Variétés et mélanges, 4e trim. 1829/03

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Variétés et mélanges, 4e trim. 1829
Revue des Deux Mondes, période initialetome 2 (p. 375-411).

ASIE BRITANNIQUE.
DE LA FORCE DU PRÉJUGÉ CHEZ LES INDOUS.

Les Femmes.

C’est un penchant naturel à tous les Anglais d’admirer presque exclusivement les institutions de leur pays, et de mesurer le bien-être des autres nations par le plus ou moins de ressemblance qu’elles ont avec la leur. Partout où ils se sont fixés, ils ont introduit les habitudes de la mère-patrie : l’Inde seule a résisté jusqu’ici à cette invasion de mœurs ; la différence de religion, et de hautes considérations politiques s’y sont opposées. Les Hindous regardent les Anglais comme des hommes d’une classe supérieure, et cette impression si favorable à la domination britannique pourrait disparaître à la suite de communications plus intimes. Les Anglais n’ont d’autres rapports avec les Hindous que ceux qui existent entre les gouverneurs et les gouvernés, entre les maîtres et les sujets.

Il importe cependant de ne pas heurter les préjugés de ce peuple ; l’instant qui exciterait en lui un mouvement de colère pourrait bien aussi éveiller dans son ame le sentiment de sa force, instant terrible, et pour jamais fatal à la puissance britannique. C’est ce que paraissent ignorer la plupart des jeunes civilians[1] qui arrivent d’Europe. Ils affichent une sorte de mépris pour des usages qui diffèrent entièrement des mœurs européennes. Ils ne réfléchissent pas que ces usages, qui doivent presque tous leur origine à un principe religieux, ont acquis aujourd’hui l’autorité du temps, et qu’entreprendre de les détruire, soit par la violence, soit par le ridicule, ce serait imposer à une nation superstitieuse un joug mille fois plus dur que celui de la conquête.

Je ne veux citer ici qu’un seul exemple. Saluer une femme en public c’est offenser mortellement le mari ; c’est exposer cette femme à tous les excès d’une jalousie brutale. De jeunes étourdis affectent quelquefois cette marque d’intimité. Le fait suivant montre les conséquences fatales d’une conduite trop légère. Les circonstances en font frémir.

Un jeune juge fut envoyé dans l’intérieur d’une province, pour terminer un procès de longue durée qui exigeait un séjour de plusieurs mois. Arrivé dans la ville principale du district, il découvrit que la maison qu’il habitait dominait celle d’un raj-pout de distinction. Ce dernier avait une femme extrêmement belle, qu’il aimait passionnément. Le jeune Anglais ne l’eut pas plus tôt entrevue, qu’il conçut l’idée de la séduire ; toutefois, comme il ne pouvait trouver aucune occasion de lui parler, il s’efforça de communiquer par signes avec elle. Un voisin, témoin de ce qui se passait, en informa le mari. Comme le juge avait la réputation de courtiser le beau sexe, le raj-pout n’eut pas de peine à croire le rapport de son ami. Il résolut d’examiner de près la conduite de sa femme ; mais il n’y trouva rien de blâmable. Un jour cependant il aperçut le jeune juge qui, du haut de la terrasse, recommençait ses signes accoutumés. Le lendemain, la femme du raj-pout fut trouvée morte dans son lit. Le mari ne cacha pas la part qu’il avait prise à ce meurtre ; il déclara qu’il l’avait commis pour sauver son propre honneur et celui de sa femme. Il fut arrêté, et amené devant le jeune Anglais, qui, en sa qualité de seul magistrat européen, se vit contraint, non-seulement de recevoir les aveux du mari, mais encore d’assister à une enquête sur le corps de sa victime. Comment décrire la situation déchirante de ce jeune homme ?… car, à part quelque trait d’étourderie et de vanité, il possédait les sentimens les plus nobles et les plus élevés. Le raj-pout, convaincu par sa propre déclaration, fut condamné à mort ; mais, en présence de son juge, il l’accusa hautement comme l’auteur de son crime. La même nécessité qui avait forcé le magistrat anglais à présider au procès du malheureux raj-pout, l’obligea encore d’être présent à l’exécution. Ce dernier coup mit le comble à son désespoir. Par un effort inouï, il remplit ce devoir horrible ; mais rentré chez lui, ayant toujours devant les yeux l’image de ce couple infortuné, il ne put supporter plus long-temps les angoisses de sa conscience. D’un coup de pistolet il mit fin à la fois à son existence et à ses remords…

B***…
VALACHIE.

UNE SCÈNE DE BOHÉMIENS.

(Extrait des Mémoires d’un jeune Grec.)


Je me trouvais en Valachie, chez un de mes amis, négociant comme moi, dans un de ces misérables villages composés de cabanes dont le premier venu peut se dire le seigneur s’il possède seulement un cheval proprement harnaché, des vêtemens étrangers et un commerce de quelques piastres. Dans ce pays, soumis d’avance à qui prend la peine de le conquérir, et qui n’a d’autre industrie que celle de tirer le meilleur parti possible de sa servitude, le bâton est le seul lien qui existe entre le maître et l’esclave : l’un commande et frappe, l’autre tend le dos et obéit. Les différences, du reste, ne sont qu’à l’extérieur : au fond, même corruption, même ignorance, même dégradation : le riche n’a pas même le triste avantage d’un vernis d’élégance pour déguiser la sienne ; les mêmes vices habitent sous la pelisse de soie du seigneur et sous la tunique grossière du paysan valaque…

Des étrangers, Juifs, Grecs, Serviens ou Bulgares, pour la plupart, exploitent le commerce de la Valachie. C’était dans ce but que j’étais venu vivre avec mon ami, issu lui-même d’une des familles franques les plus estimées de Constantinople. Mais, à la tête d’une maison considérable, il était obligé à de fréquentes absences ; il menait depuis longues années cette vie dure, active et périlleuse du négociant dans l’Orient : il m’avait donc laissé seul dans son village. Jeune, sans expérience, au milieu d’une population dont je connaissais peu la langue, et encore moins les mœurs, je passais mon temps, comme la plupart des riches valaques, à fumer, à boire, à chasser, à monter à cheval et à m’ennuyer ; je n’avais que le passe-temps de battre les paysans.

Un soir, au moment où mes Valaques rentraient de leurs travaux, j’étais dans la cour, occupé à faire entourer de palissades des marchandises qui devaient y passer la nuit, lorsqu’un bruit subit et inconnu attira mon attention. Cette rumeur, d’abord éloignée, croissait et se rapprochait à chaque instant ; c’étaient à la fois des voix d’hommes, des chants aigus et bizarres, des cris d’enfans et de femmes, des mugissemens d’animaux, etc. Je ne saurais rendre ce qu’avait d’effrayant, le soir, au milieu des longues plaines de la Valachie, cette discordante harmonie, que le vent apportait jusqu’à nous. Si je me fusse trouvé dans le désert, j’aurais cru entendre une horde de Bédouins ou une caravane avec ses chameaux. Je ne m’étais pas trompé de beaucoup, car les déserts de la Valachie ont aussi leurs caravanes et surtout leurs Bédouins. — Qu’est-ce donc, sainte mère de Dieu, demandai-je au premier domestique de mon ami, vigoureux paysan, dont on avait fait, malgré lui, un habitant du comptoir : Qu’est-ce donc, Bivalaki ? — Encore une huitième plaie d’Égypte, monseigneur. — Comment, sont-ce des sauterelles ? — Non, monseigneur ; pire que cela : des Bohémiens. — Des Bohémiens ! m’écriai-je, à mon tour ; et je pâlis à l’idée des marchandises de mon ami, exposées en plein air. Les longues lances d’une troupe d’Arabes m’auraient fait moins peur que l’idée de ces longs doigts crochus de Bohémiens furetant mes ballots. — Et vont-ils passer la nuit ici ? il faut les renvoyer plus loin ; il faut qu’ils partent à tout prix. — Dame, monseigneur, nous ferons bonne garde, cette nuit, et nos voleurs se rabattront sur les poules du village ; malheur à celles qui auront découché. — Mais nous ne pouvons pas souffrir que des bandits viennent ainsi rançonner le village ; il faut réunir quelques hommes, et les forcer à aller prendre gîte plus loin, — Croyez-moi, monseigneur, n’ayez rien à démêler avec ces gens-là ; c’est le plus sage ; les Bohémiens sont comme les chardons : ils font du mal à ceux qui les touchent.

