Utilisateur:Mathieugp/Brouillons/Appel à la justice de l'État (Lettre aux Canadiens - Système de gouvernement pour le Canada)

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Appel à la justice de l'État
Épitre aux Canadiens.



Premier article de la réforme[modifier]

Voici donc l'économie politique de l'honorable gouvernement qui serait assorti avec la dignité d'un peuple aussi distingué par ses sentiments que les Canadiens le sont, au milieu des nations américaines qui les environnent; j'en soumets les pièces de détail à votre pénétration, avec d'autant plus de confiance que vous êtes trop éclairés sur la nature de vos besoins pour ne pas relever les irrégularités qui pourraient échapper au faible génie de l'architecte.

Le bill de Québec vous décerne la jurisprudence française, sous laquelle vous êtes nés; c'est en effet la judicature qui cadre le mieux avec vos propriétés et vos goûts; mais pour en couronner l'assortiment, il lui faut d'être administrée sous les auspices de l'illustre et bienfaisante constitution d'Angleterre: Paris jugera vos héritages, mais Londres gouvernera vos personnes. Dans cette économie, votre bonheur sera de tout point accompli.

Voilà la pierre fondamentale sur qui doit être assis l'édifice nouveau de votre gouvernement. Mais ici, Messieurs, ne soyons pas dupes de l'ignorance dans le génie constitutionnel de notre patrie adoptive; c'est la lettre, et la teneur seule de la lettre, qui, en législature anglaise, est revêtue de toute la force, toute l'autorité de la loi: les conséquences tirées, les interprétations suggérées, tout ce bel appareil qu'on appelle l'esprit de la loi, sont les plus beaux étalages du monde en dialectique et en logique; mais dans les lois d'Angleterre, en fait de validité, ce ne sont là que de grands riens; toute les explications ne sont que les interprétations arbitraires des individus: les Anglais ne sont pas si sots que de plier ainsi leur liberté sous l'arbitrage de quelques particuliers; c'est la loi, et la loi seule, parlante et prononçante par elle-même qui les gouverne: respectons cette façon de raisonner en matière de gouvernement; elle a été la règle de tous les peuples libres; aux beaux jours de sa gloire et de sa vertu Rome n'en reconnaissait point d'autre. Souvenons-nous ici qu'une acception informe et de travers du terme lois françaises nous a coûté dix ans de la plus crucifiante servitude; nous devons être las de verser des larmes de sang. Le premier amendement du bill de Québec que nous ayons à solliciter de la bienfaisance du Sénat britannique est une déclaration authentique et éclatante, que c'est...

La jurisprudence française qui nous est assignée pour don législatif, mais sous la direction immédiate et seule de la constitution d'Angleterre relativement à nos personnes.

Voilà le premier fondement de notre nouveau gouvernement; mais comme les diverses pièces de la réforme sont destinées à servir de matériaux aux requêtes, que vous vous devez à vous-mêmes et à vos enfants, pour le souverain et le parlement, je leur assignerai toujours, de précaution, une place isolée et de marque afin que d'un seul coup l'oeil puisse les apercevoir pour le service.

Second article de la réforme[modifier]

La réinstauration de la loi de l'habeas corpus; les jugements par jurés et dans les pouvoirs du gouverneur, la soustraction de déposer arbitrairement les membres du conseil législatif, le chef de la justice, les juges subalternes et même les simples gens de loi, enfin d'emprisonner les sujets de son autorité personnelle et sur ses propres procédures; voilà les premières et les plus précieuses émanations de la constitution d'Angleterre, que nous ayons à réclamer pour la résurrection civile de la province.(1)

Vous lirez tous ces articles si importants, couchés dans le plus bel ordre et sous le jour le plus brillant, dans un petit écrit annexé à cet essai; c'est une production du patriotisme de M. le baron Masères, que les services les plus éclatants ont proclamé dans Londres le bienfaiteur et l'ami de la province de Québec: ce digne patriote n'y a brillé que comme un éclair, dans la dignité d'avocat général, qu'il n'occupa que peu de temps. La supériorité de ses lumières, l'étendue de ses connaissances, l'intégrité de son administration, la générosité de son désintéressement, les vertus les plus aimables de la société, dans le commerce de la vie civile, en un mot tout cet assemblage de qualités, qui peut rendre respectable l'homme public et le particulier, lui concilia d'emblée les suffrages du respect, de la reconnaissance et de l'amitié: rendu à Londres, sa patrie, il a consacré le long cours de ses veilles à bâtir, de théorie, la félicité de la province de Québec; il a dévoué à une si belle fin des sommes considérables, sans recueillir jamais pour lui-même d'autre fruit, que la gloire de vous servir. C'est à ce but bienfaisant qu'il a dirigé ses efforts et ses puissantes protections, sur qui son mérite et son rang (un des premiers de l'échiquier) lui donnent toute sorte de droit de compter. Ses écrits font les délices des gens d'esprit, ces patriotes surtout qui s'intéressent pour notre infortunée province de Québec. Enfin, pour couronner tous ces traits, la qualité de canadien est chez lui un titre, à tous ceux qui le portent, pour être assurés de ses services: je puis vous attester d'honneur, que dans ce moment où j'écris, il ne peut pas suspecter même que son nom puisse être mentionné dans cet essai; sa modestie en serait alarmée; mais ma reconnaissance, et celle de mes concitoyens, devaient à tant de vertus et de services ce témoignage, aussi simple, que sincère dans sa simplicité. Guidé par ce zèle infatigable pour vos intérêts, M. Masères, le 13 mars 1784, assembla chez lui messieurs Powell, Adhemar et de Lisle, vos députés, et avec l'ouverture du patriotisme et de l'honnêteté même, il leur communiqua(2) en substance les cinq articles qui, par leur importance, donnent tant de poids au paragraphe précédent: la communication fut accueillie avec un applaudissement général; j'étais présent, et je partageai le plaisir du concert de la décision qui ne peut aujourd'hui plus être que la vôtre, exprimée par les organes de votre choix. Quelle que soit la nature des demandes auxquelles votre sagesse jugera devoir un jour se fixer, quel que soit le succès qui doit enfin les couronner, s'il nous reste encore quelque étincelle d'amour pour notre liberté, si quelque mouvement nous anime pour le bonheur de notre postérité, nous devons nous faire une loi de ne jamais nous relâcher dans nos supplications auprès du trône, jusqu'à ce que la législature ait scellé dans son irrévocable sanction, en notre faveur, ces premiers écoulements de la constitution d'Angleterre, d'où dépend notre existence civile et celle de nos enfants après nous.

Ce seul échantillon de la liberté constitutionnelle de l'Angleterre vous rapprocherait au moins de la félicité des peuples les plus libres, si une économie trop avare venait jamais à vous resserrer dans l'acquisition du reste de vos prérogatives citoyennes. Vos fortunes fleuriraient à l'ombre de la sécurité sous la sauvegarde de la protection intègre de vos pairs; vos personnes ne seraient plus amenables qu'aux tribunaux de judicature, au nom de la seule loi qui pourrait vous y appeler; la puissance du gouverneur serait élaguée des branches les plus voraces de son théorique despotisme: il est vrai qu'il lui en resterait encore assez pour se déployer et s'évertuer; il n'y a que la responsabilité de sa personne aux lois de la province, qui puisse, sinon couronner de tout point, du moins avancer bien la sûreté de votre émancipation nationale. Eh, quoi! Un roi d'Angleterre ne sera à Londres que le premier sujet de la loi, et cette subordination est le plus beau fleuron de sa couronne et le plus brillant apanage de sa gloire! Tous les gouverneurs des colonies anglaises relèveront, en redevables ordinaires, comme simples sujets, des lois respectives de leurs provinces; un gouverneur de la Jamaïque aura vu depuis peu ses biens décrétés, saisis, exploités et mis à l'enchère, en vertu d'une sentence de la judicature de la colonie, qui le condamnait; le gouverneur de Québec, dans toute l'étendue de l'empire britannique, sera investi du droit de fouler aux pieds ces lois, qui nous lient tous, tandis qu'en être privilégié, et au-dessus du reste des hommes, sa personne seule en est dégagée! Mais c'est donc un complot évidemment tramé de théorie maligne pour l'inviter à violer ces lois à la saveur de son immunité? Et un système si oppressif n'est réservé que pour Québec! Outre la tyrannie, la distinction est furieusement odieuse; sans doute qu'on nous a méprisés comme le rebut de la nature humaine, puisqu'on s'est fait un plan d'oppression uniquement que pour nous. Appelons, Messieurs, du jugement; ne cessons de faire parler et plaider en notre faveur les lois de la justice et les droits de l'humanité, jusqu'à ce que la législature ait solennellement prononcé:

Troisième article de la réforme[modifier]

La personne du gouverneur de Québec est justiciable des lois de la province.

