Une de perdue, deux de trouvées/Tome II/37

La bibliothèque libre.
Eusèbe Sénécal, Imprimeur-éditeur (IIp. 152-165).

CHAPITRE XXXVII.

le bal du gouverneur.


Le jour du grand bal, que donnait le Gouverneur, était enfin arrivé. Des cartes d’invitation avaient été distribuées avec profusion, depuis plus de quinze jours. Lord Gosford, qui voulait faire un dernier effort pour se rendre tous les partis favorables, avait invité un grand nombre des notabilités canadiennes des campagnes.

La résidence du Gouverneur avait été décorée à neuf, à l’intérieur ; la salle de danse avait été agrandie et étincellait à la lumière de mille bougies. Tous les salons étaient brillamment illuminés. Une foule assez considérable était déjà arrivée. Dix heures venaient de sonner, et une longue file de voitures semblait stationner à la porte, quoiqu’elles se succédassent avec rapidité, les unes prenant la place de celles qui partaient.

La musique du régiment en garnison dans la ville, préludait à un quadrille, quand le Gouverneur entra dans la salle de danse, ayant à son bras une jeune fille à laquelle il paraissait témoigner beaucoup d’affection. Il salua à droite et à gauche plusieurs personnes qu’il n’avait pas encore vues, et se dirigea vers le fond de la salle, où il venait d’apercevoir Madame de St. Dizier.

— Je vous cherchais, Madame, lui dit-il, pour vous confier pour la soirée, ma petite cousine, qui vient avec son père passer quelques mois avec nous. Elle est étrangère en ce pays, n’étant arrivée que de ce matin ; je désirerais lui faire faire la connaissance des bonnes familles canadiennes. Elle parle le français comme une petite parisienne. J’espère que vous voudrez bien la prendre sous votre protection. Et vous, dit-il, en s’adressant aux demoiselles de St. Dizier qui étaient près de leur mère, vous ne lui refuserez pas votre amitié, n’est-ce pas ? nous sommes, presque de vieilles connaissances, votre mère et moi, quoique depuis quelque temps elle néglige de nous visiter ; je voudrais que Clarisse et vous, fussiez bonnes amies.

Madame de St. Dizier prit affectueusement la main de la jeune étrangère, et la fit asseoir entre elle et Hermine.

— Maintenant, dit Lord Gosford en se penchant vers celle qu’il avait amenée à Madame de St. Dizier, je vais aller prévenir quelqu’un, que j’ai aperçu au moment de ton entrée dans la salle ; il est bien loin, ma chère, de s’attendre à te voir ici ce soir.

— Quelle est cette personne, Milord, demanda Clarisse.

— Ah ! c’est une surprise que je veux vous faire à tous deux. Il croit que ton père est repassé en Angleterre depuis longtemps avec toi ; et tu ne t’attends guère, j’en suis sûr, à le rencontrer ici. Je vais bientôt te l’envoyer.

Lord Gosford n’eut pas plutôt passé dans le salon voisin, que la musique, qui avait été un instant interrompue, donna le signal d’un quadrille. Toutes les places furent bientôt prises. Mademoiselle Asile dansait en face de sa mère, d’où elle pouvait facilement examiner les traits et l’expression de la physionomie de la jeune personne que Lord Gosford leur avait présentée. Hermine était demeurée auprès de Clarisse, qu’elle examina avec intérêt pendant qu’elle parlait à sa mère. Le caractère de Clarisse et celui d’Hermine se ressemblaient trop, pour qu’elles ne devinssent pas bientôt amies.

— C’est, sans doute, la première fois que vous venezven Cauada ? lui demanda t-elle.

— Oui, Mademoiselle.

— Vous êtes venue dans la plus mauvaise saison de l’année, reprit Madame de St. Dizier ; nous entrons dans l’automne avec ses vents froids et ses pluies désagréables ; vous ne vous amuserez pas beaucoup.

— Il fait pourtant assez beau aujourd’hui, un peu frais, c’est vrai ; mais j’aime bien ce temps-là. Mon père eut cependant désiré venir plus tôt, mais ayant été retenu plus longtemps qu’il ne pensait dans la Caroline du Sud, ainsi que dans la Virginie, il fallait bien venir dans cette saison, car il tenait à voir Milord avant de retourner en Angleterre.

