et plébéiens, » concevaient de la même manière le rôle de la papauté et de l’Église dans le monde moderne ; tous deux, en un mot, aspiraient à l’avènement du « catholicisme social. » Mais l’un, le curé de Genève, était un vrai prêtre, soumis à l’autorité, même quand il était tenté de la trouver ou mal éclairée, ou trop lente à réaliser le bien qu’il rêvait. L’autre, au contraire, individualiste de tempérament, sinon de doctrines, ardent et inquiet tout ensemble, esprit peu discipliné et tumultueux, supportait mal la contradiction, et plus mal encore les trop longues attentes. Sa vocation, d’ailleurs, avait été tardive et peu sûre. « Je leur ferai voir, s’écriait-il un jour, je leur ferai voir ce que c’est qu’un prêtre ! » Hélas ! il n’a pas su le faire voir jusqu’au bout ; et le mot conviendrait infiniment mieux à M. Vuarin. Celui-ci fut profondément attristé de la rupture de son ami avec Rome ; et il fit tout au monde pour le retenir à ses côtés. Un moment, il crut avoir réussi. Lamennais, on le sait, avait fini par se soumettre à l’Encyclique Mirari vos, et Grégoire XVI, à ce propos, adressait au curé de Genève, le 12 mars 1834, le bref que voici :

« Cher fils, plus notre douleur avait été grande de voir un homme éminent par le génie, Félix de Lamennais, ne point accorder à nos lettres adressées à tous les évêques l’obéissance qui leur est due, plus notre joie a été vive, lorsque, revenu à des sentimens meilleurs, il nous a promis, ce bien-aimé fils, de ne rien écrire de contraire à la doctrine qu’elles contiennent. Aussi, nous sommes-nous empressé de le féliciter de sa louable soumission. Nous ne pouvons pas omettre non plus de vous exprimer notre satisfaction à vous, cher fils, qui, à raison de votre ancienne amitié avec cet homme illustre, n’avez rien négligé pour l’amener à céder enfin à nos justes désirs, et à ce qu’il doit à cette chaire de Saint-Pierre, colonne et fondement de la vérité. »

On verra plus tard comment se terminèrent les relations entre Lamennais et M. Vuarin. Elles avaient commencé en 1819. Durant un séjour qu’il avait fait à Paris, le curé de Genève avait voulu faire la connaissance personnelle de l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence. Ne l’ayant pas trouvé, il lui avait écrit, et Lamennais lui répondit par la première des lettres qui vont suivre.

1819


A la Chênaie, le 26 juillet 1819.

Je regrette beaucoup, Monsieur, de m’être trouvé absent de Paris pendant le séjour que vous y avez fait. J’aurais été heureux de vous connaître personnellement, et de vous témoigner toute mon admiration pour le zèle si rare qui vous anime. La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire me fait mieux sentir encore ce que j’ai perdu. Pour vous, Monsieur, je vous félicite des liaisons que vous avez commencées avec M. le comte de Senfft[7] : science, modestie, piété, voilà ce que vous avez remarqué en lui ; jamais je n’ai rencontré personne qui unît au même degré les qualités solides à toutes celles qui font le charme et la douceur de la société. En causant avec lui, souvent nous avions parlé de l’importance d’établir des rapports suivis entre les hommes qui défendent la même cause. Il serait à désirer qu’il y eût à Paris un centre de correspondance, afin qu’on pût s’entendre et travailler de concert dans toutes les parties de l’Europe, et même de l’Amérique, car maintenant beaucoup d’espérances se rattachent à ce dernier pays. Cela ne serait pas très difficile et pourrait produire de grands fruits. Je vous prie de m’en dire votre pensée. Mon article sur la réunion a paru dans le Conservateur[8], mais on y a fait quelques retranchemens par des raisons de politique, et il y a en outre un assez grand nombre de fautes d’impression qui le défigurent. Je le fais réimprimer en ce moment dans un volume de Mélanges que je me propose de publier très prochainement[9]. Ce grand sujet de la réunion demanderait à être traité bien plus à fond, et avec beaucoup plus de développemens. Il en faudrait faire un livre. De plus habiles l’entreprendront peut-être. On ne saurait rendre de service plus éminent à la société. Les destins sont dans la balance : un jugement de vie ou de mort ne tardera pas d’être prononcé. Si la miséricorde prévaut, on verra les peuples rentrer de toutes parts dans le sein de l’unité. Si le contraire arrive, si les doctrines populaires en religion et en politique continuent de se propager, c’en est fait de l’Europe ; la dissolution est inévitable, et je plains ceux qui en seront témoins.

Je ne saurais prévoir encore l’époque où paraîtra le deuxième volume de l’Essai[10]. Il me faudrait pour l’achever un loisir qui me manque. J’attends les momens de la Providence ; quand elle voudra que je finisse ce travail, elle saura bien me procurer le temps nécessaire pour cela.

Agréez, Monsieur, l’hommage de ma reconnaissance, de ma haute considération, et de mes sentimens respectueux.

L’abbé F. DE LA MENNAIS.

P. -S. — Mon projet est de retourner à Paris à la fin d’août. J’y demeure chez M. l’abbé Carron[11], cul-de-sac des Feuillantines, n° 12, rue Saint-Jacques. Ce serait là, Monsieur, que je vous prierais d’adresser vos lettres, si vous me faisiez l’honneur de m’écrire.


Paris, 28 octobre 1819.

Je vous remercie beaucoup, Monsieur, de m’avoir fait tenir le petit écrit, publié à Genève, contre mon article sur la réunion des différentes communions chrétiennes. Il est utile de savoir ce que disent les adversaires. Celui qui m’a répondu ne comprend pas même l’état de la question. J’ai dit que le protestantisme se mourait, parce qu’une religion qui n’a plus de doctrine est une religion morte ; ce pauvre homme croit me réfuter en apprenant au monde qu’il y a autant de protestans que jamais, et qu’on les laisse partout fort tranquilles. Tout le reste de son écrit est de même force. Il n’y a pas lieu à répliquer, ce serait perdre le temps. Je ne sais si vous avez connaissance d’un journal protestant qui paraît ici, sous la même forme à peu près que le Conservateur. Des Genevois coopèrent à sa rédaction. On m’a montré le premier cahier ; c’est un recueil d’absurdes calomnies et de plates injures. Je doute que cette entreprise ait du succès, malgré l’esprit de parti qui semblerait devoir la favoriser. Mais il y a dans ce journal une telle absence de talent que l’ennui seul en fera justice. M. le comte de Senfft a eu la bonté de me remettre la table du volume de M. de Haller[12] qui traite des souverainetés ecclésiastiques. Ce sera sûrement un ouvrage précieux, mais que M. de Haller, vraiment catholique, aurait, je crois, mieux fait encore. Pietas ad omnia utilis est. La piété, dont la foi est le fondement, donne de grandes lumières. Je fais peu de cas de tout ce qui n’est qu’une spéculation de l’esprit. Cela ne va jamais bien loin dans la vérité, et ne produit aucun effet durable. Cependant, des livres tels que sont ceux de M. de Haller entrent certainement dans des desseins de miséricorde de la part de Dieu. Ils préparent les voies, attiédissent les haines, atténuent les préjugés, et c’est beaucoup. La Providence achève quand il en est temps. Les troubles d’Angleterre pourront hâter l’émancipation des catholiques. On voudra assurer par cette mesure la tranquillité de l’Irlande, si pourtant l’on ne craint pas trop d’irriter le fanatisme des Anglais. Je vous serai extrêmement obligé de m’instruire de ce qui pourra se passer d’intéressant à Genève. La haine de la religion catholique y est-elle bien vive dans la classe des gens instruits qui ne tiennent plus au protestantisme ? et y a-t-il parmi eux un désir, une pensée d’établir quelque chose à la place ? L’Église a-t-elle des propriétés, et de quelle nature ? Le gouvernement lui en laisse-t-il la libre disposition ? Pardon, Monsieur, si je vous fatigue de mes questions ; mais celles-là ne sont peut-être pas sans importance.

Agréez, je vous prie, l’hommage de mes respectueux sentimens.

L’abbé F. DE LA MENNAIS.

1820


Saint-Brieuc, 22 juillet 1820.

Je reçois à l’instant, Monsieur, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 11 juillet. Elle m’a été renvoyée ici avec les deux manuscrits que vous m’annoncez. Je profiterai pour les lire du premier moment dont je pourrai disposer. Je crois que l’ouvrage de M. de Haller sur les Cortès s’imprime maintenant à Paris, où il a été apporté dans ce dessein par M. le comte de Salis[13]. Cela me contrarie, à cause de votre bon jeune homme, à qui je m’intéresse vivement d’après ce que vous me marquez. Veuillez me donner des renseignemens exacts et détaillés sur ce qui le concerne, sur son caractère, ses désirs, ses projets, afin que je puisse chercher les moyens de lui être utile. Je verrai ce qu’on pourra faire de l’extrait du comte de Stolberg[14].