Cet avis était le plus sensé, aussi ne l’écoutai-je pas : je fis signe de me suivre au brave Bivalaki, qui, pour avoir conseillé la prudence, n’en était pas moins prêt à me défendre des suites d’une sottise ; et, me mettant en route avec lui, je fus bientôt arrivé au camp des Bohémiens, à deux cents pas environ du village. De mauvaises tentes en poil de chèvre composaient tout l’établissement, et la porte était tournée du côté opposé au village. J’arrivai donc sans être aperçu. J’appliquai l’œil à l’une des nombreuses déchirures de l’une des tentes, et je vis… (l’œil d’un chrétien n’a pas été souvent régalé d’un pareil spectacle) ; autour d’un vaste feu allumé devant la porte, je vis entassées pêle-mêle quelques créatures humaines dont je pouvais à peine distinguer la forme, au milieu des nombreux quadrupèdes qui se confondaient avec elles ; la seule marque de supériorité que les bipèdes humains avaient pu s’arroger était de se placer plus près du feu, pour surveiller sans doute plus facilement l’importante affaire du souper qui s’apprêtait dans une immense chaudière. Des enfans nus, suspendus au sein de leurs mères nues et basanées comme eux, formaient avec tout cela des groupes hideux de misère et de malpropreté. J’ai dit leurs mères, je me trompe ; car, tout étant commun dans la république, femmes comme enfans, il n’y a pas plus d’épouses qu’il n’y a de mères. La nourrice donne son lait à l’enfant qui se trouve à côté d’elle, et qui, après tout, est peut-être le sien, mais elle n’en sait rien ; le cochon de lait tette à l’ânesse, le jeune chien à la truie, le chat à la chienne : tout est pêle-mêle, tout confondu. Les démarcations de races, les relations de famille n’existent plus dans cette horrible anarchie, dans ce chaos de la nature, où l’homme n’a d’autre supériorité que celle de la force, d’autres liens que ceux du hasard, d’autres penchans qu’un brutal désir.

Mais mon espionnage fut bientôt trahi par quelque chien de la tribu, ou les oreilles non moins vigilantes de quelque Bohémien. Un mouvement général s’opéra dans cette masse confuse, où tout s’agita et parut reprendre vie, comme dans une fourmilière que l’on dérange ; deux ou trois hommes sortirent brusquement de la tente, et me demandèrent, en langue valaque, d’un ton assez effronté, ce que je voulais. Les vêtemens étrangers qu’ils aperçurent les rendirent cependant plus humbles, et quand je leur eus fait connaître ma ferme détermination de les renvoyer chercher leur gîte plus loin du village, le vocabulaire si servile du paysan valaque n’avait pas d’expressions assez basses pour rendre leurs supplications. — Ils étaient si fatigués ; les villages étaient si loin ; il leur fallait si peu de chose, ce qu’on donne à un chien, un peu de terre pour s’y coucher, un peu d’eau pour se rafraîchir ; je n’aurais jamais le cœur de renvoyer ainsi une pauvre tribu qui venait manger à ma porte le pain de la misère, sans même me demander les miettes de mon repas. Je l’avouerai : mes entrailles, d’ailleurs endurcies par le contact avec une population toujours mendiante et toujours affamée, étaient assez peu émues de ces longues litanies ; j’insistai avec fermeté, et plus ma voix s’élevait, plus celle de mes antagonistes baissait de ton, surtout à la vue du redoutable bâton dont mon compagnon faisait parade, comme pour appuyer mon discours ; car rien en Valachie ne résiste à cet argument : celui qui frappe a toujours raison. Enfin, dans mon impatience, j’arrachai de la terre une des cordes de la tente, et le fragile édifice chancela. J’eus tort, et ne fus pas long-temps sans m’en apercevoir : la tribu parut se soulever tout entière ; quatre ou cinq femmes sortirent de la tente totalement nues, mais d’une nudité si rebutante, que nos langues civilisées manquent de mots pour la dépeindre. Ces mégères, couvertes de leurs longs et sales cheveux noirs, les yeux étincelans, et étendant vers moi leurs doigts crochus, se mirent à vomir, dans leur idiome barbare, toutes les malédictions que langue d’homme peut inventer. Enfin, quand les paroles leur manquèrent, quand leurs gorges enrouées ne purent plus rendre aucun son, chacune d’elles, saisissant par le pied une de ces affreuses petites créatures qu’elles portaient dans leurs bras, leur firent décrire en l’air le cercle qu’un enfant imprime à sa fronde, et menacèrent de m’en frapper. Je reculai, épouvanté de ce dernier trait d’éloquence ; mon fidèle domestique était aussi altéré que moi, et son regard tourné derrière lui avec une inquiétude visible paraissait me conseiller de chercher mon salut dans la fuite. Nous fûmes bientôt d’accord, et, suivant un peu trop tard l’avis que j’aurais dû écouter plus tôt, je me retirai à la hâte, d’un pas qui ressemblait assez à une course, abandonnant à leur sort les tendres couples que j’avais dérangés. N’oublions pas d’ajouter que, malgré la rapidité de ma retraite, je fus poursuivi jusqu’aux portes du village par toute la tribu, y compris les femmes, les enfans, les chevaux, les chiens, les cochons, et que leurs hurlemens discordans me poursuivirent encore long-temps après qu’ils se furent arrêtés à ces limites qu’ils n’osaient pas franchir.

Arrivé à ma porte, je me retournai pour attendre mon domestique, que j’avais laissé derrière moi. Il arriva bientôt ; mais il n’était pas seul ; il traînait après lui par les cheveux (manière qui remplace les menottes, en Valachie) un grand gaillard basané vêtu de la longue tunique de lin, de la ceinture de laine, des spartillas et du bonnet de peau de mouton, communs au Bohémien et au paysan valaque.