Quand les lois peuvent se venger, c'est alors qu'elles se font respecter: sans cette vengeance, il faut qu'elles tombent elles-mêmes dans le discrédit et dans l'opprobre: mais il est temps, Messieurs, de venir à la pièce de marque, au morceau d'éclat, qui doit consommer presque le grand oeuvre de votre liberté et donner à votre nouveau gouvernement une consistance que le despotisme, après cela, conspirerait vainement à ébranler. Pour asseoir votre félicité provinciale sur une base si solide et si durable, il faut de nécessité indispensable, qu'il existe, entre le gouverneur et les peuples, un corps médiat muni d'assez de conséquence provinciale pour être toujours en passe de balancer, modérer, réfréner même, la puissance du premier, dans les diverses classes de son exertion, sur les derniers. Aujourd'hui qu'est chaque citoyen? Un simple individu, isolé, réduit, par un gouvernement, à lui-même et à son unité d'inconséquente individualité. Et qu'est le gouverneur par la teneur même de sa patente royale? Un homme public, soutenu de toutes les prérogatives de la couronne, encore bien amplifiées et outrées, puisqu'il est de fait armé de la toute puissance arbitraire du plus ambitieux despotisme; il nous écrase du poids seul de sa double puissance gigantesque, balancée par aucun contrepoids en notre faveur. Eh, mais! il fallait et il faut bien s'y attendre, aussi longtemps que, dans un conflit avec lui, un citoyen s'offrira avec une si monstrueuse disparité d'avantages et de force; mais renforcez l'inégalité des armes du combattant faible et mal pourvu; enveloppez-le de toute l'autorité, toute la protection, d'un corps législatif et public, qui représentant tous les individus de la province, soit à ce titre chargé d'office de veiller à l'observation des lois sous qui l'autorité du gouverneur lui-même soit forcée de plier; alors toute oppression individuelle cessera de la part du gouverneur, parce qu'en attaquant les individus, il armerait contre lui tout le corps protecteur de qui ils relèvent. Voilà, Messieurs, présentée dans ses plus beaux attributs...

Quatrième article de la réforme[modifier]

L'institution de l'assemblée.

Je n'ignore pas, Messieurs, que le despotisme masqué a pris ici les devants, et a conspiré de longue main pour vous armer préalablement d'indifférence, de dégoût, d'aliénation même, contre un établissement, le seul fait pour économiser, de politique théorique et pratique, le bonheur national d'une province éloignée de l'autorité primitive. Ce despotisme projetait de fixer parmi vous son empire; il a débuté par vous préoccuper contre une institution son ennemie, toute ajustée pour l'abattre: la marche n'a pas été mal rusée pour éterniser son triomphe; mais la raison instruite à l'école d'une triste et malheureuse expérience, revient de loin; et c'est un triomphe si digne de tout être pensant, que je me promets de votre droiture et de vos lumières après une mure considération de la réalité. À quels titres, l'institution d'une assemblée, c'est à dire, d'un corps législatif, réunissant dans son sein tous vos représentants, c'est-à-dire consistant de vos plus illustres, vos plus vertueux concitoyens, pourrait-elle devenir défavorable à vos intérêts, et mériter, d'emblée, votre réprobation? Je vous entends; c'est que ce corps de la nouvelle législature serait autorisé à taxer la province, et à l'opprimer sous le poids des impôts.

Voilà, je le sais, ce grand épouvantail, à la faveur de qui on a généralement effarouché les esprits contre l'érection d'une assemblée; mais d'abord, Messieurs, (c'est à votre bonne fois à qui je parle ici) eh! quel est le peuple de l'univers, que ne soit pas subordonné à la taxation? L'État peut-il veiller aux phases diverses de sa conservation, sa défense au dehors, et l'économie du bon ordre au dedans, sans l'entremise d'administrateurs et d'agents, dont il faut payer et récompenser les services? Et n'est-ce pas aux citoyens à supporter eux seuls des frais et des dépenses qui ne sont toutes que pour eux et leurs besoins? Mais est-ce que vous ne vivez pas aujourd'hui sous un état d'actuelle taxation? Eh, que sont ces droits d'entrée, qui imposés sur toutes les denrées importées en exhaussent si fort le prix? C'est à la vérité le marchand en chef, qui paie, par provision préliminaire, la taxe, mais bien entendu, que vous l'en repayerez de vos mains avec usure: la taxe, pour n'être que médiate, n'en est pas moins effective et affective relativement à vous. Mais n'avez-vous jamais lu, d'attention réfléchie, les derniers statuts de la législature, qui sont venus compléter constitutionnellement la puissance de votre corps législatif, et l'armer de pied en cap pour vous taxer? Ce corps, dans la formation et sa constitution présente, n'est qu'un corps de réserve tout au gouverneur, et pour le gouverneur, qui ayant dans ses seules mains, le droit arbitraire de casser ou de conserver les membres, dispose en souverain de leurs suffrages; le gouverneur, dans la forme actuelle de votre gouvernement, est donc intitulé à vous taxer, au moins médiatement; misérable distinction, qui n'en relève pas plus vos droits, en n'épargnant pas mieux vos bourses: et vous n'êtes pas effarouchés d'un pareil taxateur, avec tant de droits, dont il serait armé pour vous effarer!

Mais voici une circonstance bien glorieuse, qui différencierait bien la taxe à votre avantage, si elle était statuée par une assemblée formée de vos représentants; ce serait vous alors, qui auriez le plaisir et la gloire d'être en personne vos propres taxateurs: d'ailleurs ces représentants, subordonnés eux-mêmes à leurs propres injonctions, seraient avertis par leurs propres intérêts de ne pas vous surcharger d'un poids, qui, par un contrecoup nécessaire, réfléchirait sur eux-mêmes; leur autorité s'étendrait encore à l'application de ces taxes, à la nature, réelle ou supposée, des besoins publics, qui donnent naissance à ces taxes. Que de places si frauduleusement entassées sur les mêmes têtes, à la dégradation de ces places mêmes, et à la ruine du public! que de services purement nominaux, mais que trop réellement payés, malgré leur simple nominalité! que de dépenses frivoles, extortionnelles, cruelles même, avancées par l'État, et qui exhaussent si fort la recette au-dessus du produit de la colonie! Sous une assemblée qui passerait tout en revue, la main de l'économie réformatrice châtrerait bientôt ces rapines de l'avidité, autant pour le soulagement de l'État que pour le vôtre.


Et ces corvées, ah! pensez-vous qu'une assemblée vigilante et humaine les laisserait subsister sur le plan despotique d'aujourd'hui, c'est-à-dire, sans besoins réels, sans choix, sans mesure, sans indemnité raisonnable surtout, et sans suffisante compensation, à la ruine de tant d'infortunés agriculteurs? Mais je reviens au principe dont je suis parti, parce qu'il est décisif et sans appel: la souveraineté de l'État, c'est-à-dire, la justice primitive et en chef de la colonie, réside dans le sein de l'Angleterre; c'est à ce tribunal de suprématie que ressortissent de droit tous les litiges entre le gouverneur et les sujets: il n'est qu'un corps public, tel qu'une assemblée de province, qui soit toujours en passe continuelle de franchir sans obstacle, avec succès, et à point nommé, la distance qui sépare la province de ce suprême tribunal; c'est cependant de ce passage heureusement franchi, que doit rejaillir la vengeance et le salut des individus opprimés de la province: il faut donc, ou donner les mains à l'oppression perpétuelle de ces malheureux individus, ou susciter en leur faveur ce corps des protecteurs publics, qui seul peut avoir les mains assez longues pour aller puiser si loin, et en appeler victorieusement le remède. Vous êtes sages, Messieurs, la solidité de ces réflexions n'a pu échapper à vos lumières; mais c'est que la nature du corps d'assemblée qu'il a été jusqu'ici question de placer à la tête de la législature de la province, vous offusquait; elle lésait votre délicatesse, et affectait visiblement vos(3) droits.

C'était des assemblées toutes protestantes, qu'on formait sur un plan raccourci; il n'est plus question aujourd'hui de ce rétrécissement. Tout le monde aujourd'hui en Angleterre concourt à ne plus vous disputer vos prérogatives nationales; vos droits de citoyens sont généralement reconnus; le droit des gens vous le donne; l'Angleterre, sous sa vertueuse constitution, ne sait pas faire violence au droit des gens: sous ce nouvel aspect constitutionnel, il n'est plus en Canada, qu'une seule classe de colons, c'est-à-dire, de sujets-citoyens, tous soumis au même maître, et unis d'intérêts: c'est ce titre seule de sujets-citoyens, qui doit décider de l'éligibilité radicale des membres de la nouvelle assemblée; et c'est sur ce plan générique de l'économie électorale, que vous devriez en solliciter l'institution, auprès de la puissance législative. Ce serait vous-mêmes qui composeriez le corps des électeurs; vous seriez les ordonnateurs suprêmes de la qualité des candidats heureux des élections. Le Canada, compte dans son sein 125 paroisses: chaque seigneur serait électeur né, pour former la chambre haute de l'assemblée, chaque paroisse élirait deux membres, tirés indifféremment des diverses classes des citoyens, selon qu'il plairait au corps des électeurs de les aller choisir: ce dernier corps, plus nombreux, composerait la chambre basse. Cette économie ordonnatrice de la forme de votre assemblée n'étalerait pas une image mal ressemblante de la décoration extérieure du parlement d'Angleterre: en vous rapprochant de si près en gouvernement de la capitale, vous n'en percevriez qu'une portion plus considérable du bonheur constitutionnel dont elle jouit en substance et en masse.