Vous me rendrez un vrai service en m’instruisant de l’état religieux de Genève, et des suites que pourront avoir les querelles entre les ministres. Veuillez m’adresser vos lettres à Saint-Brieuc, Côtes-du-Nord, si vous m’écrivez avant la mi-août, et après cette époque, à la Chênaie en Plesder, par Dinan, Côtes-du-Nord.

Je n’ai que le temps de vous renouveler, Monsieur, l’expression de mon tendre et respectueux attachement.

F. DE LA MENNAIS.


Auray, 13 septembre 1820.

Ayant été obligé, Monsieur, de venir passer quelques jours dans cette partie de la Bretagne, je profite d’un moment de loisir pour répondre aux deux dernières lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je ne peux pas vous assurer que ce soit M. de Haller lui-même qui ait traduit son ouvrage sur la constitution des Cortès, qu’on vient d’imprimer à Paris. Je ne sais rien à cet égard que ce que vous avez lu, ainsi que moi, dans le Défenseur. Toujours est-il certain que votre bon jeune homme[15] a été prévenu, et que malheureusement son travail sera pour lui en pure perte. La dissertation sur la Tradition, extraite du comte de Stolberg, n’est pas non plus susceptible d’être imprimée, parce que l’original existe entre les mains de l’abbé Jarry, ou plutôt de ses héritiers, car je viens d’apprendre qu’il est mort il y a peu de jours à Bayeux. Il avait consenti à mettre son manuscrit à ma disposition ; j’aurais tâché d’en tirer un parti utile pour le traducteur ; mais c’est une légère ressource qui nous échappe encore. Quant à la dissertation sur la Primauté de saint Pierre, je ne la crois pas du tout susceptible d’être publiée. Il faudrait que votre jeune homme traduisît de préférence un ouvrage qui eût, en quelque genre, un mérite remarquable. Je crois qu’on pourrait tirer un ou deux bons volumes du Droit mosaïque de Michaëlis[16]. Le premier volume des Horæ mosaïcæ de Faber[17] mériterait aussi d’être traduit en l’abrégeant un peu. Si de plus il paraissait en Allemagne quelque chose d’intéressant, soit pour la politique, soit pour la religion, on y trouverait peut-être des sujets d’articles pour le Défenseur. Ces articles seraient payés, et il faudrait les adresser à M. de Saint-Victor[18], rue du Dragon, n° 3, à Paris.

Quant à la personne que vous me recommandez, je n’ai aucun moyen de lui être utile par moi-même ; mais dès que je serai de retour à la Chênaie, j’écrirai à M. Carron pour le prier de s’intéresser en sa faveur.

Vous avez sûrement connaissance de l’opposition que rencontre mon deuxième volume. Cela tient à plusieurs causes, parmi lesquelles il y en a que je ne voudrais pas rappeler ici. Mes adversaires ont été déjà contraints de revenir sur leurs pas. Ils n’entendent ni ce que j’ai dit, ni ce qu’ils disent. J’avais commencé une Défense, mais je me suis arrêté tout court par la considération du mal qui pourrait résulter de ces discussions[19]. J’ai prouvé, dans mon premier volume, que le protestant, le déiste et l’athée en prenant la raison particulière pour règle de leurs croyances, ne pouvaient établir aucune doctrine et étaient inévitablement conduits au scepticisme absolu. Ni les protestans, ni les déistes, ni les athées ne m’ont répondu, et aucun catholique ne s’est alarmé de ma doctrine. Je redis la même chose en d’autres termes et avec plus de développemens dans mon deuxième volume, et l’École tout entière se soulève. Ils n’ont pas vu que tout se tenait dans mon ouvrage et que les mêmes principes y règnent partout. Il y aurait du danger à montrer cela, maintenant que les esprits sont échauffés, et en conséquence je me tairai aussi longtemps qu’il me sera permis de me taire. Agréez, Monsieur, l’expression de mes sentimens respectueux.

F. DE LA MENNAIS.

1821


Paris, 14 Juillet 1821.

Il me serait bien agréable, Monsieur et très respectable ami, de pouvoir passer quelque temps près de vous ; mais je ne sais pas quand cela me sera possible. Je me proposais de retourner en Bretagne où j’ai des affaires et où je me porte mieux qu’ici. La mort de M. l’abbé Carron a dérangé tous mes projets. Elle m’oblige à demeurer habituellement à Paris, où je réunis près de moi quelques-unes des personnes qui, depuis de longues années, vivaient avec le saint que nous regrettons. La demoiselle anglaise dont vous me parlez n’a jamais été dans les établissemens de M. Carron ; seulement il la dirigeait. C’est une personne pieuse et simple, dont les prières et l’exemple ont été fort utiles à sa famille, et qui mérite à tous égards que l’on s’intéresse à elle.

M. de Senfft s’est chargé de faire parvenir votre intéressante lettre à M. de R… Il n’y a point de difficulté que vous fassiez ce qui avait été convenu avec lui par rapport à M. d’O…

Je n’ai pas encore reçu les ouvrages que vous m’annoncez. Ils doivent être entre les mains de M. Breluque[20] à qui M. le comte de Senfft doit les demander. Je vous remercie de me tenir instruit de ce qui se passe dans votre pays. Comme j’ai cessé depuis plusieurs mois d’écrire dans les journaux, je ne sais pas bien ce que le Défenseur va devenir. Je crois cependant qu’on a un projet qui pourrait rendre ce recueil utile, autant qu’un journal peut l’être en ce moment. Peut-être pourriez-vous en essayer encore pendant un trimestre.

Je suis flatté que ma Défense[21] ait votre approbation. L’archevêque de Gênes m’a écrit qu’il en était très satisfait[22]. Avant même qu’elle parût, il s’était déclaré en faveur de la doctrine exposée dans mon deuxième volume. Je vais incessamment commencer le troisième. Il me faudra un an de travail pour l’achever[23].

Malgré la loi sur les évêchés, c’est à peine si on a l’espoir qu’on en érige cinq ou six cette année. Jugez par là de l’esprit de notre ministère, et de la bonhomie des royalistes qui se sont faits ses appuis. Mais il faut que la volonté de Dieu s’accomplisse, et que l’Europe soit punie. Tout se prépare pour des événemens très imprévus, quoiqu’ils soient prédits. Il n’y a plus de société possible, et nous assistons chaque jour à l’agonie du genre humain ; j’en suis chaque jour plus convaincu.

Donnez-moi de vos nouvelles, Monsieur et respectable ami, et croyez à mon tendre et respectueux attachement.

F. DE LA MENNAIS.


Paris, 13 août 1821.

J’ai causé, Monsieur et très respectable ami, du sujet de votre lettre avec M. le comte de Senfft. Il est possible que l’évêque de F[ribourg][24] fût autorisé, soit par un usage reçu dans les pays protestans, soit directement par le Saint-Siège, à dispenser pour un temps M. de H[aller] des exercices publics de la religion catholique ; et puisque cela n’est pas impossible, j’aime à croire que l’évêque était en effet autorisé à faire ce qu’il a fait. J’avoue cependant que de telles dispenses me paraissent devoir être accordées très rarement, et seulement pour des raisons d’une grande importance. Quant à l’expression d’actes extérieurs dont se sert M. de H[aller], il me semble qu’il faut la prendre comme synonyme d’actes publics, et c’est en ce sens que je l’avais entendue. Du reste, ce que vous me dites de notre ami est très véritable ; il n’en est pas encore à la pratique fervente, faute d’avoir appliqué son esprit à l’importance de cette pratique, qu’il ne considère peut-être pas comme aussi essentielle qu’elle l’est réellement. Mais son esprit et son cœur étant d’une droiture parfaite, je ne doute pas qu’il ne fasse des progrès dans la bonne voie, et nous pensons, M. le comte de Senfft et moi, qu’il y aurait de l’inconvénient à vouloir aller trop vite, et qu’il faut attendre les momens de Dieu, qui achèvera sûrement son œuvre dans notre excellent ami. Il ne nous a pas encore envoyé la traduction de son ouvrage. Nous l’examinerons avec soin quand nous l’aurons reçue. Il paraît qu’il est maintenant occupé à la revoir.

On ne m’a point remis les deux ouvrages que vous m’annonciez par votre précédente lettre, et je ne sais à qui les demander. Quant au pamphlet en réponse à M. de H[aller][25], rien ne montre mieux combien la Réforme est misérable et de mauvaise foi. M. Picot[26] en parlera dans l’Ami de la Religion. Avez-vous vu la requête des ministres de Leipsig à la Diète, pour demander qu’on prenne des mesures pour empêcher les conversions, devenues, disent-ils, très nombreuses dans toutes les classes ? N’est-ce pas là une curieuse application des principes du protestantisme ? Les miracles multipliés qu’opère le prince de Hohenlohe[27] et qui paraissent aujourd’hui bien authentiques, feront, je crois, une vive impression en Allemagne. J’ai lu une lettre d’un protestant très convaincu de la réalité de ces miracles, et qui parle du Prince avec une vénération profonde. Le bras de Dieu est étendu sur cette terre qui le renie et de grandes choses se préparent. Espérons et prions. Recevez, Monsieur et très cher ami, l’assurance de mon sincère et tendre attachement.

F. DE LA MENNAIS.


Paris, 7 octobre 1821.