C’était le chef de la tribu. La seule marque de son autorité était un court et pesant fouet armé de lanières de cuir, et de nœuds de fil de laiton, qu’il portait à sa ceinture, et qui lui servait à mettre l’ordre au milieu de sa bande indisciplinée. Mon homme l’avait rencontré devant une maison du village où il venait mendier ou voler selon l’occurrence. D’assez mauvaise humeur, comme on l’est quand on a tort, je ne fus pas fâché de cette capture, et je me promis de faire payer à ses épaules ma mauvaise aventure. Je le fis entrer, et bientôt une bastonnade légèrement appliquée lui témoigna mes charitables intentions, qu’il n’avait que trop pressenties. Mon but, en le retenant, n’avait pas été de satisfaire une mesquine vengeance, mais d’imposer à ses compatriotes, en le retenant pour otage, et en mettant sa délivrance au prix de leur prompt départ. Malheureusement j’avais compté sans mon hôte, et surtout sans les hurlemens qu’il se mit à pousser dès le premier coup, au lieu de l’héroïque patience que les Valaques déploient dans de pareilles exécutions. En un instant, l’infernale tribu se trouva rassemblée sous mes fenêtres, comme une troupe de djinns (génies). Il n’y manquait rien, ni bipèdes ni quadrupèdes, ni surtout les noires sorcières, avec leur fronde vivante qu’elles balançaient dans leurs mains, se pressant autour de mes frêles palissades, que je craignais de voir s’écrouler ; elles me menaçaient de jeter leurs enfans sur le pavé de la cour, en me disant que je les paierais. Ces balistes d’un nouveau genre auraient effrayé la garnison la plus intrépide ; aussi, ne tardai-je pas à capituler ; c’était leur chef qu’elles demandaient, qu’elles voulaient à tout prix : car un roi d’Asie n’inspire pas plus de respect à ses peuples qu’un chef de Bohémiens à sa tribu ; ses paroles sont des lois, son regard est une faveur, son fouet lui tient lieu de sceptre ; il est à la fois pontife, législateur et maître. Les articles de la capitulation furent bientôt dressés ; je rendis à la tribu son fétiche vénéré, en me réservant seulement le redoutable fouet comme un trophée de ma victoire ; je scellai sa liberté du don de quelques poules, et la tribu se retira en me comblant de bénédictions.

Après une nuit que les Bohémiens passèrent, sans doute plus tranquilles que moi, à manger les poules des chrétiens et à se moquer d’eux, l’aurore du lendemain vit disparaître la bande de mauvais augure, à la grande satisfaction des habitans et surtout à la mienne.


N. B. Il manque encore quelques traits à ce bizarre tableau : voici ce que j’ai pu recueillir pour le compléter sur les mœurs et la religion de ces sauvages peuplades dont l’origine se perd dans la nuit des temps, et que l’on rencontre dans toutes les contrées de l’Europe, depuis l’Espagne jusqu’à la Pologne. Sortis de l’Égypte, qui paraît être leur patrie primitive, elles en ont sans doute emporté quelques notions vagues d’une religion mère de tant d’autres, et dont les prêtres se réservaient l’exclusif monopole ; mais ces notions obscures se sont bientôt altérées. Il serait difficile d’en suivre la trace au milieu de leurs courses vagabondes. Un mot recueilli de leur bouche, une de ces traditions populaires, d’autant plus précieuses que celui qui les répète ne les comprend pas, pourra peut-être jeter quelques clartés sur cette question : « Nous avons une maison de pierre, disent-ils souvent, les chrétiens nous l’ont prise, et nous ont donné leur maison de bois ; le feu y a pris, et nous ne l’avons plus. » Tout vagues qu’ils sont, ces mots révèlent une antique origine, et d’antiques croyances. C’est toute l’histoire de cette malheureuse nation.

Quant aux mœurs des Bohémiens, cette esquisse les a peintes sous le jour le plus saillant : j’ajouterai seulement que, pendant l’hiver, la tente est remplacée par des tanières qu’ils se creusent dans les montagnes. Entassés comme les marmottes, et passant presque comme elles leur hiver dans un long sommeil que la faim seule interrompt, ils ne quittent guère leurs retraites. Elles présentent, s’il est possible, un spectacle plus hideux encore que leurs tentes, à cause du long séjour qu’ils y font. J’ai décrit leur costume, quand ils en ont un ; celui des femmes n’en diffère qu’en ce qu’elles ont les jambes nues, et la tête couverte, au lieu du bonnet, d’une longue toile blanche arrangée à peu près comme le voile napolitain. Les jeunes filles vont nu-tête, et tressent parfois des paras dans leurs cheveux, comme quelques femmes en Orient y tressent des sequins ; c’est, du reste, leur seule ressemblance.

Rw. Saint-H…


PETITE BUKHARIE..

(RÉFORME DE L’ADMINISTRATION JUDICIAIRE. — PROHIBITION DU COMMERCE DU THÉ.)

Le gouverneur de la petite Bukharie, résidant à Cashgar, Ma-Jen-Ching, qui était gouverneur à Canton lors de l’expédition de l’amiral Drury, a recommandé à S. M. de réduire les taxes et les amendes qu’imposent tous les tribunaux de ce pays. On a découvert qu’avant la dernière révolte, les chefs et les officiers du gouvernement se permettaient contre les malheureux mahométans des exactions continuelles, sous prétexte du bien public, alors qu’ils n’avaient en vue que leur intérêt particulier. L’empereur a applaudi au projet du gouverneur, et l’a adopté. Il a voulu aussi que le décret fût gravé sur le roc en caractères ineffaçables, afin que tous les habitans mahométans pussent en prendre connaissance.

Un autre décret établit la faculté de l’appel d’un tribunal à l’autre, jusqu’au résident, et, dans le cas de déni de justice, la partie lésée pourra s’adresser une fois par an aux tribunaux de Pékin. Mais il faut que les plaintes soient fondées, autrement l’appelant sera lui-même puni comme faux accusateur.

Le gouverneur de la petite Bukharie est actuellement commissaire impérial à Cashgar ; il cherche tous les moyens imaginables pour empêcher toute relation des habitans avec les nations étrangères et avec les tribus du nord, du sud et de l’ouest. Les communications seront surveillées et fermées. Le thé, qu’on transportait chez les tribus étrangères à travers le désert de Chamo ou de Kobi, ne pourra plus passer. Le gouvernement n’autorise que le passage par la porte Kia-ju-kwan de la quantité de thé nécessaire aux sujets mahométans de Sa Majesté, et le prix de ce thé restera invariable.

Une tribu marchande appelée Haou-han pourra trafiquer dans un lieu désigné, sous l’inspection d’un officier et de 200 soldats. L’autorité fixera le prix de chaque article de commerce, et l’on ne pourra faire que des échanges. Aucun argent chinois ne pourra passer les frontières ; toute infraction sera sévèrement punie ; les marchandises seront confisquées. Tous les officiers et fonctionnaires publics sont chargés de l’exécution de ce décret.



ALLEMAGNE..

(TABLEAU DES UNIVERSITÉS DE LA BOHÊME ET DE LA PRUSSE EN 1827.)

Fondation. Professeur. Étudiants.
Prague 1348 55 1449
Vienne 1365 77 1685
Heildeberg 1368 55 626
Wurtzbourg 1403 31 660
Leipzic 1409 81 1384
Rostock 1419 34 201
Fribourg (Bade) 1450 35 556
Greifswalde 1456 30 227
Bâle 1460 24 214
Tubingue 1477 44 827
Marbourg 1527 38 304
Kœnigsberg 1544 23 303
Iéna 1558 51 432
Giessen 1607 39 371
Kiel 1665 26 238
Halle 1694 64 1119
Breslau 1702 49 710
Gottingue 1734 89 1545
Erlangen 1743 34 498
Berlin 1810 86 1245
Bonn 1818 42 526
Munich 1825 71 1123
Totaux 1078 16243


Proportion des professeurs aux étudians dans les principales Universités de l’Europe
Berlin 1 à 13 Naples 1 à 30
Lepsic 1 17 Lemberg 1 34
Gottingue 1 17 Pavie 1 36
Halle 1 20 Munich 1 36
Vienne 1 22 Cambridge 1 48
Upsale 1 26 Oxford 1 40
Prague 1 26 Édimbourg 1 102
Paris 1 27


CAP DE BONNE-ESPÉRANCE.

ASSOCIATION POUR LE RACHAT ET L’ÉDUCATION DES ESCLAVES.