La gloire d'un plan si ingénieux n'est pas à moi; elle est due toute entière à M. le Baron Masères, qui, toujours concentré à la considération de vos besoins, toujours dévoué à les faire cesser par des remèdes efficaces, en avait déjà crayonné le dessein dans le cours de ses utiles ouvrages, qui lui ont mérité, sur ce point en particulier, les applaudissements et l'approbation générale. Il en avait puisé le modèle dans les plus belles constitutions des colonies, les plus sagement administrées; car il est à-propos de vous faire observer ici, Messieurs, que le Canada est la seule colonie de l'empire britannique qui ne soit pas décorée de l'institution d'une assemblée, qui le gouverne; la Grenade même, qui ne contient dans son sein qu'une poignée de Français, vos anciens comme vos nouveaux compatriotes, goûte, presque depuis la Conquête, les fruits délicieux d'un si avantageux gouvernement. Que ne puis-je vous retracer ici une image fidèle des transports extatiques avec lesquels ses enfants se sont vus, à la paix, rendus à eux-mêmes, redevenus encore leurs propres taxateurs, leurs propres législateurs, j'ai presque dit leurs propres souverains et leurs rois, à l'ouverture de leur première assemblée. Les coeurs des Canadiens sont faits pour le grand; ils savent l'apercevoir, et le sentir; c'est de ces sentiments nobles, que j'attends la sagesse de votre choix: nous ne gémirons donc pas longtemps de voir le Canada dégradé par ces distinctions odieuses, qui ont jusqu'ici autant déparé sa gloire, que défiguré son bonheur; nous serons donc, enfin, un peuple anglais, c'est-à-dire libre et heureux.

Incertain cependant de la nature de votre choix, je ne puis mettre la dernière main à un arrangement si important, sans vous nuancer ici, à tout événement, un autre plan de gouvernement, qui sans l'érection d'une chambre d'assemblée, embrasse tous les avantages, tous ces précieux fruits d'administration provinciale, dont je viens de vous étaler le prix: c'est...

Cinquième article de la réforme[modifier]

La nomination de six membres, pour représenter le Canada dans le Sénat britannique; trois pour le district de Québec, et trois pour le district de Montréal.

Ne précipitez pas vos jugements, jusqu'à ce que j'ai eu le temps de vous présenter ce nouveau plan, paré de tous ses traits, et dans tout son ensemble. Je n'ignore pas que l'opulence, distribuée par la fortune d'une main avare, dans les premières classes même de nos citoyens du Canada, ne nous mettrait pas dans les mains des sujets, faits pour représenter avec éclat et une dignité extérieure une province telle que la nôtre, dans le Sénat britannique. Il faudrait donc relever leur impuissance des fonds de leurs constituants, et suppléer aux frais de leur pompe et de leur décoration externe, par des mises imposées sur toutes les classes des citoyens. Notre noblesse ne brillerait donc qu'aux dépends de la roture, c'est-à-dire d'emprunt, tiré sur nos pauvres agriculteurs et autres autres citoyens aussi utiles qu'industrieux: il ne vaudrait pas la peine pour eux d'acheter si cher une promotion parlementaire, qui dégénérerait en vraie charge publique de la province. Ce ne sont pas là les vues peu populaires qui m'ont animé dans le plan tout populaire que je soumets ici à vos délibérations. Non; mais en attendant de la révolution des temps, préparés et amenés par la sagesse administratrice de l'Angleterre, que le Canada voie couler dans son sein avec plus d'abondance le torrent des richesses, et grossir, par cet accroissement de la circulation de l'or, les fortunes de ses enfants, c'est dans l'Angleterre, notre métropole nationale, que nous viendrions chercher six gentilshommes de fortune et de vertu patriotique, qui pussent et voulussent nous faire l'honneur de nous représenter en parlement, c'est-à-dire de s'y charger de nos intérêts et de nous y préparer, par leur protection, une illustre défense contre le despotisme, qui, à douze cents lieues des yeux du souverain et du sénat, pourrait s'aviser de nous déclarer la guerre et de nous frapper des coups de la violence et de la cruauté.

Cette préparation de défense, en notre faveur, suffirait seule d'avance pour en étouffer dans le principe l'occasion et la nécessité. Un gouverneur, qui saurait que nous comptons à Londres des représentants au sénat pour y défendre nos droits, ne serait guères tenté de les attaquer, c'est-à-dire de lutter contre plus forts que lui. Au reste, les élections en Angleterre n'y coûtent rien aux parties intéressées; le fameux bill de M. Grenville y a décidé, pour l'éternité, de la générosité, du désintéressement, de la noblesse du sentiment, de la vertu, en un mot, des électeurs et des candidats. Ceux-ci rougiraient de ne devoir pas à leur mérite, et à eux-mêmes exclusivement à tout, leur élection; aussi n'ont-ils garde de corrompre et d'acheter les suffrages, qui toujours libres y sont délivrés pour rien: les candidats n'ayant, de constitution, rien à offrir, les électeurs, animés aussi d'un si noble esprit, n'ont ni d'inclinaison, ni de fait, rien à accepter; et de 548 membres qui siègent au nom des diverses divisions électorales de l'Angleterre, pas un sénateur qui ait déboursé un sou pour sa place sénatoriale. Quel prodige d'honnêteté! Le nom de M. Grenville, auteur d'une si illustre, si générale et si vertueuse révolution dans les coeurs, mérite d'être inscrit avec une distinction et une gloire spéciale, dans les fastes des apôtres, les plus fameux convertisseurs de l'univers. Quoi qu'il en soit, si à douze cents lieues de l'Angleterre ce fameux bill de M. Greenville, sur l'incorruptibilité des élections, pouvait, sur une longue route, perdre un peu de son énergie, des milliers de ces candidats si avares en Angleterre, dans les jours de leurs élections, seraient furieusement tentés de vous délier, à pleine dégaine, leurs bourses bien garnies, pour acheter à tout prix l'honneur de vos suffrages; mais née au milieu des bourrasques et des tempêtes, la vertu anglaise sait se soutenir dans le passage des mers. Au moins vos élections ne vous coûteraient rien qu'un peu de temps, perdu d'abord peut-être, mais qui produirait bientôt avec usure; cas ces candidats heureux, honorés de votre choix, et devenus, à titre d'élus, vos représentants, seraient érigés par la reconnaissance et l'honneur, en autant de protecteurs publics et d'amis, qui, éclairés par vos instructions, se feraient un point de gloire personnelle et nationale, d'épouser, haut la main, vos intérêts, et de plaider éloquemment votre cause auprès du trône et du sénat. À l'ombre d'une si respectable protection, vous deviendriez respectables et redoutables même à vos gouverneurs, qui n'auraient guère alors les idées tournées vers l'oppression, quand ils sauraient que, pour vous opprimer avec succès et avec impunité, ils auraient toute la force de l'autorité parlementaire à combattre et à vaincre: vous seriez alors trop forts pour tomber en victimes de leur faiblesse.

D'ailleurs, ces gouverneurs, d'après le génie national, seraient peut-être susceptibles des suggestions de l'ambition, avide de cette représentation active dans le sénat; vous auriez, sous la main de votre reconnaissance, des honneurs civils, pour payer les bienfaits dont une douce et bienfaisante administration pourrait vous gratifier: voilà un appas suffisant pour convertir en gouverneur facile, généreux, et bénin, le despote, d'inclination naturelle, plus hautain et le plus superbe, et de faire d'un général Haldimand même, un autre Chevalier de Savile, hélas! malheureusement pour vous et pour moi, enlevé depuis peu à la gloire et à la vertu de la nation, au milieu de qui sa mémoire ne mourra jamais. Au reste, Messieurs, que la modestie de vos sentiments ne vienne pas ici en imposer à la timidité de vos prétentions; peut-être qu'une triste expérience a appris à l'Angleterre que la plus sage politique, pour se lier étroitement des colons éloignés, dicte de les incorporer dans l'assemblée qui représente tout le corps de la nation, pour simplifier l'empire, et le mettre, par cette incorporation, à une unité de gouvernement, qui est la mère de la solidité et de la consistance.