J’ai reçu, Monsieur et cher ami, votre lettre datée de Dienville, ainsi que le paquet qu’elle m’annonçait. La brochure adressée à M. Picot lui a été remise. J’ai gardé l’exemplaire qui m’était destiné, et je vous en remercie. Il y a des choses curieuses en fait d’aveux, et qui pourront trouver un jour leur place quelque part. J’écrivis hier à M. de Haller au sujet de son manuscrit. Il est impossible de faire imprimer sa préface ; elle révolterait d’un bout à l’autre la délicatesse française qui ne peut pas souffrir qu’on parle de soi sans une grande nécessité. Il sera nécessaire aussi que M. de Haller abrège beaucoup son ouvrage ; autrement, il n’aura certainement point de lecteurs. Je crains que cet excellent homme ne comprenne pas assez cela. C’est pourtant l’avis unanime de tous ses amis de Paris. Je prends occasion de ce qu’il me dit lui-même pour lui parler de ses enfans, et de l’importance de les faire élever dans une école catholique. Je lui parle aussi des exercices de piété et de l’usage des sacremens, où il puisera tant de force et de consolation.

Le Défenseur va cesser. La dernière livraison doit paraître aujourd’hui ou demain. Je crois que les éditeurs ont raison de ne pas lutter plus longtemps contre la censure, qui tue nécessairement l’intérêt d’un pareil journal et le rend à peu près nul pour le bien. Il est fâcheux cependant qu’il n’existe aucune feuille périodique entièrement pure. C’est la raison du silence qu’on a gardé forcément sur les critiques odieuses faites de l’ouvrage de M. de Maistre[28]. On m’avait envoyé une réponse à ces critiques pour être insérée dans le Drapeau blanc, le moins inaccessible des journaux dits royalistes. M. O’ Mahony[29], un des rédacteurs, n’a pu encore l’y faire insérer. Ab uno disce omnes.

M. le comte de Senfft, M. de Saint-Victor, et tous vos amis vous offrent leur respectueux souvenir, et moi l’hommage de mon inviolable et bien tendre affection.

F. DE LA MENNAIS.


Paris, 9 octobre 1821.

J’ai enfin reçu, Monsieur et respectable ami, les deux ouvrages que vous m’aviez destinés, et dont je vous remercie. Celui qui regarde les Missions protestantes a été lu par M. Picot qui doit en parler dans son journal. Vous verrez dans l’un des prochains Défenseurs, une lettre de moi à un protestant qui m’avait prié de prendre cette voie pour lui répondre[30]. Il y a parmi tous ces gens-là un grand ébranlement. L’Europe serait catholique dans dix ans, si les Princes voulaient. Mais ils aiment mieux tomber avec leurs trônes ; ils préfèrent à la houlette du Souverain Pontife la hache du peuple souverain.

Qu’est-ce que ces deux apostasies, dont se vante l’auteur de la lettre à M. Gœrres[31] ? Je soupçonne que ses réticences cachent quelque chose de peu honorable au protestantisme.

J’ai vu ici M. l’abbé Rey[32], et je me félicite extrêmement d’avoir fait la connaissance d’un ecclésiastique aussi vénérable. Nous nous entendons parfaitement ensemble et sur tous les points. Toutes les personnes qui ont eu occasion de le voir, regrettent qu’il passe si peu de temps au milieu de nous.

Depuis assez longtemps, je ne sais rien de M. de Haller. Je l’avais engagé à composer un exposé des motifs de sa conversion. Je croirais cet écrit fort utile. Il m’avait fait espérer qu’il s’en occuperait. Je crains que d’autres travaux ne le détournent de celui-là. En général, il me semble qu’on attache trop d’importance aux discussions et aux théories de la politique, dans un moment tel que celui-ci. Abattez le protestantisme, source de toutes nos révolutions ; rétablissez partout la véritable religion, et puis laissez-la tranquillement agir ; d’elle-même et sans secousses, elle vous fera des sociétés conformes aux besoins des temps. A quoi bon aujourd’hui ces idées spéculatives que personne n’applique, ces combats de plume contre des peuples en délire qui ne vous lisent point ? En temps de guerre, j’aime qu’on tire du côté de l’ennemi.

M. de Saint-Victor vous offre ses hommages. M. de Senfft est encore à Saint-Germain où il a passé l’été. Il vient peu à Paris, mais l’hiver approche, et je le verrai bientôt davantage. Recevez, Monsieur et bien cher ami, l’assurance de mon sincère et tendre attachement.

F. DE LA MENNAIS.

1823


Paris, 23 mars 1823.

Monsieur et très respectable ami,

Un ancien ami et bienfaiteur de M. l’abbé Carron doit partir incessamment pour Genève, où il fixera son séjour pendant quelque temps. M. Trennaley Baronnet vous expliquera lui-même les motifs de son voyage. Il a désiré se présenter chez vous avec une lettre et je vous le recommande très particulièrement.

Agréez de nouveau, Monsieur, l’assurance de mon respectueux et tendre attachement.

F. DE LA MENNAIS[33].

1824


Paris, 9 octobre 1824[34].

Je reçois, Monsieur et cher ami, votre lettre écrite de Florence, qui renferme les premières nouvelles que j’ai reçues de vous depuis mon départ de Rome. Je suis ravi d’apprendre que vous êtes content du succès définitif de votre voyage : Que Dieu continue de bénir votre zèle ! C’est le vœu que je forme de tout mon cœur. Pour moi, j’ai retrouvé ici ce que j’y avais laissé, et mieux encore peut-être, beaucoup de jalousies, beaucoup de haines, et tous les symptômes les plus agréables de nouvelles persécutions. J’étais descendu chez mon frère qui revient dans quelques jours pour dissoudre sa maison, et ramener en Bretagne ses neveux et ses domestiques. M. le Grand Aumônier m’a fait inviter à quitter promptement cette maison où j’ai encore mes meubles[35]. M. de Senfft m’a reçu chez lui. Je cherche un logement pour l’hiver ; car j’ai pris le parti de rester ici, où il me semble que je puis avoir des devoirs à remplir. C’est aussi l’avis des personnes que j’ai dû consulter ici. Les choses dorment en ce moment ; on est dans l’attente de l’avenir. Les partis rassemblent leurs forces en silence pour la lutte qui s’établira à la prochaine session. Le Roi veut le bien comme son prédécesseur, comme tous les Bourbons ; mais pourra-t-il le faire ? c’est la grande question. Les ministres n’ont point abandonné leur système, et ce système qui a porté la corruption à un point que vous-même ne pourrez pas vous représenter, déplaît à beaucoup de gens ; ajoutez à cela le désir du changement, les intérêts lésés, l’ambition excitée au-delà de toute mesure : on croit difficile qu’il n’arrive pas une révolution ministérielle. On ne saurait se dissimuler que le mécontentement est extrême, ainsi que le mépris du gouvernement. Une seule chose console un peu, c’est l’affection personnelle que les libéraux comme les royalistes témoignent pour le Roi. Tout le monde en est frappé, et vous jugez combien cela tranquillise. On n’a pas été moins unanime à rendre justice à Louis XVIII, si calomnié pendant sa vie. Quant à la création d’un ministère des affaires ecclésiastiques, et l’introduction de quelques évêques vraiment français dans le Conseil d’État, j’y vois, comme beaucoup d’autres, le moyen de faciliter et de régulariser certaines opérations qui pourraient devenir nécessaires. Il y a ici une personne qui n’est pas du pays, et qui se réjouit beaucoup de cela. J’en ai causé avec elle assez franchement. Cette même personne compte extrêmement sur des projets de loi qu’on assure devoir être présentés à la prochaine session. Elle fonde sur ces lois de grandes espérances, et ne doute presque point des excellentes dispositions de ceux qui doivent les proposer. Il y a bien quelques nuages sur ce bel horizon, mais qu’y a-t-il de parfait en ce monde ? Quelques-uns, qui se flattent moins et qui croient connaître assez exactement ce qu’on prépare, ne sont pas sans inquiétude sur les faveurs promises. Au reste, l’avenir éclaircira tout, et il est vraisemblable que les questions qui doivent, à ce qu’on dit, être soumises à la sagesse de nos législateurs, ne tarderont pas à être discutées publiquement.

Je ferai votre commission pour le comte Oppizoni. J’attends mon frère dans quatre jours, et je vous remercie en son nom des indulgences que vous avez obtenues pour ses petits Frères[36]. Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des personnes que j’ai eu l’honneur de voir chez vous, particulièrement de M. le curé de Chêne, et de MM. vos vicaires. Je suis avec un bien sincère attachement tout à vous en N. -S.


Paris, 22 octobre 1824.

Votre lettre de Turin, mon cher et respectable ami, m’a fait un extrême plaisir, et parce que c’était une lettre de vous, et parce qu’elle me donne l’espoir que vous serez bientôt au terme de vos fatigues. Je me suis occupé de suite des commissions que vous me donnez : et d’abord, M. de Mellerio a été abonné au Mémorial. Cet abonnement, joint à celui du comte Oppizoni, s’élève à 80 francs dont vous déduirez les 15 francs que je vous dois pour votre dépense de Rome. Quant aux circonstances particulières de la conversion de La Harpe, il sera, je crois, difficile d’obtenir des notes de Mme de Talaru[37] ; je l’essaierai cependant, et si je puis en obtenir, je vous les enverrai sans retard.