De tous les actes de bienfaisance, il n’en est peut-être pas qui exige plus de générosité, de persévérance et de circonspection que le rachat des esclaves noirs et l’amélioration de leur sort. Depuis long-temps déjà cette grande œuvre est commencée ; les lois ont proscrit la traite, et pris la défense de l’homme de couleur, et cependant on compte encore bien des pays où l’on spécule sur les malheurs de l’humanité, où pour prouver que les nègres sont incapables de jouir de leur liberté, on a soin de les tenir dans la plus complète ignorance, de les dégrader et de les abrutir. Nous pourrions donner d’affreux détails sur la condition déplorable des esclaves dans quelques pays ; mais nous trouvons plus agréable et plus consolant de faire connaître ce que la religion et l’humanité ont inspiré à quelques habitans de l’Afrique.

Une société s’est formée, en 1827, au cap de Bonne-Espérance, dans le but d’acheter de jeunes esclaves et de procurer la liberté à ceux qui, par une bonne conduite, s’en montreraient les plus dignes. Pour donner aux fonds la plus grande valeur et la direction la plus utile, on ne fait que prêter aux adultes la somme nécessaire à leur rachat ; par cette disposition on s’assure de leur bonne conduite, on les encourage au travail, et on en forme autant d’ouvriers actifs, dévoués et honnêtes ; en général on préfère les femmes aux hommes, parce qu’elles ont été moins exaspérées par les mauvais traitemens, et que les enfans d’une femme libre sont libres, quoique leur père soit esclave, tandis que les enfans d’un homme libre sont esclaves. Si leur mère est en servitude, les enfans sont mis en apprentissage pendant un certain nombre d’années, et ce qu’ils gagnent sert à dédommager la Société des frais qu’elle a faits pour leur achat et leur entretien, et de ceux qu’elle doit faire plus tard pour leur établissement.

Déjà nous apprenons que des esclaves libérés ont dignement répondu à la générosité de leurs bienfaiteurs, en sacrifiant eux-mêmes une partie de leurs bénéfices, pour communiquer à leurs semblables une partie de ce bien-être dont ils sentaient tout le prix. Dès les premiers mois, plus de cent souscripteurs, parmi lesquels on remarquait un grand nombre d’ecclésiastiques, de ministres, d’administrateurs et de négocians, s’empressèrent de contribuer à cette bonne œuvre. Plusieurs propriétaires d’esclaves, comprenant leurs véritables intérêts, ont autorisé de leur exemple cette louable et utile entreprise. Mais quoique le gouvernement ait, par des lois spéciales, permis à tout esclave de demander la liberté à son maître, en lui payant une somme dont le montant est déterminé par des arbitres et basé sur le prix de l’achat, la société ne délivre un esclave qu’après avoir obtenu le consentement du propriétaire. On espère que cette modération, et le succès toujours croissant de cette société, entraîneront tous les autres colons, quand ils auront pu reconnaître qu’il y a là, pour eux, des bénéfices aussi certains qu’honorables. Il ne faut pourtant pas se dissimuler qu’une assez forte opposition s’est déjà manifestée, qu’on entrave encore tous les jours les opérations de la société, et que si les actionnaires ne redoublent d’efforts, si le gouvernement ne les favorise et ne les soutient par l’autorité des lois, si les habitans ne continuent pas à fournir les ressources pécuniaires indispensables au progrès et à l’agrandissement de l’entreprise, il deviendra impossible de remplir le but des fondateurs, c’est-à-dire d’anéantir les effets de la traite dans cette colonie.


BERLIN.

IMPÔT SUR LES CHIENS.

Une ordonnance royale du 29 avril dernier accorde aux communes la faculté de frapper les chiens d’un impôt. Par suite de cette ordonnance, l’autorité municipale a décidé qu’à partir du 1er janvier 1830, les habitans de la ville de Berlin et de la banlieue paieraient pour chaque chien une taxe annuelle de trois thalers (11 fr. 15 cent., environ).



HAVANE.

MOUVEMENT DE L’INDUSTRIE ET DE LA POPULATION.

Les annales des sciences publiées à la Havane nous présentent, sur le port de Matanzas, l’état statistique suivant :

Années. Habitans. Maisons.
1816 4446 705
1826 9333 1566
Augmentation 4887 861


Principales exportations.
Caisses de sucre. Quintaux de café. Bocaux de miel.
En 1818 39,500 34,229 11,095
En 1826 91,209 51,033 23,657
Augmentation 51,709 16,804 12,552

Il est facile de voir par ce tableau que la prospérité s’étend sur toute l’île de Cuba. Quant à la Havane, d’après un ouvrage intitulé : Guia del comercio de la Habana de 1828, nous pouvons offrir à nos lecteurs les données suivantes sur l’exportation du sucre de ce chef-lieu :

Années. Terme annuel moyen. Caisses de sucre exportées.
1786 id. 63,274
1787 à 1792 id. 72,559 1/3
1793 à 1798 id. 105,891 1/3
1799 à 1804 id. 170,662
1805 à 1810 id. 177,202 1/2
1811 à 1816 id. 172,245 1/6
1817 à 1822 id. 222,531 1/2
1826 id. 271,013 3/4

Une preuve que l’aisance est générale chez les habitans, c’est que, parmi les importations en 1828, on a compté 189,597 ½ aunes de dentelles, 72,570 pièces de toile de Hollande, y compris 2,828 chemises de toile, 305,065 aunes de holancito, 28,707 de gaze, 6,609 douzaines de fichus de soie, 830 pièces de soieries de Chine, 6,161 caisses d’eau Cologne, etc.

La population a été en 1828, de 112,023 individus ; dans ce nombre on comprend les esclaves, les militaires, les marins et les étrangers. D’après quelques renseignemens assez positifs, il paraît que la population libre n’est guère que de 70,000 ames ; cette classe entretient 2,651 voitures. À la Havane, il y a deux théâtres, une université, 2 séminaires, 72 écoles, sans les 9 écoles gratuites ; dans ce nombre se trouve une école de navigation, une de peinture et dessin : en outre, une société d’économie qui pourvoit à l’éducation de 85 garçons et de 100 filles.


Mouvement de la population.
Années. Naissances. Décès. Mariages.
1826 3468 2946 560
1827 3748 3227 563

Il paraît que les gens de couleur se marient peu. C’est du moins le seul moyen d’expliquer le petit nombre de mariages relativement à la population.


CONSTANTINOPLE.

PRÉSENS DU SULTAN À LA COUR DE SAINT-PÉTERSBOURG.

Les lettres de Constantinople, contiennent les détails suivans sur les présens que l’ambassadeur turc, Halil-Pacha, doit offrir de la part de son maître à la cour de Saint-Pétersbourg :

Plusieurs ballots de châles de cachemire de 3 à 10 mille piastres l’un : tabatières d’or garnies en brillans ; deux perles fines d’une grosseur extraordinaire, montées en pendans d’oreilles ; colliers de perles avec fermoirs en brillans, rubis et talismans ; bracelets en perles avec fermoirs garnis de pierres précieuses et de diamans ; parfumoirs à la turque, émaillés et garnis de diamans ; bagues solitaires de toute espèce, surtout turquoises très-rares ; bouquins d’ambre garnis de diamans et émaillés, avec leurs tuyaux de pipes en cerisier ; zarfs en brillans avec leurs tasses en porcelaine de Chine ; bois d’aloës en grande quantité ; bourses à tabac en cachemire, brodées en or, argent et perles, en quantité prodigieuse ; narghilès magnifiques, en grand nombre ; une énorme provision du meilleur tabac tumbéki de Chiras ; porte-feuilles de maroquin, à la turque, brodés en or ; montres anglaises avec chaînes garnies en magnifiques brillans ; une grande quantité de riches étoffes d’Alep et de Brousse, brodées d’or et de soie ; mousselines des Indes, avec les plus riches broderies ; plusieurs ballots châlis d’angora, de toutes nuances ; tchévrés, ou mouchoirs pour coiffures, richement brodés en or et perles fines ; kalemkiares de Constantinople, ou mouchoirs en mousseline peinte, d’une rare beauté ; plusieurs sabres damassés, de première classe ; pistolets, fusils de la fabrique de Constantinople, richement ornés ; batistes brodées en or et argent, tapis de Marsh, Oushack, etc. ; coussins magnifiques pour sophas ; deux cents talismans très-rares, la plupart richement montés, pour colliers, bracelets, etc. ; une très-grande quantité de café Moka en poudre, hermétiquement fermé ; souliers de femmes à la turque, garnis de perles et pierres précieuses ; confitures, sherbets des Indes, d’Égypte et du sdékerdji du sérail ; une provision énorme de musc, d’ambre et de parfumeries orientales ; essence de rose de première qualité, dans des flacons de cristal de toute beauté.