Au moins votre entrée au sénat (quand il serait question d'elle-même en propre) ne dégraderait(4) pas la majesté du sénat même: des Français ont déjà illustré, par leur présence, la majesté de cette auguste assemblée: Calais, la petite ville de Calais, députa jadis deux membres au parlement, et ces étrangers, (si cependant des sujets, bien sujets, peuvent être des étrangers dans les États de leur légitime souverain) ces étrangers, dis-je, admis, en y introduisant leurs vertus, ne furent qu'une addition de lustre et d'éclat pour cet illustre corps: l'Histoire, qu'un esprit cosmopolite a écrite, parle encore avec éloge de leurs services. Remarquez ici, Messieurs, que l'introducteur royal, qui crut devoir, en justice à ses sujets français du continent, les introduction au sénat britannique, fut un despote, (Henri VIII) qui, sur son lit de mort, faisait gloire de n'avoir, durant son règne, jamais épargné, ni un homme dans sa colère, ni une femme dans sa débauche. Que ne devons-nous donc pas nous promettre d'un souverain qui ne fait aujourd'hui régner sur le trône d'Angleterre, que le cortège assorti de toutes les vertus? Le singulier de cette admission parlementaire des Français, est encore, que sous Édouard VI, le règne de la Réforme fut établi en Angleterre: les Calésiens ne l'adoptèrent pas; leurs membres ne furent pas pour cela exclus de leurs sièges sénatoriaux: on ne crut donc pas alors qu'il existât une incompatibilité constitutionnelle entre la dignité parlementaire, et la non réformation romaine. Que de réflexions s'offriraient ici! Mai moi, je suis protestant; il faut bien laisser quelque chose à dire, et surtout à faire à nos catholiques romains du Canada.

Mais en cas que vous ne fussiez pas du goût d'allier votre représentation en parlement avec l'institution d'une assemblée, (deux établissements bien alliables pourtant, et bien nécessaires à votre bonheur) il faudrait alors remonter aux principes que nous avons déjà posés; car, quand c'est la main de la réflexion (une réflexion heureuse) qui les a choisis, leur force et leur solidité doivent subsister; ces six membres du parlement ne formeraient qu'un corps, éloigné de vous de douze cents lieues; l'oppression pourrait bien à la sourdine venir vous frapper quelques coups inattendus; et l'oppression, en exertion et en office, est toujours trop longue; le corps que vous qualifiez aujourd'hui (un peu trop libéralement peut-être) du nom sublime de corps législatif, pourrait devenir le corps de vos médiateurs, en doublant leur nombre jusqu'à 46. Leur multiplication hérisserait de plus de difficulté leur corruption totale: mais qu'une économie juste et sage règle ici les termes de cette augmentation. Leur honoraire est fixé à 100 livres sterling; réduisez-le à moitié, c'en serait assez, si c'était l'honneur et la vertu qui conduisissent ces législateurs; et c'en serait trop, si de nobles mobiles n'entraient pour rien dans l'administration de leur dignité.

Au reste, la sûreté de la province jouirait d'un plus inviolable abri, si on investissait les Canadiens du droit d'élire annuellement au moins la moitié des 46 membres du corps législatif, qui, sous cette face élective, offrirait, malgré sa mixture, au moins une esquisse de la représentation de tout le pays: alors ses délibérations, portées aux pieds du trône, y annonceraient les sentiments de tout le Canada, tandis que, sous la forme actuelle de notre gouvernement provincial, le ministère d'Angleterre est destitué de tout point fixe, de tout gage analogue, pour en être assuré; aussi erre-t-il sur un si important article, hélas, que trop! à l'aventure, dans les vagues ténèbres de l'incertitude et de l'erreur; car notre corps législatif n'est aujourd'hui lié d'aucune relation avec le corps de ses citoyens; isolé et concentré dans lui-même, il ne représente que ses propres membres; s'il s'avisait de prétendre à parler, au nom de la généralité, ce serait un téméraire, un insolent, un usurpateur des droits publics, à qui on serait autorisé de donner solennellement le démenti. Enfin, ces élections annuelles fixeraient les législateurs élus dans la sphère du devoir et de la fidélité envers leurs constituants, du choix de qui leur renomination dépendrait uniquement. La même annualité d'élection devrait marquer le choix des six membres du parlement, qui devrait avoir lieu en septembre, pour arriver à l'époque de l'ouverture ordinaire du parlement en novembre. Ce serait à ce sénat de statuer sur la nature du serment à administrer à ces sénateurs de nouvelle création. J'ai discuté à fond ces grandes pièces de réforme, qui peuvent seules donner de la stabilité à un gouvernement assorti à votre bonheur; les autres points isolés et détachés demandent moins de commentaires; je ne fais que les rendre ostensibles, en les assignant par paragraphes.

Sixième article de la réforme[modifier]

La religion.

Décorer de la concession de la religion catholique romaine en Canada de toute la pompe, la parade de la sanction de la législature, et après cela écarter sous main, de la province, les prêtres, qui sont les ministres faits pour la perpétuer, c'est accorder hautement le bienfait d'une main, et le retirer sourdement de l'autre; c'est une espèce de duplicité, indigne d'une nation que la franchise et la droiture ont, de tout temps, caractérisée et marquée de leurs traits. À propos, que système étroit, et manqué surtout, que d'aller périodiquement chaque année, mendier en Savoie, et y acheter une couple de prêtres, pour les prêter au Canada? Et ce sont nos ministres qui se chargent de conclure cet admirable marché! Eh, mais! c'est aux grands vicaires, c'est au chef ecclésiastique du diocèse à pourvoir ses ouailles d'une recrue suffisante de ministre de l'Église, son devoir le charge de ce soin. Mais des conducteurs de l'État! et sont-ils donc faits pour être administrateurs de paroisses? On les ravalerait bientôt jusqu'à en faire des marguilliers; de plus grands devoirs les appellent ailleurs; petitesse de vues, mais d'autant plus déplacée ici, qu'il semble par là que le gouvernement d'Angleterre s'effarouche ici et prend ombrages, d'une poignée de prêtres, qui isolés dans leurs personnes, et dispersés dans les paroisses en Canada, sans soutiens, sans appuis extérieurs, ne peuvent rien influer dans la politique, et sont heureusement réduits par la nécessité à ne jouer d'autre personnage, que celui que la sainteté de leur état leur prescrit; nous ne sommes plus dans ces jours désastreux, où la tiare et les mitres constituaient les seules couronnes de l'univers; c'est faire revivre, en quelque façon, la honte de ces temps malheureux, que de supposer entre dans le sacerdoce un empire, dont il y a longtemps que la sagesse éclairée des peuples l'a justement dépouillé. Le Canada, par le genre d'éducation qui y forme la jeunesse généralement destinée aux utiles fonctions de l'agriculture, n'enrôle que peu de sujets au service de l'Église. Eh bien! que l'évêque, par ses substituts, aille en emprunter des autres États catholiques; mais pour le succès de ce plan, il faut que la législature, par une proclamation solennelle, ouvre l'entrée du Canada à tous ces prêtres étrangers qui voudraient s'y consacrer au service de la religion. Voici le seul point, dont la providence politique du gouvernement puisse ici se mêler avec honneur; qu'il établisse à Londres un tribunal ecclésiastique, composé de tous les évêques et les dignitaires du royaume, qui seront officiellement préposés pour enquérir juridiquement de la morale et du caractère de ces prêtres nouveaux venants; et leur administrer tel serment de fidélité que des sujets doivent à titre sacré de religion à leur légitime souverain. Cette enquête et ce serment seront autant à la gloire de la sagesse du gouvernement, qu'à l'avantage, à la bonne édification et à la sécurité de province.

Au reste, cette entrée libre en Canada aux prêtres romains, est le système général adopté aujourd'hui dans toutes les colonies américaines; cette puissance, jusque dans le berceau de l'enfance de sa souveraineté, a déployé une finesse de politique administratrice: on peut sans honte la copier ici pour modèle. D'ailleurs, il est ici un point qui ne doit pas échapper à la pénétration publique. Une grande partie des nations indiennes est attachée à la communion de Rome: cet attachement les lie en commerce, de préférence, à leurs confrères de religion. Dans la situation piteuse, en matière mercantile, où s'offre aujourd'hui le Canada, il serait bien déplacé de le priver de ce secours, en lui ôtant le pouvoir de détacher de ses prêtres, pour le service des Églises sauvages. L'Amérique ne négligerait pas ce petit soin, à grands profits.

Septième article de la réforme[modifier]

Réforme de la judicature, par le rétablissement du Conseil supérieur de Québec.

Hélas! il était si facile de simplifier la justice en Canada, de l'ajuster tout à fait à la française, et de la réduire à une unité, de service égal, et pour le peuple et pour l'État; au lieu de l'érection de ces hétéroclites tribunaux, il n'y avait rien de plus naturel que de rétablir le Conseil supérieur de Québec, avec ses vingt-quatre conseillers, je dis conseillers, gens de robe, homme élevés et nourris dans l'étude des lois; et ne pas leur substituer des conseillers d'épée, de lancette, d'aune, et autres instruments disparates, qui jurent avec l'administration de la justice, et sont l'opprobre de la justice même. Le salaire de ces conseillers, avant la conquête, n'excédait pas 100 petits écus, monnaie de France. Considérant la circulation des espèces, qui en enrichissant la province a renchéri le prix des denrées, la générosité du gouvernement anglais pourrait agrandir le salaire des ces conseillers, jusqu'à 100 livres sterling. Les appointements des juges montent aujourd'hui jusqu'à 500 livres et plusieurs qui réunissent nominalement jusqu'à quatre et cinq places sur leurs têtes. Quelle économie pour l'État? car, Messieurs, cette économie publique, vous devez la poser pour base à toutes les demandes que vous avez à soumettre à la justice d'Angleterre. Elle sort d'une guerre ruineuse, où la masse de ses dettes nationales s'est accrue, jusqu'à une monstrueuse magnitude. Ce serait exiger, qu'elle achevât de s'écraser elle et ses peuples, que d'en solliciter des institutions dispendieuses et coûteuses: le Canada ne lui coûte déjà que trop; mais je puis l'assurer ici d'honneur, que ce n'est point la faute du Canada, même; si jamais un corps d'assemblée venait à présider à son administration, et passer en revue les dépenses publiques, bientôt la colonie, déchargée de ses folles dépenses, se suffirait à elle-même pour se gouverner avec ses seuls revenus établis, et pour fleurir. Je ne puis qu'indiquer ici: continuons.