Je pense comme vous que le travail de Mlle C… vaudrait mieux que tout le reste ; mais il serait fort à désirer qu’il ne tardât pas beaucoup à paraître. Je vois peu de jour à la réussite de l’affaire dont je vous avais entretenu à son sujet.

Mon frère est venu me rejoindre ici. Il repart dans quelques jours pour la Bretagne, et je le suivrai de près. Ma fortune ne me permet pas d’avoir un établissement ici, et d’ailleurs je ne sais trop quel bien on pourrait y faire. En deux mots, tout va de mal en pis. Les détails ne finiraient point : vous les devinerez en partie, et je ne voudrais pas les confier à une lettre. Que Dieu conserve son Eglise ! L’homme dont vous avez à vous plaindre se perd de plus en plus. Celui qui le remplace en province veut le quitter ; autant en fera la personne qui est ici placée le plus près de lui. Jamais on ne tombe si bas dans l’opinion, et plus justement. D’un autre côté les nominations sont tout ce qu’on devait s’attendre qu’elles seraient. On parle de rétablir la Sorbonne. Après cela, que vous manquera-t-il ?

Il n’y a qu’une voix sur les ministres ; ils sont repoussés universellement. Leur chute est inévitable ; mais qui les remplacera ? Personne n’en sait rien. Ce sont les circonstances qui gouvernent.

Faites-moi le plaisir d’acheminer la lettre ci-jointe à Rome. Mes tendres respects à M. l’archev[êque] de Lyon[38]. Mon frère vous prie d’agréer l’assurance de son inviolable attachement ; je n’ai pas besoin, j’espère, de vous parler du mien.


Paris, 18 décembre 1824.

J’étais, Monsieur et très cher ami, fort impatient de recevoir de vos nouvelles ; jugez par là du plaisir que m’a fait votre lettre du 10 de ce mois. Les détails qu’elle contient ne m’ont pourtant satisfait qu’en partie : car si, d’un côté, vous trouvez dans le voyage que vous venez de faire de nouveaux secours pour le bien, d’un autre côté, il est pénible qu’il se présente des obstacles qu’un peu de foi et de piété devraient aplanir sur-le-champ. Mon Dieu, qu’il y a de l’homme dans l’homme[39] ! et que le nombre est grand de ceux qui, suivant l’expression de l’Apôtre, quærunt quæ sua sunt, non quæ J. C. !

Pour ne rien oublier, je vais répondre successivement aux divers articles de votre lettre.

L’abonnement du comte Oppizoni et celui du comte Mellerio sont de 40 francs chacun pour les deux années 1824 et 1825.

Je vais prendre des informations sur les lithographies auxquelles vous êtes abonné, et je ferai joindre au premier envoi la livraison qui vous manque.

Quant aux livres que M. Gavard a reçus pendant votre absence, vous pouvez donner les deux derniers volumes de l’Essai à 12 francs au lieu de 14 francs, et l’Imitation à 2 fr. 50 au lieu de 3 francs papier commun et à 3 fr. 50 au lieu de 4 francs papier vélin. Mon frère tâchera de trouver des honoraires de messes pour faciliter la vente de ces livres. Vous voudrez bien vous rembourser des frais de port sur ce que vous me devez.

Je ne puis vous rien dire de positif au sujet des petits Frères. Si cela est possible, cela se fera. Je vais en écrire à mon frère qui vous répondra directement.

J’ai été retenu ici plus longtemps que je ne pensais, et pour des affaires désagréables. Je crois, grâce à Dieu, qu’elles touchent à une fin. La chose n’est pas de nature à être expliquée dans une lettre.

Seulement je vous dirai que vous jugiez mieux que moi l’homme de la rue du Cherche-Midi[40]. Je me suis heureusement éclairé à temps, et avec de la fermeté je me suis tiré d’affaire. Mais nous causerons de cela quand nous nous verrons.

Il me semble que vous faites bien de ne pas venir à Paris cet hiver. Le moment n’est favorable pour aucun genre de bien. Tout va de mal en pis. La conspiration anti-chrétienne, plus ardente que jamais, marche le front levé, sans que le gouvernement s’en inquiète. Il la sert même en beaucoup de points. Nous sommes menacés pour l’année prochaine d’une loi sur les mariages funeste à la religion. J’espère encore cependant qu’elle ne sera point présentée, parce que les ministres ne voudront point multiplier leurs embarras. Le ministère ecclésiastique est resté de fait à l’Intérieur. L’év[êque] d’Hermop[olis] ne fait rien, absolument rien[41], qui n’ait reçu auparavant l’approbation de Corbières[42]. L’éducation est pire que jamais. Des détails vous effraieraient. Nous vivons dans un triste temps, mais l’avenir sera plus triste encore.

J’espère pouvoir partir pour la Bretagne dans les premiers jours de janvier. J’emmène avec moi l’abbé Gerbet[43]. Il se portera mieux à la campagne, et travaillera davantage.

Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir de l’excellent curé de Chêne, de MM. vos vicaires, et de toutes les personnes que j’ai connues chez vous. Adieu, mon respectable ami, je n’ai pas besoin de vous redire combien je vous suis tendrement dévoué.


Paris, 31 décembre 1824.

J’ai reçu, mon respectable ami, votre lettre du 19 de ce mois, et les 110 francs qui y étaient joints.

On était étonné à R… de votre silence. Je l’ai expliqué très naturellement ici à la personne qui m’en a parlé, et elle a paru m’en tendre.

L’abonnement du comte Oppizoni est de 40 francs pour deux ans, et celui du comte Mellerio, idem.

J’ai remis au comte de Senfft la lettre du curé de Gex concernant la Société catholique. Je ne suis pour rien dans cette œuvre, ni aucune autre semblable. Mon frère aussi s’en est retiré en partant pour la Bretagne. Avant de donner vos abonnemens, j’ai voulu vous prévenir que la Société catholique n’est peut-être pas ce que vous la supposez. On l’a gâtée totalement. L’abbé Löwenbruck[44] qui la dirige n’y entend absolument rien. On se borne à réimprimer quelques ouvrages très médiocres pour le peuple, tandis qu’il faudrait principalement agir sur les classes lisantes. La Bibliothèque catholique est mieux conçue ; elle donne chaque année vingt-quatre volumes d’ouvrages divers pour 22 francs. La Société catholique fournit trente-six volumes pour 20 francs, mais les exemplaires sont triples. On va lier à la première œuvre une chose plus importante ; ce sera une Bibliothèque chrétienne en cent volumes qui paraîtront dans le cours de cinq ans, et qui serviront de contre-poison contre la Bibliothèque du XIXe siècle, également en cent volumes. Tous les ouvrages seront nouveaux, et se vendront 25 sous le volume. Je croirais donc plus utile de souscrire pour la Bibliothèque catholique. Si vous prenez ce parti, vous pouvez écrire à M. l’abbé de Salinis[45] au Collège d’Henri IV. Si vous préférez la Société catholique, mandez-le à M. le comte de Senfft ; car pour moi, je pars dans huit jours, quoique avec beaucoup de regret de n’être pas ici quand vous y viendrez ; mais je n’en puis plus de Paris.

L’abbé P… continue toujours d’exercer ses fonctions ; je ne sais pas autre chose de lui.

Mille respects et mille amitiés.

1825


A la Chênaie, le 26 mars 1825.

Il y a bien longtemps, mon cher et respectable ami, que je n’ai reçu de nouvelles de vous et de vos affaires. Je désire vivement qu’elles aient pris la tournure que vous désiriez, et que le personnage qui vous contrariait ait enfin écouté la conscience et la raison. Vous avez reçu mes deux petites brochures, que je vous ai fait adresser ; elles m’ont valu, comme de juste, beaucoup d’injures ; mais je suis fait à cela, et j’espère, avec la grâce du bon Dieu, que cela ne m’empêchera pas de dire la vérité, toutes les fois que je croirai en voir l’utilité et l’obligation.

M. de Lesquen[46], évêque de Beauvais, vient à Rennes, comme vous le savez. C’est un grand honneur pour notre diocèse. Cependant l’on ne peut que gémir de cette translation, dont l’unique but a été d’ôter de Beauvais un digne évêque qui y faisait le bien, pour mettre à sa place M. Feutrier[47], que vous connaissez, et qui annonce la résolution d’administrer d’une tout autre manière. L’homme des communautés religieuses s’est conduit indignement dans tout cela, et malheureusement il a fini par trouver un fort appui dans l’in partibus de la rue du Regard[48]. Tout va de mal en pis, et l’on ne paraît pas s’en apercevoir là-haut. Que voulez-vous y faire ? Deus providebit.

Vous pouvez disposer de 300 honoraires de messes à 1 franc pour faciliter le placement des livres que je vous ai envoyés. Afin d’être tranquille sur ces messes, veuillez, s. v. p., m’accuser réception de cette lettre.

Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir de M. le curé de Chêne, de MM. vos vicaires, et des personnes que j’ai eu l’avantage de connaître chez vous. Mon frère vous dit mille choses tendres et respectueuses. Je suis, Monsieur et bon ami, tout à vous en N. -S.


À la Chênaie, par Dinan (Côtes-du-Nord), le 18 avril 1825.

Je reçois, mon cher et respectable ami, votre lettre du 11 avril. Je ne puis vous exprimer quelle joie c’est pour moi de recevoir de vos nouvelles. Il y a si peu de gens aujourd’hui pour qui l’on puisse avoir les sentimens que vous inspirez !

Je n’ai guère de détails à vous mander du fond de ma solitude, quoique j’eusse cependant une infinité de choses à vous dire. L’objet de cette lettre est presque uniquement de vous prévenir que je serai forcé de me rendre à Paris dans les premiers jours de mai. J’y passerai probablement environ trois semaines. Ne pourriez-vous pas y apparaître à la même époque ? Ce serait pour moi un grand bonheur, et peut-être ce voyage ne serait-il pas non plus inutile pour vous[49]. Il est bon de prendre hauteur de temps en temps, et vous serez étonné vous-même des changemens que vous trouverez. Mon frère vous offre mille amitiés respectueuses. Il est tout occupé de sa congrégation qui fait beaucoup de bien. Je suis, mon excellent ami, tout à vous du fond de mon cœur Xto et Mr.


Paris, le 9 juin 1825.

Je profite, mon cher ami, du départ de Mgr d’Amasie[50], pour vous faire parvenir sûrement cette lettre. Depuis que vous avez quitté Paris, il ne s’est rien passé de fort remarquable. Le sacre et les fêtes ont occupé tous les esprits. On fait danser le peuple autour de sa fosse, ou plutôt on essaie de le distraire par des amusemens auxquels il se prête avec assez de froideur. L’entrée du Roi a été, quoi qu’en disent les journaux, extrêmement triste et morne : point de cris, point d’amour ; une curiosité silencieuse pour le spectacle, voilà tout. La haine qu’inspire le ministère croît tous les jours, et se propage dans les départemens. Cela ne l’empêchera pas de tenir bon jusqu’à la veille de la crise qui nous menace, et à laquelle il est humainement impossible que nous échappions. L’audace des révolutionnaires va croissant : la jeunesse est effroyable. J’ai appris sur nos écoles de nouveaux détails qui font dresser les cheveux sur la tête. L’impiété et l’hypocrisie y sont au comble, et le sacrilège y est devenu aussi général qu’habituel. Fr[ayssinous] sait tout cela, mais il dit qu’il n’y a pas moyen d’y remédier. Les affaires ecclésiastiques ne vont pas mieux ; les bureaux sont le foyer d’une conspiration anti-catholique et anti-monarchique dont l’abbé de la Chap… est un des principaux agens. On s’y occupe, avec un zèle extrêmement actif, d’envoyer à Lyon Feutrier. Celui-ci se croit sûr de la réussite, et il ne le cache pas. L’homme de la rue du Regard, circonvenu par mille moyens détournés, n’est guère qu’un instrument aveugle entre les mains de la coterie. Je sais par Eugène[51] qu’il est tout à fait, et peut-être sans le savoir, sous l’influence de Semonville[52] qui dispose à son gré d’une madame de Fronde-ville que l’autre voit tous les soirs à onze heures et demie. On croit que Villèle a agi pour garder à Paris le plus longtemps possible un envoyé qui lui est si précieux. Ce pauvre homme ne voit que lui, et il est enivré des caresses qu’on lui fait à la Cour. Il faut qu’on ait là-bas un triple bandeau sur les yeux. Les événemens qui se préparent les éclaireront : plaise à Dieu que ce ne soit pas trop tard !

Le Courrier s’est plaint très amèrement qu’on n’ait pas donné le cordon bleu à l’archevêque de Paris[53], dont il fait un magnifique éloge. Vous savez que le Courrier est le journal des doctrinaires, auxquels Chateaubriand et les Débats se sont réunis. Ce parti a pour chefs Royer-Collard, Pasquier, Molé, Barante, Guizot[54]. Ces gens-là reviendront au pouvoir, et ce sera le signal de la Révolution qui s’apprête.

M. de Senfft reprend peu à peu ses forces. Toute la famille vous dit mille choses, et moi je vous embrasse de tout mon cœur.


A la Chênaie, le 13 septembre 1825.

Il y a bien longtemps, mon cher ami, que je n’ai eu de vos nouvelles, et cela me fâche, car personne ne prend plus d’intérêt que moi à tout ce qui vous concerne. J’ai vu, dans l’Ami du Roi, la relation d’une cérémonie touchante qui a eu lieu dans votre église[55], et à laquelle a pris part le bon curé de Douvaine, à qui je vous prie d’offrir mon respect. Ne m’oubliez pas non plus près de M. le curé de Chêne et de toutes les personnes que j’ai connues à Genève, particulièrement Messieurs vos vicaires. Il me serait bien doux de causer avec vous quelques heures ; mais je ne vois guère d’apparence que ce puisse être prochainement. Les journaux m’ont appris l’ordination de M. d’Argenteau que nous avons vu à Rome ; cela m’a fait plaisir ; c’est un homme pieux, et qui, je crois, pourra rendre des services à l’Église. Quant à votre compagnon de voyage, il est plus inutile que jamais. Voilà plusieurs mois que des souffrances presque continues, une grande faiblesse et une disposition assez habituelle à l’évanouissement l’empêchent de travailler. Je pense que cela passera et, dans tous les cas, que la sainte volonté de Dieu soit faite et bénie en tout cela comme en tout le reste ! On m’attaque beaucoup en ce moment, et de bien des côtés. Des gens que j’ai défendus et que je défendrai encore toutes les fois que l’occasion s’en présentera, ont à mon égard une conduite tortueuse et fausse, et, tout en me montrant à l’extérieur de l’affection, me nuisent en secret le plus qu’ils peuvent. Encore la sainte volonté de Dieu !

Vous savez que M. de Senfft est nommé ambassadeur d’Autriche à Turin. Il est maintenant à Vienne, d’où il se rendra, je pense, vers la fin de l’automne à son nouveau poste. Adieu, mon cher et respectable ami. Je vous embrasse comme je vous aime, c’est-à-dire de tout mon cœur.


A la Chênaie, le 2 octobre 1825.

Je suis surpris, mon cher ami, que vous n’ayez point reçu ma réponse à votre dernière lettre, adressée (je dis ma réponse) par la Grande Aumônerie. La difficulté de s’écrire sûrement n’est pas une médiocre contrariété. J’espère que cette lettre vous parviendra avant votre départ de G[enève]. J’y en joins une pour notre bon archevêque[56], à qui je vous prie de la faire passer après l’avoir lue et cachetée. J’avais chargé l’abbé Botrel[57] de faire porter à l’ambassade de Sardaigne le paquet pour M. de Vignet[58] dont il est question. Il contenait des lettres assez importantes. Tâchez, vous qui savez tout, d’en avoir des nouvelles.

Il me sera impossible d’aller à Paris ce mois-ci, ni même le suivant, quelque envie que j’aie de vous voir. Seriez-vous homme à faire le voyage de Bretagne ? Il ne faut que trois jours pour venir ; c’est peu pour vous. M. de Senfft me presse vivement d’aller en janvier le rejoindre à Turin. Toute la famille le désire ; mais ma position est bien embarrassée et bien difficile, et tellement que je ne puis rien prévoir. Je vous priais dans ma dernière lettre de faire acquitter soixante-douze messes. Je vous ai fait adresser, ainsi qu’à l’archevêque de Gênes, un exemplaire du Catéchisme du sens commun, par M. Rohrbacher[59] au sujet de l’auteur des Crimes de la presse : cette brochure est d’une espèce de fou, nommé Madrolle[60], avocat et Bourguignon, qu’on croit avoir quelques liaisons avec le ministère, quoiqu’ils se désavouent réciproquement ; et en cela ils ont tous deux raison.

Adieu, mon bon et cher ami ; ma santé est toujours mauvaise, ce qui ne m’empêche pas d’être bien tendrement tout à vous.


A la Chênaie, le 13 octobre 1825.