Halil-Pacha distribuera les objets ci-dessus à son gré, après avoir remis à l’empereur et à l’impératrice les objets suivans :

Un sabre d’une beauté et d’une richesse extraordinaire ; une selle, avec housse et bride brodées en pierres précieuses ; une boîte garnie de brillans solitaires de la plus grande dimension ; un peigne orné de gros brillans solitaires ; un service complet de pièces pour la toilette, ornées de magnifiques pierreries ; des châles de cachemire de la plus grande beauté, avec palmes brodées en perles fines.

Tels sont les principaux articles qui composent cette magnifique collection, et auxquels est joint un nombre considérable d’autres objets précieux pour la cour, les ministres et la maison de l’impératrice.



ÉGYPTE.

INNOVATION DE MÉHÉMET-ALI.

À l’exemple de sultan Mahmoud, Méhémet-Ali poursuit le cours de ses innovations ; espérons qu’elles ne sont pas prématurées.

Les diverses provinces d’Égypte viennent d’être divisées en départemens, en arrondissemens et sous-arrondissemens. Des assemblées provinciales sont établies. Une assemblée centrale, ou divan général, composé des députés de toutes les provinces, au nombre de plus de deux cents membres, est réunie dans la capitale ; une trentaine d’officiers civils et militaires, attachés à l’administration actuelle, en font partie. Le vice-roi lui soumet toute sorte d’affaires et de questions. Sans être une représentation proprement dite, cette assemblée est beaucoup plus qu’un conseil, et d’ailleurs les séances en sont publiques.

L’envoi des jeunes gens confiés à la France pour y être instruits dans les sciences, l’administration, les arts et les métiers, ne discontinue pas depuis l’année 1826, où quarante-six élèves destinés aux sciences sont venus à Paris. On a expédié à Toulon six Égyptiens pour y apprendre les travaux des chantiers de marine ; ensuite le jeune frère de Noureddin-Bey, major général en Égypte, est arrivé à Paris avec quatre compagnons, qui doivent s’occuper de mécaniques et de diverses fabrications. Depuis peu, trente-quatre nouveaux élèves de huit à quinze ans ont débarqué à Marseille ; ils sont destinés à l’hydraulique, à la construction des vaisseaux et à quinze arts mécaniques différens. On les a tirés cette fois, non de la capitale, mais des villages de l’intérieur. Trente autres Égyptiens sont annoncés : en outre de ces cent quinze jeunes gens envoyés en France, plusieurs sont envoyés en Angleterre et en Autriche.

Pour terminer le tableau très-incomplet de ces innovations en Égypte, ajoutons qu’on y publie maintenant un recueil périodique. Ce journal est de format in-folio, sur deux colonnes, l’une en arabe et l’autre en turc, et paraît deux fois par semaine. Il a pour titre : Nouvelles de l’Égypte. Il est inscrit sur une pyramide derrière laquelle se montre le soleil levant. On donne, en tête du journal égyptien, les observations barométriques, par cinq heures différentes de la journée. Le journal est daté de Boulaq, port du Caire, où est établie l’imprimerie.



ÉTATS-UNIS.

SOCIÉTÉS DE TEMPÉRANCE.

Les États-Unis ont les premiers donné l’exemple de l’établissement de sociétés de tempérance, et il est aujourd’hui peu de villes qui n’en possède au moins une. Cet exemple vient d’être imité en Écosse et en Irlande, où l’on en compte déjà plusieurs. À Stirling, en Écosse, il a été nommé un comité, composé de cinq ecclésiastiques, d’un médecin et de plusieurs laïques, pour décider s’il ne serait pas opportun d’y fonder une société semblable. Le docteur Edgar, professeur de théologie au collége de Belfast, en Irlande, a publié récemment un traité sur l’intempérance, qui a eu pour résultat la formation de deux de ces sociétés en Irlande. Il y expose que tandis que la moitié des quakers de Londres atteignent l’âge de quarante-sept ans, le huitième des habitans meurt avant leur troisième année ; qu’un quaker sur dix arrive à quatre-vingts ans, et qu’à peine un sur quarante dans le reste de la population a le bonheur de vivre jusqu’à cet âge. L’abstinence de toute liqueur spiritueuse est, suivant M. Edgar, le seul moyen de remédier à cet état de choses. Il cite à l’appui de cette assertion, les heureux effets produits en Amérique par les sociétés de tempérance. Dans un endroit dit-il, trois propriétaires de distilleries renoncèrent à cette branche d’industrie, à leur suggestion. Dans un autre, le nombre des tavernes fut réduit de dix à deux. La consommation d’eau-de-vie qui, en 1824, était de 8,056 gallons à Reichertown, ne fut en 1828, que de 2,097, grâce aux efforts de la société de tempérance de cette ville. Le professeur recommande de substituer aux liqueurs spiritueuses, le thé, le café, le chocolat, etc. Il désirerait aussi qu’on payât les ouvriers un autre jour que le samedi. À Glasgow, la police a avisé à un moyen assez cruel de punir les ivrognes ; c’est de raser la tête à ceux qu’elle rencontre sur la voie publique dans un état d’insensibilité.

Le célèbre évêque catholique Doyle vient aussi de publier une excellente lettre sur les sociétés de tempérance. Il est jaloux, dit-il, d’encourager tout ce qui a pour but d’assurer l’empire de la raison sur les passions, et d’aider la vertu dans la guerre qu’elle fait au vice. Il approuve les motifs qui ont présidé à la formation de ces sociétés, mais il pense que sous un climat comme celui de l’Inde, et dans l’état actuel surtout, il est impossible d’abolir entièrement l’usage des liqueurs spiritueuses. On pourrait, ajoute-t-il, en modérer l’abus, si le chancelier de l’échiquier, plus désireux de conserver les bonnes mœurs que d’accroître son revenu, supprimait la taxe de la drèche et de la bière, et augmentait celle des liqueurs ardentes. Jusque là, continue M. Doyle, les membres des sociétés de tempérance auront à lutter contre les ivrognes, les cabaretiers, les épiciers, les distillateurs, les mauvais plaisans, les beaux esprits, les oisifs de toute espèce, et les ennemis des innovations, même de celles qui tendent à l’anéantissement du vice.




GÉORGIE AMÉRICAINE.

INDIENS CHÉROKÉES[2].