Pour compléter l'ordre dans la hiérarchie judicielle du Canada, il serait convenable de rétablir les petits tribunaux de judicature subalterne, aux Trois-Rivières et à Montréal, avec les épices anciennes affectées aux gens de loi. Ces épices sous le gouvernement français étaient raccourcies dans la sphère de la plus grande modicité; aussi le Canada connaissait-il à peine dans son sein cette race vorace, qui ne vit à l'engrais, que des folies du genre humain: à peine trois ou quatre causes se jugeaient dans le cours d'une année au Conseil supérieur de Québec. Ah! si cet âge de la simplicité, de l'innocence, de la paix, pouvait revivre dans la colonie! Au moins faudrait-il bien peu pour le retour de cet âge d'or.

Huitième article de la réforme[modifier]

Établissement militaire du Canada; institution d'un régiment canadien, à deux bataillons.

Ici c'est uniquement à l'Angleterre que j'ai l'honneur de parler. Les États-Unis de l'Amérique ramassent déjà les préparatifs de la bâtisse d'une ville, à la distance de quelques milles de Montréal. En cas de guerre, si la colonie n'est pas constamment pourvue d'une armée à faire face, dès l'entrée à l'ennemi, dès lors, le voilà descendant de plein pied, jusqu'aux portes de la capitale, c'est-à-dire, maître et souverain de toute l'étendue de la colonie: Québec (quelques fortifications, que l'industrie aujourd'hui mal calculante, puisse entasser) peut tomber, sans coûter même la dépense d'un coup de canon. Il n'est que la providence canadienne, qui puisse l'enlever à cette dernière destinée, imparable par toute autre voie; mais si les habitants sont pris par voie de fait et d'emblée au premier pas de l'irruption, leur prise ne décide-t-elle pas de la chute de la capitale? Je m'arrête à l'explication; le patriotisme m'en fait une loi. J'en dis assez pour faire entendre la nécessité d'arrêter l'invasion du premier coup. Déléguer aux troupes nationales de l'Angleterre ce premier office de résistance, exigerait une grosse armée en Canada, dont la valeur, en produit, ne répondrait pas à la valeur de l'entretien. C'est donc aux Canadiens à être ici leurs propres défenseurs, et leurs principaux gardiens: mais il faut les initier, les discipliner dans la science militaire, et les appuyer de chefs, sur les traces de qui, ils puissent marcher avec confiance et avec courage à la défense de leur patrie.

Un régiment à deux bataillons, répandu graduellement dans toute l'étendue de la colonie, formerait dans ses cantonnements divers, par l'émulation et l'exemple, les milices des paroisses respectives: le Canada, sur ce plan, deviendrait sous peu tout militaire et soldatesque. Ce serait alors à lui, et à la bravoure de ses enfants, à se défendre; au moins puis-je assurer d'avance, que s'il tombait, il ne tomberait qu'avec honneur. Ce régiment ne devrait être commandé, (j'entends dans les places subalternes) que par des officiers canadiens: d'abord, ce serait là une entrée ouverte à tant de braves Canadiens, dont les services et les exploits restent aujourd'hui sans aucune récompense de la gratitude publique de la nation, que la générosité a toujours distingué dans tous les temps. Je la fais elle-même juge du trait suivant. Au commencement des derniers troubles, la renommée vint tout à coup à publier, que le général américain détachait un corps de 200 hommes pour voler au secours de Fort de cèdres, attaqué par nos milices. Nos officiers qui étaient à portée, ne se trouvaient alors sous la main que de 30 Canadiens: ils ramassent à la hâte 60 sauvages; et, malgré une inégalité si marquée, ils volent à la rencontre de l'ennemi, ils attaquent, le renversent, et le défont au premier choc: et avec 80 hommes victorieux, qui leur restaient, ils font 180 soldats prisonniers, le commandant à leur tête; et à cette victoire le Fort des cèdres tomba. C'est la plus brillante action qui ait illustré les armes du roi, dans ces contrées; mais elle coûta cher à un de nos braves gentilshommes canadiens, (M. de Montigny, l'aîné) qui de sa main avait fait prisonnier un des principaux officiers ennemis: au départ des Américains il la paya de ses terres ravagées, sa maison, et ferme réduites en cendres, et de sa fortune entièrement ruinée. Ces pertes exposées modestement à la justice du gouvernement, le bureau de la trésorie répond, que c'est là la fortune de la guerre, qui s'est déployée à ravages identiques, dans les îles anglaises de l'Amérique, qu'il serait de justice égale, c'est-à-dire d'impuissance nationale d'indemniser.

Le cas n'est ni similaire dans les circonstances, ni analogue dans les suites. À l'invasion de la colonie, une proclamation américaine avait garanti leurs possessions, aux Canadiens, qui vivaient tranquillement sur leurs foyers domestiques, sans entrer d'abord dans la querelle nationale; ils y jouissaient en paix de leurs héritages; ce fut une proclamation royale qui, au nom de la munificence du maître, vint les arracher de cette neutralité. Est-il d'abord de la gloire du souverain, que des sujets soient les dupes et les victimes des paroles qu'il a données par l'organe de son représentant? Il ne faudra donc plus les respecter et leur obéir: l'affirmative ne serait pas de politique, qui veille au salut d'un État. Les conséquences en seraient ici terribles; à la première irruption, les Canadiens seraient donc forcés de s'ensevelir dans l'inaction de la neutralité. Iraient-ils affronter les ravages de la guerre, en faveur d'un État qui leur aurait déclaré d'avance qu'il n'y a plus pour eux de réparation et de compensation à attendre de lui? Je prie la trésorie de faire grâce ici à cette légère discussion: si j'aimais moins l'Angleterre, et la conservation de sa colonie, je me serais tu sur une affaire où rien ne peut m'intéresser, que mon patriotisme et ma fidélité à mon souverain; car ce n'est point ma cause que je plaide ici: la carrière militaire était en effet celle qu'avaient cour mes ancêtres: des circonstances spéciales et des goûts personnels ont décidé de ma personne ailleurs; mais le salut de la colonie, et notre existence nationale dépendent de l'exertion de ces militaires: je gémirais pour l'Angleterre encore plus que pour moi, que cette exertion de ces braves vînt à être nécessairement énervée par l'ingratitude publique.

Au reste, le régiment ne serait point composé de soldats canadiens; ils se refuseraient tous de s'y enrôler; et leur admission même volontaire ne serait point acceptable, pour les progrès de la colonie, qui a besoin des mains de ses enfants pour les travaux habituels de la cultivation. Ce régiment donc ne consisterait que d'étrangers, à qui, pour le bien général, l'entrée de la province devrait être librement ouverte, en vertu d'une proclamation parlementaire. C'est exactement le système d'aujourd'hui, de toutes les colonies américaines, qui ne se pourvoient que de troupes étrangères. L'administration n'y est plus à douze cents lieues d'elles; elle réside dans leur centre même: la vue des objets présents doit rendre son coup d'oeil plus clairvoyant, plus pénétrant, plus juge.

Neuvième article de la réforme[modifier]

La liberté de presse.

Un mot. Si la presse continue à être captivée dans la colonie sous les contraintes de l'autorité despotique, elle ne manquera pas d'aller dorénavant incognito se dégager de ses entraves, dans la ville américaine qui va se bâtir à nos portes; et de là elle répandra son influence bénigne dans tous les recoins de la province. En fidèle sujet, (gloire que je réclame malgré les dents et en dépit des soupçons affectés et infectés du Suisse Haldimand) en citoyen, dis-je, lié de tout le coeur, et toute la force du sentiment, à la cause de mon roi, et de toute la nation, je serais mortifié, que quelque autre que l'Angleterre pût jamais réclamer des titres à la reconnaissance canadienne.

Dixième article de la réforme[modifier]

Institution des collèges pour l'éducation de la jeunesse.