Votre homme, mon cher ami, agit comme il regarde, de côté. C’est une triste espèce de gens que ceux-là. Vous viendrez pourtant à bout de votre affaire, à ce que je crois ; mais il vous faudra de la patience, et, grâce à Dieu, elle ne vous manque pas. J’en aurais grand besoin aussi, et elle me manque à chaque moment. Ma santé est fort mauvaise, je souffre beaucoup, et les peines m’arrivent de tous les côtés. Demandez pour moi le courage et la résignation qui me sont nécessaires. Savez-vous que vous êtes un admirable homme de guerre ? Vos triomphes me réjouissent et me consolent. Cette chère petite église réparée, ornée, ces enfans habillés au nom du Pape, ces deux nouvelles écoles, sujet de terreur pour la république, qui croit voir le papisme tout entier sous les voûtes d’une chapelle, tout cela me fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Perge, c’est tout ce qu’on peut vous dire. Vous n’avez pas beaucoup de temps à perdre, selon les apparences, pour presser l’accomplissement des promesses qu’on vous a données et qu’on pourrait bien être peu disposé à tenir. Les cartes se brouillent terriblement ; ne vous endormez pas. J’ai une extrême envie de vous voir, ainsi que notre cher évêque de M… ; cependant je ne prévois pas qu’il me soit possible de faire le voyage que vous me proposez. Nos bons amis de la rue du Bac[61] me sollicitent aussi très vivement d’aller passer avec eux l’hiver à Turin, où ils ne tarderont pas à se rendre. Je ne leur dis pas non, quoiqu’il y ait des obstacles qui jusqu’à présent me paraissent invincibles. La comtesse Louise a été fort malade, et son pauvre père n’est pas bien non plus. Cela m’attriste, car je les aime bien tendrement. D’un autre côté, je tremble pour l’avenir de notre malheureuse Église. Nous marchons visiblement vers un schisme et vers une grande persécution. L’un et l’autre semblent inévitables. Je sais que l’on commence à entrevoir et à craindre là où l’on a été si longtemps et aveugle et tranquille ; mais on ne dit rien, mais on ne fait rien, et je ne conçois ni ce silence, ni cette inaction, ou plutôt je ne les conçois que trop. Parlez un peu, réveillez, s’il se peut, ces endormis. Ce qui se passe dans la Belgique est le modèle de ce qui se fera bientôt en France. Cela vaudrait bien la peine d’y songer.

Adieu, très cher ami, écrivez-moi plus souvent, et rappelez-moi au souvenir des personnes que j’ai connues chez vous, particulièrement de MM. les curés de Chêne et de Douvaine, et de MM. vos vicaires.

Vous pouvez faire acquitter soixante-douze messes. Mon frère vous dit mille choses tendres. Comment se porte la famille de Maistre ? Faites-y parvenir mes hommages, quand vous leur écrirez. Adieu encore une fois. Totus tuus in Xto.

F. M.


30 novembre 1825[62].

J’ai appris, mon cher ami, par l’abbé Botrel, votre arrivée dans notre sale et sotte capitale. Il me tarde d’apprendre le succès de votre voyage. J’y prends, je vous assure, plus d’intérêt qu’aux trois pour cent, et vous m’en croirez sans que je jure. Je regrette bien de n’avoir pu m’arranger pour vous voir et causer avec vous de ce qui se fait et de ce qui se prépare. Vous voyez et vous entendez de belles choses là où vous êtes, mais ce n’est rien près de ce qu’on verra et de ce qu’on entendra bientôt. Il se remue, n’en doutez pas, quelque chose de terrible au fond de cette boue du temps présent. Mais, pour en venir à mon affaire, je vous prie derechef de vouloir bien prendre à l’ambassade de Sardaigne quelques informations sur le paquet adressé à M. de Vignet, et que l’abbé Botrel y a porté lui-même. Ci-joint deux lettres pour l’Italie que je recommande à vos soins. Pardon de la peine que cela vous donnera, mais je ne sais à qui recourir.

Je vous ai fait adresser à Ferney un exemplaire du Catéchisme du sens commun. Il serait important de répandre cet excellent petit livre.

Courage ! la tempête augmente, malheur à ceux qui s’endormiront ! Réchauffez les tièdes, et croyez bien que je ne le serai jamais sur ce qui vous concerne.

Mon frère me charge de mille amitiés pour vous.


À la Chênaie, le 16 décembre 1825.

Je suis, mon cher et respectable ami, plus affligé que surpris du résultat de votre voyage. J’espère que la Providence viendra à votre secours. Si mon frère pouvait vous aider, il le ferait certainement avec une grande joie ; mais le zèle est bien affaibli. Il se trouve lui-même en des embarras pareils au vôtre. M. de Corbières lui a fait refuser cette année par les départemens de la Bretagne les légères allocations qu’il recevait d’eux chaque année. Le ministre a même poussé l’obligeance jusqu’à empêcher le payement d’une somme votée à Rennes l’an dernier, et portée dans le budget approuvé par lui. Voilà comment vont les choses, et que de détails du même genre je pourrais ajouter à ceux-ci !

Je pense tout à fait comme vous sur l’ouvrage de M. de Roux, qu’il m’avait communiqué en manuscrit. C’est faible, très faible, mais l’impression en sera bonne sur ceux qui le liront.

Ce que vous me dites, sur les pressantes invitations de nos amis de la rue du Bac, s’accorde parfaitement avec ma manière de voir ; et votre avis me confirme de plus en plus dans le mien. Malheureusement, les motifs de rester à mon poste me manquent moins aujourd’hui que jamais. Vous avez vu ces deux arrêts de la Cour royale, et les plaidoyers des avocats, et les articles peut-être plus odieux encore de Chateaubriand dans les Débats. Quel siècle ! et où allons-nous ? J’ai fait sur ces arrêts une petite brochure qu’on vous enverra[63]. J’y défends en passant le respectable M. Würtz si lâchement insulté par M. l’abbé Fayet dans une des extravagantes lettres qu’il a fait insérer dans la Quotidienne. Je travaille maintenant à la deuxième partie de la Religion considérée[64], etc. J’espère finir en deux mois ce dernier travail. J’ai cru qu’il fallait fermer les yeux à toute considération humaine, ne voir que Dieu, et dire toute la vérité, sans craindre ceux qui ne peuvent tuer que le corps. On me mande de Paris que la rage des ennemis de la religion est au comble. Leur triomphe politique qui ne saurait être fort éloigné, sera le signal d’une persécution ; les autres en préparent les voies, et tout sera mûr pour l’œuvre quand l’enfer donnera ses derniers ordres. Faites connaître ce qui se passe, car je doute fort qu’on le sache exactement. La faiblesse perd tout. On attend, on attend, et que vient-il ? nous le voyons. Oh ! si l’on savait user de sa force ! Mais j’en dirais trop là-dessus. Adieu, mon très cher ami, je vous embrasse ex toto corde et animo.

F. M.


Le cataclysme, que Lamennais ne cessait de prévoir et de prédire avec ce geste et cet accent de prophète qui lui sont si familiers, devait attendre quatre années encore avant d’éclater. Nous verrons à travers les lettres des deux amis, — on n’a conservé aucune lettre de M. Vuarin à Lamennais avant 1826, — la divergence croissante d’attitude que les événemens de 1830 vont finir par provoquer entre eux. Jusqu’ici, la communion d’idées et d’aspirations, la confiance et l’affection réciproques sont entières, et elles ne laissent pas, sous la plume de Lamennais, de revêtir une expression parfois bien touchante. Au fond, ce lutteur indomptable, ce polémiste exalté était un tendre. Léon XII l’avait bien jugé. Dans une des entrevues qu’il eût à Rome avec M. Vuarin, c’est au curé de Genève, précisément, qu’il dit cette curieuse parole qu’un ami de Lamennais, M. Houet, nous a heureusement conservée, et qui me paraît la vérité même : « C’est un homme qu’il faut conduire avec la main dans le cœur. »


VICTOR GIRAUD.