Le conseil général de la tribu résolut, dans sa dernière session, d’envoyer une députation au président des États-Unis, pour lui faire des remontrances contre les empiétemens de la Géorgie sur son territoire. À son arrivée à Washington, cette députation remit à M. Adams une protestation formelle contre les prétentions de cet État. Le président ne jugea point la question assez importante pour en faire l’objet d’un message spécial au congrès, et les députés découragés se disposaient à retourner dans leurs foyers, lorsqu’ils reçurent (18 août) du secrétaire de la guerre une réponse fort peu

satisfaisante. Ils avaient atteint le but qu’ils s’étaient proposé en portant leurs griefs à la connaissance du congrès et du peuple américain ; et comme l’argumentation du secrétaire de la guerre, en faveur des prétentions de la Géorgie à une partie du territoire des Chérokées, n’invalidait nullement, à leur avis, les droits de ceux-ci, ils ne crurent point devoir y répondre, et partirent pour la Nouvelle-Èchota.

Telle était l’état des choses, lorsque le 14 octobre le chef Suprême Ross, qui avait accompagné la députation, procéda à l’ouverture de la session du conseil général de 1829.

« Amis et concitoyens, dit-il, comme représentans du peuple chérokée, vous êtes de nouveau assemblés en vertu de l’autorité constitutionnelle de la nation. Le droit sacré de nous réunir en conseil général, pour veiller aux intérêts et pourvoir au bien-être de nos compatriotes, est un des plus grands bienfaits que nous ayons reçus du régulateur Suprême de l’univers ; ce droit nous l’avons toujours exercé en notre qualité de peuple indépendant, et il nous a été reconnu par le gouvernement des États-Unis, qui a bien voulu nous tirer des ténèbres de l’ignorance et de la superstition pour nous initier aux arts de la vie civilisée. »

Ross rend ensuite compte des démarches infructueuses tentées par la députation auprès du gouvernement général ; puis il énumère les griefs des Chérokées contre les Géorgiens, et les spoliations et vexations de tous genres exercées par les blancs contre les paisibles Chérokées des frontières, pour les contraindre à leur abandonner leurs propriétés et à se retirer dans l’intérieur. Abordant ensuite la prétention que la Géorgie a formée à une partie de leur territoire qu’elle dit avoir acquise du chef creek Mackintosh, par le traité d’Indian Springs, il en combat la validité par des faits irrécusables. « Il existe, dit-il, aux archives des États-Unis, de nombreux documens publics pour prouver au monde que ces terres sont le patrimoine des Chérokées. La délimitation entre les possessions des Creeks et des Chérokées, a été fixée de manière à ne pouvoir s’y méprendre : elle est même consignée en termes exprès dans des traités conclus avec les États-Unis, auxquels la Géorgie a donné son assentiment et qu’elle a depuis exécutés. »

Le chef suprême adresse ensuite des reproches au gouvernement qui, au lieu d’expulser les intrus qui se sont violemment établis sur le territoire des Chérokées, excite au contraire ceux-ci, par l’intermédiaire d’agens secrets, à céder leurs terres à des citoyens de l’Union et à se retirer sur l’Arkansas. « Il est indispensable, ajoute-t-il, que vous preniez de promptes mesures pour déposséder les individus qui ont usurpé les terres des émigrans. Ce droit vous est garanti par le huitième article du traité de Holston, conclu en 1791 avec les États-Unis, où il est expressément stipulé que les citoyens de l’Union qui s’établiraient sur le territoire chérokée, renonceraient à la protection des États-Unis et seraient justiciables des lois chérokées. »

Nous sommes à la veille d’une crise, dit-il en terminant, qui décidera du sort définitif de notre nation. Il s’agit de l’existence et du bonheur du peuple chérokée, qui tous deux sont à la merci du gouvernement des États-Unis. Fions-nous à sa bonne foi et à sa magnanimité. Sa politique a toujours été libérale et en harmonie avec ses principes républicains. Il a pris l’engagement solennel de nous rendre justice et de nous accorder sa protection. Nos traités avec le cabinet de Washington sont basés sur les principes de la constitution fédérale, et tant que nous vivrons en paix et en bonne intelligence, la nation chérokée et le gouvernement peuvent seuls les changer légalement. Tout dépend de notre union et de notre ferme détermination de maintenir les droits dont nous avons toujours joui ; et, dans la délibération des mesures que vous jugerez convenables d’adopter pour leur conservation, je vous invite à procéder avec toute la solennité que leur grande importance exige. Mais si contre notre attente les États-Unis, au mépris de la foi jurée, nous refusent leur protection, nous retirent le droit de nous gouverner nous-mêmes, et nous dépouillent de nos terres, alors nous pourrons justement nous écrier, dans l’amertume de notre ame, qu’il n’y a plus de refuge pour nous ici bas. Pourquoi en effet les États-Unis seraient-ils plus justes et plus sincères envers nous, quand ils nous auront déportés dans les plaines arides de l’occident, que lorsque nous occupions l’héritage qui nous avait été légué par le grand auteur de notre existence ? »

De son côté, l’État de Géorgie est résolu, quelle que soit la décision du président, à expulser les Chérokées de son territoire, ou à les forcer de reconnaître ses lois. Le gouverneur Forsyth, dans son discours à l’ouverture de la législature de l’État (novembre), s’explique à cet égard en termes assez formels. Après avoir rappelé les résolutions que l’assemblée avait prise dans sa dernière session, relativement à ces indigènes, l’orateur annonce que le président, à qui elle avait adressé un message pour l’inviter, conformément à la convention de 1802, à faire sortir les Chérokées de son territoire, avait répondu qu’il croyait devoir se dispenser d’offrir une opinion sur la question du titre des Géorgiens. « Il recommande, ajoute le gouverneur, de s’abstenir d’avoir recours à la violence et de nommer une commission spéciale qui serait chargée d’examiner les prétentions de l’État aux terres en litige. Nous ne pouvons nous opposer à une investigation jugée nécessaire pour justifier l’expulsion des Indiens ; mais, à mon avis, la Géorgie dérogerait à sa dignité, si elle se présentait en qualité d’adversaire des Chérokées devant une commission, quelque recommandables qu’en fussent les membres par leur intégrité ou l’importance de leurs services. M. Forsyth observe ensuite que la démarche tentée auprès du président est contraire au droit qu’a l’État de prononcer en pareille matière sans avoir recours à l’intervention du pouvoir exécutif ou législatif de l’Union ; « mais, poursuit-il, cette démarche étant faite et voulant nous conformer aux anciens usages, et montrer le désir que nous avons d’agir conjointement avec le gouvernement général, nous attendons tranquillement sa décision, quitte à prendre des mesures de précaution pour le cas où elle nous serait défavorable ; bien entendu que les Indiens résidant dans les limites de notre territoire devront tous reconnaître l’autorité de la législature géorgienne au 30 juin prochain. »

Ainsi se complique chaque jour davantage la question de l’existence nationale de ces indigènes. Leur petite république est dans un état de fermentation difficile à décrire. Le conseil général, décidé à sévir contre les traîtres, décréta (24 octobre) « la peine de mort contre quiconque disposerait de ses terres sans l’autorisation de la nation. » Un chef octogénaire, nommé Tueur-de-Femmes, prononça à cette occasion un discours remarquable dans lequel il exhortait ses compatriotes à mourir les armes à la main pour la défense de leurs foyers. Une nouvelle députation est partie pour Washington ; mais après le discours du président, quel espoir peut-il rester aux malheureux Chérokées de conserver leur pays et leurs lois ?



CHINE.

COMMERCE DU PORT D’AMOY AVEC L’ESPAGNE.

