Une fête arabe chez Pierre Loti
Une fête arabe chez M. Pierre Loti.
a belle fête moyen âge, donnée il y a deux ans
à Rochefort, dans l’hôtel du jeune et célèbre
écrivain, avait déjà fourni au Monde Illustré
plusieurs illustrations fort curieuses.
Elles auront un digne pendant aujourd’hui, avec le
dessin de M. Adrien Marie, qui a eu la bonne fortune
d’assister à la fête arabe, offerte tout dernièrement
par M. Pierre Loti, à quelques invités de choix.
On sait que l’auteur des Pêcheurs d’Islande a fait récemment une excursion au Maroc. Il a rapporté de merveilleux souvenirs de ce pays ensoleillé, et, avec le goût original qui le caractérise, il a transformé une partie de son habitation en palais oriental. C’est d’abord une salle fidèlement copiée sur l’Alhambra, ou l’on admire des faïences, des tentures, des panoplies superbes. Le plafond à coupole dorée repose sur des colonnes de marbre, et le sol est jonché d’admirables tapis de prière, de riches et chatoyants coussins brodés d’or et d’argent.
Tel est le cadre superbe dans lequel l’exquis conteur a reçu les amis qui avaient répondu à son appel.
M. Pierre Loti était revêtu d’un magnifique costume rose, et se drapait avec grâce dans un burnous blanc. Il portait au côté un sabre de grand prix, présent du sultan. Mme Pierre Loti portait un délicieux costume de Roumaine.
Parmi les invités nous citerons Mme Duvigneau, la nièce des aimables hôtes, ravissante en odalisque ; la comtesse Diane de Beausacq, en Samaritaine ; Mme Mousset (Mlle Offenbach) et Mme Aimée Morot, la fille du peintre Jérôme, en Juives de Fez ;
Le poète Jean Aicard, en Bédouin ; les peintres Mousset et Aimé Morot, en Arabes de Fez ; le prince Karageorgevitch, en Aladdin, etc., etc.
Cette fête, donnée en l’honneur de la mère de M. Loti, comportait un programme des plus originaux.
Un orchestre invisible faisait entendre des mélopées arabes. La flûte, la musette et le tobol mélangeaient leurs sonorités étranges, et accompagnaient des chants marocains. Gracieusement groupées sur des carreaux d’étoffes soyeuses, les femmes, revêtues de leurs riches costumes, se tenaient dans l’appartement réservé du sérail dont la porte était gardée par un grand nègre, tenant un sabre en main. Un intermède à sensation a été exécuté par notre confrère et ami, Adrien Marie, transformé pour la circonstance en Aïssaoua authentique. Il a mangé du feu, avalé des scorpions et s’est tenu debout sur le tranchant d’un sabre, avec autant d’aisance que ses émules de l’Esplanade des Invalides, aux beaux soirs de l’Exposition universelle, et avec non moins de succès.
Enfin la poésie a été, elle aussi, de la fête. Mme Littré, la nièce du grand Littré, a dit un délicieux impromptu en vers, puis Jean Aicard a récité une charmante improvisation que nous ne résistons pas au plaisir de citer.
Je vois des joyaux et des pierreries
Sous des plafonds d’or pris à l’Alhambra ;
L’art ici, ce soir, donne ses féeries…
Le plus beau joyau, qui le montrera !
Parmi les parfums vibrent des musiques ;
Sidi Bab-Azoum répond à Zohra ;
Le tobol répond aux flûtes magiques…
Le chant le plus doux, qui le chantera ?
Un bon fils, voilà le joyau suprême…
Ayez donc la joie avec la fierté,
Mère de Loti ; — sa gloire qu’on aime,
C’est le plus beau chant qui vous soit chanté.