  1. Les lettres qu’on va lire m’ont été fort aimablement communiquées, avec toute sorte de renseignemens et de commentaires, par mon savant collègue à l’Université de Fribourg, M. l’abbé A. Roussel, dont on connaît les précieux travaux sur l’auteur des Paroles d’un croyant. Il a bien voulu, — et je lui en exprime ici toute ma gratitude, — me permettre d’utiliser et de présenter au public avant lui-même ces documens. Il possédait un certain nombre des réponses de M. Vuarin à Lamennais. Le détenteur actuel des papiers de M. Vuarin, Mgr Broquet, vicaire général de Genève, a mis à sa disposition avec une parfaite obligeance les lettres originales de Lamennais et la copie d’une longue lettre de Rosmini à Lamennais, dont on verra plus tard l’intérêt. Tous ces documens, on le voit, se rejoignent et se complètent les uns les autres.
  2. Histoire de M. Vuarin et du rétablissement du catholicisme à Genève, par MM. Martin et Fleury, 2 vol. in-8o ; Genève, Jaquemot, 1861.
  3. Ces papiers, dont la collection, si importante pour l’histoire de Genève, a été préparée par M. Vuarin lui-même, ne forme pas moins de 40 volumes in-quarto ou in-folio, de 400 ou 500 pages parfois, sans compter un très grand nombre de documens épars.
  4. La Correspondance de Joseph de Maistre avec M. Vuarin a été en partie publiée dans les Lettres et Opuscules inédits, puis dans les Œuvres complètes (édition de Lyon) du grand écrivain. M. Rouziès a publié dans la Revue de Fribourg de novembre 1904 des Lettres inédites de Bonald au curé de Genève.
  5. Sur la politique religieuse du roi de Prusse à cette époque et le rôle de Niebuhr, à Rome, voyez Georges Goyau, l’Allemagne religieuse : le Catholicisme Paris, Perrin, 1905), I, p. 144-150.
  6. On évalue a près d’un million le total des sommes que ce pauvre prêtre sut trouver pour sa paroisse et ses paroissiens.
  7. Le comte de Senfft-Pilsach (1777-1853), protestant converti, Saxon d’origine, l’un des correspondans les plus actifs de M. Vuarin et de Lamennais. Il occupa divers postes fort importans, d’abord au service de la Saxe, puis au service de l’Autriche, qu’il représenta tour à tour à Turin, Florence, la Haye et Munich. Il se convertit à l’Église romaine en 1819, durant un séjour assez prolongé qu’il faisait à Paris. Voyez Rosenthal, Konverlitenbilder, I, 2, p. 362-363. Les nombreuses lettres que Lamennais lui a adressées, ainsi qu’à Mme de Senfft, ont été publiées par Forgues.
  8. Le Conservateur venait d’être fondé, en 1818, contre le ministère Decazes. Dans un fragment récemment retrouvé, des Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand parle de ce journal en ces termes : « Son influence fut telle que son nom a survécu à son existence… À ces noms des maréchaux de la foi et des connétables, j’associais ceux des hommes les plus éclatans dans le parti royaliste et dans les lettres : M. de Villèle, de Corbières, M. de Castelbajac et M. de Vitrolles, M. l’abbé de Lamennais, M. de Bonald, et j’écrivais quelquefois sous mon nom ; le plus souvent, je signais : le Conservateur. »
  9. Lamennais a en effet publié en 1819 un volume de Mélanges, où il a recueilli un certain nombre d’articles qui n’ont pas été réimprimés dans toutes les éditions ultérieures de ses œuvres.
  10. Le premier volume de l’Essai avait été publié sous l’anonyme vers la fin de l’année 1817 ; le second volume a paru en 1820.
  11. Né à Rennes en 1760, l’abbé Carron mourut à Paris le 15 mars 1821. Il avait fondé, entre autres établissemens charitables, dans l’impasse des Feuillantines, un Institut des nobles Orphelines, où l’on recevait diverses catégories de pensionnaires. Ce fut lui, on le sait, qui acheva de déterminer Lamennais à entrer dans les ordres ; il lui avait cédé « un petit appartement » que Lamennais habitait, quand il était à Paris, depuis son ordination.
  12. Charles-Louis de Haller, né à Berne en 1768, d’une des premières familles de l’aristocratie bernoise, mort en 1854, était le petit-fils d’Albert de Haller, auteur de nombreux ouvrages scientifiques et littéraires qui lui avaient valu une réputation méritée. « Les derniers momens de cet aïeul, écrivait son petit-fils à M. Vuarin, le 5 mars 1821, avaient été troublés par le Joute et de cruelles inquiétudes, malgré sa belle âme, sa sainte vie et son humilité profondément religieuse. » Charles-Louis de Haller se convertit au catholicisme en 1821 : son abjuration fit grand bruit. Il était en relations avec M. Vuarin dès 1819, et l’influence du curé de Genève, celle aussi de Lamennais, Joseph de Maistre et Bonald, avec lesquels M. Vuarin le mit en rapports, paraissent bien n’avoir pas été étrangères à sa conversion. Il a écrit, entre autres ouvrages, un livre intitulé : Restauration de la Société politique, ou Théorie de l’état social naturel opposée à la fiction d’un état civil factice, dont le premier volume (en allemand) a paru en 1816. Au témoignage des biographes de l’abbé Vuarin (t. II, p. 422), c’est le curé de Genève qui l’a traduit en français (3 vol. in-8o, Lyon et Paris, 1824). C’est de cet ouvrage dont le seul titre rappelle déjà la Théorie du pouvoir, de Bonald, qu’il est ici question. Dans une des lettres de Bonald à M. Vuarin qu’a publiées M. Rouziès, on lit ceci : « Connaissez-vous M. de Haller, de Berne ? Il est des nôtres, au moins en politique, et vient de faire un ouvrage allemand dont je le remercie. La ligue des bons esprits de tous les pays est plus nécessaire que jamais. » Cf. du même la lettre à Joseph de Maistre, sous la date du 10 juillet 1819. — Voyez, sur Haller, Raemi de Bertigny, Notice sur la vie et les écrits de Charles-Louis de Haller (Fribourg, 1854).
  13. Peut-être s’agit-il ici de Gaudenz de Salis (1762-1834), ancien capitaine de la garde suisse au service de la France, et poète élégiaque à ses heures.
  14. Frédéric-Léopold, comte de Stolberg (1750-1819). Sa conversion en 1800 avait fait grand bruit. Voyez Georges Goyau, op. cit., I, p. 174, 183 et 274-283.
  15. M. Voullaire, jeune Genevois converti par M. Vuarin. Ce dernier s’intéressait beaucoup à lui, et lui laissa tous ses papiers.
  16. Jean-David Michaëlis, savant orientaliste et exégète allemand (1717-1191). Son Droit mosaïque a paru de 1770 à 1775.
  17. Probablement le savant hébraïsant allemand Jean-Ernest Faber (1745-1774).
  18. Libraire avec lequel Lamennais eut plus tard de très pénibles démêlés. Voyez à ce sujet Blaize, Œuvres inédites de Lamennais, t. II, p. 26 et suiv., et le livre récent de M. Charles Boutard, Lamennais, sa vie et ses doctrines, Paris, Perrin, 1905, p. 252 et suivantes.
  19. Lamennais a, comme on le sait, repris et achevé sa Défense de l’Essai sur l’indifférence, qu’il a publiée en 1821.
  20. L’abbé Breluque était un ancien directeur du séminaire de Besançon. Son dévouement à la cause « du trône et de l’autel » ne recula jamais, au dire de ses adversaires, devant aucune intrigue. Il avait joué un rôle actif pendant l’émigration.
  21. La Défense de l’Essai sur l’indifférence. Voyez dans l’appendice du livre de M. Boutard les trois Approbations (texte et traduction) données pour la Défense par des théologiens romains : le texte italien avait déjà été publié par M. l’abbé Roussel dans son Lamennais (t. I, p. 158-160).
  22. Voyez, dans Blaize, t. I, p. 405, la lettre que Lamennais écrivit à l’archevêque, sous la date du 8 novembre 1821.
  23. Le troisième volume de l’Essai n’a paru qu’en 1823.
  24. Mgr Yenni. Voyez plus haut.
  25. Il s’agit probablement ici de l’ouvrage du théologien protestant Krug, professeur à l’Université de Leipzig, traduit en français immédiatement après son apparition (Paris, Treuttel et Würtz, 1821) sous le titre : Critique de la lettre de M. de Haller à sa famille, concernant sa conversion à l’Église catholique.
  26. Né en 1770, l’abbé Picot fonda en 1814 l’Ami de la Religion et du Roi, qu’il rédigea jusqu’en 1840 ; à partir de 1830, le recueil parut sous le titre de l’Ami de la Religion. La question du gallicanisme ne tarda pas à brouiller Picot avec Lamennais, qui avait été l’un de ses collaborateurs. L’abbé Picot mourut en 1841.
  27. Le prince de Hohenlohe-Schillingfurst, grand-prieur de Gross-Varadin, en Hongrie, puis évêque in partibus de Sardique (1794-1849). Il passait pour thaumaturge. Il est à ce propos assez curieux d’observer l’attention toute spéciale que Lamennais prête alors à l’Allemagne contemporaine. Un peu plus tard, il voulait îonder une Œuvre des études allemandes qui eût facilité à de jeunes catholiques les moyens d’étudier à Munich. Voyez là-dessus d’intéressans détails dans le livre récent de M. Georges Goyau sur l’Allemagne catholique (t. II, p. 104-105).
  28. Joseph de Maistre était mort le 25 février précédent. Son livre du Pape avait paru en 1819. L’Église gallicane et les Soirées de Saint-Pétersbourg sont posthumes (1821). L’abbé Baston, dont les curieux Mémoires ont été publiés récemment par les soins de la Société d’histoire contemporaine (3 vol., 1897-1899), au lendemain même de la mort de l’illustre écrivain, publiait à Lyon contre lui un pamphlet sous ce titre : Réclamation pour l’Église de France et pour la vérité, suite de l’ouvrage de M. de Maistre intitulé : Du Pape et de sa suite.