Le clergé est richement pourvu en Canada; il a su de ses mains s'édifier des séminaires, où les candidats au sacerdoce sont formés de jeunesse aux vertus de leur état. L'économie providencielle de la hiérarchie ecclésiastique ne s'est point démentie de sa vigilance antique, et de son activité de tous les temps: mais n'est-il donc dans la colonie, que des prêtres à élever? Il n'existe plus, dans toute son étendue, aucune institution nationale, où la jeunesse documentée puisse être initiée dans les diverses sciences économiques, analogues aux offices des diverses classes des citoyens de l'État. Qu'est-ce que l'État pourrait attendre d'une génération d'enfants, que la politique précoce de l'éducation n'aura pas façonnés pour les divers emplois de l'État? Bien des citoyens aujourd'hui envoient leurs enfants en France, pour suppléer à la pénurie des écoles publiques, qui condamne en Canada la jeunesse à ne pouvoir mettre en valeur les talents dont la nature a pu les douer. Une expatriation si prématurée les rend après à leur patrie, imbus de sentiments dont l'esprit de nationalité se formalise. C'est la faute de la prévoyance publique; les chefs de famille ont reçu de la nature l'ordre de polisser leurs familles; ils l'exécutent, en faveur des lieux qui en favorisent le succès.

Les jésuites sont aujourd'hui réduits à quatre dans le Canada, et un cinquième fixé depuis longues années par l'autorité publique en Angleterre, pour le service de l'État. Ils ont tous atteint l'automne plus que commencée de la vie. Le gouvernement pourrait, dans le moment, les placer dans une honorable retraite, pour le peu de jours qui leur restent. Il aurait alors sous la main de riches fonds, tout prêts à être mis en valeur et en oeuvre pour l'institution des écoles publiques, assorties à tous les genres d'éducation; les lois, la navigation, les fortifications, etc. pourraient y être développées doctrinalement dans le collège. Je n'ignore pas que les biens des jésuites constituent un apanage destiné à la couronne; mais le Canada en corps réclame contre cette destination, qui renverse les droits de la province, et est destituée de toute analogie avec la donation primitive de ces fonds. Nos anciens souverains n'avaient entassé tant de seigneuries et tant d'opulence sur la société des jésuites, que sous la redevance de n'en percevoir le produit qu'en vertu de l'éducation de la jeunesse: ces biens restent chargés de cette redevance, hypothéquée à perpétuité sur leur produit; c'est sur ces mêmes clauses, que la conservation de ces biens a été irrévocablement stipulée à la capitulation de Montréal. À la dissolution de cette société, en France et dans toute l'Europe des souverains, en s'emparant de ses biens, ont rempli l'obligation dont ils étaient chargés par la fondation d'autres collèges, qu'ils ont dotés de leur fiscs royaux. Le meilleur, le plus juste des princes ne voudrait pas s'écarter de si vertueux modèles, et s'enrichir aux dépens de l'instruction de ses sujets.

Onzième article de la réforme[modifier]

Naturalisation nationale des Canadiens dans toute l'étendue de l'Empire britannique.

Par toutes les constitutions des divers empires de l'univers, les nouveaux sujets sont authentiquement mis en possession de tous les droits de citoyens, dès que la fixation de la conquête est jurée par le traité de paix. L'entrée à toutes les dignités de l'état leur est ouverte, à mêmes titres, et à même mesure que la nation; et le droit d'acquisition territoriale leur est dévolu sans conteste. Il n'est que l'Angleterre, où les nouveaux sujets soient à jamais bâtards et étrangers dans l'empire de leur unique souverain, et condamnés à un esclavage national, par une exhédération civile. Le droit des gens, les lois des nations, s'élèvent vivement contre cet abus de la victoire; mais il entraîne ici des conséquences bien désagréables pour l'État conquérant même, il ne reste aux Canadiens que très peu à glaner dans la distribution des emplois civils de leur propre patrie. Une douzaine de places, c'est toute la valeur que les proportions administratrices aient fait jusqu'ici tomber dans leurs mains: mais la récolte ne répond pas aux mains de plus de 100 000 âmes, élevées pour la recueillir; de là, la nécessité pour plusieurs de nos citoyens de s'expatrier; ils ne sont pas admis en Angleterre dans les divers corps d'institution nationale; il leur est interdit d'aller dans son sein se fonder des établissements territoriaux, les acheter, les posséder, et y donner à perpétuité une félicité citoyenne à leurs familles. Eh bien! ils vont en France redemander à leur ancien souverain leur réadmission dans ses États, et leur réhabilitation dans l'ordre national et civil; c'est ainsi que bien de nos meilleurs sujets, bien de nos plus respectables familles ont déserté, et désertent, et déserteront successivement du Canada, dont elles pourraient faire aujourd'hui un des plus beaux ornements.

Par quelle fatalité, une nation célèbre dans l'univers par l'esprit de sagesse et de rectitude constitutionnelles qui la gouvernent, s'obstine-t-elle, depuis 24 ans, à condamner à l'exhérédation civile, et à une servitude nationale, tout un peuple à elle parce que les sectateurs de la religion qu'il professe, mais auxquels il ne tien par aucun titre, ni naturel ni civil, se déshonorèrent jadis, par des crimes d'État contre elle? Mais l'équilibre naturelle, la justice judicielle de l'univers, les lois des nations, le droit des gens, les décrets du contrat social, tout réclame contre la punition des innocents. La législature anglaise, ni dans la teneur, ni dans l'esprit de ses lois pénales, n'a pu envelopper que les coupables, ou leurs descendants qui seuls ressortissaient à sa juridiction, ou réellement ou virtuellement par représentation; mais des étrangers, qui n'étaient pas alors justiciables, qu'elle ne pouvait prévoir devoir être un jour unis à l'État, qui ne devaient enfin relever de cet État, sous aucun aspect coupable, ah! il n'y a que l'aveuglement qui ait pu les confondre dans la peine: mais l'Angleterre est la première dupe et la première victime de la méprise, qui la prive d'une foule de bons et riches sujets, qui, interdits de s'établir dans son sein, avec les droits citoyens aux places publiques et aux acquisitions territoriales, transportent ailleurs leurs familles et leur fortunes, souvent acquises à l'ombre de sa sagesse et de ses services. Plus je considère le bien de l'État, plus me promets-je ici que le parlement ne laissera pas subsister plus longtemps une erreur si détrimentale à toute la nation.

Voilà, Messieurs, toutes les pièces principales de détail politique qui, dans leur ensemble, peuvent être assorties à la formation totale d'un gouvernement heureux dans la province, qui l'a assurément acheté bien cher, ne fût-ce que par les calamités produites par une administration manquée, de plus de 20 ans. J'ai essayé de les lier l'une à l'autre, avec le plus d'ordre qu'il a été possible à la faiblesse de mon génie; il ne vous reste plus que de les coudre avec plus d'art dans une supplique provinciale, pour être présentées au trône, et au parlement d'Angleterre; car les ministres ne sont dans l'État que les agents du pouvoir exécutif: il est bien dans leurs mains par des lénitifs passagers, des modifications momentanées, d'adoucir pour un temps l'amertume du joug que vous avez goûté à si longs traits: ils peuvent même, par un choix réfléchi, et pour coup, bienfaisant, placer sur vos têtes un gouverneur juste, humain, et vertueux, qui mette sa gloire à essuyer vos pleurs, et à faire renaître parmi vous le règne de la sérénité, de la sécurité, de la paix; mais votre bonheur ne serait que le don gratuit de la condescension ministérielle, et des dispositions naturelles de l'honnête et aimable despote qui vous gouvernait; les ministres pourraient revenir de leur bonne volonté, reprendre leurs bienfaits, et vous replonger dans vos anciens malheurs; mais le bonheur de tout un peuple doit être assis sur des fondements plus fermes et plus durables.

Le fameux fondateur de la confraternité de Pennsylvanie (M. Penn) a placé au frontispice de son code législatif, que « ce sont les hommes bons, qui font les bonnes lois, et qu'il ne faut à tout un peuple que de bons administrateurs, pour les rendre heureux »: il avait raison; mais avant que d'ériger un axiome si raisonnable en règle unique de législation pour un pays, il faudrait trouver un point fixe, pour se répondre à perpétuité de la vertu des conducteurs publics. Sans doute, que ce chef enthousiaste des trembleurs, saisi et agité de l'esprit(4), lisait dans les coeurs des ses présents et futurs sectateurs mais moi, qui ne prétends pas à la gloire du don prophétique, je soutiens hardiment que c'est à la bonté des lois à former les bons administrateurs publics: la vertu de ces derniers tient si fort à la chance et à la casualité, qu'on ne peut raisonnablement s'en rapporter à elle, sur le bonheur de tout un peuple: mais la vertu de la loi est fixe; elle règne en dépit de l'iniquité des conducteurs, et les peuples sont heureux. Elle n'est pas, il est vrai, à l'abri de la transgression; mais la transgression d'une loi (j'entends une loi fondamentale, constitutionnelle, et de gouvernement, dont il est ici question) appelle tous le corps du peuple à la vengeance, ou pour le renversement du violateur, ou pour une révolution totale. Cette doctrine, fondée sur la nature du contrat social, est, à titre spécial, sacrée en Angleterre; car elle a été l'âme de cette grande et mémorable révolution, qui l'a décidée pour jamais, (au moins faut-il l'espérer ainsi) l'empire de la loi, c'est-à-dire de la liberté; car celle-ci est la fille naturelle et légitime de la première: c'est sur ces grandes leçons, Messieurs, que vous ne pouvez faire aucun fond sur toutes les concessions particulières que pourraient vous dispenser aujourd'hui des mains subalternes, autorisées conséquemment à s'en ressaisir, à caprices, dès demain: la loi, Messieurs, le sceau de la loi, qui consacre à jamais la forme de gouvernement dont votre choix aura décidé, voilà le lien seul qui peut attacher invariablement vous au bonheur, et le bonheur à vous: c'est donc au roi siégeant en parlement, à qui vous devez vous adresser.