— Pensez-vous rester quelque temps en Canada ?

— Mon père se propose de retourner en Angleterre avant l’hiver.

— Je crains que vous ne vous ennuyiez ici ; l’hiver ne sera pas gaie, si l’on en juge par les nouvelles qui arrivent aujourd’ui même de Montréal. On parle d’une assemblée révolutionnaire qui a eu lieu lundi, dans la paroisse St. Charles, sur la rivière Chambly.

— Voilà son Excellence, maman, dit Hermine en se penchant.

— M. de St. Luc ! dit Clarisse en laissant échapper un petit cri de surprise et pâlissant un peu.

Hermine, qui avait entendu le cri de surprise et remarqué le changement de couleur de Clarisse, prit la main de la jeune fille et lui demanda avec intérêt ce qu’elle avait.

— Rien, dit-elle, en se remettant, je ne m’attendais pas à le voir ici.

— Vous le connaissez donc ?

— Très-bien ; nous avons voyagé ensemble. Mais voilà Milord.

— Je n’ai pas voulu, Madame, laisser à d’autres le plaisir de vous présenter M. de St. Luc, un des bons amis de mon cousin, Sir Arthur, dit à Madame de St. Dizier Lord Gosford : comme j’espère avoir le plaisir de vous voir souvent avec vos jeunes filles, et que M. de St. Luc sera presque un des membres de la famille, je suis bien aise qu’il puisse faire ce soir votre connaissance, et, par votre entremise, celle des dames canadiennes que vous connaissez. Ma petite cousine est déjà son amie ; quant à Mademoiselle Hermine, ce sera à lui à gagner son amitié. Vous le présenterez à votre sœur, n’est-ce pas, mademoiselle ? J’espère que vous m’aiderez à le garder aussi longtemps que possible parmi nous, car il parle déjà de partir.

— Vous me faites beaucoup d’honneur, Milord, répondit Madame de St. Dizier ; je tâcherai de m’acquitter, du mieux qu’il me sera possible, de la double charge que vous me confiez.

— Je n’attendais pas moins de votre bonté — puis, se tournant du côté de M. de St. Luc, Lord Gosford lui dit :

— Maintenant que vous êtes entre bonnes mains, je vous quitte pour aller rejoindre Sir Arthur, qui sera content de vous voir ; mais ne vous pressez pas.

— Madame est trop bienveillante, dit St. Luc en faisant un salut respectueux ; je crains qu’elle n’ait un bien mauvais élève à guider. Demandez à Mademoiselle Clarisse, combien peu je suis aimable et galant.

— Je pourrais mal vous juger, Monsieur ; et d’ailleurs, ajouta Clarisse, d’un ton moitié hésitant moitié badin, depuis un an vous avez pu changer.

Hermine, qui ne put s’empêcher de sourire, regarda M. de St. Luc dont les traits exprimaient la satisfaction et la joie.

— Oh ! je n’ai pas changé, Miss Clarisse ; je suis toujours le même, un rude marin qui ne s’est pas encoro poli au contact du beau monde ; qui parle comme il pense, et souvent ne pense pas comme les autres, et qui aurait besoin d’une main charitable et amie, pour le conduire à travers tous les écueils et ios difficultés d’une sociélé peut-être exigeante et difficile.

— oh ! M. de St. Luc, dit Hermine, vous ne trouvèrez pas la société canadienne exigeante ni difficile. Je sais aussi que vous n’aurez pas beaucoup de peine à trouver de ces mains amies dont vous parlez. J’ai même appris qu’il s’était formé une ligue dans cette intention à Montréal.

— Pour ou contre moi ? demanda St. Luc en riant.

— C’est un secret ; et ce n’est pas le mien seul.

En ce moment un aide-de-camp du Gouverneur vint prier Miss Gosford de lui faire l’honneur de danser avec lui la prochaine danse, qui devait être une valse.

— Valsez-vous ? demanda St. Luc à Mademoiselle Hermine.

— Non, Monsieur.

— Alors me permettriez-vous de vous offrir le bras pour aller prendre quelque rafraîchissement.

Hermine jeta un coup d’œil à sa mère, qui lui fit signe d’accepter.