Le port d’Amoy, situé dans la province de Fo-Kien, offre un bon mouillage, mais ne peut jamais devenir le théâtre d’un commerce bien étendu, faute de grandes rivières dans son voisinage, et par conséquent de moyens de communication avec l’intérieur de la Chine. Tandis que le commerce des Européens est confiné à Macao et à Canton, les Espagnols, qui fréquentent ces deux villes, ont encore le privilége exclusif de trafiquer au port d’Amoy. Mais ce privilége finira probablement par tomber en désuétude, par suite des exactions des mandarins qui, depuis vingt ans, ont éloigné les vaisseaux marchands de la seule nation qui fût admise dans le port. Du reste, il leur est facile de rançonner les capitaines, attendu qu’il n’existait aucun droit fixe de tonnage et de jaugeage, et que tout dépendait du caprice et de la cupidité de ces mandarins. En outre, le corps des marchands chinois prélevait un impôt sur le montant des marchandises importées et sur celles que le bâtiment prenait en retour. Mais quelquefois le capitaine parvenait à obtenir de meilleures conditions en levant l’ancre et feignant de s’éloigner.

Le district dans lequel Amoy est situé fournit des soies indigènes, du drap, du fer, du thé, du sel, du fruit et des drogueries. Un officier militaire et un magistrat député y résident.

Les Anglais avaient, en 1676, une factorerie à Amoy. Elle fut détruite pendant les guerres civiles, par les Tartares qui forcèrent les résidens anglais à se réfugier à Tonquin. Rétablie en 1686, elle subsista jusqu’au moment où un décret impérial porta le siége du commerce étranger à Canton.

Il serait à désirer, sans doute, de voir se renouer avec ce port des relations qui activeraient les rapports beaucoup trop peu nombreux entre l’Europe et la Chine. Mais le commerce sur ce point devrait d’abord être peu étendu : car, par suite d’une longue interruption, les habitans doivent être peu disposés à acheter des marchandises étrangères au-delà des besoins locaux, très-limités et auxquels les jonques chinoises fournissent assez ordinairement.



PRUSSE.

STATISTIQUE DE L’ARMÉE.

Le Journal Militaire contient la comparaison suivante sur l’état militaire de la Prusse, en 1806 et en 1829.

En 1806 : 747 enseignes, 3032 seconds lieutenans, 839 premiers lieutenans, 708 capitaines d’état-major, 692 capitaines chefs de compagnies ou d’escadrons, 690 majors, 74 lieutenans-colonels, 181 colonels, 89 majors-généraux, 36 lieutenans-généraux, 13 généraux d’infanterie ou de cavalerie, et 3 feld-maréchaux.

En 1829 : Point d’enseignes, 2879 seconds lieutenans, 1084 premiers lieutenans, 2 capitaines d’état-major, 1309 capitaines chefs de compagnies ou d’escadrons, 478 majors, 88 lieutenans-colonels, 120 colonels, 68 majors-généraux, 32 lieutenans-généraux, 12 généraux d’infanterie ou de cavalerie, et 1 général feld-maréchal.

(Gazette de Berlin.)



ANGLETERRE.

ASSOCIATION POUR L’ABOLITION DE LA TRAITE.

Une société nombreuse, composée des personnes les plus opulentes et les plus éclairées du comté de Surrey, et dont les travaux ont pour but tout ce qui peut amener l’abolition de la traite des nègres, tint dernièrement à Epsom sa séance annuelle à laquelle assistèrent une foule de dames. Plusieurs discours appelant à l’envi l’attention et l’intérêt de l’auditoire, retracèrent d’une manière pathétique les maux auxquels la population esclave est en butte, et demandèrent que des pétitions aux deux chambres réclamassent incessamment et sans relâche l’abolition de la traite. « Il est temps dit M. Pownal, l’un des membres de la société, il est temps que l’humanité cesse d’être outragée à ce point. Tant que les nègres seront livrés à des travaux sans salaires, tant qu’ils existeront sans lois, le peuple de Surrey élèvera la voix contre les oppresseurs. Quinze cents enfans de l’Afrique sont annuellement enlevés à leur patrie. Multipliez ce nombre par celui des années écoulées depuis le commencement de cet odieux commerce, il vous donnera une population plus forte que celle de l’Angleterre. Qu’est-elle devenue ? ne laissant sur la terre d’autre souvenir que celui de ses souffrances et de ses larmes, elle a comparu en entier devant le tribunal suprême, qui l’a dédommagée sans doute, des injustices dont elle fut l’objet. Les récits des missionnaires ne nous apprennent-ils pas que sous ces poitrines brûlées des feux du soleil se trouvent des cœurs agités par de généreuses et nobles inspirations ? N’avons-nous pas assez de preuves de l’intelligence des malheureux nègres ? Par qui l’Égypte fut-elle peuplée ? par quelles mains furent élevés ses monumens gigantesques ? Sans doute ce qu’ils furent jadis, est le garant de ce qu’ils pourraient être encore, puisque d’ailleurs, les exemples présens viennent corroborer les souvenirs du passé. N’avons-nous pas vu sous nos yeux, des nègres parcourir avec honneur et succès la carrière des sciences et des arts ? Accordons-leur les droits qui appartiennent à tous les hommes, et bientôt nous les verrons déployer les mêmes qualités, les mêmes talens, les mêmes vertus que toutes les autres races. Si nos ministres ne se hâtent d’alléger le poids des fers d’une partie des sujets de Sa Majesté, bientôt il deviendra impossible de réprimer l’impatience du peuple anglais à cet égard. La Jamaïque semble par sa conduite porter un défi à l’Angleterre. Vous dirai-je quelques-unes des lois de cette colonie ? Le maître peut empoisonner son esclave à sa volonté, et le faire fouetter à discrétion. La législature, il est vrai, a bien voulu restreindre le nombre des coups de fouet à trente-neuf pour chaque faute ; mais elle n’a rien déterminé quant à la nature des fautes et des actions auxquelles on peut appliquer cette qualification. Ainsi, un maître peut, à son gré, donner trente-neuf coups de fouet à son esclave, uniquement parce qu’il a la peau noire. Si un esclave libéré perd son certificat de libération, il peut être repris et vendu, parce qu’il n’a pas la preuve écrite de sa liberté. Dans un procès criminel, le témoignage d’un nègre n’est point admis contre un blanc. Les réglemens et les lois sont-ils moins injustes à la Dominique ? Non : le maître peut estropier, mettre à la torture son esclave, et en être quitte pour une amende de quarante livres sterlings (1000 fr.). À la Jamaïque même où semble s’être manifesté un sentiment d’indépendance envers l’Angleterre, tout mauvais traitement envers un esclave, excepté la mort, est puni d’une amende de soixante-dix livres (1750 fr.). Mais, qu’en revient-il à l’esclave ? rien, car son corps même ne lui appartient pas, et si un colon ou un créole casse un bras à un nègre, le maître de celui-ci reçoit une indemnité pour le membre qu’il a perdu. L’esclave ne peut exiger d’un blanc le paiement d’une dette ni intenter aucune affaire judiciaire. Ainsi, s’il a prêté à un blanc le fruit de ses économies, et que celui-ci nie sa dette, il n’y a aucun recours pour le créancier. Quelques colons ont prétendu que nous nous faisons une fausse idée du fouet, emblème d’autorité, disent-ils, plutôt qu’instrument de punition et de châtiment. N’écoutons point ces vaines dénégations, et si le peuple anglais, en retour de ses services et de son zèle pour l’honneur du pays, exige la suppression de cet instrument de supplice, faisons tout ce qui dépendra de nous pour que cette marque de déférence lui soit accordée. »