Douzième article de la réforme[modifier]

Députation solennelle du Canada, au roi et au parlement d'Angleterre.

Ici, Messieurs, le succès dépend beaucoup des formalités: je suis sur les lieux; souffrez que je vous communique l'expérience de mes yeux. Vous avez dépêché trois députés, recommandables tant que vous voudrez par la droiture, le patriotisme, le bon esprit, le mérite personnel; mais c'était de simples citoyens: ils ont échoué à plein; sur la moindre connaissance du grand monde vous deviez bien vous y attendre. Le mérite individuel, la vertu isolée, et ne brillant que de son lustre interne et modeste, ne suffisent pas pour réussir auprès d'un gouvernement; il faut de l'éclat, de la grandeur, de la pompe, dans les cours, pour s'y faire remarquer et écouter; et ce n'est que par l'importance de l'ambassadeur qu'on y juge de l'importance de l'ambassade. Après tout, une province aussi respectable que la province de Québec a quelques droits d'être représentée dans le grand. C'est sur ce plan que je voudrais vous avisez de former votre députation, dont les membres devraient être tirés de l'élite de chaque classe de citoyens; deux du clergé, deux de la noblesse, quatre du corps des négociants, et quatre de celui des agriculteurs: chaque classe défrayerait des députés; ce ne serait pour chaque individu qu'une pure misère, dont vous seriez bien abondamment repayés par le succès, qui alors serait sûrement à vous. Si cependant un si grand nombre de députés alarmait votre économie, réduisez-le de moité, ou même à un représentant pour chaque classe.

Mais ici, une influence maligne, sortie des vapeurs impures des passions de quelques faux frères, peut seule corrompre, et faire mourir parmi vous, jusqu'au germe de l'espérance du bonheur public. À la première démarche que la publication de ces réflexions pourrait susciter, la faction bruyante et courroucée des Mabane, des Fraser, des de Rouville, et de quelques mercenaires flatteurs, en place, va sur le champ sonner l'alarme dans tout le Canada; je la vois d'avance volant de rue en rue, y promenant ses chagrins et ses frayeurs, qu'elle s'essayera d'universaliser et d'approprier à tous les coeurs, à la faveur du tumulte et du vacarme; je le suis de l'oeil, frappant de porte en porte, une adresse à la main, fabriquée dans les forges de l'imposture et du mensonge, concertés ensemble pour soutenir le triomphe de la tyrannie du despotisme, et faire signer, à force de souplesse, de menaces et d'artifices, aux citoyens effrayés et surpris, que l'administration du général Haldimand a été l'administration de la justice, de l'humanité, de la bienfaisance, et que le gouvernement actuel est le seul gouvernement sagement combiné, pour votre liberté, votre félicité, votre gloire.

Car tels sont les canaux infidèles et empoisonnées, qui de source encore plus perfide et plus pestiférée, ont conduit jusqu'ici les informations d'État, sur la situation actuelle de notre province, dans les bureaux des offices publics: et c'est par ces répertoires mensongers, que nos ministères se flattent de la connaître: eh, mais! seraient-ils donc si peu initiés dans la connaissance des hommes, pour imaginer qu'un gouverneur, d'un coeur assez scélérat pour être tyran, pût avoir assez de vertu pour confier dans le sein des ministres, c'est-à-dire de ses juges, de dépôt avéré de ses tyrannies? Non; ce serait s'abattre de ses propres mains, et se renverser lui-même de son trône; il n'a garde d'être ainsi son ennemi; aussi n'a-t-il représenté, et ne représenterait-il jamais, aux conducteurs publics, la province de Québec, que comme un séjour enchanteur, où règne la justice, le bonheur, la sérénité la plus pure, sans mélange d'aucun soupir, excepté peut-être celui du crime puni; c'est-à-dire, Messieurs, que vous êtes et serez toujours heureux à Londres, au moins au tribunal des administrateurs de l'État, tandis que dans votre patrie vous nagerez dans le sang, et dans les larmes: et voilà l'illusion et l'imposition lamentables, que je déplorais amèrement dès le mois de novembre et de décembre dernier dans mes(5) lettres à Milord North. Mes soupirs et les vôtres furent alors perdus; sont-ils condamnés à l'être toujours?

Quoi qu'il en soit, Messieurs, voilà la même marche que vous prépare la faction dont je vous traçais d'avance, il n'y a que quelques moments, les pernicieux complots. Elle a absorbé dans elle-même, toutes les places publiques, tous les émoluments et les salaires de la province; c'est par là qu'elle s'est guindée de force, sur le pinacle de la fortune; elle ne peut s'y maintenir, que par la continuation de votre humiliation, de votre oppression, et de votre esclavage: elle remuera ciel et terre pour étouffer, dès leur naissance, les nobles efforts, à la faveur de qui vous pourrez essayer de vous en relever; et pour consommer votre destruction, en consommant le triomphe du système de gouvernement qui l'a élevée sur vos ruines. C'est à vous à prononcer, si votre existence provinciale doit être sacrifiée à l'exaltation et à la fortune de quelques faux et perfides citoyens, et s'il convient à votre gloire, d'être les spectateurs oisifs et insensibles ... que dis-je? ... le artisans et les promoteurs mêmes de votre perte, en concourant activement à faire réussir les mesures de ces factieux. Je ne balance pas même de vous en communiquer l'aveu, (car il importe à votre gloire, qui fait partie de la mienne) je vous confesserai, dis-je, qu'on vous a représentés ici comme un peuple soumis, timide et docile, si familiarisé avec l'obéissance, et tellement façonné pour elle, que la voix de la liberté, et des sublimes passions de l'homme, ne serait pas capable de vous réveiller, et de vous mettre en action, pour soulever seulement le poids de vos fers, et beaucoup moins pour les rompre. Toute l'Angleterre, au fait de votre oppression, est aujourd'hui dans l'attente pour juger de vous par votre courage et votre fermeté.

Au milieu de cette attente, qu'il est de votre gloire de faire bientôt finir, voici le seul souhait auquel mon sincère patriotisme se borne en votre faveur: puissent vos enfants, et les enfants de vos enfants, combler de leurs abondantes bénédictions, le zèle et l'amour de la liberté, que vous allez déployer dans les circonstances critiques, où vous gémissez, et n'avoir jamais à verser des larmes de sang sur la destinée qui les menace! car il n'est plus temps de vous aveugler, Messieurs; c'est toute votre postérité, qu'il est question aujourd'hui de défendre, et de sauver. Le gouvernement a aujourd'hui dans les mains l'arrangement de la province de Québec(6); il faudrait des siècles pour le ramener d'une erreur de législation qui lui échapperait contre l'économie de vos intérêts et de vos droits; et comment ne pas trembler sur l'existence future d'un si triste évènement, puisque tant de voix mensongères conjurent de toutes parts, pour égarer sa justice, en surprenant sa bonne foi! Il n'y a que vous en corps, Messieurs, qui, par une exertion décidée et vigoureuse, puissiez former un contrepoids, pour contrebalancer les menées de vos ennemis, déchaînés contre votre liberté. Il n'y a que vous, qui pussiez plaider éloquemment votre cause; mais au moins suis-je fondé, sur des titres bien authentiques, de vous assurez, que, pourvu que vous vouliez la plaider en braves gens, vous ne la perdrez assurément pas.