— Vous voyez, Madame, que je vous enlève votre fille.

— J’espère qu’elle est sous bonne garde, répondit Madame de St. Dizier, réprimant avec peine un soupir.

— Mais où est donc votre sœur ? dit St. Luc avant d’entrer dans le salon voisin, et s’arrêtant pour regarder les danseuses.

— C’est elle qui danse de l’autre côté de la salle, vis-à-vis l’endroit où nous étions, St. Luc suivit quelques instants des yeux la dernière figure du quadrille qui achevait, puis se tournant vers celle dont le bras s’appuyait au sien, il lui dit eu la regardant attentivement :

— Si elle n’était pas votre sœur et si elle ne vous ressemblait pas autant, je dirais qu’elle est bien belle et bien jolie.

Hermine, qui avait baissé les yeux sous le regard de St Luc, se remit aussitôt et répondit d’un ton enjoué :

— Vraiment, M. de St. Luc, je ne croirai plus à votre franchise ; vous veniez de nous dire que vous ne disiez que ce que vous pensiez.

— Et c’est pour cela que je vous le dis. Ne me croyez-vous pas ?

— Mais pas du tout, quant au compliment que vous venez de faire ; je vois que pour un marin, vous savez aussi flatter. Les hommes sont tous comme cela, c’est un sentiment inné chez eux.

— Pour l’appréciation du beau et du bien.

Le quadrille était terminé, et la foule, qui gagnait dans le salon des rafraîchissements, y entraîna St. Luc. Après avoir conduit Hermine dans un vis-à-vis, espèce de double fauteuil fait en forme d’un S, nouvellement en usage, il lui apporta une glace à la vanille, et s’assit près d’elle. Il se plaisait à la conversation vive et brillante de sa jeune compatriote, dont il admirait l’esprit en méme temps que la naïveté. La temps passait rapidement pour tous deux, quand Hermine aperçut Asile qui venait au devant d’elle.

— Voici ma sœur, dit-elle, je crois qu’elle me cherche. En effet elle la cherchait, pour lui annoncer que sa mère se sentait indisposée et désirait s’en aller. St. Luc offrit le bras aux deux sœurs et les conduisit auprès de leur mère, qui bientôt après partit avec ses deux enfants.

St. Luc chercha alors Sir Arthur, qu’il trouva avec Lord Gosford. Le Gouverneur tenait à la main une lettre qui venait de lui être remise et parlait avec animation. L’endroit où ils étaient formait une espèce de petit cabinet de travail ; une table, trois à quatre fauteuils à fonds de jonc, quelques livres sur des rayons et une carte du Canada, appendue à l’un des côtés de l’appartement, en composaient tout l’ameublement.

St. Luc crut devoir se retirer pour ne pas troubler leur entretien ; mais le Gouverneur l’ayant aperçu le rappela en lui disant :

— Venez, M. de St. Luc, vous n’êtes pas de trop ; mon cousin désire vous voir ; et j’aimerais à avoir votre opinion sur des nouvelles sérieuses, qui me parviennent à l’instant de Montréal.

Sir Arthur aimait véritablement M. de St. Luc, et avait fait à Lord Gosford les plus grands compliments de sa bravoure, sa prudence et sa discrétion.

Après quelques paroles d’amitié échangées entre Sir Arthur et M. de St. Luc, le Gouverneur reprit :

— Oui, M. de St. Luc, vous n’êtes pas de trop pour connaître les graves nouvelles que je viens de recevoir dans une dépêche que le commandant des forces à Montréal m’a envoyée. Il paraît qu’il y a eu avant hier, le 23, une assemblée de cinq comtés, où les résolutions les plus révolutionnaires ont été proposées et adoptées. Toute la population de la rivière Chambly est en armes. Des sociétés secrètes se forment, Je crains des-troubles sérieux ; quoique je n’ajoute pas une foi entière à tous ces rapports que je crois exagérés. Vous, M. de St. Luc, qui avez eu occasion tout dernièrement de visiter les paroisses de St. Ours et St. Denis, vous pouvez me donner quelques renseignements précis. Vous avez vu plusieurs habitants des plus influents de ces endroits, n’est-ce pas ? Que pensez-vous de leurs dispositions ?

