Une Mission internationale dans la Lune/11

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Éditions Jules Tallandier (p. 89-91).

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UN VÉGÉTAL LUNAIRE

Le soleil planait maintenant sur les montagnes, s’élevant obliquement vers le sud.

On distinguait très nettement, sur la partie éclairée du cirque, les traînées blanchâtres que tous les observateurs ont remarquées dans la plaine centrale de Platon au lever du jour. C’est seulement quand le soleil est déjà très haut, vers le sixième jour de la lunaison, que le fond commence à s’assombrir ; il est presque noir à l’époque de la pleine lune, si bien que les anciens astronomes l’avaient appelé le Lac Noir.

— Maintenant, nous pourrions essayer de descendre, proposa Galston. Je pense que nous trouverons un chemin sans trop de peine.

La descente fut encore plus impressionnante que la montée, car de ce côté, le versant était plus raide, et, si la partie éboulée n’avait formé un immense talus contre la falaise, les explorateurs auraient eu bien du mal à atteindre leur but. Mais, grâce à ce talus, d’ailleurs assez accidenté, ils dévalèrent du haut de la montagne en bondissant de roc en roc, sautant parfois de 10 ou 12 mètres de haut à une distance de 20 à 25 mètres. Ils étaient grisés par le sentiment de leur légèreté et Galston, qui gardait le mieux son sang-froid, dut rappeler ses compagnons à la prudence.

Enfin, on touchait la plaine, au pied de la falaise, pâle et nuancée comme du marbre qui, sauf dans les parties effondrées, s’élevait par ressauts en formant une série de gradins gigantesques. Et toujours, derrière les crêtes éclatantes, se développait le ciel noir étoilé.

Brifaut s’était baissé et grattait une tache sombre du bout de son gantelet. Il en détachait une masse grise, fibreuse, qui avait à peu près la consistance de l’amadou.

Les autres s’approchèrent pour regarder, puis les explorateurs se mirent en communication téléphonique.

— Un végétal lunaire ! dit Lang.

— Une sorte de champignon ou de lichen, dit Brifaut.

— Ce doit être un morceau mort ou à l’état de vie ralentie, déclara Galston.

Brifaut introduisit par les soupapes dans son scaphandre, pour le conserver et l’étudier à loisir, ce témoin irrécusable d’une vie au moins végétale à la surface de la lune.

Cette matière feutrée s’étalait en maint endroit sur le sol, mais elle laissait aussi de larges espaces découverts. Elle ne proliférait sans doute qu’au moment de la grande chaleur et envahissait alors les régions pierreuses, de nuance pâle.

Les explorateurs étaient enchantés de leur découverte.

L’horizon s’était tellement rétréci pour eux, qu’ils n’apercevaient plus l’enceinte du cirque, sauf vers l’est, à l’endroit où ils étaient descendus et où ils la touchaient pour ainsi dire.

S’orientant d’après la terre, ils se mirent à la recherche de la brèche par laquelle ils devaient rejoindre le Selenit. Ils la découvrirent et la franchirent sans trop de difficulté. Ils trouvèrent la nef, exacte au lieu fixé pour le rendez-vous.

Ils étaient restés environ trente heures partis et, pendant tout ce temps, ils avaient dû manger, respirer, dormir sans sortir de leur scaphandre. Aussi furent-ils contents de pouvoir enfin se libérer de leur carapace.

Tout s’était bien passé en leur absence à bord du Selenit. Scherrebek et ses compagnons avaient assisté au lever du soleil sur la mer des Pluies et avaient eu le temps de se livrer à quelques expériences. Ils étaient sortis en scaphandre, munis de divers appareils de mesure. Ils avaient constaté qu’il régnait à la surface de la lune une atmosphère extrêmement rare dont la pression ne faisait même pas équilibre à un millimètre de mercure, alors que, sur la terre, il faut une colonne de 760 millimètres de mercure pour compenser la pression de l’air. Elle paraissait composée surtout de gaz carbonique, corps aux dépens duquel une végétation peut se développer.

Un thermomètre exposé en plein soleil était monté jusqu’à 70°. Abrité des rayons directs et tourné vers une surface réfléchissante éclairée en plein, et située à 10 mètres de distance, il avait marqué un maximum de 12 degrés. Tourné vers l’ombre, il était descendu fort au-dessous de zéro et Scherrebek avait dû le reprendre pour l’empêcher de geler. Comme il était à prévoir, la température des objets à la surface de la lune ne dépendait absolument que de l’intensité du rayonnement calorifique auquel ils étaient soumis.

Scherrebek avait calculé avec Garrick que le Selenit pouvait, sans user une trop grande quantité d’explosif, parcourir environ 600 kilomètres à la surface de la lune, ce qui représentait à peu près la traversée de la mer des Pluies. Ils avaient établi d’après cela un programme d’exploration qui permettrait de visiter les Alpes avec leur Grande Vallée, au nord-ouest de la mer des Pluies ; les trois cirques remarquables, Aristillus, Autolycus et Archimède, à l’ouest ; la chaîne des Apennins, la plus importante de la lune, au sud-ouest ; puis le cirque d’Ératosthènes et enfin, si nul accident ne venait déranger les prévisions, Copernic, le roi des montagnes annulaires, avec son auréole de bandes rayonnantes.