Qu'avez-vous à réclamer pour la réforme du malheureux gouvernement qui maintenant vous opprime? Rien de plus, mais aussi rien de moins, que les prérogatives des citoyens de l'Angleterre; mais par la teneur du contrat social la nature vous assigne en apanage, le droit des gens, les lois des nations vous les assurent, la constitution de l'État, au moins par son esprit, vous les confirme; et enfin les voeux de tout le patriotisme de l'Angleterre (autant qu'il est donné à un simple particulier de compter tant de suffrages) vous en souhaitent la concession plénière, et la parfaite jouissance. Notre souverain, dont vous avez, au premier chef, à solliciter la justice, a été proclamé, par la voix publique, le meilleur des princes qui soient jamais assis sur le trône d'Angleterre. Un titre, pour le moins aussi consolant pour vous, le décore; il est le protecteur spécial, et de prédilection de coeur, le père du Canada; cette qualité, bien avérée dans cette capitale, doit suffire seule pour relever et donner de l'âme à votre confiance. Le ministère qui nous gouverne aujourd'hui jouit, dans les idées universelles, de la gloire de la popularité, c'est-à-dire d'un patriotisme décidé à étendre la félicité nationale dans les domaines les plus reculés de cet empire; tout le corps du peuple, par reconnaissance et par estime, s'est fait un point d'honneur de lui former, par son choix, un parlement d'après son modèle: enfin, le ministre au département de qui ressortit la province de Québec, est Milord Sidney. Ce seigneur, n'étant encore que M. Townshend(7), fut le sénateur qui s'éleva d'avance avec plus d'énergie et de force, contre la sanction donnée en parlement au bill de Québec, à raison du despotisme, qu'il préjugeait, dans les vues anticipées de sa juste politique, devoir un jour en découler: Milord Sidney est lié d'honneur à soutenir les avances de M. Townshend, et à extirper une tyrannie qu'il avait réprouvée et condamnée avant son avènement.

Enfin, ce grand ministre est, par sa mère, de la descendance du fameux archi-patriote Sidney(8), ce célèbre patron de la liberté, dont il était si exalté, si épris, qu'il ne voulut rien souffrir chez lui qui ne fut marqué de ses augustes livrées. Un sang si libre, coulant dans ses veines, ne condamnera pas à l'esclavage tout un peuple de nouveaux sujets, qui viennent à son tribunal officiel redemander la liberté, au nom de l'illustre nation qui les a adoptés.

Conclusion[modifier]

Je conclus, Messieurs, par le témoignage public d'un des plus illustres seigneurs d'Angleterre, (le Lord Sheffield) qui, dans un livre savant et tout patriotique, a mis, d'un seul trait de plume, le dernier sceau de la confirmation à vos espérances et à vos droits. « La sage politique de la législature », dit-il, « ne doit pas balancer un moment de gratifier les Canadiens de la forme de gouvernement, assortie à leurs demandes et à leurs goûts, parce que le plus beau titre que l'Angleterre puisse se ménager pour se promettre la conservation de leur pays, réside dans leur contentement et leur satisfaction; pour placer ce contentement sur une base inébranlable, nous devons adopter pour système, de leur faire un sort civil, plus heureux et plus beau, que les colonies américaines, qui les environnent, ne pourraient leur promettre et leur offrir. »

Tout est dit dans une déclaration si précise et si publique: votre liberté est donc dans vos mains. Il n'est plus question pour vous, que de la demander, comme il convient; un peuple animé d'aussi beaux, d'aussi grands sentiments que les vôtres, ne peut choisir, de préférence à son émancipation civile, l'infamie de l'esclavage, pour lui et toute sa postérité; il cesserait d'être lui-même. Le comble de la gloire pour moi, serait de pouvoir réclamer quelque part dans cette heureuse révolution qui est ici l'âme de mes réflexions et de mes veilles; au moins puis-je et dois-je vous assurer, qu'à son avènement, votre bonheur national suffira seul, pour me consoler de toutes mes disgrâces personnelles. Je ne puis conclure, par des sentiments plus dignes de vous, et en qualité de votre compatriote, j'ose le dire, plus dignes de moi.

J'ai l'honneur d'être, avec la plus parfaite considération,
Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur,

Pierre du Calvet

Notes de l'auteur[modifier]

  • (1) À ces cinq articles, il faudrait bien ajouter le représentation du Canada dans le sénat britannique, telle qu'elle va bientôt s'éclaircir; c'est une droit constitutionnel des Canadiens qui ne doivent rien oublier pour en jouir.
  • (2) La candeur et le zèle de M. Masères pour toute la province de Québec n'éclatèrent jamais sous un plus beau jour: « Vous savez », dit-il à Messieurs Powell, Adhémar, et de Lisle, « que je suis chargé de trois requêtes de la part des anciens sujets, pour obtenir du Parlement une maison d'assemblée pour la province. Une telle institution serait pour jamais le salut de la colonie; il ne luit aucun rayon d'espérance d'y réussir, tandis que tous les colons, de concert, ne se réuniront pas pour la demander: mais dans cette circonstance, laisserions-nous donc la colonie tout à fait en proie à la tyrannie, sous qui elle gémit? Les cinq articles que je vous propose rebattront bien de la pesanteur de ses chaînes; puisque vous les approuvez, je vais redoubler de zèle et d'effort, pour les faire agréer au parlement; tenez-vous prêts à les appuyer de vos suffrages, et à répondre sur l'établissement de l'assemblée. »
  • (3) Je ne suis pas le seul protestant dans la province de Québec; mais nous serions tous prêts à protester, que nous choisirions tous de préférence de vivre sous une assemblée toute catholique romaine, que sous le gouvernement présent tel qu'il est aujourd'hui; et tels doivent être, et sont de fait, les sentiments de tous les honnêtes gens de la communion romaine, pour une assemblée, toute protestante, exceptés peut-être quelques-uns de ces hommes radicalement intéressés et serviles, que leur élévation dans les places a vendus pour jamais à l'iniquité du despotisme et du despote.
  • (4) Peut-être qu'on pourrait ajouter ici, que les Français n'ont jamais déparé leur association avec les Anglais, dans des occasions encore de plus d'apparat; à Poitiers, le Prince noir n'avait sous ses ordres que deux mille Anglais, sur huit mille Gascons. L'indiscipline du gros de la nation française fut battue; mais cette victoire ne fut-elle pas en bonne partie due à la discipline d'un autre corps de la nation française, formée par le plus grand héros que l'Angleterre ait jamais produit? Pardon de la réflexion; je cherche à m'instruire.
  • (5) Dans les églises quacres, on appelle esprit, ce qu'on qualifie ailleurs d'inspiration divine.
  • (6) Lettres à Milord North
  • (7) Voici l'extrait du Courrier de l'Europe du vendredi 25 juin 1784, sur l'article intitulé Bulletin de Londres:
On parle de diviser le Canada en deux gouvernements, ainsi que l'on a divisé la Nouvelle-Écosse, et d'avoir un Gouverneur Général pour les deux provinces; c'est le Lord Grantham, qui est le président du comité chargé de préparer les règlements nécessaires aux établissements qui restent à l'Angleterre sur le continent américain. M. Pitt, lord Sidney, M. Jenkinson et M. Dundas sont les autres conseillers d'État qui sont de ce comité.
Je ne suis ici que copiste; car si j'étais commentateur politique, j'aurais de grande remarques d'État à proposer contre cette division de gouvernement, qui, si elle était jamais réalisée, commencerait par doubler les emplois, et pourrait bien finir par diviser tous les esprits de la province. La simplicité est la mère de l'économie, et le premier symbole de la paix.
La réflexion suivante va présenter le contraste dans toute sa latitude: avant la dernière guerre, on avait jugé de convenance d'étendre la province de Québec jusqu'au Mississipi; aujourd'hui que le traité de paix l'a rétrécie de moitié, on la diviserait en deux! inconséquence, qui ne devient conséquente que pour faire de nouvelles créatures au gouverneur, et en charger l'État.
  • (8) Voici les noms des personnes de marque qui s'élèvent le plus vivement contre les suites funestes de ce bill, dans la chambre basse du Parlement: Le conseiller Dunning, depuis lord Ashburton, M. le chevalier Mackworth, M. Thomas Townshend junior, M. le chevalier Savile, M. David Hartley, le colonel Barré, le commodore Johnstone, M. Dempster, M. Edmund Burke, etc. Le lord Maire, au nom de la ville de Londres, présenta une requête contre le bill. Dans la chambre haute, son altesse royale Mgr le duc de Gloucester, frère du roi, fut un des opposants. Hors du Parlement, M. le baron Masères, M. Hey, M. Lobinière, condamnèrent hautement ce bill, dont ils prédirent l'abus et les suites.
  • (9) Barillon, alors ambassadeur de France à Londres, raconte, dans les mémoires de son ambassade, que Sidney étant en France, montait un superbe cheval anglais, dont Louis XIV fut épris, et dont il fit demander le prix. À cette question le patriote anglais s'arme de son épée, et courant à son cheval, ami, dit-il, (car la liberté familiarise tout) tu es né libre, tu mourras tel; et sur cela il le perce, et l'étend raide sur la place. C'est exactement le fameux Virginius se ruant sur un tranchet d'une boutique voisine, en frappant sa fille, et arrosant de son sang les rues de Rome; il est vrai qu'il était question pour celui-ci de sauver l'honneur d'une Romaine, de la brutalité du tribun militaire Appius: aussi la victime, aussi généreuse que son père, tendit-elle en silence le col sous le glaive du sacrificateur; mais ce malheureux cheval aurait pu faire observer à son maître, qu'on ne lui destinait pas à Versailles un autre mords que celui qu'on lui mettait en bouche à Londres, et que mords pour mords, il valait encore mieux vivre: mais le jeu de ce monde politique, n'est que celui d'une grande comédie; la pompe, l'ostentation orne la scène, en attendant le dénouement, qui vient comme il plaît au hasard.




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