  29. O’Mahony deviendra plus tard, en qualité de rédacteur de l’Invariable de Fribourg, l’un des adversaires les plus irréconciliables de Lamennais.
  30. Cette Réponse à un protestant a été reproduite dans les Seconds mélanges, de Lamennais (1826), et réimprimée au tome VIII, p. 76-84, de l’édition des Œuvres complètes de Lamennais (Cailleux, 1836-1837).
  31. Jean-Joseph Gœrres (1776-1848). La Mystique chrétienne (1836-1842) a été traduite en français en 1855 par Éloi Jourdain, dit Charles Sainte-Foi, un ancien disciple de Lamennais (1806-1861). Voyez, sur Gœrres, G. Goyau, l’Allemagne catholique, I, p. 316-366, et II, p. 56-114.
  32. Plus tard archevêque d’Aix (1773-1858). Il a aussi été très lié avec Joseph de Maistre.
  33. Il manque ici au témoignage des deux biographes de M. Vuarin (t. II, p. 343) un certain nombre de lettres de Lamennais. Celui-ci, au milieu de mars 1824, écrivait au curé de Genève, — c’est M. Vuarin qui cite ces lignes dans une de ses lettres : « Nous avons un besoin pressant de vous voir ; car il s’agit de grands intérêts, de la gloire de Dieu et du bien de son Église, qui demandent impérieusement votre présence ici. » On ne sait ce que Lamennais entendait par ces paroles mystérieuses.
  34. Dans l’intervalle de ces deux lettres, vers la fin de mars 1824, l’abbé Vuarin était venu à Paris, et il y avait vu pour la première fois Lamennais à la Grande-Aumônerie. Les deux amis s’étaient concertés pour faire ensemble le voyage de Rome. M. Vuarin retourna à Genève, où Lamennais le rejoignit ; il y était au début d’avril, comme nous l’apprend une lettre datée du 5 avril et adressée de Genève à Benoît d’Azy. (A. Laveille, Un Lamennais inconnu, p. 179-180.) Le 25 avril, il écrivait à son frère : « M. Vuarin est toujours pressé à cause de. ses affaires. Je ne le vois qu’à table quand il s’y met, et là même il est si préoccupé qu’il n’y a point, à vrai dire, de conversation. Enfin, dans ma chambre par le mauvais temps, ne voyant personne, je m’ennuie plus que de mesure. » (Blaize, Œuvres inédites, t. I, p. 443.) Deux autres lettres, l’une à Benoit d’Azy, du 25 avril, l’autre à Mlle de Lucinière, du 15 mai, nous le montrent peu épris de Genève et des beautés du paysage : « Je vous demande un peu la belle merveille qu’un rocher pointu avec de la neige dessus. J’aime mieux mes tisons. » Ce fut d’ailleurs à Genève qu’il composa un certain nombre de ses Réflexions sur l’Imitation. Les deux amis partirent pour Rome le 2 juin ; ils y arrivèrent le 27 du même mois. Lamennais écrivait à son frère sous la date du 16 juillet : « Le Saint-Père que j’ai vu deux fois et qui m’a comblé de bontés veut me revoir encore pour causer, m’a-t-il dit, plus à loisir. Ainsi il faut que j’attende ses ordres. » Mais il s’ennuyait à Rome comme à Genève, et, tandis que son compagnon de voyage prolongeait son séjour dans la « Ville éternelle, » il faisait une excursion à Naples, et il était de retour à Paris le 1er octobre.
  35. Le prince de Croy, archevêque de Rouen et Grand-Aumônier, avait pris l’abbé Jean de Lamennais comme vicaire général. Les deux frères avaient un appartement à l’hôtel de la Grande-Aumônerie, 2, rue de Bourbon. L’abbé Jean ayant combattu en 1824 le candidat ministériel à Saint-Brieuc, dut se démettre de ses fonctions de vicaire général, et il fut invité, ainsi que « Féli, » à ne plus jamais remettre les pieds chez Mgr de Croy. Voyez, à ce sujet, Blaize, t. II, p. 33 et 24. Né en 1773, le cardinal de Croy mourut en 1844.
  36. Les Frères de l’Instruction chrétienne, dont l’Institut avait été fondé par l’abbé Jean à Ploërmel.
  37. La Harpe, incarcéré an Luxembourg avec la comtesse Stanislas de Clermont-Tonnerre, depuis remariée au marquis de Talaru, s’était brusquement converti, et les témoignages les plus autorisés attribuent cette conversion à l’influence de Mme de Clermont-Tonnerre. « Elle avait, en prison, converti M. de La Harpe, » nous dit Chateaubriand dans ses Mémoires (éd. Biré, t. II, p. 308) ; voyez aussi la Vie de M. Emery, par l’abbé Gosselin (t. I, p. 130).
  38. L’archevêque de Lyon, à cette époque, était toujours le cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon, qui vivait à Rome, depuis la chute de l’Empire, et ne consentit jamais à donner sa démission.
  39. Évidente allusion à la résistance qu’opposait Mgr Yenni aux projets de M. Vuarin touchant la reconstitution de l’évêché de Genève.
  40. Il s’agit ici de Saint-Victor.
  41. Frayssinous (1765-1842), qui dirigea les affaires ecclésiastiques de 1824 à 1828.
  42. Le comte de Corbières (1766-1853) était alors ministre de l’Intérieur.
  43. L’abbé Gerbet (1798-1864), sur lequel Sainte-Beuve a écrit un si joli article (Lundis, t. VI), fut l’un des disciples de la première heure de Lamennais. Il devint en 1853 évêque de Perpignan.
  44. Missionnaire connu pour son zèle et ses excentricités. Cf., dans Forgues, la lettre à Mlle de Lucinière du 12 novembre.
  45. Né en 1798, M. de Salinis, après avoir exercé les fonctions d’aumônier au lycée Henri IV, contribua à rétablir le collège de Juilly où il appela plusieurs disciples de Lamennais comme professeurs. Nommé en 1847 à l’évêché d’Amiens, il fut transféré en 1856 à l’archevêché d’Auch.
  46. M. de Lesquen (1770-1855) avait fait partie de l’armée de Condé. Après la Révolution, il se fit prêtre, et fut promu en 1823 à l’évêché de Beauvais, puis, en 1825, à celui de Rennes. Il démissionna en 1841. Lamennais fut son diocésain quelque temps, La Chênaie faisant partie du diocèse de Rennes.
  47. M. Feutrier (1785-1838), le futur auteur des fameuses ordonnances du 16 juin 1828, qui limitaient le nombre des élèves dans les petits séminaires et fermaient les écoles des Jésuites.
  48. Frayssinous.
  49. M. Vuarin se rendit à ce désir. Lamennais constate sa présence à Paris dans une lettre à l’abbé Gerbet, du 11 mai 1825 (Blaize, t. II, p. 28).
  50. L’archevêque in partibus d’Amasie, Mgr de Pins, administrait le diocèse de Lyon, en l’absence du cardinal Fesch.
  51. Eugène Boré, disciple de Lamennais (1809-1870). Il fonda des écoles en Orient, et mourut supérieur général des Lazaristes.
  52. Grand référendaire de la Chambre des pairs, le marquis de Semonville (1759-1839) fut remplacé en 1834 par le duc Decazes.
  53. Mgr de Quélen (1778-1839), qui joua un certain rôle dans la condamnation des doctrines menaisiennes.
  54. Tous ces hommes politiques, et Guizot surtout, figureront plus tard dans la virulente satire que Lamennais, en 1843, publiera sous le titre d’Amschaspands et Darvands. Déjà, à cette époque, il les considérait comme autant de Darvands, ou génies malfaisans.
  55. Il doit s’agir ici de la cérémonie du 29 janvier 1825, dans laquelle M. Vuarin présenta à ses paroissiens vingt-quatre enfans ; habillés par les libéralités de Léon XII.
  56. L’archevêque de Gênes, Mgr Lambruschini, qui fut nonce à Paris et devint cardinal.
  57. L’abbé Botrel servait d’intermédiaire à Lamennais et à ses correspondans. Il était attaché à la Grande Aumônerie : de là le cachet que l’on trouve sur l’original de cette lettre et sur plusieurs autres.
  58. Attaché à l’ambassade de Sardaigne à Paris.
  59. . C’est un excellent petit livre. J’avais oublié de répondre à ce que vous me demandiez Un des disciples et collaborateurs de Lamennais (1789-1856), auteur d’une volumineuse et assez médiocre Histoire de l’Église.
  60. Antoine Madrolle (1792-1861), collaborateur du Conservateur et de la Gazette de France. Il écrivit de bonne heure et longtemps contre Lamennais. Catholique fougueux jusqu’alors, il fit volte-face en 1848 et s’attacha aux doctrines, ainsi qu’à la personne de Michel Vintras, en faveur de qui il rédigea l’Almanach de Dieu.
  61. La famille de Senfft. La comtesse Louise était la fille de M. de Senfft. Elle s’était en 1819 convertie au catholicisme en même temps que son père et sa mère. Voyez Rosenthal, Konvertitenbilder, I, II ; p. 363.
  62. Lamennais était encore à la Chênaie.
  63. Quelques réflexions sur le procès du Constitutionnel et du Courrier.
  64. La deuxième partie du livre de La Religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil parut à la fin de février 1826. Frayssinous disait de cet ouvrage : « Il est effrayant de talent, » et Charles X ajoutait en parlant de l’auteur : « L’abbé de Lamennais est un excellent prêtre et un homme de génie, mais je crains bien qu’il ne se fasse des affaires avec les tribunaux. » (Cf. Blaize, t. II, p. 32.) La publication de ce livre donna lieu en effet à des poursuites judiciaires, et, le 22 avril, Lamennais, malgré la vigoureuse défense de Berryer, son avocat, se vit condamné à 30 francs d’amende et aux dépens ; son livre fut envoyé au pilon. Le grief qu’on imputait était « une attaque directe et formelle à la Déclaration de 1682. » Lamennais écrivait, le 12 mars 1826, à la comtesse de Senfft, au sujet de cet ouvrage : « J’ai taché de dire la vérité, et toute la vérité. »