Une femme m’apparut (1904)/11
XI
San Giovanni avait raison, lorsqu’elle disait :
La douleur d’amitié est plus amère que la douleur d’amour…
Jamais les cruautés de Vally ne m’avaient fait souffrir autant que la perte d’Ione. Jamais ses mensonges ne m’avaient fait souffrir comme le silence de cet être cher, dont je n’avais point entendu les dernières paroles.
Ce qui s’était passé au fond de cette âme taciturne pendant les derniers mois de son existence humaine, je ne le saurais jamais. Ses douleurs, je les ignorerais éternellement, ses doutes, ses hésitations, sa conversion finale, me resteraient impénétrables. Elle avait emporté son secret dans les ténèbres. Mon affection lui était devenue étrangère. J’étais le frivole, l’importun Autrefois, qu’elle n’avait point jugé digne de son souvenir.
Mais cette amertume fut bientôt oubliée en face de la beauté de cette mort. Ione était partie consolée, fût-ce par une illusion, fût-ce par une chimère. Elle avait eu la Foi qui surpasse la Raison.
« Elle est morte heureuse, » sanglotai-je éperdument… « Et qu’importe tout le reste ? Elle est morte heureuse. »
Ione, ma Consolatrice, je n’ai plus de mots devant l’Infini de ton sépulcre, devant l’aube de ton trépas. Si je le pouvais, je ne te rappellerais pas à l’existence mortelle. Je ne t’arracherais pas à la paix bienheureuse de ton sommeil. Si j’osais t’envier, j’envierais ton repos. Mais, quoi qu’il puisse advenir, je garderai ta mémoire, ta pure et fraîche mémoire… Ione, ô la meilleure tendresse de mon âme, je t’ai dit l’adieu suprême. Dors en toute sérénité, dors parmi les âmes chastes qui te ressemblent, les âmes que nul souvenir d’amour ne tourmente dans leur repos ! Dors en paix, toi qui fus l’Amitié consolante, toi qui fus la Tendresse virginale avant l’amour et au-dessus de l’amour.
Requiescat in pace… Amen…