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Valentines et autres vers/Notes parisiennes

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Valentines et autres vers, Texte établi par Ernest DelahayeAlbert Messein (p. 213-217).


NOTES PARISIENNES


I


L’inconnue, c’est elle.

Madame est sortie. Sa coiffure est javanaise, sa toilette aussi, d’une simplicité ruineuse, elle ne s’en doute même pas, ni qu’elle dépense en cravates les appointements d’un chef aux Finances. Et elle ne « veut mettre que deux sous » à un petit bouquet quand elle fait trois pas en levant un peu la sous-jupe, le siècle regarde.

Au « grand Louvre » elle règne, au « Printemps ». Les reines des autres pays seraient ses bonnes.

La petite Madame ; elle va ce soir, l’œuvre d’un coiffeur de Ninive, multiplier son profil dans les glaces « au bal des Victimes ». Sa danse est jolie en diable. À la sortie, Jacques Cœur l’attendra sous le péristyle.


II


« Niniche », aux boulevards, se fait suivre des cœurs à millions, de fougues péruviennes, de toquades moscovites. Les deux-mondes s’embarrassent les pieds dans ses traînes. Elle rit.

Elle « s’est mise à elle ». Ses appartements sont bien un drôle de ciel. Le plafond s’effondre en fleurs idéales, de sombres paysages, qui s’éclairent vainement d’une lune chinoise, s’épanouissent sur les écrans. Sur la mousse d’or du tapis « le chien de Périclès » a laissé des poils longs comme les cils de la gazelle.

Sa pensée habite un Mabille de rêve. Accroupie, le regard perdu, son immobilité évoque un trépied, à Cyrrha.

La nuit, sous le gaz, c’est le front de glace, les joues pures comme l’argent, la lèvre assyrienne, le sourire de l’idole. Le matin : un incendie de mèches sauvages, l’ébat dans la blouse gris-d’eau, l’air caniche, la jambe nue et douce, — et l’odeur de l’oreiller où s’étouffent les mots de bonheur.

Longtemps le souvenir de sa cigarette fume dans les Cours étrangères.


III


La princesse gagne le Bois. Sa voiture, grande, aux panneaux clairs, emporte un reflet du paysage apoplectique. Muettes sont les roues, et seul le pied des chevaux sonne lorsque l’élan rythmé pétrifie les attelages grossiers, coupe en deux des serpents de pensionnat. La livrée est bleu-de-nuit avec de grands boutons de nacre, qui sont comme des petites lunes dans l’azur. Le Crépuscule est aristocratique. Un petit rayon, attardé sous ces feuillages, allume son oreille, bijou d’or rose. Elle rend le salut au duc de la Mésopotamie, celui-là « boit du sang d’un chat noir ». Beauté sans âge, hygiène royale, et mise à jeter la honte dans le bétail des Vénus sans voiles. La voici revenir, reine des contes bleus, vue au pâle incendie de la nuit d’été. En janvier, c’est le Théâtre, trois mille archets sourds ainsi qu’un bourdonnement d’âmes, un village de l’Illyrie au fond de la scène, et le rebord des hautes loges, combles, comme garni de têtes de décapités. Elle lit les nouveautés les moins vieilles : « qui me rendra la fumée du brasier, le joyeux matin de Navassart. » Les mains « frêles comme des fleurs ; pourtant de son coup de poing, Jean, sous sa livre d’Elbœuf, garde, autant que l’épaule, l’âme meurtrie. Elle cravache ses amants, Baden-Baden : elle est toujours un peu par là. Il y a aussi la Provence d’hiver, le ciel de lapis-lazuli, la promenade sur les mornes, et le château dans les rochers, où elle descend le perron, à l’encontre de Mademoiselle de Grignan qui remonte, la main à la rampe, un peu affaissée. Elle est née au bord du Volga, à moins que la Suède ne la revendique, ou que la Grèce ne réclame. Elle chante en pali, mâche de l’aneth, et ne s’empoisonne pas avec de la décoction de laurier-rose. Elle se grise avec du vin de Babel. Détail sacré : jusqu’à mi-jambe, les chaussures gris-perles sur le bas de marbre, montent. Puis, comme on est un peu grasse, oh ! sur les deux côtés, l’empeigne légèrement avachi.


IV


Mais n’entends-je pas un monarque roussi, à la peau historiée, proposer à l’ex-connaissance d’un maçon de Montrouge, débarquée à peine dans l’île :

Toi vouloir, dis, être la femme ? moi donner palais de roseaux, et payer de kaolin et ustensiles d’arêtes de poisson. Moi porter toi sur les épaules et toi croiser les pieds dans le dos. Toi caresser moi, du bout de l’ongle, entre les deux sourcils. Et toi être la Reine à eux. Eux faire la prière en regardant le ventre à toi, s’élargissant comme la lune en travail à la fête d’automne.

« Sire, bas les pattes ».

G. N.