— Vous me faites beaucoup d’honneur, Milord, de me demander ainsi mon opinion. Je suis étranger ici, à peine arrivé depuis six semaines ; et je ne suis guère capable de formuler une exacte idée de la situation.

— Mais enfin, vous avez passé presque tout votre temps avec des Canadiens, à Montréal et dans les campagnes ; vous me dites que vous êtes intime avec Rodolphe DesRivières, le Dr. Gauvin, André Ouimet, Edouard Rodier, et plusieurs autres jeunes gens de Montréal ; vous avez vu plusieurs fois l’honorable Louis Joseph Papineau, le Dr. Kimber, M. Drolet et les autres chefs du parti, qui s’appelle patriote. Croyez-vous que sincèrement ils aient l’intention de faire une révolution ?

— Milord, j’ai eu occasion, il est vrai, de voir ces personnes, souvent même ; mais je vous assure que loin d’avoir chez eux découvert aucune idée de révolution, je crois qu’ils ne pensent qu’à faire une pure agitation politique dans les limites de la légalité, pour attirer l’attention de l’Angleterre sur la situation du pays.

— Mais, cette société des Fils de la liberté, formée à Montréal, — n’avez-vous pas lu son adresse du 4 courant ? C’est un véritable manifeste rebelle ?

— J’ai lu cette adresse, Milord ; j’en ai parlé à quelques-uns des signataires que je connais. Ce sont tous des gens de cœur et de courage, qui ne peuvent avoir eu la moindre pensée révolutionnaire en la signant. Cette adresse, écrite par une personne étrangère au pays et dont le nom ne figure pas au nombre des signatures, leur a été présentée dans une réunion et lue à la hâte. Tous ceux qui étaient présents la signèrent parce qu’ils n’y voyaient qu’un appel au peuple pour demander le redressement des griefs qui y sont énumérés ; et surtout une invitation aux jeunes Canadiens de Montréal de s’organiser pour résister au Doric Club. Vous ne voyez en effet, que des noms de jeunes gens de 18 à 20 ans sur cette adresse.

— Mais pensez-vous que M. André Ouimet, président de cette société, M. George de Boucherville, secrétaire-correspondant, M. J. L. Beaudry, et les autres principaux, n’ont pas mis la main à la rédaction de ce manifeste ?

— Je suis à peu près sûr que non ; je le leur ai entendu dire à eux-mêmes, et je les crois. L’adresse leur fut lue en anglais et ils la signèrent de confiance, sans avoir trop fait attention à ce qu’elle pouvait comporter d’illégal et de compromettant ; comme leur principal but est de s’organiser contre le Doric Club, leur plus grand désir est de le rencontrer, et d’en venir aux mains avec les membres de ce club, qui les menacent par des affiches anonymes. Ils n’attaqueront pas le Doric Club, car ils désirent se tenir dans les bornes de la légalité ; mais ils les recevront rudement si ces derniers les attaquent, comme ils se vantent qu’ils le feront.

— Vous croyez que les Fils de la liberté n’ont pas d’autres desseins ?

— J’en suis certain. Ils se rassemblent régulièrement tous les lundis ; jusqu’ici il n’y a rien eu d’illégal dans leurs assemblées ; il n’y a eu aucun trouble, aucun désordre. Laissez-les faire, et vous verrez qu’avant peu la société se dissoudra d’elle-même.

— Mais pourquoi se sont-ils organisés en divisions militaires ?

— Mille pardons, Milord ; on vous a mal renseigné, leur organisation ne comporte nullement des divisions militaires ; ce sont des sections locales, comme la section du faubourg Québec, du faubourg St. Laurent, St. Antoine, de la ville, afin de pouvoir avoir des assemblées particulières dans chacun de leurs quartiers, sans besoin de convocation générale. Mais tout cela, croyez-le, est tout autant pour le plaisir de la chose que pour celui qu’ils se promettent de bien rosser le Doric Club, s’ils le peuvent. Que voulez-vous que mille ou douze cents jeunes gens, presque des enfants, fassent sans armes dans une ville comme Montréal, quand même ils auraient des intentions mauvaises, ce qu’ils n’ont pas ?