« Des rapports officiels nous apprennent que, dans le courant de l’année dernière, quatre mille cinq cents nègres mâles, et trois mille femmes, ont reçu l’infamante punition du fouet ; c’est à peu-près le tiers de la population de Démerara. Le gouverneur, dans une dépêche au ministère, dit en parlant des nègres : Les femmes ne valent pas mieux que les hommes ; et quelle que soit ma répugnance à voir user du fouet envers elles, je pense que la suppression de cette punition serait suivie de funestes résultats. Voulez-vous, messieurs, connaître l’instrument dont ce gouverneur désire voir prolonger l’usage ? Le voilà. » Ici l’orateur montre un fouet dont l’aspect excite et propage dans l’assemblée un murmure d’horreur. « Voilà, continue-t-il, voilà l’instrument dont on se sert journellement pour déchirer le corps d’un sexe faible et délicat. »

« Lorsque M. Huskisson, arrêté dans la généreuse carrière de son code de commerce, interdit à Haïti des relations avec la Jamaïque, cette république se jeta dans les bras de la France, et il en est résulté que, dans un court espace de temps, elle a payé pour son affranchissement une somme égale à la somme exigée aujourd’hui de la Turquie. L’émancipation des nègres, loin de nous être onéreuse, serait un avantage pour nous, et plusieurs peuples l’ont senti. À New-York l’esclavage a été aboli, puisque tous les enfans nés après 1816 ont été déclarés libres. À la Trinité, deux mille hommes licenciés après la guerre d’Amérique reçurent le titre de colons, et se font remarquer maintenant au rang des citoyens les plus recommandables. Le congrès de Vienne a protesté contre la traite des nègres ; mais tant que l’Angleterre n’élèvera pas la voix pour en demander l’abolition, il est à craindre que nous ne puissions obtenir cet objet de nos vœux et de nos réunions annuelles. »

Après ce discours et quelques autres dans le même sens, le docteur Edouard a demandé que la société rédigeât une adresse de remercîmens à l’honorable M. Robert Otway, membre du parlement, l’un des sociétaires et présent à la séance, pour les nobles sentimens qu’il a déployés pendant la dernière session, dans la motion où il appelle l’attention du gouvernement sur les malheurs des colonies. M. Henry Hunt reconnaît la justesse de tout ce qui a été dit sur les esclaves ; mais il pense que quelques sujets blancs de Sa Majesté Britannique ne sont guère plus heureux. Quel que soit, dit-il, le triste sort des nègres, ils sont toujours bien nourris. Peut-on en dire autant de tous nos paysans qui souvent n’ont pour soutenir leur existence et celle de leurs familles, que quelques chétives pommes de terre ? » Il termine son discours en votant l’adresse de remercîmens à M. Otway.

Le président dit en peu de mots qu’il avait eu lieu de craindre d’abord que les lenteurs et les contrariétés éprouvées par la société, ne finissent par refroidir le zèle de ses membres, mais qu’il avait vu avec plaisir, pendant la dernière session, le discours philanthropique de M. Otway, éveiller l’intérêt et ranimer l’ardeur de tous les amis de la cause des malheureux noirs ; au nom des sociétaires, il présente à l’honorable membre, les remercîmens de l’assemblée. M. Otway se lève alors, et rend grâce à son tour des éloges que lui ont prodigués les divers orateurs qui se sont succédés. « Le tableau, dit-il, que M. Pownall a présenté de la situation des nègres des Antilles, n’est exagéré en aucun point. Si un esclave est estropié ou mutilé par maladresse ou par méchanceté, le maître reçoit la même indemnité que si on avait mis un de ses chevaux hors de service. La première fois que j’ai parlé à la chambre des communes en faveur des nègres, je me suis borné à demander la libération des enfans. Je savais trop que celle des adultes est impossible. Du reste, vous le savez, messieurs, la répression des abus qui nous entourent sera toujours poursuivie par nos législateurs avec plus d’ardeur que celle des abus dont les colonies sont le théâtre. Quant à moi, tant qu’il me sera permis de faire entendre ma voix dans la chambre des communes, j’appellerai, de tout mon pouvoir, l’extinction d’un usage qui est pour le caractère national une tache d’infamie. Poursuivons donc notre tâche, et espérons de voir couronner un jour par le succès, des efforts auxquels tous les amis de l’humanité doivent applaudir. »

L’assemblée s’est séparée, après avoir voté des remercîmens à son président.

L…



DU PAUPÉRISME DANS PLUSIEURS PAYS DE L’EUROPE.

SECOURS ACCORDÉS À LA CLASSE INDIGENTE.

Un sujet digne de l’attention des gouvernemens ainsi que des particuliers, est l’accroissement sensible du nombre des indigens dans presque toutes les parties de l’Europe. C’est dans les pays les mieux peuplés et les plus riches, dans ceux où l’agriculture, le commerce et l’industrie ont fait davantage de progrès, que le mal se trouve le plus répandu, effet assez naturel de la plus grande masse de richesses et de la plus grande inégalité du partage ; ce qui doit nécessairement amener l’augmentation du prix de tous les premiers besoins de la vie. En France, sur une population de 32 millions, on ne trouve pas moins de 22,500,000 individus qui n’ont à dépenser par jour que 5, 6 et 8 sous. On compte en général 5 millions de pauvres dans toute la rigueur du terme, et 3 millions dont l’existence n’est pas assurée pour un mois. Pour juger de la misère qui existe à Paris, qui seul paie le dixième de toutes les contributions de la France entière, on n’a qu’à faire attention que, sur le nombre de 23,341 individus décédés en 1826, 15,647 ou plus des 3 cinquièmes sont morts dans les hôpitaux. L’étendue du même fléau dans les Pays-Bas se fera connaître par les mesures qu’on y a été forcé de prendre pour le diminuer. On y comptait en 1827, 6,445 établissemens de Charité, qui sont venus au secours de 805,000 individus, et qui ont dépensé une somme de 10 millions et demi de florins. C’est en Angleterre, le pays le plus riche du monde, que le paupérisme a atteint son plus haut période. La taxe des pauvres y a été décuplée depuis 80 ans, ce qui certainement dépasse l’accroissement proportionnel du commerce, de la richesse et de la population du pays, dans le même espace de temps. Même en Allemagne, laquelle jusqu’ici avait été remarquée par l’aisance générale et le bien-être à peu près uniforme de la moyenne classe, et où le contraste de la richesse et de l’extrême misère était le moins sensible, le nombre des pauvres s’est accrû considérablement depuis les dernières années. Dans une partie de la Bavière, dans le Wurtemberg et le Hanovre, on élève des plaintes réitérées sur la grande quantité d’expropriations et de familles réduites à la misère.

Plusieurs villes, qui jusqu’à présent venaient au secours de leurs pauvres par des dons volontaires, se sont vues forcées d’établir la taxe. À Weimar, il vient d’être créé un impôt d’un phenning sur chaque risdaler de revenu, dans le même but. À Darmstadt, les habitans ont été engagés à augmenter la quotité des dons volontaires pour éviter la taxe. Il serait à désirer que plusieurs des petits états de l’Allemagne s’entendissent pour prendre des mesures uniformes, afin de prévenir un mal qui augmente tous les jours, malgré les bienfaits de la paix et l’accroissement de l’industrie. Il faudrait pour cela que les gouvernans secondassent les efforts bienveillans des particuliers. C’est surtout sur les émigrations, devenues si générales depuis quelque temps dans presque toutes les parties de l’Allemagne, que les cabinets sont appelés à fixer leur attention, soit en les dirigeant vers un point utile, soit en les encourageant avec prudence. Un problème de politique digne de toute leur sollicitude serait d’étendre au dehors les résultats de la civilisation européenne, et de chercher, dans l’exploitation des contrées éloignées de l’Europe, la garantie la plus sûre du bien-être et de la tranquillité de celle-ci.


(Gazette de Nuremberg.)



  1. Employés de la compagnie.
  2. Voyez tome ier, page 331