— C’est assez mon opinion, reprit Lord Gosford après un instant de réflexion, mais ceux qui me conseillent sont d’une idée différente. Ils considèrent que Papineau tend à révolutionner le pays ; et ce qui les porte à la croire c’est la conduite de la Chambre d’Assemblée. J’ai voulu essayer la conciliation, eh ! bien, vous connaissez leur réponse fière et arrogante.

— Ceux qui vous conseillent, Milord, excusez-moi si je prends la liberté de vous parler franchement… — Parlez, parlez, M. de St. Lue, j’aime à vous entendre dire ce que vous pensez ; au moins vous, vous n’êtes pas mû par des sentiments d’hostilité politique ou de races.

— Milord, c’est justement parceque je suis étranger à tous les sentiments qui, dans ce pays, semblent exciter une partie de la population contre l’autre, que je pense pouvoir juger les choses sans passion. Vous venez de le dire, Milord, les sentiments d’hostilité, soit d’origine soit politique ou autres, faussent les idées.

— Ce n’est malheureusement que trop vrai.

— Eh ! bien, Milord, quels sont ceux qui vous entourent, quels sont ceux qui assistent à vos conseils ? Des hommes hostiles aux Canadiens, qui ont intérêt à les calomnier, qui cherchent à les pousser à des actes de résistance qu’ils convertiront ensuite en actes de trahison, afin de les rendre criminels à vos yeux et aux yeux des autorités en Angleterre.

— Vous pensez donc que les Canadiens ne songent point à se révolter, reprit Son Excellence, qui décidément paraissait partager l’opinion contraire.

— S’ils songeaient à se révolter, Milord, répondit de St Luc avec animation, vous verriez des organisations partout ; ils achèteraient des armes, et ils n’en ont pas. J’ai un peu visité les campagnes, avec ce M. DesRivières dont vous venez de parler ; or, nous n’avons ni vu ni entendu rien pût donner à soupçonner que l’on songeât, le moins du monde, à un soulèvement quelconque. J’ai assisté à quelques-unes des réunions locales des Fils de la liberté, et je n’ai rien entendu de révolutionnaire. Toutes leurs dispositions, tous leurs discours tendaient à préparer quelques bonnes raclées aux membres du Doric Club et aux L. P. S.

— Mais la Chambre d’Assemblée ?

— Il m’est tout à fait impossible, Milord, de me former une opinion sur une question d’une aussi haute importance, et dans laquelle Votre Excellence est bien meilleur juge que moi, pourvu qu’elle ne juge que d’après elle-même et non d’après ceux qui l’entourent. Mais veuillez, je vous conjure, ne pas oublier une chose, Milord ; c’est que le peuple qui ne voulut pas se joindre aux colonies anglaises révoltées, et qui préféra rester soumis à la Grande Bretagne ; le peuple qui marcha joyeusement aux frontières en 1812, et versa son sang à Châteaugay et ailleurs pour défendre le drapeau anglais, ne doit pas légèrement être traité de rebelle. Si cette colonie eut été anglaise en 1775, elle se fut révoltée. Milord, votre esprit et votre jugement, doivent vous faire apprécier les raisons qui m’ont fait parler avec un peu de chaleur peut-être, mais avec franchise et avec conviction.

— Merci, M. de St. Luc, je réfléchirai à ce que vous venez de me dire.

Le Procureur-Général Ogden, ôtait venu demander au gouverneur un moment d’entretien. Sir Arthur prit le bas de St. Luc, et passa avec lui dans la salle de danse.

— Le gouverneur est un excellent homme, dit Sir Arthur à St. Luc, mais il est faible. S’il était laissé à lui-même, il donnerait droit à la Chambre d’Assemblée. Son entourage d’ici et ses instructions d’Angleterre le mettent dans une fausse position, qu’il comprend bien, mais dont il n’a pas l’énergie de se tirer. Il m’a dit qu’il allait solliciter son rappel.

— C’est un malheur. J’espère néanmoins qu’il n’y aura pas de troubles.

— C’est à souhaiter.

Sir Arthur et St. Luc s’arrêtèrent pour regarder danser un cotillon, cette danse vire et joyeuse, dont l’entrain et la gaieté les charmèrent.

L’heure était avancée quand St. Luc retourna à son hôtel, heureux de sa soirée, et l’esprit rempli de tout ce qu’il venait de voir et d’entendre.